L’appel au Recours au Poème n’est pas un appel à la mise en actes d’une quel­conque « secte » politi­co-poé­tique ou cybernéti­co-poé­tique. Bien au con­traire, en tant que mise en ordre d’un agir chevaleresque en vue de la réal­i­sa­tion de l’utopie du Poème, ce pourquoi il nous arrive d’employer le mot « sacré », ou plutôt de la redé­cou­verte presqu’archéologique de cette utopie dans le désert du réel se posant pré­ten­tieuse­ment comme unique réal­ité, l’appel au Recours au Poème est par nature ouvert à toutes les formes de poésie authen­tiques, pour peu qu’elles se présen­tent authen­tique­ment devant nous. Cela ne sig­ni­fie aucune­ment que cha­cun des acteurs for­mant Recours au Poème aime ou même appré­cie telle ou telle forme de poésie. La prob­lé­ma­tique est ailleurs : il faut bien que l’état des lieux soit fait, que le tra­vail soit mis en œuvre con­crète­ment, ou pour le dire autrement : il faut bien que nous met­tions en sit­u­a­tion l’état des lieux de la poésie dans son rap­port au Poème. Toute créa­tion d’une sit­u­a­tion nou­velle, en par­ti­c­uli­er si elle vise à ren­vers­er l’état ancien d’un monde mort sous nos yeux, passe par l’évaluation des sit­u­a­tions ou des forces en présence. C’est ce que nous faisons, sans jamais per­dre de vue l’axe essen­tiel de l’aventure exploratoire en cours : l’appel au Recours au Poème est un appel à la vie vivante, et cet appel, de ce fait, est pro­fondé­ment révo­lu­tion­naire. On nous demande sou­vent de nous expli­quer à ce propos.

Nous y sommes donc.

La ques­tion de notre posi­tion par rap­port au Spec­ta­cle et à son évo­lu­tion sous forme de Sim­u­lacre, puisqu’il s’agit au fond de cela, ne nous con­cerne pas. Cette ques­tion n’a pas lieu d’être. Pourquoi ? Nous con­sid­érons que le Spec­ta­cle et le Sim­u­lacre ont abdiqué toute forme d’existence con­crète, mal­gré les apparences. Le Spectacle/Simulacre est lui-même, aujourd’hui, réi­fié en sa pro­pre image. Devenu l’image qu’il pro­duit de lui-même, le Spectacle/Simulacre peut don­ner l’illusion de son exis­tence con­crète, cela n’en fait pas un état de fait sub­stantiel. Nous avons pris acte de la mort du Spectacle/Simulacre con­cret et de sa momi­fi­ca­tion. Cette mort a été ouverte­ment mise en lumière lorsque Guy Debord, en un acte que n’eut pas renié Netchaiev, a mimé l’acceptation de sa pro­pre récupéra­tion par l’une des chaînes télévi­suelles de la Pro­pa­gan­da médi­a­tique ; lieu médi­a­tique qui de son côté mimait la volon­té de ren­dre hom­mage au philosophe. Faisant alors sem­blant d’accepter, et donc de ren­tr­er dans le rang, l’année de sa mort, feignant d’être récupéré par des indi­vidus pré­ten­dant, d’une cer­taine manière, découler du sit­u­a­tion­nisme — il n’est aucune lim­ite aux pré­ten­tions en ce genre de domaine — Debord a don­né le film auto­bi­ographique qui lui était alors demandé. Ce film a été dif­fusé comme prévu. Mais au moment de cette dif­fu­sion, Debord s’était déjà sui­cidé, mon­trant par ce geste de lib­erté absolue que rien n’est récupérable par un Spectacle/Simulacre qui pré­tend être le récupéra­teur par excel­lence. Après l’avoir révélé au monde, Guy Debord a tué le Spectacle/Simulacre.

Nous avons pris acte de ce fait.

Nous prenons acte de la mort du Spectacle/Simulacre.

Par con­séquent, cet appel à la vie que forme Recours au Poème s’inscrit très exacte­ment en dehors du camp de con­cen­tra­tion men­tal que le Spectacle/Simulacre a voulu impos­er à nos exis­tences, et ce depuis la mise en œuvre de l’industrialisation des vies humaines comme de l’ensemble de la vie. Cet état de fait qui appa­raît comme une évi­dence est juste­ment ce qui, de notre point de vue, n’a pas – ou plus – d’existence. Il en découle cet autre état de fait absol­u­ment extra­or­di­naire et mer­veilleux : la révo­lu­tion est de nou­veau à l’ordre du jour. Elle est même déjà com­mencée. Or, nous pen­sons que la révo­lu­tion ne peut être que révo­lu­tion de l’entièreté de la vie. Le mot d’ordre est encore et tou­jours celui de la refon­da­tion de l’entendement humain. Sous tous ses aspects. Ain­si, nous ne pen­sons pas le mot « révo­lu­tion » dans un sens marx­iste, bien que nous n’éludions pas l’apport des œuvres de Marx, par­mi d’autres, en un tel domaine, nous ne sommes tout de même pas com­plète­ment fous, nous n’envisageons pas, dis­ais-je, le mot « révo­lu­tion » comme un voca­ble iden­ti­fi­able sur le plan poli­tique, quel que soit le mot en –isme que l’on voudrait accol­er au con­cept de « révo­lu­tion ». La révo­lu­tion est de notre point de vue un boule­verse­ment de l’homme en son entier, en même temps intrin­sèque et extrin­sèque à l’homme. Ceci ne peut exis­ter hors du poé­tique. Une révo­lu­tion qui trans­forme le tout de l’homme et de la vie, en dedans et en dehors de tout ce que sont l’homme et la vie, une telle révo­lu­tion ne peut être que poé­tique. Par con­séquent, la révo­lu­tion en cours, ayant pris acte de l’abdication par infat­u­a­tion du Spectacle/Simulacre, sera poé­tique ou elle ne sera pas.

Nous pos­tu­lons que chaque élé­ment du réel tel qu’il se présente en un moment don­né à nos yeux peut être inté­grale­ment, entière­ment, immé­di­ate­ment, abat­tu par le sim­ple levi­er de la force révo­lu­tion­naire qu’est la poésie mise enfin au ser­vice du Poème. Le réel n’est autre que la mise en sit­u­a­tion de ce que nous voulons, en face du réel que l’on veut nous impos­er. Ce « on » étant enten­du au sens que le groupe réu­ni sous le cou­vert de la revue Tiqqun don­nait autre­fois à ce mot. Debord a per­tinem­ment établi l’état de guerre dans lequel nous sommes. Cette guerre n’est pas celle du cap­i­tal­isme con­tre tout un cha­cun, bien qu’elle revête aus­si cette forme ; cette guerre n’est pas celle d’une oli­garchie s’empiffrant avide­ment sur le dos de la majorité des êtres humains, bien qu’elle puisse aus­si revêtir cette forme ; cette guerre n’est pas plus celle de la myr­i­ade de volon­tés poli­tiques s’affrontant à la myr­i­ade de leurs con­tra­dic­toires, ni celle de la sauve­g­arde des lap­ins con­tre les pol­lu­tions humaines. Bien que cette guerre puisse aus­si revêtir ces formes. Par­mi tant d’autres. Nous n’en fer­ons pas ici le catalogue.

Cette guerre est une guerre de sit­u­a­tions con­tre sit­u­a­tions.

Nous vivons ce temps pré­cis où les sit­u­a­tions que nous sommes capa­bles de met­tre en œuvre sont sit­u­a­tions dans la guerre qui se mène en dedans de la machine, con­tre les sit­u­a­tions que les ten­ants de cette dernière ten­tent de nous impos­er. La plus extrav­a­gante de ces sit­u­a­tions étant cette sit­u­a­tion con­tem­po­raine où le Spectacle/Simulacre, mimant la per­pé­tu­a­tion de son exis­tence, pré­tend nous empêch­er de met­tre en actes des sit­u­a­tions con­traires, démon­trant la réal­ité de son décès. La ques­tion stratégique qui se pose donc au cœur de ce con­flit, vio­lent et dan­gereux, met­tant à mort sou­vent ceux qui y enga­gent leurs forces, est donc celle de la mise en œuvre d’une sit­u­a­tion con­traire de la sit­u­a­tion à nous aujourd’hui imposée. Cette guerre, Dau­mal en son dernier poème la qual­i­fi­ait de « sainte ». En nos soirées roman­tiques, il nous arrive, avouons-le, de trou­ver un accord avec cette posi­tion. C’est pourquoi, de l’intérieur même de la machine et à la vitesse même de cette machine (au moins), nous en appelons à la mise en sit­u­a­tion de la poésie face à face avec l’anti poésie à l’œuvre. Recours au Poème n’est pas seule­ment un appel. Recours au Poème est une Table ronde autour de laque­lle se réu­nis­sent ceux qui voient dans le Poème le tout du réel de la vie. Et cette vision est un acte révolutionnaire.

 

 

 

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