Morgan Riet, Euphémisme et autres poèmes

                                               pour Elliot.

 

« Il fait une petite chaleur »
vient-il de dire,
comme s’il tenait
à n’offenser
ni le ciel, ni personne,
à nous rassurer un peu
sur les suites
de l’entreprise.

Bouchée franche
des regards,
sans périphrase
autour des sandwiches,
il fait bleu de sourire
ductile
dans l’éclair
de ce pique-nique

en bordure de pluie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des voisins

 

Avec eux parlant
de la pluie et de l'herbe
tondue ou à tondre ;
avec eux c'est simple
comme bouger un pied
spontanément après l'autre -
et ainsi de suite,
allant son train bonhomme,
le moindre échange
sans arrière-pensée
au balcon ou bien devant
nos garages respectifs -
Avec eux il y a comme
l'effet d'une pierre
de sucre      candide
qui volontiers vient fondre
au milieu quelquefois
d'une amertume passagère.

 

 

 

 

Acquiescement

 

                                                 pour Olivier.

 

Alors que nous courons,
une parole entraînant l’autre,
tu en viens à évoquer
des tranches de vie,
ce que nous ne rattraperons plus,
ce qui nous brûle,
étape après étape,
et revient là,
en coup de sang, dans nos cœurs,
par petits tas de cendres.

Pour toi, comme pour moi,
le plus âpre dans tout ça,
c’est d’accepter ce train
qu’impose le temps
avec toutes ces gares,
ces incendies de parcours,
ces aiguillages humains
au goût d’amitié ou d’amour parfois
amers.

De tout notre souffle,
nous tranchons, en dépit
d’un ciel pesant de pluie et de larmes,
dans le vif des regrets,
et repoussons impuissamment la fin,
au gré des paysages traversés
d’images        en nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

Plongeon

 

Rideau à peine
baissé du soir,

nous traversons
sa douceur et la rue
piétonne.

Rideau à peine,
baiser du soir -

les terrasses
y fourmillent
de langues, d'alcools,
de fumets divers,
baignés d'une sorte
de légèreté commune.

Rideau à peine -
oublieux         de savoir

nager      et des regards
qui me sont terre
ferme,

voilà que je plonge
avec le jour,
lourd de tous mes sens,
au large d'une pensée
fugace,
dans la houle
des récits possibles.

Rideau, sur ce,
troué d'étoiles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bis

 

Ici, ça ne dure pas,
toujours ça tourne à l’orage,
et y r’pleut
comme on dit par chez nous.

Un cri de mouette,
pour nous rappeler l’été,
zèbre soudain ce tonnerre
d’abattement grisâtre.
(Toboggan, balançoire,
rêvant de cigales,
ont depuis belle lurette
enjambé le mur                   du jardin.)

Et c’est ainsi que tombe
de nos mains moites,
comme le poids maussade
d’une vache sur nos tongs,

la faible perspective
d’un château de sable.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Morgan Riet

Morgan Riet est né en 1974, à Bayeux, où il réside toujours. Il est l’auteur de : Lieu cherché, chemins battus (éd. Clapàs – 2007), En pays disparate (même éditeur – 2010),  Midi juste environ (auto-édition – 2011), Du côté de Vésanie, illustré par Matt Mahlen (éd. Gros textes – 2012), Ça brûle (-36° édition – 2012), Quelque chose, photos de David Lemaresquier (éd. Les Tas de mots – 2013), Vu de l’intérieur, illustré par Hervé Gouzerh (éd. Donner à voir –  2013), A fleur de poème1, illustré par Matt Mahlen (même éditeur – 2016), Sous la cognée (éd. Voix tissées – 2017) et Chute de fiel / Sang & Diesel (éd. Gros textes – 2018).  Il a collaboré aussi à de nombreuses revues (Décharge, Friches, Verso, Cairns, Poésie/Première, Comme en poésie, Traction-brabant, Paysages écrits, 17 secondes, les Cahiers de la rue Ventura, Inédit Nouveau, Recours au poème, Spered Gouez, Ce qui reste …) ainsi qu'à quelques recueils collectifs : L’insurrection poétique – collection Po&vie (Ed. Corps Puce – 2015), Arbre(s) (Ed. Donner à voir – 2016), Dehors, recueil sans abri (Ed. Janus –  2016), Duos – 118 jeunes poètes de langue française né(e)s à partir de 1970 – Anthologie dirigée par Lydia Padellec – Bacchanales  N° 59 (Maison de la poésie Rhône-Alpes – 2018).

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