Michèle Duclos, Un regard anglais sur le symbolisme français
Cet intéressant, dense et savant essai de Michèle Duclos, sous-titré Arthur Symons, Le Mouvement symboliste en littérature (1899), généalogie, traduction, influence, nous offre la première traduction française complète de cet ouvrage du poète et essayiste anglais, adepte de la critique dite « impressionniste », Arthur Symons, né en 1865 – comme son ami Yeats à qui il l’a d’ailleurs dédié.
Ayant séjourné plusieurs mois à Paris, Symons y avait personnellement fréquenté les chefs du jeune symbolisme français, dont Verlaine. Mais Michèle Duclos nous offre aussi, en première partie, une pasionnante analyse de la genèse du livre d’un Symons d’abord influencé par Walter Pater, Browning et la philosophie platonicienne ; et, en troisième partie, une non moins passionnante « étude diachronique de l’influence considérable » que le livre a exercée « sur trois générations des plus grands poètes, tant britanniques et irlandais qu’américains », citons par exemple Yeats, mais aussi James Joyce, Pound, Eliot ou David Gascoyne. Le dernier chapitre ouvre, quant à lui, sur une évolution d’Arthur Symons après sa publication de The Symbolist Movement in Literature, qui n’est pas sans présenter quelques contradictions, en particulier quand il se détourne du symbolisme, alors que sa conception d’un « art total » tel qu’il le reconnaît chez William Blake, relève aussi de ce mouvement. De même, si Arthur Symons, dans sa quête de la Beauté ontologique, « oppose “le cerveau elliptique du poète” au “cerveau lent, prudent et logique du romancier” », il reconnaît que Maeterlink atteint dans son théâtre en prose au véritable drame poétique.
Michèle Duclos – spécialiste, entre autres, de Kenneth White – a enseigné la poésie anglophone contemporaine, à l’université de Bordeaux Montaigne ; on voit donc bien, d’emblée, l’intérêt de ce nouvel essai pour tous les amateurs de littérature / poésie anglophone. Le travail de Michèle Duclos, en outre, attirera également les lecteurs moins versés en ce domaine mais tout simplement intéressés par la poésie en général et curieux, en particulier, de ce que le regard extérieur de l’étranger Arthur Symons, décalé par rapport à notre approche franco-française du symbolisme, peut apporter de nouveau à notre perception d’écrivains allant de Gérard de Nerval au Belge francophone Maurice Maeterlinck, en passant par Villiers de l’lsle-Adam, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Jules Laforgue, Stéphane Mallarmé et Huysmans (dans sa dernière période).
Michèle Duclos ne cache pas toutefois s’étonner de l’absence, dans l’ouvrage de Symons, d’un Émile Verhaeren qu’il a pourtant traduit, comme de sa présentation de Rimbaud en « poète immature confiné à un état de promesse verlainien » ou d’un Baudelaire « relégué dans l’Introduction dans la catégorie des ‘’Réalistes’’ ». Quelques réserves donc sur cet ouvrage de Symons, qui ne l’empêchèrent cependant pas d’avoir été accueilli en Irlande « comme une sorte de livre sacré pour une jeunesse fervente ». L’auteure, d’autre part, insiste sur ce point important que, si The Symbolist Movement in Literature a bien joué un rôle fondamental, ce ne fut pas toujours en bloc ni au même moment ; une intéressante particularité, que l’auteure explique par « la composition à la fois simple et multiple du volume ».
On la remerciera donc d’avoir ainsi attiré l’attention contemporaine française sur les conceptions originales et si fécondes poétiquement, de cet « initiateur du Symbolisme français en terres anglophones et messager d’un Symbolisme esthétique et ontologique ».