Murielle Compère-Demarcy, Alchimiste du soleil pulvérisé
Que l’on relate la vie, le théâtre d’Antonin Artaud, se référer à la dissidence, à l’ouverture vers la nouveauté, la créativité, et les audaces, pour honorer la puissance époustouflante de l’œuvre du dramaturge, est un préalable, une posture attendue, une tentative hasardeuse et ardue.
Cette danse avec l’homme solaire Antonin Artaud est une envolée cosmique de belle envergure. Son auteure, Murielle Compère-Demarcy, "fait sauter les verrous de la Grande Pusillanimité gonflée de sa baudruche d'Auto-Suffisance", ne nous épargnant rien, et toutes les facettes de cet homme si puissant et si meurtri sont habitées par l’écriture de ces pages.
Le lecteur est immédiatement attiré par le format de cette collection, dont Philippe Thireau prend grand soin, ce choix-ci l’atteste ! Tous les éléments physiques du volume racontent ce souci d’exigence.La typographie et les choix graphiques, l’occupation de la page de couverture, qui offre un portrait d’Artaud réalisé par Jacques Cauda, la quatrième de couverture, la qualité du papier, les éléments du paratexte. On attend tout, une évasion, un lieu fertile en interrogations, en réflexions, en partages. On n’est pas déçu.
Murielle Compère-Demarcy, Alchmiste du soleil pulvérisé, Z4 éditions, 2019, 131 pages, 11 € 50.
Comment s’opère le miracle, cette immersion dans l’univers de cet homme soleil, brûlé par les chants inexplorés de son art ? Le dispositif certainement, une écriture inclassable, qui se dresse hirsute et magique, comme un feu d’artifice ou bien comme la pensée d’Antonin Artaud, puissante et explosive.
Prose poétique, poésie tour à tour descriptive et évocatoire, immersions dans les délires ou le monologue intérieur du dramaturge, dialogue avec celui-ci, grâce aux changements de pronom personnel, Murielle Compère-Demarcy est dans cette vitesse et dans ce souffle battant du discours de celui à qui elle s’adresse, à qui elle offre la parole. Les jeux avec la typographie, avec l’espace scriptural, l’appareil tutélaire,
les pliures du silence
sur l'arête vive
du cri
tendent la ligne
rouge oppression
de pulsion
anthropophage
de volute d'ombilic
ondoiements de jouissance
et de défécation
dans les grandes oeuvres annales
du cri primal
en avortée tension
jusqu'à sa purgation
L'auteure devient celui-ci, Antonin Artaud, le regarde, entre dans sa transe, ouvre son univers. Discursive, métaphorique, aléatoire, alvéolaire, pragmatique, démesurée, et surtout témoin de la communion d'un visionnaire et d'une poète, l'allure de ces pages nous emporte courir avec celui qui a offert son génie au théâtre, son humanité à ses semblables.
Le rythme effréné de ces pages nous mène tel un torrent de folie et de puissance évocatoire... la folie, cet enfermement qui fut aussi cette liberté de dire, d’agir, de créer, est si bien racontée, car comment rendre compte de ceci, de cette impossibilité à ouvrir l'espace du cerveau Artaud, de l'âme Artaud, si ce n'est en devenant la globalité Artaud, comme le fait Murielle Compère-Demarcy qui tient ce fil d'Ariane, ce fil ténu entre norme et déviance, entre terre et ciel.
Le vocabulaire d’un niveau tour à tour courant, familier, soutenu, et les jeux de mots, les néologismes, tout participe de la mise en œuvre de cette toile réalisée avec des jets de couleurs, de touches ponctuées de traits tendus, comme une corde, sur laquelle a avancé Antonin Artaud, sur laquelle s'est aventurée l'auteure de l'Alchimiste. Elle parvient à plonger dans la conscience de ce personnage marquant du paysage théâtral français du vingtième siècle. Elle réussit ce tour de force qui est de nous ouvrir aux pensées puissantes de cet homme remarquable. La folie, aussi, est donnée à ressentir, à connaître non pas grâce à une perception intellectuelle, mais grâce à cette immersion miraculeuse dans la vie intérieure de cet être tourmenté et fertile. C’est ceci que nous offfre l’auteure, qui abandonne les dernières pages de ce livre remarquable à Antonin Artaud :
Ce que je suis
n'est pas inscrit
n'est pas représenté
dans l'homme
l'homme
n'est qu'un bloque opaque
et qui se meut
avec le réprimé
refoulé
et irrévélé
dont chaque geste
est un révélation spontanée.Je suis l'infini.