L’éternité portée sur les vertèbres serre la vis des
         gisants
Des mas­sacres de pré­sumés inno­cents ont lieu dans les
        sous-sols 
Exé­cutés avec sobriété d’une balle d’or alchimique 
        entre les yeux
En com­pag­nie de der­vich­es ayant mal tourné,
D’équilibristes tombés dans la misère
Et autres per­son­nages voués dès la pre­mière ligne à être
        crucifiés
Par le point final du roman.

[Marc Alyn, Les Enfers gigognes]

 

L’œuvre de Marc Alyn est de celles qui inspirent Recours au Poème et ses ani­ma­teurs. Sur un plan per­son­nel autant que sur un plan col­lec­tif. Le poète des pro­fondeurs qu’est Marc Alyn joue ain­si un rôle qu’il ignore dans notre aven­ture. Mais l’ignore-t-il tant que cela ? En poésie, il est des Ami­tiés secrètes, frater­nelles, qui se fondent sur le silence et la dis­cré­tion. C’est ain­si que nous nous sen­tons des affinités élec­tives avec le poème tel qu’Alyn le vit, tout comme nous nous sen­tons aus­si des affinités, pour les mêmes raisons, avec des poètes comme Valente, Gros­jean, Grall, Juar­roz, Char, Dau­mal, La Tour du Pin, Michaux, Cen­drars, Reverdy, Gar­cia Lor­ca, Ner­val, Kazantza­ki, André Pieyre de Man­di­ar­gues ou Renéville. Entre autres. Là où s’inscrit le « point final du roman » com­mence ce que nous nom­mons Recours au Poème. Là où naît la poésie en tant qu’elle est prophétie de l’instant.

Ce vol­ume est précédé d’un texte d’André Ughet­to, par ailleurs rédac­teur en chef de la revue Phoenix, laque­lle pro­longe la belle his­toire de Sud et d’Autre Sud. Un texte qui est la meilleure intro­duc­tion à la vie et à l’œuvre du poète. Avec de tels vol­umes, la col­lec­tion Présence de la Poésie occupe pro­gres­sive­ment la place qui était autre­fois celle de Poètes d’aujourd’hui chez Seghers, et elle l’occupe de fort belle manière. On sent que nom­bre de ses vol­umes sont appelés à servir de référence. Pour ce qui est de celui-ci, la chose est évi­dente. Avec le titre, tout est dit des fonde­ments et des pro­fondeurs de la poésie de Marc Alyn : « Per­ma­nence de la source », écrit Ughet­to, lui-même poète, arpen­teur des mêmes con­trées pérennes. Nous sommes ici en présence d’une poésie qui a pris la mesure du réel. Une poésie qui regarde au-delà du voile de l’apparence des chairs et aperçoit le lien qui unit le tout du réel. Ce qui nous échappe la plu­part du temps, au point que nous croyons encore en l’existence de la mort. Cette mort qu’il ne s’agit pas d’accepter mais bien de percevoir comme n’ayant pas d’existence autre qu’immédiatement con­crète. C’est de dis­pari­tion appar­ente dont il s’agit, et cette dis­pari­tion est une trans­for­ma­tion. Voilà ce dont nous par­le la poésie de Marc Alyn, et voilà ce dont par­lent tous les poètes des pro­fondeurs : der­rière ce que nous appelons « mort » se pro­file le réel des trans­for­ma­tions per­ma­nentes de la vie/source de tout l’existant, trans­for­ma­tions qui ne se pro­duisent pas dans tel ou tel indi­vidu mais dans chaque partie/élément du vivant. Ici, la poésie est rejointe par la physique quan­tique. Tout est com­posé de par­tic­ules. Et ces par­tic­ules pren­nent formes selon la manière dont elles sont reliées les unes aux autres. La vie est archi­tec­ture. Ain­si, la prin­ci­pale chose qui me dif­féren­cie d’un morceau de roche est la manière dont nos par­tic­ules sont liées. Le lien, là est le principe de la vie. Et ce lien se nomme poème. Au-delà des illu­soires et insignifi­antes pré­ten­tions du quo­ti­di­en, nous sommes des mail­lons. Et la chaîne forme le tout du réel. Il est du reste amu­sant de con­stater com­bi­en les sci­ences con­tem­po­raines redé­cou­vrent peu à peu ce qui fonde l’essence même de la poésie. C’est bien dans un nou­veau monde, ancré sur d’autres par­a­digmes, que nous pénétrons, nous le sen­tons, nous ne le savons pas encore mais ce monde nou­veau appa­raît peu à peu sous nos yeux – un monde de poètes de nou­veau reliés en chaque instant au Poème. 

Cette vision d’une poésie allant « au-delà » a tou­jours été une préoc­cu­pa­tion essen­tielle dans le tra­vail de Marc Alyn. On pense au manifeste/tract Défense de la poésie qui, signé par Alyn, Gar­nier et Bouhi­er, réagis­sait dès 1955 aux con­cep­tions d’une poésie « nationale » mis­es en avant par Aragon, Guille­vic et autres. Par cet acte, Alyn et ses amis mon­traient que la poésie n’est pas inféodée, ni à une idéolo­gie, ni à un par­ti, ni à un moment de l’Histoire, quand bien même ce moment serait-il celui de la résis­tance. Ils affir­maient aus­si, pour ceux qui lisent posé­ment, que la poésie est une des formes d’expression vis­i­ble de ce lien unis­sant toutes les par­ties de la vie, ce même lien dont nous par­lions plus haut. Et de ce point de vue, la poésie voit plus loin et vient de plus loin que ce qu’Aragon pou­vait en penser. Sur le moment, ce texte fut très lu, comme on lit dans le moment de leur paru­tion les textes qui sem­blent con­tribuer à un débat, par­fois à une polémique. Mais il sera surtout relu, à compter de main­tenant, en regard de l’histoire de la poésie française de la sec­onde moitié du 20e siè­cle, et de celle qui s’écrit en ce moment même. Car, avec le recul, la posi­tion de Défense de la poésie prend toute sa force : elle est posi­tion de ceux qui con­nais­saient, mal­gré les coups et les sar­casmes, mal­gré le retrait imposé sou­vent par une poésie alors dom­i­nante, dans un con­texte idéologique lui aus­si dom­i­nant, à ceux qui ne pen­saient pas comme l’air du temps poli­tique voulait que l’on pense. Une posi­tion : ne pas cess­er de croire en la pos­si­bil­ité du poème. Et cette posi­tion est aujourd’hui nôtre.

Quand un poète engage sa vie sur le chemin de cette posi­tion, il lutte pour la poésie, pour que le Poème trou­ve son chemin en nous et à tra­vers nous, pour que ce même Poème fasse irrup­tion dans nos vies. Et, changeant notre vie, con­tribue à ce que l’Homme se con­stru­ise moins mal­faisant. La chose n’est guère aisée. Reste que quiconque ne saisit pas cela a encore beau­coup à appren­dre, hum­ble­ment, sur le sens de ce qu’est la poésie. Sa réal­ité pro­fonde, et non son expres­sion plus ou moins laborieuse dans telle ou telle librairie. Marc Alyn est ain­si un poète engagé, au sens d’un engage­ment sur la trace des plus anci­ennes racines du Poème, non dans un sens con­jonc­turelle­ment poli­tique de peu d’intérêt. Que reste-t-il des « engage­ments » poli­tiques d’antan n’est-ce pas ? La ques­tion n’est pas de croire avoir rai­son dans un présent bien illu­soire, pour ensuite s’apercevoir et peut-être recon­naître com­bi­en l’on s’est trompé. La ques­tion est celle de la préoc­cu­pa­tion pro­fonde : qu’est-ce que vivre ? Quel est ce lien qui me fait être ? La poésie ne par­le de rien d’autre. Et elle n’en par­le pas unique­ment, c’est heureux, en ayant les yeux rivés sur l’humain, mod­este acteur et par­tic­i­pant d’un ensem­ble bien plus vaste dont il ne perçoit que les soupentes. Et encore. Marc Alyn écrit depuis l’avant, dans le présent de l’instant. Et son œil coquin trace des pos­si­bles au-devant de nous. Que cha­cun trou­ve sa porte, elle est plutôt basse mais… que nous nous bais­sions un peu ne nous fera pas de mal ! La poésie, ce n’est pas rien. En par­ti­c­uli­er en une époque où la déstruc­tura­tion général­isée agis­sant con­tre les fon­da­tions de la vie tend à pro­duire une trans­for­ma­tion inver­sée, pous­sant cet humain loin de son human­ité. C’est de ce com­bat dont la poésie des pro­fondeurs et celle de Marc Alyn par­lent : il s’agit de tenir la posi­tion en péri­ode trou­blée. C’est pourquoi les poètes authen­tiques de main­tenant sont les dis­si­dents d’une époque qui cherche à oubli­er que le Poème est ce qui œuvre dans le réel du monde.

Alors, Présence de la poésie en effet. Le titre de cette col­lec­tion vaut man­i­feste et si ses ani­ma­teurs ne se trompent pas trop, cette col­lec­tion mar­quera l’histoire de la poésie. 

 

  

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