NGC 224 de Ito Naga
L'expression codée NGC 224, qui ressemble à un matricule et qui sert de titre au livre d'Ito Naga, intrigue mais ne fait pas rêver. Cependant, quand on sait que ce numéro désigne la galaxie d'Andromède, on se prend à rêver. Que se cache-t-il dans cette galaxie spirale lointaine (à environ 2,55 millions d'années-lumière de notre Soleil) de la constellation d'Andromède ? Tout mène au rêve : l'histoire (c'est l'astronome persan Abd-el-Rahman Al Soufi qui l'observa en 964 avant qu'elle ne soit examinée au télescope en 1612…), sa nature galactique (qui a donné des descriptions quasi-hermétiques au profane), sa structure, ses photographies qu'on peut voir ici ou là, et surtout, pour qui l'a lu, ce célèbre roman de science-fiction soviétique, La Nébuleuse d'Andromède d'Ivan Efremov. Galaxie, constellation, nébuleuse : allez savoir ! Et puis, c'est le livre qui l'indique, Ito Naga est astrophysicien. La curiosité du lecteur est alors en éveil : que vient faire un tel ouvrage chez un éditeur de poésie dès lors qu'il ne s'agit pas de poèmes ?
Je ne sais si je me souviens ou si j'ai rêvé ce souvenir. Il me semble me rappeler que Frédéric Joliot-Curie et Paul Éluard avaient projeté d'écrire un livre pour montrer que la démarche scientifique et la démarche poétique étaient convergentes. Rêve ou souvenir, je ne sais, mais peu importe finalement car ici Ito Naga met en évidence cette convergence. Ito Naga se laisse aller à des informations apparemment sans grande importance comme celle de la secousse dans le train qu'on ne perçoit pas au même moment selon que l'on est au début ou en fin du convoi. Apparemment, car elles permettent de mieux comprendre des phénomènes physiques plus difficiles à entendre. Ainsi ici la célérité de la lumière et le pourquoi du retard sur le réel qu'ont nos informations et nos connaissances. Autrement dit, nous ne nous connaissons rien du monde actuel. (D'ailleurs, il faut attendre les pages 55 & 56 pour que s'éclaire en partie le titre !).
Mais il y a plus. À propos de l'habitabilité des planètes. Toutes les planètes sont-elle habitables ? demande Ito Naga qui répond NON ! Et là, je me mets à penser à Demain les chiens de Clifford D. Simak. Que sait-on de l'adaptabilité du vivant à des conditions hostiles ? Qu'est-ce d'ailleurs que la vie ? Les formes de vie sur Terre sont multiples et diverses, il faut alors éviter tout anthropomorphisme. Que puis-je imaginer comme forme de vie sur une planète lointaine ? Sans doute un être hétéroclite, bâti de bric et de broc, à partir des connaissances fragmentaires et hétéroclites que j'ai du vivant sur Terre ! Me voilà loin du réel car je ne peux imaginer l'inimaginable ! Et à chacun des propos d'Ito Naga, le lecteur aura sans doute ses propres références et ses envolées lyriques ou poétiques. D'autant qu'Ito Naga qui est japonais ne manque pas de citer quelques expressions tirées de sa langue maternelle : porte ouverte sur la parole ? Comme moyen d'écrire le monde ?
NGC 224 est un livre utile car il fait rêver et raisonner. Tout le monde rêve : le poète comme le scientifique. Mais le rêve du scientifique (son hypothèse) est vérifié par l'expérience, le calcul, le raisonnement avant d'être admis par la communauté scientifique (et au-delà). Mais le rêve du poète ? Contredit pas les faits immédiats, rejeté dans les oubliettes de l'histoire… avant d'être remis au goût du jour ! Tout comme finalement, si l'on en croit Thomas Kuhn, les théories scientifiques qui sont soumises aux changements de paradigmes. Je n'entrerai pas dans les détails de son argumentation… Mais le mérite du livre d'Ito Naga est bien d'ouvrir des réflexions abyssales.
Si, pour reprendre les mots de Jean-Pierre Siméon qui signe une sorte de post-face en quatrième de couverture, "c'est de l'heureuse complexité de la vie que ce livre fait l'éloge", ce recueil fait aussi l'éloge du questionnement et du mystère qui intéressent la poésie. À n'en jamais finir !