Laurent Grison, L’Homme élémentaire et L’œil arpente l’infini
Ces deux recueils de Laurent Grison, l'homme élémentaire et L'Œil arpente l'infini, ont à voir avec l'image – et cela n'a rien d'étonnant car Laurent Grison travaille souvent avec des plasticiens.
L'Homme élémentaire
Le format du premier s'inscrit dans la forme régulière d'un carré – comme l'un des éléments du peintre Mondrian. La couverture s'orne d'un tracé rouge et noir, évoquant à première vue une tache abstraite comme un test de Roschach. Déployée, elle révèle - tête-bêche comme la figure d'une carte à jouer - une silhouette semblable à celles qu'on lit sur les radiographies – le squelette d'un buste – l'ossature, délivrée de sa chair, de l'homme "élémentaire" – réduit à ses plus simples éléments?
Il semble bien que le texte explore ce même évidement du côté des mots – ici réduit à des listes noires et des signes rouges, éléments donnés d'une dé/construction, briques offertes au lecteur pour recomposer son univers textural et textuel en vis-à-vis sur les pages :
des mots aussi / dans l'oreille /
des mots qui / tombent de l'homme / élémentaire /
puis entrent dans sa tête
Invitation à rêver dans la marge immense de ces pages où flottent mots et graphismes légers, dans un mouvement cyclique amorcé par les bonds et rebonds de la pensée analogique, qui mènent... au "silence" doublement exprimé par le mot trompeur, inversement performatif (en ce que sa profération annule ce qu'il annonce) et son double silencieux sur la dernière page /... /
Des mots et des signes, donc, pour composer, au gré des feuilletages, une histoire peut-être ? Car les listes invitent à imaginer le rapport de cet homme élémentaire à la vie et à la mort, symbolisées par les couleurs typographiques, au chagrin et à la consolation, peut-être de l'écriture :
L'Œil arpente l'infini
C'est Kandinsky que convoque en exergue ce second ouvrage: "La ligne géométrique"est un être invisible" – ligne matérialisée par l'ultime photo – indéchiffrable paysage où une large ligne d'horizon noire semble séparer deux ciels, commentée avec humour par Laurent Grison : /ciel-à-ciel et non terre-à-terre".
Les superbes photos en noir et blanc de Nathan R. Grison explorent les formes géométriques de l'univers naturel, industriel et urbain, réduites (sublimées !) en alignements, accumulations, contrastes et conflits de formes et de directions sans autre référence aux lieux géographiques que la mention finale "les photographies de ce livre ont été prises par Nathan R. Grison en différents lieux d'Europe et d'Asie centrale.".
Les légendes, de Laurent Grison, en contrepoint des images, sont de nouveau des listes – mots, verbes actifs... dérivant de façon analogique, à partir des images, débordant parfois même, imageant la page blanche qui suit, comme pour la photo p. 51 – la forme d'une ombre découpant un espace de lumière bicorne dirigée vers le haut, sur un mur crépi ou de ciment – décrite comme " / harmonie ascendante /", puis reprise, par "rebond", dans les pages suivantes, comme "/ ange debout /" "/ailes déployées /".
L’œil arpenteur sautant des mots de l'un aux cadrages de l'autre, compose de ces formes transcendées un nouveau paysage, imaginaire et personnel.