Mina Sünger, La trame de l’ordinaire
La découverte de ce livre, c’est d’abord celle d’une voix, que ne recouvre pas le titre naturaliste de l’ouvrage, car de ces poèmes qui disent la vie effritée, sauvage des villes et des rues, dans une vision entomologiste des grisailles, des cafards (aux deux sens du terme), des sentiments qui versent, rien de naturaliste au sens premier.
Dans une écriture qui s’offre la sécheresse du décalage et du surplomb, l’auteure – moins de quarante ans au compteur -, dévide ce qu’elle observe, ce qu’elle ressent, ce qu’elle trame – ensemble – les réalités d’une vie forcément errante, forcément riche de rencontres et de dérives, au fil des rues de Milan, Rome ou Sydney.
S’y lisent des perceptions très mûries des corps frôlés, pas toujours atteints, des vies minimes, infimes, vagabondes comme son parcours.
On sent frétiller le regret de passer à côté des choses, et cependant, quelle manière d’en évoquer les trames et les traces :
Je cherchais avec peine, un après-midi en terrasse
le réel – le sentiment d’un hors-soi nous rendant notre juste
mesure –
dans les pierres
des immeubles et les dalles des trottoirs
L’ironie cinglante, le détail cru, l’image déjantée (le jour, comme un œil, cligne et précipite l’ennui), l’observation sourcilleuse du réel donnent à ces textes l’allure de vignettes hyperréalistes d’un monde en folie, avec ses laissés-pour-compte, avec sa fureur du Capital.
Un vrai tableau d’une société déglinguée, où les immigrés forment comme l’assise d’un autre monde, rejeté, banalisé, informe.
Un auteur à suivre, pour une qualité unique de regard et pour une écriture ferme, sans affêterie.