Publié en Juillet 2013, ce long poème en mémoire et en hommage à Michel Host.
LES JARDINS D’ATALANTE
jusqu’aux portes des villes
« Nous promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
Ô sœur, y comparant les tiens. »
Stéphane Mallarmé, extrait de Prose
« Un ciel pâle, sur le monde qui finit de décrépitude, va peut-être partir avec les nuages : les lambeaux de la pourpre usée des couchants déteignent sur une rivière dormant à l’horizon submergé de rayons et d’eau. Les arbres s’ennuient et, sous leur feuillage blanchi (de la poussière du temps plutôt que de celle des chemins) monte la maison en toile du Montreur de choses Passées… »
Stéphane Mallarmé, extrait de Le Phénomène futur
Ces douze poèmes, issus d’un songe d’années — jetés la première fois sur le papier en 1972, à Saint-Auban-sur‑l’Ouvèze, réécrits de mois en mois, jusqu’en 2012 -, disent aussi la cruauté des Jardins abandonnés.
JANVIER
Infortune du vocabulaire cette année
misère de la syntaxe
muets de charme secs défoliés abolis
dépouillés plumés nuls
les arbres
Le fond de la fontaine s’est crevassé
l’eau goutte à goutte a traversé
parois capes couches strates
pour dessiner un lac une cuisse
en bas dans la vallée désirée d’ombres
Nous notre soif déclinons
les crêtes grattons le rocher de nos doigts cassés
Sans crier gare la femme a remué
le grand lac salé se vide de son sang
les pores s’obscurcissent
les habitants de la vallée jouissent d’un coucher de soleil
génital
visible entre les jambes d’Albane
car goguenards les bergers — là -
troupeau aux yeux rayés
aux quatre coins
démons de l’antique jardin
en elle satisfont
des peurs séminales longtemps
enchaînées
Mais veille Atalante la chasseresse
qui sur leurs rires referme ses genoux coursiers
écrase leurs têtes de liqueurs gelées
ô craquement croissance décimale
loin propagée sur les eaux
Atalante se tourne et se rendort
des mois des semaines
laissant au lac l’usage de recourir au sang
Et meurt le soleil sur ces hauteurs que le froid envahit
et jusqu’au cœur de nos ossatures se loge le gel
cependant que l’autre fontaine sourd doucement
entre tes cuisses qu’elle lave toute la nuit
Tu t’appelles Albane et le moi braconnier
entre dans ta nuit
FÉVRIER
Amère amande altère mes os
Amarante ô
tu devins la sereine amante de
celui qui jonchait le val de cadavres ennemis
et crucifiait les femmes sur les portes des sanctuaires
arrachait aux ventres des mères
le fœtus violacé les vives entrailles
qu’il livrait aux crocs des chiens
Si limpide Toi
plus suave que le clavecin des armistices
Toi couchée dans l’arc incendié
de ses cuisses
Toi ployant sous la masse
de son obscénité
Je me déchire à ton soupir
m’écorche au râle d’amour
comment peux-tu ? comment peux-tu ?
Moi retiré de ta bouche je vais sans clocher
ni maison dans l’ornière des égorgés
parmi ses victimes tes victimes maintenant
ô Amarante trop aimante
moi fol insensé qui me désespère
mais empli de rêves où tu baves et gémis
et râles embrassée de flammes verges brandies
redoublantes lacérations de l’air
inscrites en griffes bleutées
à tes bras à tes seins lactescents
quand déjà les bourreaux hurlent tout excités
autour du brasier de tes yeux
dressant les poteaux où ton agonie finira
dans les saccades inondées du plaisir
Amarante ô mon innocente
tu avais cessé de lui plaire
à la traverse de ton ventre
sur tes seins déchiquetés
sur la neige
avec des gestes lents ils étendent
— que du supplice fort l’on jouisse -
leurs filets le désir un oubli de colombes
MARS
Atalante s’éveille sous la roche amadou
salive et lait aux coins de ses lèvres
alimentent l’éparpillement des soleils dessous
les ruisseaux de vitrail et — dodécaèdres – les
jets de ténèbres se prennent
les pattes dans l’iris de son ventre
Semblable courbure n’est pas de la nuit
ni dicible à l’oreille de l’Aveugle
sans que la plaie d’amour ne se dévore
brûlis de feuilles sèches à l’orée de sa veille
Atalante s’éveille sur la couche des murmures
plus haut découvrant sa nudité de rivage
buste où l’écume amoncelle perles songes
et cendres et silences enfin
Sur ton corps délivré au matin
organdi des larmes de pierres givrées
sur ton buste de roc cascades enluminées
chardons rouges Atalante ô
Atalante
dévoreuse de lunes
cœur de liberté brisée dès l’instant
qu’ils te captureront pour te planter
trophée dérisoire
noire dépouille de silence
sur leurs cheminées
pagne aux reins arc bandé contre
l’absent mais visible
animal qu’en vain ils traquent tout le jour
Atalante ensevelie dans les bronzes sans écho
futur de légendes figées
qui te reconnaîtra dans ces caricatures bourgeoises
évolution au néant aboutie
Atalante ma toute sanguinaire
ne te laisse exiler par le mauvais sang
défends-toi de la fureur de l’artiste
de son imaginaire sans oxygène
déploie ta chevelure entre les doigts de l’étoile
elle veut dormir sa nuitée dans ton lit de roseaux secs
jusqu’à l’extinction du feu de tes chariots
AVRIL
Jardins des Alpilles
de la Drôme et du Var
au langage des cimes il n’est de nom que le vôtre
nom de mon amour et de ma confusion
longtemps clamés au soleil levant
Voix divine amoureuse mourante voix
entre les bras du vent
renouant autant de fois l’étreinte
sinon Amarante
que ton désir m’anéantisse et me laisse
évanoui sur le sable de l’extase
Jours d’autrefois tombes d’amours déçues
sombrent dans la vague d’herbes qui meurt
à son tour pour ne plus rien dire
de ce qu’il en fut de ces adorations
Amarante ô meurtrière
mes ossements secs ne s’arrachent plus du tertre
— Étrange printemps ! -
où ils pierrefendent leur hiver absolu
ils ne diront non plus ce que fut la caresse fluviale
de tes hanches
à ta gorge ce flux reflux roulant de rapide
en rapide l’écume de nos sens
N’ai-je pas connu joies et peines d’algues mêlées
aux plumes gongorines de ta chair
fontefroide dont la mémoire me désaltère encore
quoiqu’en mon étroit réduit de roc seule la fièvre
de tes dents amandes nuageuses explore lente
l’image de mon sexe
In memoriam matins bleus poudre et cendre
dans la flamme de tes mains rassemblent
l’ombre de tes râles nos paroles vagues ces mirages
châteaux villes contrées verdoyantes prairies
d’amour ensevelies
hétéroclites images
d’un livre d’aventures
livre autre toujours autre
MAI
Éveillée maintenant mon Atalante chasseresse
à la course chassée selon le renouveau de ton désir
non promise mais livrée à tes amants furieux
de n’avoir si longues saisons déjoué tes pièges de paille
ton cri maintenant s’éteint dans leurs mains paysannes
pauvres mains exultantes
Ô Atalante
sur tes épaules portée la faille nocturne asile
Je vais et viens t’appelant
du val à la plaine de la plaine à un siècle d’aiguilles
inaccessibles
ton cri s’est éteint mon cri se brise opacité de pierre
c’est en vain que me reste mémoire des lieux des odeurs
de terre mouillée sous tes cheveux de menthe
pistes fragiles que nous courions tous les deux
or ma folie jalouse
me les montre tels que peut-être ils ne sont pas
voraces commensaux assis au banquet de ta chair
assouvis écœurés de cristaux de pétales
Qui t’arrachera à leurs gueules à leurs mains
mendiantes aux chemins de ton corps lié
aux montants du lit ô gémissante humide Atalante
déjà ne disant mot
Atalante de soupirs peuplée pareille
à la nonnain de la chapelle du désert abattue
— c’était Vercoiran le lieu! -
en son damier de jupes noires de jupes blanches
m’assurant n’avoir connu ni dieux ni déesses sinon
issus des masques de la peur et des théâtres
de la fantaisie
Toi qui raillas tes erreurs des premiers temps
et laissas éclater ton sexe
au cœur de l’ostensoir de nos plaisirs
instants que tu murmurais incomparables
les jours n’ont pas tant filé que tu ne saches
m’appeler ouvrir tes lèvres tes portes arcanes
ne point me tenir au dehors
folie de mort murmure épinglé
oh je t’implore
victime tienne
cruelle Atalante
lève-moi de ce roc
JUIN
Retrouvés le fil perdu l’ouragan de la cascade
la raison de ses yeux les jours de ses bras les nuits
le sens m’est restitué de ce qui est la vie et ne l’est pas
entre l’arbre et le nuage au flanc blessé de l’étoile
Le poème vient doucement puis se recompose là où
les rhétoriques s’époumonent se dissolvent
sur les lèvres d’Amarante qui de trois mots bas
à ma gorge le renoue que
je l’écoute bruire et couler
Un matin saisi par l’indolence de la mer
fraternité légère lente à s’offrir aux caresses
Amarante s’est faite amante et pour longtemps nous n’eûmes
plus disputes que de fleurs ou de songes
Dans sa déchirure la syntaxe dispose d’inventifs baisers
en débandade le vocabulaire de cent langues mêlées
dévale ses seins ses hanches corridors blancs
où s’inscrit le poème vivante morcelée morsure
et pour la rime et la césure à l’hémistiche c’est
— Amarante aimante –
le piano des cimes étourdissant
le clocher son ventre — place des Fêtes — dénudé
d’oriflammes en spasmodiques soubresauts
Le village de l’an s’éteint
bourgeois paysans tout dort la première nuit
puis s’ouvrent d’Amarante les yeux mi-clos
sourciers du feu que virent sur la côte
les compagnons d’Ulyssse retour des nuits barbares
feu attentif à la course du marin qui se rassure à le voir
Mes yeux s’y consument
ce n’est pas tourment ce n’est pas géhenne
car bientôt je boirai l’eau de ta fontaine
ainsi le chien se désaltère
avant se remettre en chemin
Long chemin humble itinéraire des vallons
aux coteaux des vignes des seigles aux troupeaux
aux fermes endormies là où je serais un fleuve italien
pour y tremper tes lèvres sucre et violette
pour t’y roidir au plaisir
y retremper la brûlure des anciennes nuitées
t’y laisser emporter sur un rivage de plumes
et l’été devenir
JUILLET
Hors leur écrin de satin tes flancs s’allument
mon regard te détache à l’aube où tu te faisais prendre
des chasseurs montés de leurs vallées
Tu es Amarante
aussi belle en dépit de la sanie des étreintes
d’abord
ce papillon triste au coin de ta lèvre emporte
le souci de tes yeux ma rancune tout ensemble
sauf cette source de sang dont mes mains n’ont su
dévier les courants mais qu’y faire si tu accordes
plus que pain et feu à plus de prétendants
que n’en affronta le Grec
et — penses‑y – moi une Ombre
que pouvais-je contre leurs poings leurs fusils
leurs chiens l’alcool blanc qui les imbibe leurs plaisanteries
grasses herbes dont ils savent se repaître
Je te vois qui descends au torrent
antienne couchée sur une page de ciel toute
amertume déserte ma pensée cela suffit à combler
l’attente de la lumière rais jetés pluriel hommage
à ton corps elle est sur toi et peu à peu t’immacule
ô Joie
C’est d’une princesse solitaire future reine d’États
délimités sur des portulans que j’invente
c’est le premier bain d’un matin de création
où des oiseaux virevoltent autour de tes épaules
mes yeux seuls les doigts roux des joncs s’y posent
leur caresse mon regard
font tes gestes pudiques et neufs
quand déjà
tu te penches sur le miroir inversé et contemples
les rides de l’amour sur fond de sable blanc
Parmi l’étrange songe
pour plus de lenteur en l’accomplir
j’accoste voiles amenées aux baies aux dunes aux étangs
que tu révèles et ouvres à mon esquif
j’y erre à loisir lynx agile je te contemple toute
de branches en rochers de mousses en vergers
en silence y pourchassant le lièvre du frisson
à l’entour de tes seins
je fuis tes cimes effraction qu’un orage m’interdit
te propose dans l’éclair notre longue petite mort
notre course nouvelle et de poursuivre le jeu
AOÛT
Août de rigueur solaire août de violence
novembre approche je poursuis mon périple
de l’Une à l’Autre indécis — nourri d’herbes moi aussi –
vous les herbes — menu des mystères — sanguisorbes
peucédans par les racines bien que je n’en pisse guère
qu’images en avalanches tarots amers
mais Aucune ne parvient à fourgonner ma cendre
à combiner cette chimie la joie la mort
J’envie d’impossibles orgasmes in partibus
unions de l’esprit de la chair foutaises de cadavre
comme dans cette carte postale de l’an 1903 où
la jeune fille en son innocent sourire même montrait
qu’elle ne l’était que photographiquement
— c’est ainsi que le monde est —
entre une tenture coloriée de velours cramoisi
et la potiche d’époque Ming grosse d’un fœtus aléatoire
Ô jeune fille inclinée des plaques photographiques
— c’est ainsi que le monde change -
telle Albane tu prends la pose 30e de seconde
tes yeux s’emplissent de violettes
sont-ce des lacs crevés d’éclairs à la veille de l’automne
quand s’avançant se découvrent tes rôdeuses qui
sur mon sexe voudraient rompre des lances
Je souffle les plumes de ta jupe à l’instar
de tel professeur allemand sur tes bas céruléens
alors que s’élèvent — bal d’ardentes mappemondes –
deux tours dévorantes jointes au faîte
où exulte et tremble le blason
Ton sourire s’interpose vision délire
et se superpose à mes mains qui semblent recouvrer
couleur et dextérité quand bien même demeure
l’illusion
Ô Albane nouvelle ô petite vertu soulevée sur les boulevards
ne t’indigne pas ma respiration est si pauvre et d’esprit seul
retrouve ta virginale posture ta nostalgique neutralité
Comment saurais-tu qu’ici enfoui au très profond
au très froid des Terres je suis silence ruine du souvenir
de mon amour
tes craintes ne sont-elles pas songes de tipule
sur le voile obscur des eaux
Va liberté à la libre lumière plus jamais
Nous ne nous chercherons vers cette souffrance
SEPTEMBRE
Or Atalante demeure si me reste mémoire
de ses paroles pour moi en moi obscures proférées
Fenêtres de l’automne s’ouvrant sur un lac rouge couteau
dans la poitrine du vent ou fuselage de chair vive
Oubli vite tu viendras brouillant nos images
contre mes tempes les feuilles ne retiennent leur vie
dentelée qui les brûle à sa flamme
oubli demain sans doute il faudra régler nos comptes
à moins que déjà tu n’aies réglé le mien mais
le présent là nous requiert habillé de vendanges
rosée transie où se prennent regards et pensées
Atalante ô flèche nocturne m’écoutes-tu
près d’un feu de broussailles ta course a‑t-elle pris fin
tes bras rompus harassés de lits tes jambes lasses d’écarts
alourdies de caresses et de férocités
toi toute enfin es-tu donc finie
les miens les miennes depuis un siècle ou plus encore
rivés aux roches friables poudreuses désormais
ne savent plus la morsure des ronces ni les doigts nacrés
des amantes
et au séjour où je m’achève les deux poètes ne m’ont pas visité
De mon sexe mort nul souvenir
mon cœur déserté poussière seul tremble
sous Orion et Cassiopée
au faîte de leur peur sans aurore les dieux leurs oripeaux
les hommes leurs parades
où sont-ils
Les bêtes aussi dernières compagnes
soudain faites ennemies s’en sont retournées
ici rien n’en donne réponse
L’ubac le vois-tu l’ubac pour toujours
et toi amour brûlé
où vas-tu indéfinissable amour
Ô Atalante des parcs et des fontaines
quand s’épuise le soleil à ranimer le jour
sourire-miroir sur la bouche du temps
nulle haleine ne s’inscrit
où que se tourne le regard il n’est de chemin
que tes pas n’aient effacé
Les ténèbres sur nous
déversent l’écume des jours
OCTOBRE
- C’est ainsi que le monde change -
Sous la carapace verre et cobalt des rouges cités futures j’entends
le martèlement de ses talons gardiens d’une nuit texane
entre les brownings couchés sur les trottoirs
défilant à sept kilomètres heure les cadavres conditionnés
vont debout vers les centres crématoires High Tech
J’entends ses talons battements solitude
sur l’acier limpide soyeux
S’allument les flammes électroniques idéogrammes
japonais de base ustensiles de la pensée numérisée
— chiffres, chiffres… — dernières propositions du vide
soldats de lumières mais aussi ombres un peu chinoises
sur ton corps ô Amarante fluorescent qu’ils ne regardent pas
ou innocents ou idiots ou barbares
Des trains de cristal écorchent les paupières de cette nuit
qui s’effiloche à grande vitesse
c’est la mort — béatitude — c’est la mort
Ville dressée hurlante sur son lac de sang
c’est de l’or — divinité – c’est de l’or
ville des manipulateurs de la matière brute loin pourtant
rejetée aux frontières de la méduse blanche
là ou l’air n’est qu’oxyde de plomb acide particules
irrespirable
Le sphynx désormais aux périphériques aux radiales
planté aux carrefours des voies-express reste muet
La cathédrale de Bourges se décompose dans le hall
de la Chase Manhattan ses orgues mandées par ordinateur
diffusent les données corrigées des variations saisonnières
des valeurs et changes — oh bonheur — sous l’amiante
dans les murs s’entasse le monde intraduisible que décodent
des machines aux doigts véloces armés de bistouris :
— opérations boursières opérations boursières –
Mon Amarante sans mémoire sans programme
il n’est plus à te reconnaître
qu’un chien vrai chien crin noir terni
truffe grise de fièvre famine
clandestin sur ce paquebot gelé pour lever un instant
ses yeux d’homme trahi sur tes seins vernissés siliconés
Et toi égarée de l’éternel printemps chimique errante
aux rayons de l’aube parmi les oiseaux mongols
de la Deutsche Grammophon qui
à l’heure des corn-flakes répandent leurs pépiements
sous un firmament de plexiglass et modernité pure
Tu t’éloignes Amarante tu meurs à mes yeux
ma mémoire canine ma mémoire humaine ne te retient plus
tu es femme sans odeur mon flair ne peut imaginer tes pistes
mes mains se détachent de ton insaisissable matière
ma langue
la dernière fois qu’elle t’a léchée n’a léché que du verre
et tu as crié fous le camp ! fous le camp, que je n’te voie plus !
je t’obéis
je rejoins les louves dans les forêts d’oubli
NOVEMBRE
Novembre déjà novembre ton avance s’épuise
Atalante
ô chasseresse entre les lignes de neige
d’un seul coup tu tomberas
des fauves obscènes te rattrapent et bientôt t’accablent
pourquoi davantage t’épuiser à courir
C’est l’aube je ne ris pas
de tes joues de cendre où s’efface le souffle
ô toi beauté quand la vie décide de se fuir
quand il n’est plus de main pour retrouver ta main
Triste je te croyais déesse préférée aimée des dieux
comme ils aiment — ensauvagés — ma rage les taillait
dans une belle rumeur de sabres de balles
et tu restais corolle blanche en d’éblouissants sacrifices
soumise — oh je rêvais – à d’acharnées délices
mes caresses musicales caresses des lèvres
caresses de tout le corps que tu ne méprisais pas allant
à ton secret refuge à cette jaillissure plumes et myosotis
oh que cette vie était belle et comme tout palpitait
dans l’avant-coureur futile premier temps de l’accointance
Atalante ô
l’hiver maintenant te poursuit ses mains
ne jettent l’or d’aucune pomme mais contre le verglas
le sel les rayons brisés
de l’astre publicitaire planté sur les talus des autoroutes
c’est le terme du parcours ridicules humiliés
les dieux périssent dans les gaz d’échappement
Chasses perdues animaux agenouillés tu fermes les paupières
se vide le sablier de tes forces
une dent sournoise vois-tu s’aiguise aux chevelures aux cœurs
aux arbres à la montagne des fables
les sèves organisent leurs retraites sommeilleuses
le champ de bataille va au silence
tu es à ta toilette de givre
Atalante ô
nul n’ira plus épier les nudités surprises
plus de tourments vient l’heure je t’attends
tes mains ne tremblent pas
pour toi c’est assez dit
je t’appelle sans voix sans écho sans chair
au bord d’un Guadalquivir gelé
Des oiseaux paisibles veilleront ton visage
ta barque maintenant traverse le fleuve
approche-toi je t’attends… viens… viens…
le passage est une douceur et je t’ai tant aimée
DÉCEMBRE
Récusez mes belles ces visions de néant
le discours des cadavres quittez vos tombes
ouvrez les yeux sur ce désert notre domaine
un autre soleil bondit c’est la pensée qui ne meurt
d’autres sur vous jetteront leurs yeux baisers flammes
sur chaque branche de vos corps franges illuminées
ressaisies par les doigts du zodiaque
gradins nouveaux pour des amours autres
je ne sais je crois
et le pourrez-vous ? le pourrons-nous ?
Là était le rêve là était la vie l’an s’achève
et proche le vent enclôt tout soupçon
éclat des paroles amours souffrances gestes
brûlés enlacements regards à merci soupirs
embrassements rien tout ne se tirera donc d’oubli ?
Chairs frémissantes chairs désirantes des délires
à l’instant rien un peu de poudre un peu de vent ?
Terreur insolvable dès l’aube du temps
n’auras-tu de cesse que nous ayons trouvé le port ?
L’injure est profonde et s’il y eut des fêtes
elles ne surent que masquer l’angoisse et l’attente
Fini de rire fini de danser sur la corde des délices
fini de boire aux fontaines que nous avions tant cherchées
— je le dis — nous n’étions que sable et trop vains
mais vous femmes éprises attentives ténébreuses femmes
vous saveurs des dires multiples grâces d’esprit
beautés tantôt secrètes innommées tantôt lisibles
c’était bien partout vos mains inquiètes tant aimantes
vos sourires les orages violets sur les villes où vous respiriez
autour de vos yeux les tendres navigations amours ici
amours là-bas qui tous étaient désirés choisis gagnés
du moins me l’aviez-vous laissé croire très belles
et nocturnes amantes
et sur vos doigts vos lèvres je dépose
des bouquets de solstices
Jour était Albane Terre était Amarante
Atalante de ses cris fauves déchirait les rivages
les pensées nues vos chevaux blancs allaient s’abreuver
à vos sources
de l’iris de vos yeux se détache l’oiseau insaisissable
du désir ennemi amical
un cri d’alarme se répand l’océan est gris sous le nuage
Albane Atalante Amarante ô épars le rêve la vie
ouvrent la porte à leur premier hiver
Fin de Les Jardins d’Atalante
Présentation de l’auteur
- Marc Kober, L’ours des mers - 5 juillet 2021
- Revue EUROPE, avril 2015 : Federico García Lorca - 4 juillet 2021
- Michel Host, LES JARDINS D’ATALANTE - 4 juillet 2021
- Le scalp en feu (1) - 3 juillet 2021
- LA MÈRE MICHEL A LU - 20 mai 2021
- MARC KOBER, L’OURS DES MERS - 6 avril 2018