A UNE SERVEUSE
La serveuse va et vient
Parmi les tables, flottante
Comme un rêve accoudé au passé
Ô Terre instable !
D’un pas feutré elle chasse le sol
Et les pensées affables d’un flâneur
Qui guette son envol à toutes les fenêtres
Dans ce joyeux désordre en moi
Je cherche un signe à travers un creux
Que le cours du silence est sinueux !
Le poète entrevoit pourtant en se penchant
La courbe d’un sourire brodé dans les décombres
Des voix familières la suivent
Des mots bordent un bout de nappe
On refait insensiblement le monde
Avec des traces et un rien d’ombre
Son corps leste retient le jour
A demeure, c’est un chant
Qu’on étreint aussitôt qu’il s’éteint
Tout finit en pli dans ma mémoire
La lune, déjà, luit à demi, fissurant
Les moires de cette nuit de miel
Elle campe, accidentelle, sous le ciel de Lisbonne
Pareil à l’éclair dans l’éther monotone
Son scintillement minuscule et intermittent
Agrandit la chair de la ville
Je la regarde déambuler sereine
Dans la pièce obscure, mer calme
Entre ces murs agités qui clament
Un peu trop fort la vie
Elle avance, sans parures ni attaches
Et brûle ses années sous cette besogne
Sa jeunesse se divise dans un bruit blanc
Les souvenirs s’émiettent en reflets changeants
Je ramasse ici et là quelques éclats gonflés
Par le bourdonnement invariable de l’été
Pour former un murmure dans la marée du temps
La beauté fait ainsi d’étranges détours
Sa course vaine vers l’abîme est aussi désolée
Qu’un baiser de cendres sur le front des défunts
Le désir se lève toujours à midi et sa poussée
Nouvelle indique chaque fois une ancienne adresse
Les dieux ne délivrent plus d’oracles
Nous habitons au bord d’un incendie
Et hâtons ce miracle que le toucher seul reconduit
Si le hasard s’attable enfin, semblable à la caresse
Qui sur une peau soudain s’attarde
Dans ces yeux clairs passe une faible lueur
La pointe d’un ailleurs affleure
Si près, mais encore inaccessible
SUPPLIQUE POUR ETRE ENTERRE A LA VIELLE CHARITE
Enterrez-moi ici
Ce théâtre de silence est fait pour moi
Dans cet asile hier peu aimable
Aujourd’hui si frais et charmant
Mélangez mes cendres à la terre
De l’olivier le plus charitable
La poussière et l’arbre se reconnaîtront
Ils grandiront ensemble, le vent les éduquera
Près de l’hospice, on priera la lumière et l’ombre
La vieille Charité veillera ainsi sur un jeune mort
Avec la brise et le soleil pour tout témoins
Seul un rayon feint parfois de fêler le décor
Personne n’ose troubler la quiétude
Qu’on dirait éternelle des lieux
La Méditerranée même épuise son chant
Au seuil de la cour, on reconnaît à peine
Montant des murs et murmurant
La corne de brume qui rythme
Les allées et venues du port
Les rares figurants compteront leurs pas
Parmi les pauvres, indifférentes au cadencement
Des heures et des hommes
Les pierres logeront un fantôme de plus
Venu mendier du sel et un sol