Murielle Compère-Demarcy, Dans les landes de Hurle-Lyre

Une mer incendiée, retournée : c’est en compagnie de Blaise Cendrars, Antonin Artaud et des indiens du Montana, que Murielle Compère-Demarcy nous emmène, morts ou vifs, dans un voyage-dédale à travers les mots qui surgissent comme autant de gouttelettes qu’en compte l’océan.

 

 

Entrer dans le monde de Murielle Compère-Demarcy, c’est renverser le paysage, le mettre tête en bas ; et l’eau des étangs, des mers, des fleuves grossis des eaux de pluie, forment alors une planète fluide à marée montante et descendante, fluide qui expulse ses poissons rouges/hors du bocal intérieur/et la rage rentre dedans/et le clair de terre rentre dedans/et el ciel rentre dedans/et le monde-poème rentre dedans.

Ce premier objet nageant bien identifié – le poème comme manière liquide de dire le dedans –, Murielle Compère-Demarcy le dédie à Blaise Cendrars, qui n’aime pas le genre « poète », dans son ouvrage récent, « Dans la lande de Hurle-Lyre », paru chez Daniel Ziv (Z4 éditions) en fin 2019. 

Sortir de l’enfermement qu’est la vie, une vie, à travers le poème qui lui-même sort de l’eau déguisé en poisson rouge, poisson qui est le vin (rouge) de l’écriture, tel est l’exercice risqué, tête en bas, à sang renversé, que tente l’autrice.

Murielle Compère-Demarcy, Dans
les landes de Hurle-Lyre
, Z4 éditions,
illustrations Jacques Cauda, 2019, 138 p., 14 €.

Ce périlleux voyage, tête en bas, la répétition n’est pas superflue, mort en bas, est armé du revolver à deux balles déjà présent dans un précédent ouvrage de Murielle Compère-Demarcy1, « Alchimiste du soleil pulvérisé – poème pour Antonin Artaud», également édité par la maison Ziv en janvier 2019. Il faut sortir armé en effet lorsqu’on fréquente les totems Blaise Cendrars et Antonin Artaud. Et tirer, tirer sur les silhouettes habillées en doigts rouges du cœur (qui) dégouttent des mains. Nous sommes au centre, au plein de l’écriture qui rend lucide donc malheureux, dans le vin de l’écriture. Ivresse obligatoire et répétée par le vin ensorcelant du soleil.

C’est cela, sortir de là, sortir de cette poésie géante qui tue l’ordinaire des vies et fait mal, mal ; comment grandir sans se faire mal ? Hein, comment ? Questionnement sous-jacent : si la vie est un attentat permanent, comment faire danser la mort sans se donner à elle corps et âme ? La mort comme seule vie possible. Comment ?

Coupez mes mains, demande alors Murielle Compère-Demarcy aux lecteurs. Car c’est bien à eux qu’elle s’en remet. La vie est une maladie mentale non reconnue. Antienne.  Alors, lecteurs, si vous vouliez bien tuer les mains de cette Murielle-là, au moins ces mains qui retiennent le cri, peut-être ce cri tuera enfin, armé du revolver à deux-balles, et Cendrars, et Artaud ; ces douloureux passeurs du temps éparpillé. Se retrouver en morceaux, voilà l’apport de la lucidité. Comment guérir de la vie ?

Un autre voyage peut-être pour reformer, réformer, le corps-poème qui protégerait de la grandeur dévastatrice d’un Cendrars, d’un Artaud ? Murielle Compère-Demarcy le tente, posant son sac au Montana, ce pays de montagnes, de neige, d’isolement. La symphonie du nouveau monde, écrit-elle. Le tout sacré des nations indiennes. À poésie renversée, essorée de l’écriture, au royaume de Wakan-Tanka. Elle rencontre le peuple de l’eau du milieu, celui de l’eau renversée : Montana nuage rouge, poisson rouge sorti de son bocal.

Un poème renversant : Un autre monde se dévoile,/une autre réalité se lève/et nous sommes toi et moi dans le paysage/et non plus devant. Au cœur des quatre directions…

L’indien est l’eau, l’indien est un ciel ; il est la lenteur de la longue seconde qui égrène la seconde. Murielle Compère-Demarcy devenue indienne, herbe courbée par le vent.

Faut-il poursuivre, nager encore dans l’océan renversé dans lequel Cendrars, Artaud, deviennent baleines ? Juste un poème encore, définitif, indien, pour sûr : Ralentir l’action/Défense parfaite/Le poème est là.

Mais encore, rebondir… et puis, non.

 

Note

  1. Murielle Compère-Demarcy, Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 éditions, la diagonale de l’écrivain, illustrations Jacques Cauda, 2019, 136 p., 11,50 €.