À tout lecteur de poésie, je conseille cette anthologie de Nimrod, un des rares poètes dont il me soit arrivé en le lisant d’être jaloux, tant il est doué pour rénover poétiquement notre regard sur ce qui nous était habituel et évident au point d’en devenir banal et inaperçu.
Nimrod est né le 7 décembre 1959 à Koyom, au sud du Tchad. Son père est pasteur luthérien. Le milieu est polyglotte par nécessité, plusieurs langues locales et l’anglais sont pratiquées dans la famille. En 1966, l’enfant entre à l’école élémentaire, qui est en français. Et l’enfant s’éprend du français à travers les récitations de poésie. Désormais ce sera « sa langue ». Il lit avec une passion dévorante. En 1987, alors qu’il enseigne en Côte d’Ivoire, il obtient sa maîtrise en philosophie. En 1991, il reçoit une bourse pour venir à Paris, y soutient une thèse, puis en 1998 avec Passage de l’infini, publie sont premier recueil, qui reçoit le prix Louise Labé…
Ce qui est la caractéristique intéressante de la poésie de Nimrod, outre son émotion constante et palpable, c’est qu’elle ne joue pas spécialement sur le registre des autres poètes dont la « négritude » a été le thème majeur. Nimrod est un poète, parfaitement français, avec ses problèmes et ses joies à lui, ses difficultés existentielles et ses satisfactions, une personnalité qui ne se renie nullement en tant qu’africain d’origine, mais n’en fait en rien un étendard.
La poésie de Nimrod est un témoignage poétique saisi sous l’angle à la fois personnel et universel, qu’aucun « kitsch » spécifiquement politique ne trouble, sans pour autant que rien ne soit gommé de ce qui l’indigne et lui semble injuste : mais ce n’est pas du point de vue spécifique qui fit la gloire de ses prédécesseurs Senghor, Césaire notamment, du « noir » et de « l’africain » voire du « descendant d’esclave victime de la barbarie de la traite », mais de l’être humain dans sa plus grande dignité. On peut dire en quelque sorte, que la poésie de langue française issue de plumes venues d’Afrique a atteint, avec Nimrod, à une maturité et un recul intellectuel qui l’égale sans besoin de folklore et d’exostime spéciaux, avec n’importe quelle autre grande poésie en langue française. Dans son éclairante préface, Bruno Doucey cite ce passage d’un texte du poète (et romancier) : « Et que dire de l’écrivain africain ? Tout se passe comme s’il devait produire une littérature exotique destinée aux Européens et à lui-même, ce qui revient à vouer à la nostalgie une Afrique qui a disparu depuis longtemps. » Cette situation théorique, le poète la refuse. Il déploie ses qualités à une perception plus haute de son univers. Non que Nimrod veuille gommer son exil et les maux dont souffre son continent d’origine, mais c’est une réflexion dépourvue, j’y insiste, des ingrédients spécifiques de ce que l’Europe a voulu considérer comme « signes de l’authentiquement africain ». Nimrod parle de son destin, homme parmi les hommes. Et ses poèmes sont simplement un emploi, — magnifique d’expressivité, de justesse, d’élégance, de pudeur, — de la langue qu’il a adoptée : et l’on sait que la filiation élective peut facilement avoir davantage de force dans l’amour que la filiation biologique. D’où cette poésie, à laquelle on s’attache vite, et qui inspire à la fois empathie et respect. Nimrod fait un don merveilleux à la langue française, qu’ici je salue avec bonheur. Il faut vraiment lire cette anthologie dont chaque page est une réussite, avec la gravité, l’humour, le tragique, etc… bref, l’épaisseur la vie regardée par le « donner à voir » d’un poète fraternel, intensément poète et simplement profond.
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