Ti fille gomé
mon main mon zyé mon pié
tout’ lé gomé
mi avance pu
mon pié mon zyé mon main
tout’ lé noir
dans lo fénoir zot i domand a moin
kissa la pose la kolle pou ou ti fille ?
kissa ?
kissa la gome a ou kom ça ?
mi répond a zot
la lang
la lang la gome a moin
la lang la efface a moin
la cole mon peau
la cole mon main
sul papié blanc
dodan son grain
***
demand pa moin tradui, mi gingnra pas
dan mon tet, nana deux zoizo
un lé blan, lot’ lé noir
zot i tuit tuit matin lo soir
un coup i vien, un coup i vien pas
lé deux colé i rod chaper
dossu mon lèv dodan mon voix
ni ou ni moin i sa atrape sa
***
kroi pas zoizo la i habite ladan depui lontan
le nid té vide le zeuf té blan
dodan mon bouche té sen la mort
tout’ mot posé té fé décor
mi té fé pas semblant
mi té domand solment kissa
kissa la mét dan mon tet
que lo zoizo, lo blan lo noir
té gingn pa viv ensemb
té gingn pa chant ensemb
té gingn pas emmailler
mot effacer avec mot gomé
kissa ?
ou mém ti fille, ou mém
débrouill’ si out langage lé pas normé
ou lé
ou même ti fille
ou même
***
Petite fille poisseuse
mes mains, mes yeux, mes pieds
sont tout poisseux
je ne bouge plus
mes pieds, mes yeux, mes mains
sont noirs
et ils me demandent dans l’obscurité
qui a « posé la colle » pour toi
qui ?
qui t’a sali comme ça ?
je leur réponds :
la langue
la langue m’a empoissé
la langue m’a effacé
elle a collé ma peau
elle a collé ma main
sur le papier blanc
jusqu’au cœur de sa trame
***
ne me demandez pas de traduire, je n’y arriverai pas
dans ma tête, il y a deux oiseaux
l’un est blanc, l’autre est noir
ils pépient du matin jusqu’au soir
parfois tout est clair, d’autres fois non
les deux oiseaux empêchés cherchent à s’échapper
de mes lèvres, dans ma voix
mais ni vous ni moi
ne pourrons nous saisir de ça
***
ne croyez pas que ces oiseaux habitent là depuis longtemps
le nid était vide, les œufs étaient blancs
dans ma bouche cela sentait la mort
tous les mots posés étaient comme un décor
je ne faisais pas semblant
je me demandais seulement qui
qui m’avait mis dans la tête
que les oiseaux les blancs, les noirs
ne pouvaient vivre ensemble
ne pouvaient chanter ensemble
ne pouvaient emmêler
le mot effacer avec le mot « gomer »
qui ?
toi-même, petite fille
toi même
et tant pis si ta langue n’est pas normée
tu es
toi, petite fille
toi
***
kan moin lété pti
mi té dor pa a k
oté
koté momon koté papa
momon té di a moin
« vien dor dan mon dos ti fille »
kel momon ici i ouv son po pour donn aou la place
pou do lé pou do lo
kel momon i écart’ son poumon pou ou rest pas tou sél
mon momon kom tout momon la ba
i té donn a nou in kouto pou koup’ la po
pou tyé la mort pour tyé la pér
pou pas ramp’ tout sél dan lo fond lo cirque
pour koup’ koup’ lo chén i empech’ tien dobout
tout’ po noir té dwa pesé com i galé dan lo fénoir
depui moin lé momon mi koup’ moin aussi un bout d’po dessu mon rin
tou lé soir mi mét’ mon marmaille dodan
et kan mi sa ferm mon zyé
mi koné zot i rév zot i march
zot i tien droite
***
quand j’étais petite
je ne dormais pas à côté
de maman, de papa
maman me disait
viens dormir dans mon dos, ma fille
quelle maman ici ouvre sa peau pour te faire de la place
pour t’offrir du lait, de l’eau
quelle maman écarte ses poumons pour que tu ne sois pas seul
ma mère comme toutes les mères là bas
nous donnait un couteau pour couper la peau
pour tuer la mort, pour tuer la peur
pour ne pas ramper seul au fond des cirques
pour rompre la chaîne qui nous empêche de tenir debout
toute peau noire se doit de peser comme une roche dans l’obscurité
depuis que je suis mère, je coupe moi aussi ma peau au dessus de mes reins
tous les soirs, j’y mets les enfants
et quand je vais fermer les yeux
je sais qu’ils rêvent, qu’ils marchent
qu’ils se tiennent fiers et droits
***
Dans l’île
Le rouge est plus rouge
Le rose est plus rose
Le soleil ne fait pas plisser les yeux
Il se ramasse, s’enroule
Et se jette d’un bond
Sur les feuilles
De combavas
De vacoas
De badamiers
Il instille son sang
Chaud, pourpre, parfumé
Les couleurs franches
Épaississent la sève et donnent
Ce rouge plus rouge
Ce rose plus rose
Qui déchirent le regard
d’un coup de sabre
L’œil comme une goyave fendue
Pleure des grains dorés dans une mer fuchsia
Extrait de Penser maillée, éditions du Cygne, 2012
huître
quand nous mangeons de la langue
quelquefois
banale
plate
la bouche fuit
mon kaf do lo
mon kafrine do fé
ce ne sont que des mots pourtant
les enfants s’y accrochent, comme à l’eau du ruisseau
c’est qu’ils ont eu cinq mille huit cent quarante jours
pour expérimenter différentes techniques de pêche
et ils se dressent
sur la butte de mes joues
le regard concentré
impavides
immobiles
à tenter à mains nues
à la lance
à la ligne
de saisir une à une
toutes les perles cachées entre mes valves
Extrait de Feu de tout bois, Délit buissonnier n°1, tiré à part de la revue Nouveaux Délits
le poème est comme une tignasse crépue qui t’embrouille la tête
comment dire koman kozé
out poèm i galop i galop com in bébéte sovage
out lang la sienne
t’entraînent au fond de l’eau dans un écheveau d’algues
out sévé sec maillé
tu te demandes où trouver le soleil naufragé
les mots, ces gros galets, et les vieux bouts d’épave
Extrait d’un ensemble inédit
Un jour
Il faudra bien
Que j’éructe l’exil
Que je cesse
De considérer
La fuite
De l’île
Hors de peau
Hors des miens
Hors de mon
quotidien
Il faudra bien
Que j’écarte
Des côtes
Les bords francs
De la plaie
Que je laisse le sang
Ou les larmes couler
Ou mon cerveau
Qu’importe
Que mon corps
S’investisse
Que je cesse
De dire
Vissée au
Continent
Il faudra bien
Un jour
Enfoncer la canule
Que le bout d’île
Explose
Que je m’enfonce nue
Dans la mer ou l’instant
Ou la répétition
Qu’importe
Que le crâne
Se fende
Que gerbent en continu
La bouche et le volcan
Extrait de Penser maillée, éditions du Cygne, 2012