Nil Didier, présentée par Marc Delouze, Poèmes

Par |2023-01-07T15:46:04+01:00 7 janvier 2023|Catégories : Nil Didier, Poèmes|

Un livre des naissances

Un noy­au emmuré dans un fruit oublié des oiseaux, par ce vers extrait du poème inau­gur­al, me vient l’envie de définir ces textes comme tombés d’un nid dont on igno­rait l’existence. Ce pour­rait être le Livre des Nais­sances. Nais­sance d’une poète : Nil a de très peu passé la trentaine. N’a jamais pub­lié. Pas encore enten­due. Déjà éton­nement audi­ble ! Nais­sance du poème, qui impose d’emblée sa scan­sion sin­gulière. Avec force et légèreté. Nais­sance dans la langue d’une autre langue, qui dit la nais­sance d’avant la langue, puis de l’inquiétante étrangeté d’avoir à se fray­er un chemin entre, sans dis­tinc­tion, / les instants per­lés et les instants som­bres.  Nais­sance, par effrac­tion dans le temps, d’une graine qui nous dépasse, irrup­tion dans le monde du vivant d’un « ce-qui-fut » dans le « ce-qui-advient ». On le sent, je le sais : la langue de Nil est grosse de poèmes (que j’espère avoir le temps de décou­vrir). En voici la pre­mière promesse.

Marc Delouze, Fécamp, 4 novem­bre 2022

L’année de ses trois ans, l’enfant com­prit qu’elle déposerait un jour l’anse de son chemin. L’idée de 
la mort fut celle de la soli­tude intacte, éblouis­sante ; l’ivoire marin qu’elle avait ramassé sur le visage 
d’une pas­sante quelques jours aupar­a­vant. Un noy­au emmuré dans un fruit oublié des oiseaux.

*

 

J’ai ouvert une ligne en son centre ;
y coulait quelques gouttes de liq­uide amniotique
dont tu avais lais­sé un petit réservoir
pour l’avenir d’un lan­gage qui s’ignorait.

*

 

S’étendait sous ses pieds le dami­er des décen­nies sem­blables à des cales de bateaux.
Il y avait demeuré entre deux mon­des, imper­cep­ti­ble­ment logé sous le niveau du fleuve mais tenu 
à respir­er l’oxygène bal­lotant la petite embar­ca­tion que sa mère avait lancée sur le courant le jour 
de sa naissance.
Nous pou­vons croire à tout ce qui nous serre le cœur : la somme des rives per­dues, la somme des 
rives invisibles.

 

*

 

L’enfant joue à remon­ter le courant à cloche pied.
Il crie : jadis j’avais deux pattes, main­tenant une arme unique.

 

*

 

De tes bois tu crains la poussée puis la chute des velours.
Tes os te con­nais­sent mieux que nous ; ils con­ser­vent la roue des syl­labes qui réson­nait sur les 
pavés de ton enfance.
Une clarté, une clarté, une épaule, une sève.
Un treuil.

 

*

 

Je pou­vais croire, en obser­vant ce rêve au micro­scope, qu’il avait par­cou­ru plusieurs fois le tour de la chambre.
Ses cel­lules se ser­raient les unes con­tre les autres.
En tour­nant la molette, le noy­au envelop­pé dans les bras de cha­cune d’entre elles devint plus précis.
M’apparue une pre­mière bâtisse au milieu des champs, inus­able soliste vu du ciel.

 

*

 

L’audace fiance sa four­rure au sol, la colonne fumante
et, d’un mou­ve­ment inattendu,
rompt subite­ment l’étreinte.
J’ai rêvé de cette citerne d’élan, de ce sol­stice de bouche.
Aide-moi à faire pouss­er l’œil jaune, l’iris bondis­sant 

*

 

Nos vies amphi­bies cog­nent dans notre poitrine.
Toute vitesse éponge ce qui devrait for­mer un lac.

 

*

 

Le som­meil fêlé laisse entr­er la nuit dans la cham­bre et déplie des heures insu­laires bor­dées de 
signes.
Enfant, j’ai appris rapi­de­ment à faire la planche.

 

*

 

Sur le glac­i­er noir, le guide avançait quelques mètres devant nous.
Un craque­ment débouchait sur un craquement.
Un chat entrait sur un par­quet ancien ;
chaque lat­te sur laque­lle il s’engageait échangeait avec lui un son con­tre un contact.
Ni peur de poursuivre
Ni des­tin modifié
Un son con­tre un contact.
Je jetai un œil der­rière moi et pris sa suite.
Mon père avait son vis­age d’enfant sur son vis­age d’homme, son regard de chim­panzé sur son 
regard d’homme.
Ni peur de poursuivre
Ni gerçure de l’être
Un son con­tre un contact.

 

*

 

 

La sec­onde qui précède le sou­venir dresse une falaise lisse ; celle qui lui suc­cède nous con­sent des 
cav­ités où jouer, par temps de pluie, des par­ties d’escalade.

 

*

 

Il prit trois longues inspirations.
Trois fois tu apparus dans sa gorge, descen­dant en rap­pel, le regard franc. Trois fois son torse se 
cou­vrit de fruits.

 

*

 

Nous seri­ons soulagés de con­fi­er aux four­mis nos symptômes,
qu’elles tra­versent les éten­dues suc­ces­sives à notre place,
les hiéro­glyphes emmail­lotés sur leur dos robuste.
Soulagés qu’elles les intro­duisent dans la terre,
les tirent au fond de leurs galeries ; que d’autres indi­vidus les absorbent dans leur propre 
labyrinthe.
Alors, nous pour­rions atten­dre, filet à la main,
des choses petites,
par­tielle­ment desséchées,
par­tielle­ment vivantes ;
deux ou trois idées dégrafées du cours de nos pensées.

 

*

 

 

Au com­mence­ment de la nuit, nous sai­sis­sons nos rames. Le goût de la farine nous avait laissé 
penser que la chas­se aux épaves était ouverte. Mais c’est le futur que nous suivons.

 

 

*

 

L’hiver cica­trise.
Je trou­ve en ton œil une mar­mite fumante.

 

*

 

J’observe le glacis du sou­venir d’enfance,
mince film for­mé entre nos pattes tan­dis que nous butinions,
sans distinction,
les instants per­lés et les instants sombres.
Au-delà de notre conscience.

 

*

 

Et l’ossature attire les chemins le long desquels remon­ter con­tre le vent.

Présentation de l’auteur

Nil Didier

Nil Didi­er est née à Paris en 1991. 

Elle est con­cep­trice d’expositions au Palais de la décou­verte et à la Cité des sciences.

Par­al­lèle­ment, elle écrit des poèmes.

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