Recours au Poème a vocation à parler des démarches fortes. Et la démarche de Munesu Mabika de Cugnac appelle l’admiration. Travaillant dans un cabinet d’avocats, l’auteur de ce beau livre de poésie, une fois convaincu qu’il devait vivre absolument l’écriture de ce poème, a démissionné et demandé son omission du barreau. Contractant un emprunt bancaire pour se consacrer pleinement à sa tâche, Munesu Mabika de Cugnac a investi dans la poésie lorsque le commun des mortels place son argent dans des actions. Une telle démarche affirme l’éminence de la poésie en ces temps financiers. “On ne s’adonne pas à la poésie”, disait René Char, “on abandonne tout pour elle”.
C’est effectivement cette conscience en acte qui anime certains poètes d’aujourd’hui et tend à redéfinir notre monde, tant l’opulence matérialiste a fini par vider l’âme des êtres et des choses, créant la nécessité absolue d’une aventure intérieure.
Ce type d’attitude est aujourd’hui un enseignement sur l’état des lieux dans lequel l’humanité évolue.
À la réussite sociale, certaines consciences, en avance, préfèrent la conquête du sens, ayant compris la nécessité d’offrir au monde des œuvres par lesquelles la protection du genre humain redevient possible. Car croire en la poésie, au point d’abandonner sa fonction sociale durement décrochée, c’est être en avance.
Le poète a choisi de nommer son chant Un monde plus fort que le reste, et ce titre, à l’instar de ce qui vient d’être dit, ancre sa pensée dans une action défiant la toute-puissance du monde. Au premier chef, le monde dont nous parle le poète est celui du poème, dont il ressent la grande puissance, puissance en ce moment même presqu’invisible face au reste, c’est-à-dire tout ce à quoi l’on nous demande d’accorder une importance que l’on suppose vitale. À travers ce titre s’entend un rapport de force entre l’essence de la poésie et le rouleau compresseur qui soumet nos vies à la réalité illusoire d’un monde mondialisé.
Évoquons les lignes de forces de ce livre authentique. Une première opposition ouvre le poème, entre les mains du poète, symboles de l’acte du chant, et le monde tel qu’il ne va pas. Rimbaud, on le sait, affirmait que la main à plume valait la main à charrue. Or des charrues, aujourd’hui, il n’y en a plus, malheureusement abandonnées aux profits des grands exploitants agricoles. Quant aux plumes, n’appartiennent-elles pas à l’œuvre des catacombes de la modernité ?
Le poème s’ouvre sur ce vers : Je me suis construit un refuge. Ce vers donne à rêver car il évoque le cercle de protection que constitue le poème dans un monde devenu hostile, monde façonné par les humains dont une minorité impose à la majorité le diktat concentrationnaire du code-barres, humains asservissant la nature jusqu’au point de bascule aujourd’hui atteint où nous n’avons que peut de temps pour la sauver, c’est-à-dire pour nous sauver.
Poésie du je et du tu. Le poète parle en son nom, qui est sans doute universel. Et lorsqu’il dit tu, à qui s’adresse-t-il, sinon au souffle intérieur qui l’habite, ou au lecteur ? Il utilise les formes héritées des usages récents, avec parfois quelques mots sur la page, comme Prends le temps.
Quatre parties structurent le livre, renvoyant l’ensemble à un ordre intérieur en résonnance avec l’ordre de la Terre.
Aussi, vers quelle nécessité ouvre ce temps à prendre ? À s’accorder au “souffle d’une langue inaugurale/qui s’annonce en un frémissement”, cette langue qui change tout : notre rapport au monde, l’énergie individuelle, celle qui transforme la vie en plus de vie et impose une réalité neuve.
Parole qui s’affirme par le “peut-être” et le “presque”, mots que l’on retrouve avec régularité au long de ce chant de 160 pages, c’est-à-dire une poésie d’humilité insinuant sa voix en tant que murmure s’infiltrant dans le cancer tonitruant du monde comme médication, voire conjuration.
C’est une chose tout à fait sérieuse à laquelle se livre le poète en faisant “naître cette source/en laquelle/Seul/Je dois/Aller/Seul”, et qu’il nomme poésie car son incidence est capitale. “Chaque jour/la goutte d’eau me rappelle/Que la mort n’existe/Plus”.
Il faut avoir abordé par la conscience ces terres de délivrance pour affirmer ainsi le pouvoir vital du poème, celui accordant la certitude que la mort est un rivage illusoire et que seule compte “la danse”, la seule attitude humaine digne dans le tragique qu’offre aujourd’hui la condition moderne.
C’est un beau livre que nous offre à lire Munesu Mabika de Cugnac avec ce monde plus fort que le reste. Beau par la démarche qui est la sienne. Beau par la conquête de conscience qu’il a opéré et nous donne. Que Dieu protège ceux qui portent l’étendard de la Beauté, affirme le peintre Roberto Mangú dont une toile, Ombra dell’inizio III, a été choisie par le poète pour servir de couverture à son livre.
La beauté, c’est le pas capital du poète dans ce monde afféré au Mal en détruisant tout le vivant.
Ça, c’est l’attitude véritable du poète Munesu Mabika de Cugnac.
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