Ce huitième recueil de Christian Viguié publié aux éditions Rougerie est d’entrée placé sous l’œil poétique de Juarroz :
Les choses cessent parfois d’être des choses
pour perfectionner un instant
l’inconscience du monde.
Et en effet Commencements est comme un prolongement et un dialogue entre Viguié et Juarroz. Le poète, ici, en cet ensemble interroge le monde en son propre rapport aux choses de ce même monde, cela en conscience de l’étrangeté qu’il y a d’être au monde tout en portant le monde, un seul monde, celui dont l’on est conscient – en soi. Ce n’est pas rien, cela, d’être le porteur du seul monde qui est, celui qui est pour et en soi. Celui duquel nous formons image en nous et au dehors de nous. Et cela fait… beaucoup de mondes possibles, tant il est d’hommes ; tant de mondes à naître, tellement est important le nombre de regards d’hommes qui peuvent naître et se porter sur le monde, pour ensuite porter ce monde.
Et cela commence ainsi, ou presque :
Tu mets toujours un nom
dans un nom
pour te dévêtir du monde.
Et l’on sent évidemment, immédiatement, que l’on est en présence d’une poésie des profondeurs, l’une de ces poésies que Juarroz qualifiaient de « verticale ». Cela élève l’homme.
Et quel autre objet pour la poésie ?
Une poésie qui, du coup, se déploie au creux des silences de l’apprentissage permanent, en ce temps/non temps au cours duquel l’apparition des corbeaux est une mise en berne des mots insensés et/ou inutiles.
Et cela ouvre sur et vers le vivre :
L’espoir peut avoir le poids d’une table
la paille ressembler au soleil d’une chaise
Une fois dit cela
les mots n’auront pas à chercher la beauté
du poème
ils auront simplement voulu rendre visible
la patience du monde.
Tout en interrogeant la qualité du monde, et de ses choses :
C’est en écoutant le chant
qu’entonne la plaine
que nous savons si notre regard
est un geste du dedans ou du dehors.
Aux creux du Poème vécu par Christian Viguié, tout chante, car – et simplement – tout chante. Et tout est chant. C’est cela, regarder : voir le chant des choses du monde, et cela s’appelle la poésie.
Il neige
Tu préfères ce « il »
à n’importe quelle métaphore sur la neige
qui te ferait croire
que l’on a découvert
les secrètes structures du monde.
Ici, les instants sont des commencements, ceux du regard découvrant avec un étonnement permanent cette chose qu’est le monde, chose bien étrange convenons-en.
L’aurore est un mot
qui ne se souvient pas
de lui-même
ainsi
déploie-t-elle ses ailes
pour s’ébrouer
Et cette manière d’être dans la poésie et le Poème, cela engage entièrement le poète.
Je ne crois pas à l’explosion
de l’être sous le langage
surtout lorsque le langage
retourne à lui-même
Il faut une lune
pour dire la lune
pouvoir nommer l’infinitif du monde
et au-delà signifier une chose
n’importe quelle chose
où l’homme ne prend pas fin.
Une poésie qui engage le poète en une conscience des faiblesses de cet outil, le burin de la poésie, autrement dit le langage des mots.
(…)
Ce sont les mots
qui se sont entrelacés
au lieu des mystères
du monde.
Car :
Après tout
les mots ne devraient être que cela
des pierres et un oiseau
qui traversent un soleil.
Tout se noue dans l’étrangeté des choses, et dans le regard porté sur elles. À moins que ce soient elles qui nous regardent/observent
comme si le travail était
d’inventer un cercle
dans un cercle.
J’ignore si l’on mesure clairement ce qu’il y a de l’homme et du monde en cet apparent peu de mot. Simplement, et en effet, ce vivre-là, poète éperdu dans le Poème, est un travail. C’est pourquoi la poésie de Christian Viguié prend forme en une œuvre véritable.
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