Notre Songe 11 à 15
notre Songe
11
veoir choses
tant merveilleuses
et disoie
en moy mesme
les fragmens
de la saincte antiquité
les ruines
et brisures
(dire
écrire)
je senty à travers ces ruines
comme un remuer d’oiseaux
*
(un fragment)
adonc
perdy coeur
je me fourray
à l’adventure
dedans ces ténèbres
exquises
tenant ma vie
comme pour perdue
°°°
12
et fuyant par voies obliques
où je perdy entièrement la clairté
de sorte
que je ne savoie juger
si j’estoie dedans le labyrinthe
de Dedalus l’ingénieux
tant y avoit de chemins tortuz
sentiers
ruelles
portes
et traverses
pour faillir
*
et oublyer
l’yssue
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13
j’appercey
de loing
une
petite lumière
j’y couru
à grande joye
quand je fu arrivé
près
je vey
que c’estoit une lampe
tousjours ardante
je renonçay
à tous les désirs de mourir
ausquelz m’estoie
peu auparavant
accordé
et recommençay
mes pensées amoureuses
*
Toi
une œuvre
miraculeuse
à sçavoir
une fontaine sans fin
roses
myrte
suzeau
menthe
fleurs
d’orenges
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14
Amour fait soudain voyle
estendant ses aelles dorées
embellies de toutes couleurs
*
nous ne pouvons plus
nous offrir
ces plaisirs de l’attente
un grand cheval
un Éléphant de merveilleuse grandeur
et une porte magnifique
°°°
15
la mer
sous la mer
la diversité des pierres précieuses
avec leurs vertuz naturelles
le passetemps
d’une danse
*
une mélodie délectable
entendue
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En hommage au devenir, parce que passé et présent de la langue sont là en chaque ici et maintenant et demain, ces poèmes sont faits – principalement – de mots ayant trouvé – beau – domicile dans l’ouvrage suivant :
Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile [traduction de Hypnerotomachia Poliphili], présenté par Albert-Marie Schmidt, Paris, Club des libraires de France, Les libraires associés, 1963 (reproduction en fac-similé de l'édition de Paris, J. Kerver, 1546, parue sous le titre Hypnerotomachie ou Discours du songe de Poliphile).