Milène Tournier, Cent vies vagues

Par |2024-09-06T06:18:01+02:00 6 septembre 2024|Catégories : Critiques, Milène Tournier|

Cent vies vagues… pas sans vie ! Cent moments de vie. Une sec­onde de vie ; un souf­fle en vie. Ou bien la mort, aus­si ; la sienne, celle de l’Autre, des Siens. La vie, la mort : indis­so­cia­bles, hein !

Cent vies jeunes ou pas, de femmes ou d’hommes – par­fois on ne sait pas, bon, on sait juste qu’il y a une vie, oui, y a eu une vie, des vies ; vies dans l’attente de quelque chose qui arrivera ou pas, ou/et de quelqu’un qui n’arrivera pas ou peut-être, va savoir ! On ne sait rien de l’avenir. A peine un peu du passé, et encore… pas sûr… si peu qu’on se demande si, par­fois, ce ne serait pas une his­toire que se racon­te le per­son­nage, tiens, un de ces cent per­son­nages qui n’ont pas de nom, sou­vent pas même de lieux, d’époques : ils vivent, point. Ils ont vécu, plutôt. Car ce n’est pas la vie, leur vie, pas vrai­ment, met­tons l’empreinte du vivant, sur laque­lle on tombe, on butte, on sourit, on s’attriste, on se sou­vient, on se ques­tionne, on se reflète. Une image du vivre.  

Cent fil­a­ments de vies, issues du tis­su du réel. Cent pous­sières de vies, dans la pro­preté du jour. Cette banal­ité, par­fois sin­gulière, de vies qu’on croise, qu’on frôle, qu’on évite, qu’on élude, qu’on ignore, qu’on aimerait con­naître, qu’on ne sait nom­mer… qu’on n’oublie pas, pour­tant. On n’oublie pas les oubli­ables, éton­nam­ment, oui, parce qu’il y en a plein les cimetières – pour (mal) para­phras­er le dic­ton –, et aus­si parce que, dans le fond, on est soi-même un.e de ces sans-forme, un.e de ces vis­ages sans image, qu’on croise, frôle, évite, élude, ignore, aimerait con­naître ; innom­ma­bles même si pas igno­bles, petits dans leurs grandeurs – petitesse de la quo­ti­di­en­neté… « la vie, quoi, le bor­del », gazouil­lait Higelin.

Milène Tournier, Cent vies vagues, Lurlure édi­tions, 16 €.

Cent vies vaguent, que Milène Tournier égrène comme un chapelet, aux grains qui roulent et déroulent des pages sobres, à la poésie sans emphase, sans exagéra­tion, sans pathos, mais assuré­ment pas sans pro­fondeur, pas sans émo­tion, pas sans élé­gance. La sobriété, cette vraie beauté ! On est dans le vrai, quoi, dans la vie, dans cent vies, dans le ressac, vagues venues, puis repar­ties… non, là.   

  1. Il a de la semoule dans la tête, dis­ent de lui les femmes et les hommes. Il n’a pas sa graine toute bien cuite. Cer­tains jours, tous essayent de lui don­ner une menue tâche. Les autres, où il y a trop à faire pour qu’on aie de la patience, on le laisse faire ne pas faire. Les femmes sont dans la cui­sine, le dos bais­sé sur d’énormes cuves. Dehors, les hommes tail­lent les légumes. Une femme arrive, la plus vieille, la plus forte et la plus douce, elle n’est à aucun d’eux, elle est à la lumière du pays, et à tout ce qu’elle a vu du monde et des hommes, elle est à l’espoir, un espoir un peu las, à l’optimisme laborieux de se lever pour vivre le jour – même celui où les mol­lets tirent. Les hommes ne font pas comme il faut. Il faut couper en ron­delles les oignons. Elle leur mon­tre. Son couteau passe, flu­ide comme feuil­leter les pages d’un livre. La femme part, les hommes font. Sauf lui. Il met ses oignons mal coupés dans le grand plat et mélange. Par­fois, sur un oignon, sa découpe est belle comme un squelette ou un accordéon. Le suiv­ant, ça ne marche pas, c’est parce que ce n’est pas le même oignon. Il trie dans le tas les plus belles lamelles et les met sur le dessus, à la fin. Ronds, lamelles, gros ou fin, ça change, ça finit que ça se mange. Il ne voudrait quand même pas trop, se faire crier.

  1. La jeune fille au lyçée répond, lorsque la pro­fesseure lui demande si cela lui arrive d’écrire, qu’elle écrit le jour­nal intime de son père. Le jour­nal intime de ton père ? Oui, elle écrit les journées de son père, ce qu’il a fait du matin au soir. Mais tu dis “je” ? Oui, la fille dit. Je dis je pour lui.

Présentation de l’auteur

Milène Tournier

Milène Tournier, née en 1988 à Nice, est une dra­maturge et poétesse française.

© Crédits pho­tos Marine Riguet

Bibliographie 

  • Et puis le roulis, 2018, Édi­tions Théâtrales
  • Nuits, 2019, La P’tite Hélène éditions,
  • Poèmes d’époque, 2019, Édi­tions Pold­er, pré­facé par François Bon.
  • L’autre jour, 2020, Édi­tions Lurlure
  • Je t’aime comme, 2022, Édi­tions Lurlure
  • Se coltin­er grandir, 2022, Édi­tions Lurlure
  • Hold-Up 21, édi­tions Anne Car­rière, 2023
  • Ce que m’a souf­flé la ville, édi­tions Cas­tro Astral, févri­er 2023
  • Puisque cha­cun pour­ra par­tir, cha­cun pour­ra rester, Edi­tions Unic­ité, Juil­let 2023

            Autres publications

            Les écrits de Milène Tournier sont égale­ment pub­liés dans les revues ou ouvrages collectifs :

            • aux édi­tions Tiers Livre Édi­teur On ne pense jamais assez aux escaliers en 2017, Une his­toire par­al­lèle du ciné­ma en 2018, Je vous par­lerai d’une autre nuit en 2018.
            • aux Édi­tions Pourquoi viens-tu si tard, Esprit d’arbre en 2018.
            • aux numéros 8 et 9 Revue inter­na­tionale de poésie de Paris-Sor­bonne, Place de La Sor­bonne, 2018 et 2019.

            Vidéo-poèmes

            Milène Tournier pub­lie sur sa chaine YouTube, depuis 2015, des poèmes-vidéos. 

            Une de ses créa­tions a été présen­tée en 2018 au Cen­tre Pom­pi­dou, dans le cadre de Lit­téra-TUBE, une propo­si­tion de Gilles Bon­net, Eri­ka Fülöp et Gaëlle Thé­val, autour des expéri­ences de vidéo-écri­t­ure dif­fusées sur internet.

            Cinéma

            Automne Malade est un court métrage, de type docu-fic­­tion, réal­isé par Lola Cam­bourieu et Yann Berli­er en 2019, pro­duit par Réalviscéralisme.

            Distinctions

            • 2012–2013 : 1er prix de la 18e édi­tion Prix de la Nou­velle : pre­mier con­cours d’écri­t­ure de la Sor­bonne Nouvelle.
            • 2018 : Aide à la créa­tion (Art­ce­na), caté­gorie lit­téra­ture dra­ma­tique pour Et puis le roulis.
            • 2017 : Aide à la créa­tion (Art­ce­na), rubrique Encour­age­ments pour Dans ma ville.
            • 2021 : Prix de la société des gens de let­tres SGDL, Révéla­tion de Poésie pour L’Autre jour.
            • 2023 : Prix Jacques-Scher­er pour De la dis­pari­tion des larmes.

            Poèmes choi­sis

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            Vincent Motard-Avargues

            Vin­cent Motard-Avar­gues, né le 15 juin 1975, à Bor­deaux ; pho­tographe & musi­cien, a pub­lié quelques livres. Poésie : — “Car­nets d’un plongeur sec”, édi­tions Gros Textes, 2019 — “La chair de la pierre”, édi­tions Incli­nai­son, 2018 — “(im)permanence”, édi­tions Encres Vives, 2015 — “Je de l’Ego”, édi­tions du Cygne, 2015 — “Recul du trait de côte”, édi­tions de la Crypte, 2014 — “À ce qui est de ce qui n’a”, édi­tions Encres Vives, 2013 — “Leurs mains gan­tées de ciels”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Le vil­lage retrou­vé”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Si peu, tout”, Éclats d’en­cre édi­teur, 2012 — “l’Al­pha est l’Omé­ga”, ‑36° édi­tions, 2011 — “Un écho de nuit”, édi­tions du Cygne, 2011 Pho­to : — “Radi­celles”, duo poèmes/ pho­tos avec Murièle Mod­é­ly, édi­tions Tar­mac, 2019 — cou­ver­ture du livre « Je te vois », de Murièle Mod­é­ly, édi­tons du Cygne, 2017”

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