NESCIO : P’TIT POÈTE ET AUTRES BOHÈMES

Par |2025-01-06T16:13:34+01:00 6 janvier 2025|Catégories : Focus, Nescio|

Le texte suiv­ant a été pen­sé et pub­lié ini­tiale­ment comme post­face à la tra­duc­tion roumaine des réc­its de Nescio. La ver­sion française fait référence à : Nescio, Le pique-assi­ette et autres réc­its, traduit du néer­landais par Danielle Los­man, post­face de H.M. van den Brink, édi­tions Gal­li­mard, Paris, 2005.

Le flâneur de l’Oosterpark à Ams­ter­dam ne pour­ra man­quer la sculp­ture grandeur nature de trois garçons traî­nant sur un banc. Il s’agit d’une fig­u­ra­tion de Bavink, Hoy­er et Koeke­bakker, trois « garçons gen­tils » des réc­its de Nescio. 

C’est là qu’on les voy­ait « des nuits entières appuyés con­tre la grille à dis­cuter à cœur per­du », comme le pré­cise l’auteur dans « Titans en herbe ». Bien peu de per­son­nages lit­téraires ont eu l’honneur d’une sculp­ture publique, or ces trois représen­tants de la bohème d’Amsterdam font par­tie du pat­ri­moine cul­turel des Néer­landais. Il faut croire que cer­tains lecteurs leurs vouent même un culte, puisque la sculp­ture, réal­isée par l’artiste Hans Bayens en 1971, a été volée en 1985. À moins que ce soit plutôt la valeur marchande du bronze qui ait inspiré quelques illet­trés ? Toute­fois, depuis 1988, led­it flâneur retrou­ve au même endroit un nou­veau moulage du trio statuaire.

En créant ces représen­tants de la bohème amstel­lodamoi­se, Jan Hen­drik Fred­erik (dit Frits) Grön­loh, né le 22 juin 1882 à Ams­ter­dam, savait de quoi il retour­nait. Son père, ferblantier et chau­dron­nier à Ams­ter­dam, l’avait envoyé à l’École de Com­merce. À par­tir de 1899, diplôme en poche, le jeune homme est petit employé dans une enfilade de bureaux de com­merce, ce qui ne lui inspire que peu d’enthousiasme. En revanche, il est séduit par l’idéalisme com­mu­nion­iste de Fred­erik van Eeden, un écrivain et psy­chi­a­tre néer­landais de la fin du XIXe siè­cle et du début du XXe siè­cle, qui avait fondé en 1898 la colonie hor­ti­cole « Walden », basée, entre autres, sur la pro­priété com­mune des ter­res. La ren­con­tre se révèle déce­vante, comme on peut le lire dans « Titans en herbe » :

On aurait peut-être pu rejoin­dre la colonie de Van Eeden, mais lorsqu’un dimanche, on y était allés – qua­tre heures de marche –, on est tombés sur un mon­sieur por­tant une blouse de paysan et des chaus­sures jaunes qui avaient dû coûter une for­tune ; en com­mu­nion intime avec la nature, comme on dis­ait à l’époque, il mangeait des madeleines sor­ties d’un sac en papi­er, nu-tête et la barbe pleine de miettes. Alors nous n’avons pas osé aller plus loin et nous sommes tout bon­nement retournés à Amsterdam.

Qu’à cela ne tienne. En 1901, Grön­loh achète avec un cer­cle de jeunes gens « un morceau de terre », où ils fondent la colonie « Tames ». Tous ont en com­mun l’horreur de la vie petite-bour­geoise et « sur un point nous étions d’accord, fal­lait qu’on ‘se tire’ ». Or il fal­lait bien gag­n­er sa vie :

 Mais nous étions pau­vres. Bekker et moi devions pass­er le plus clair de notre temps au bureau à faire ce qu’ordonnaient ces messieurs et écouter leurs opin­ions stu­pides, lorsqu’ils dis­cu­taient entre eux, et sup­port­er qu’ils s’estiment beau­coup plus forts et astu­cieux que nous. […] Nous n’avions rien à raconter.

En fait, la colonie se lim­i­tait à une grange con­stru­ite sur leur ter­rain, dans laque­lle ils pas­saient ensem­ble leurs week-ends.La recherche d’une vie alter­na­tive tourne court ; l’été 1903, la colonie « Tames » est con­sid­érée comme ratée et elle est aban­don­née. Cette vie nour­rie d’idéaux étant inac­ces­si­ble, Grön­loh capit­ule, comme son alter ego fic­tion­nel Koeke­bakker qui « est devenu un homme sage et tranquille ».

Grön­loh entre dès 1904 en tant que sim­ple clerc dans la Hol­land-Bom­bay Trad­ing Com­pa­ny, une entre­prise con­sacrée à l’exportation de marchan­dis­es vers l’Inde, « il touche son mis­érable salaire et n’ennuie per­son­ne ». Mais

au bureau, il deve­nait plus zélé avec les années, il se mit à pren­dre son tra­vail au sérieux et il lui arrivait même d’y retourn­er le soir, alors que son patron ne l’avait jamais exigé de personne.

Pas éton­nant qu’il finisse co-directeur de la com­pag­nie de 1926 jusqu’à l’arrêt for­cé des activ­ités sous l’occupation alle­mande en automne 1940.

Entretemps il s’était mar­ié en 1906, devenant père de trois filles en autant d’années – 1907, 1908, 1909 – et d’une qua­trième en 1912. Les joies de la pater­nité ne sont pas sans quelques revers, comme on peut lire dans « P’tit poète » :

Coupez donc le pain et beur­rez les tartines pour qua­tre goss­es – ce que le pau­vre auteur de cette his­toire a dû faire à l’occasion –, si vous n’y êtes pas habitué, c’est à devenir com­plète­ment dingue.

Nos­tal­gique de ces années avant de devenir à son tour un « petit-bour­geois comme il faut, inof­fen­sif », il se met à écrire des réc­its doux-amers sur les « garçons gen­tils » dont les rêves se sont brisés sur la dure réal­ité. C’est son grand désir

d’expliquer aux gens ce que j’en pense. Je trou­ve que c’est aus­si impor­tant que le com­merce d’exportation. Somme toute, n’importe qui peut tra­vailler dans un bureau. Mais j’ai quelque chose à dire qu’on n’entend pas de n’importe qui et qui mérite d’être dit encore une fois. Encore une fois, parce que je ne m’imagine pas qu’il s’agisse de quelque chose de nou­veau. Tout a déjà été dit tant de fois – y com­pris ceci. Mais nous sommes loin d’avoir atteint le point où il n’est plus néces­saire de le répéter.

Ce sont les écrits de la décen­nie 1909–1917, où il a « expliqué ce qu’il en pense », qui ont fait la renom­mée de Grön­loh, devenu Nescio : « Le pique-assi­ette » (écrit en 1909–1910), « Titans en herbe » (ter­miné en 1914) et « P’tit poète » (juin/juillet 1917), com­plétés en 1956 par quelques écrits rassem­blés dix ans plus tôt sous le titre « Mene tekel ».

Dès les années de lycée, Grön­loh s’exerçait à la lit­téra­ture « d’après Heine, des poèmes hol­landais et alle­mands, et d’après Hélène Swarth, Kloos et Van Eeden ». Ces trois auteurs – Hélène Swarth (1859–1941), Willem Kloos (1859–1938) et Fred­erik van Eeden (1860–1932) –, nom­més explicite­ment dans « P’tit poète », fai­saient par­tie du Beweg­ing van Tachtig/ Le mou­ve­ment de 1880. En 1885, Kloos avait créé la revue De Nieuwe Gids/ Le nou­veau Guide, qui a joué un rôle impor­tant dans la pro­mo­tion du mou­ve­ment men­tion­né. – Or trente ans plus tard, comme nous assure Nescio en 1917, le Dieu de la Hol­lande n’a rien com­pris à ces poètes de 1880 : « Que fal­lait-il penser d’eux ? Con­ven­ables, pas con­ven­ables, on ne savait plus à quel saint se vouer. » – Les quelques vers que Nescio cite de ses années d’apprentissage prou­vent que ces exer­ci­ces étaient loin d’être une réus­site. Or, dans la pre­mière décen­nie du XXe siè­cle, il s’éloigne de plus en plus de ses mod­èles et forge son pro­pre style, dépouil­lé des « mar­ques » de lit­térar­ité de l’époque. Son pre­mier réc­it, « Le pique-assi­ette », est écrit dans la langue des quartiers pop­u­laires d’Amsterdam, avec une orthographe déviante mimant les inflex­ions de la langue par­lée, sans embel­lisse­ment. Un procédé de style bien à lui est l’enchaînement par le moyen de con­jonc­tions – « et, et, et, et » – ce qu’un auteur plus soucieux d’esthétisme éviterait.

En 1910, il avait du mal à trou­ver une revue prête à accueil­lir son pre­mier réc­it. Quand enfin il l’avait trou­vée, la rédac­tion du De Gids/ Le Guide n’était pas d’accord avec le pseu­do­nyme qu’il s’était choisi : Koeke­bakker, un nom quisig­ni­fie en néer­landais « pâtissier » mais aus­si « gâcheur de besogne » au sens fig­uré. J’imagine que l’écrivain en herbe a demandé alors : « Vous voulez que je m’appelle com­ment alors ? » Et que le directeur de la pub­li­ca­tion a répon­du : « Je ne sais pas. » Et c’est exacte­ment cette réponse qui est devenu son nom d’écrivain dans sa tra­duc­tion latine : Nescio. En fait, ce pseu­do­nyme rap­pelle le « nomen nescio », expres­sion util­isée en lit­téra­ture lorsque l’auteur d’une œuvre citée n’est pas con­nu. C’est donc sous cette appel­la­tion que l’auteur fit en jan­vi­er 1911 ses débuts dans la revue créée en 1837 par Ever­hardus Johannes Pot­gi­eter (1808–1875), poète et cri­tique néer­landais qui revient dans le réc­it « P’tit poète » en tant que con­seiller décon­te­nancé de Dieu, car inca­pable de com­pren­dre les poètes du début du XXe siècle.

Le nom d’auteur n’était pas la seule réserve du De Gids. La rédac­tion voulait pub­li­er « Le pique-assi­ette » seule­ment après que Nescio eut sup­primé quelques jurons et une allu­sion éro­tique, con­sid­érés trop offen­sants pour les lecteurs de la revue. Trois ans plus tard, pro­posant « Titans en herbe » à la même revue, les rédac­teurs voulaient apporter telle­ment de change­ments fon­da­men­taux que Nescio ne pou­vait les accepter. Le réc­it sera pub­lié dans le numéro de juin 1915 de Groot-Ned­er­land/ La grande Hol­lande. Mais pro­posant « P’tit poète », c’est au tour de Groot-Ned­er­land de rejeter ce troisième réc­it, parce que l’auteur par­le de Dieu d’une manière trop dés­in­volte. Pour le P’tit poète, le Dieu de la Hol­lande est le garant de la morale petite-bourgeoise:

Le Dieu de ton patron et de ton beau-père, et du compt­able de ton patron et du gérant du Nou­veau Cerisi­er. Le Dieu de ta tante, qui te dis­ait de saluer lorsque tu pas­sais devant la mai­son de ton patron…

… Et on peut y ajouter : le Dieu des rédac­teurs de Groot-Ned­er­land, tous des « messieurs impor­tants » qui se sen­taient offen­sés par cette dia­tribe. Impa­tient de voir la nou­velle pub­liée, il rassem­ble les trois réc­its dans un seul recueil, pub­lié en 1918 à un tirage de 500 exem­plaires, qui con­naît un suc­cès d’estime dans un milieu restreint.

Les réc­its de Nescio con­ti­en­nent de nom­breuses références à des per­son­nes et à des événe­ments qui devaient être suff­isam­ment fam­i­liers pour le lecteur néer­landais de son époque, mais qui ont dis­paru de la mémoire col­lec­tive aujourd’hui. Prenons la pre­mière phrase de la pre­mière histoire :

Mis à part l’homme qui trou­vait la rue Sarphati le plus bel endroit d’Europe, je n’ai jamais ren­con­tré de type plus sin­guli­er que le pique-assiette.

Cet homme n’est autre que Fred­erik van Eeden qui, en 1888, qual­i­fi­ait la Sarphatis­traat d’exemple de mau­vais goût du XIXe siè­cle, alors qu’il se sou­ve­nait qu’il s’agissait de la plus belle rue d’Amsterdam. Dans un dis­cours qu’il adres­sa aux ouvri­ers d’Amsterdam en 1899, Van Eeden se présen­ta en dis­ant : « Peut-être qu’on vous a dit que je suis un type sin­guli­er… » – et Japi, le per­son­nage prin­ci­pal du « Pique-assi­ette », est un type encore plus sin­guli­er. Remar­quons en pas­sant que Nescio aus­si lance quelques invec­tives con­tre l’avilissement de sa ville natale « où ils avaient été fort occupés à démolir de belles maisons et à met­tre de laides à la place ».

Même si Nescio puise abon­dam­ment dans sa biogra­phie, la fic­tion ne cou­vre pas totale­ment son vécu. Comme il l’affirme dans « P’tit poète », il faut « faire la dis­tinc­tion entre l’auteur et mon­sieur Nescio ». Un pique-assi­ette, par exem­ple, a bel et bien existé, mais l’ami d’enfance, Jacob Roelofs dit Japi, n’est pas « descen­du » du pont Waal­brug pour dis­paraître dans la riv­ière, au con­traire, il est mon­té dans l’échelle sociale en tant que lith­o­graphe, pho­tographe et typographe. Hélas, il ne man­quait pas par­mi la bohème des cocos las de vivre, dont un s’est en effet jeté du Waal­brug. Les académi­ciens ont pro­posé plusieurs can­di­dats comme mod­èle du pique-assi­ette, mais Nescio a soutenu mordi­cus que Japi était une fig­ure com­plète­ment issue de son imag­i­na­tion. Dis­ons que le per­son­nage est un com­pos­ite de plusieurs per­son­nes réelles, dont l’auteur lui-même. Les titans en herbe, en revanche, trou­vent leur orig­ine dans les cinq idéal­istes de la colonie « Tames ». Et Koeke­bakker est de toute évi­dence l’alter ego de l’auteur, à tel point qu’il voulait ini­tiale­ment en faire son pseudonyme.

Pen­dant de longues années, l’homme d’affaires nom­mé J.H.F. Grön­loh, un pater­fa­mil­ias respon­s­able des soins et de l’entretien d’une femme et de qua­tre filles, gar­dait secrètes ses activ­ités lit­téraires. En dehors du cer­cle de sa famille et de ses amis intimes, per­son­ne ne savait que celui qui avait mis ses jours et ses années au ser­vice du com­merce avait écrit ces rêves de bohème con­tes­tant les con­di­tions exécrables de ce même com­merce. Ce n’est qu’en févri­er 1929 que son édi­teur révèle, en accord avec l’auteur, qui se cache sous le pseu­do­nyme de Nescio, la rai­son en étant qu’un cri­tique venait d’attribuer son œuvre à un autre écrivain (dont il ne reste aujourd’hui plus la moin­dre trace, sinon cette attri­bu­tion abu­sive, justement).

Après 1918, Nescio n’a jamais vrai­ment repris la plume lit­téraire. Il s’y est essayé, quand au début de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, la Hol­land-Bom­bay Trad­ing Com­pa­ny avait cessé toute activ­ité. Or, le 11 juin 1943, il soupi­rait, en reprenant le refrain d’une chan­son­nette de Lil­ian Har­vey : « ‘Le pique-assi­ette’, ‘Titans en herbe’, ‘P’tit poète’, das gibt’s nur ein­mal, das kommt nicht wieder » – cela n’arrive qu’une seule fois, cela ne revient pas. Cepen­dant, de la masse de man­u­scrits des années 1900–1920, restés inédits et le plus sou­vent inachevés, il com­pi­la en 1942–1943 le petit vol­ume Mene tekel – aug­men­té de deux textes très courts dans lesquels il revient sur ses années d’enfance. Un autre petit vol­ume tiré de ses tiroirs, Boven het dal/ Au-dessus de la val­lée, ver­ra le jour en mai 1961, peu de temps avant sa mort, le 25 juil­let 1961 à Hil­ver­sum – dans un tirage de 4.000 exem­plaires cette fois-ci, suivi d’un deux­ième tirage de 6.000 exem­plaires, car depuis 1918, Nescio était devenu une valeur sûre pour son édi­teur. – Et il l’est resté ; aux Pays-Bas, Le pique-assi­ette et autres réc­its en était en 2021 à son 46e tirage !

Nescio n’a jamais ter­miné le grand roman qu’il avait entre­pris en 1898 et qui devait s’appeler De voetganger/ Le ran­don­neur. Encore en 1919, il s’était mis à l’écriture d’un roman, car « on dit que je ne percerai jamais si je n’écris pas un roman. Pas des esquiss­es, mais un roman. Bon, allons‑y. » Le roman pro­jeté ne sera jamais réal­isé, il n’en restera que… quelques esquiss­es, dont deux frag­ments sous le titre « Une longue journée ». En revanche, pen­dant toute sa vie – et cela depuis que son père l’avait emmené sur un « train de plai­sance » – il a tenu un jour­nal de ses ran­don­nées à pied ou à bicy­clette à tra­vers les Pays-Bas. Ce jour­nal sera pub­lié seule­ment 35 ans après sa mort sous le titre Natuurdagboek/ Jour­nal de la nature. On y décou­vre un Grön­loh alias Nescio qui savait regarder avec une mémoire d’acier comme son alter ego Japi :

Il avait une mémoire des paysages qui touchait au prodi­ge. De la ligne de chemin de fer entre Mid­del­burg et Ams­ter­dam, il con­nais­sait tout, chaque champ, chaque fos­sé, chaque mai­son, chaque allée, chaque bosquet, chaque petite frange de bruyère bra­bançonne, chaque aigu­il­lage. Lorsque après avoir roulé des heures dans l’obscurité on éveil­lait Japi, qui avait dor­mi d’un trait allongé sur la ban­quette, pour lui deman­der : « Japi, où sommes-nous ? », il fal­lait d’abord atten­dre qu’il fût par­faite­ment réveil­lé, ensuite il écoutait un moment la course du train avant de dire : « Je crois que nous sommes près d’Etten-Leur ». Et il en était bel et bien ainsi !

Bien que athée, refu­sant toute reli­gion révélée, Nescio touche à la mys­tique de la nature, courant spir­ituel à la mode par­mi les artistes autour de 1900 : ce qu’on pour­rait appel­er « Dieu » coïn­cide avec et se révèle dans la nature. Pas mal de pas­sages de ce jour­nal ont trou­vé une place dans les réc­its, où les per­son­nages nous emmè­nent vers « Zierikzee, Mid­del­burg, Arne­muiden et tous ces lieux où ils avaient l’un comme l’autre roulé leur bosse », vers des villes con­nues telles Ams­ter­dam, Rot­ter­dam et Nimègue, ou des lieux plus sur­prenants tels Kor­ten­hoef, Kuilen­burg, Spekholz­er­hei­de, Surhuis­ter­veen, Zalt­bom­mel… Grâce au ran­don­neur Nescio, le lecteur qui a le réflexe de con­sul­ter Inter­net décou­vri­ra les coins les plus inat­ten­dus et les plus jolis à tra­vers les Pays-Bas.

Dans les années cinquante, Nescio était devenu un auteur célébré, dont une nou­velle généra­tion d’écrivains sol­lic­i­tait une suite au Pique-assi­ette et autres réc­its. Un Nescio bien dimin­ué physique­ment leur répondait dans un Waarschuwing/ Aver­tisse­ment du 25 octo­bre 1956 :

Ils m’incitent de temps à autre à écrire encore quelque chose. Mais je n’ai jamais eu de « tal­ent ». J’écrivais comme cela me venait, sans réfléchir. Je n’ai jamais su « inven­ter » quoi que ce soit. Et main­tenant, je peux à peine faire trois pas. Tel est le des­tin des con­quérants du monde. Et d’autres.

Je n’aimerais pas que les con­quérants du monde d’aujourd’hui lisent ceci. Ils n’en tir­eraient que de l’orgueil. Quand on a 18 ou 20 ans, on croit que cela ne se passera pas avec soi. Les con­quérants du monde ! À notre place est venu Hitler. Est-ce que quelqu’un croit encore à notre espèce de con­quérants du monde, celle qui s’appuyait con­tre la clô­ture de l’Oosterpark ?

Notons au pas­sage que l’assertion selon laque­lle il n’a jamais su « inven­ter quoi que ce soit » est en fla­grante con­tra­dic­tion avec sa reven­di­ca­tion faisant de Japi un pur pro­duit de son imagination.

En 1919, à trente-sept ans, Nescio se dis­ait « vieux et vrai­ment très mod­este ». Or vingt-trois ans plus tard, à soix­ante ans, il était bien plus vieux, mais pas du tout si mod­este que ça, puisqu’il espère sur­vivre dans ses récits :

J’aimerais […] que tout ce qui est frag­ile, que moi-même vive aus­si longtemps que l’on sache lire en Hol­lande, un petit homme aus­si sim­ple que moi, voilà ce que j’aimerais. Ou peut-être me traduira-t-on dans une langue qui sera lue plus longtemps.

Avec des tra­duc­tions en alle­mand, danois, espag­nol, français, hon­grois, ital­ien, polon­ais, roumain, slo­vaque, sué­dois et turc le vœu de Nescio fut exaucé. J’ignore si ces langues sur­vivront au néer­landais, mais il est cer­tain qu’il est devenu plus qu’un écrivain hol­landais : un écrivain européen, voire mon­di­al depuis que ses nou­velles ont été pub­liées en 2012, sous le titre Ams­ter­dam Sto­ries, dans la col­lec­tion pres­tigieuse des édi­tions New York Review of Books Classics.

Présentation de l’auteur

Nescio

Nescio — « je ne sais pas » en latin -, pseu­do­nyme de J.H.F. Grön­loh (1882–1961), est la fig­ure tutélaire de toute la lit­téra­ture néer­landaise du vingtième siè­cle en dépit d’une œuvre comp­tant peu de textes achevés.

Après avoir fait des etudes de com­merce il devient directeur de la Hol­­land-Bom­bay Trad­ing Com­pa­ny, tout en étant mem­bre du Par­ti social-démoc­rate des ouvri­ers (Soci­aal Democ­ra­tis­che Arbei­ders Par­tij, SDAP). Idéal­iste, il croit en une société mod­erne meilleure.

La ville d’Am­s­ter­dam est très présente dans ses oeuvres.

Sources : Gal­li­mard, Wikipedia

Bibliographie 

Le pique-assi­ette et autres réc­its (trad. du néer­landais de Bel­gique), Paris, Gal­li­mard, coll. « Du monde entier », , 204 p. (ISBN 2–07–073476–5) (tra­duc­tion française de Danielle Los­man ; post­face de Hans Maarten van den Brink)

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Jan H. Mysjkin

Jan H. Mysjkin a fait des études de ciné­ma et de philoso­phie. Depuis 1985 et son pre­mier recueil, Vorm­beeldige gedicht­en (± « Poèmes exem­plaires »), il a pub­lié une dizaine de vol­umes, dont le dernier Dit is nobel gezegd, maar duis­ter (Ceci est noble­ment dit, mais obscur, 2014). Il a traduit un nom­bre impres­sion­nant d’œuvres, aus­si bien de la poésie que de la prose, des auteurs clas­siques que des auteurs d’avant-garde. Depuis 1991, l’année où il reçoit le Prix nation­al de la tra­duc­tion lit­téraire en Bel­gique, il vit entre Ams­ter­dam, Bucarest et Paris.

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