Mireille Cliche, Dents de quartz et autres poèmes
Des oiseaux sur un rivage roux
laissent des hiéroglyphes
octobre a pris feu en une nuit d’orage
souvenir volcanique d’une fête abrégée
la vie pulse rouge
condensée
Rubans d’odeurs fumées douces
une framboise oubliée
concentre sa couleur
vertige tranquille dans la pinède
où couvent des chanterelles
la saison capitule
Au bout des débarcadères
les chemins tricotent
entre des murs burinés
des cheminées odorantes
À la lune des chasseurs
le lac dézippe le paysag
avale les pentes
retouche ses bleus
roule ses histoires
ses ponts de billots ses draveurs brisés
ses nageurs pugnaces
L’abbaye veille dans la brume
les quais dorment et le lac
le lac a trop bercé ses voiles
trop claqué ses vents
il rentre ses bouées ses drapeaux ses oriflammes
endort ses kiosques
ses nuits plumeuses et braves
aspire au repos sous la glace
Les ruisseaux transparents ronflent sous le frimas
écumes et brouillards s’emmêlent
enrubannent les jours
d’un pays où les glaciers
ont fiché dans la mousse
leurs dents de quartz
Crépitement de l’automne
ses roulements sans tambours
sa vaste indifférence
Le lac séduit enveloppe engourdit
prépare lentement son solstice
Un sommeil aussi long que ses côtes
taira ses profondeurs
mais pour l’heure il s’entête
à ronger ses plages
Memphrémagog Mamhlawbagak1
ces noms en castagnettes
racontent des conflits
des forêts à abattre
la contrebande et les bateaux à aube
Des fantômes flottent sur le miroir martelé
rêves et souvenirs s’entremêlent
on appareille pour un dix-millième hiver
Rouge ma Rouge
À trop de femmes
Sur la peau gravelée des murs
ces bruns sont-ils du sang
il était grenat sous les coups
là-bas sur la place
quand tu as cru un moment
au pouvoir du nombre
D’où viennent ces sons qui bondissent
sur la terre battue et la fiente
ces bruits lourds de pieds en armes
Rouge ma Rouge
le temps s’écoule de ses blessures
tes ongles bleuissent à gratter les heures
les geôles s’effritent et tout manque
les jardins l’apaisement du soir
tout manque
Les couloirs convergent vers la peur
la lumière les tranche comme un couteau
et la soif ma Rouge
ce béton dans ta gorge
les fissures par lesquelles s’écoulent
ta douleur
le prénom qui te hante
Tu t’es fait voler ta solitude
la trace de la mer dans tes yeux de sel
et ses yeux ses yeux à lui
qui disparaissent
Rouge ma rouge
tu as perdu jusqu’à la paix du sang
sa pulsation tranquille
les voies du silence dans tes artères
L’air bruisse gémit tremble
tu n’entends plus que son nom
son nom à lui couché sur la place
que tu ne reverras pas
Pister
Avancer reculer
Flotter craindre se perdre
Se dire oh et peut-être
Ne rien décider attendre l’émergence
Marcher en spirale
Sentir son estomac ses poumons ses cellules
Retenir la peur chien fou
(La laisse scie le poignet)
Retenir la peur molosse épais
(Les jambes s’agitent le dos s’arque)
Sceller ses mâchoires
Croire que demain ou peut-être aujourd’hui
Perte de signal
Avancer se perdre
Dormir dans les ornières
Refaire sa coquille la lécher
N’attendre que soi
Avancer
Placer ses pions programmer
Refaire ses calculs pister
Se demander qui
Et pourquoi
S’arrêter
Attendre consoler
Pleurer
Note
- Le lac Memphrémagog est un long lac glaciaire dont les eaux se partagent entre le Québec et l’état du Vermont, aux États-Unis. Il tirerait son nom du mot abénaquis mamhlawbagak.