Notre songe 16 à 20
notre Songe
16
un grand cheval
(et une porte magnifique)
les arbres
les soupirs de l’air
(ces airs
nous convièrent
d’aller à l’esbat avec eux)
*
une grande porte
nostre songe
qui n’estoit pas
fort roide
mais modérément déclinant
en descente
couvert de beaux arbres
verdoyans
comme chesnes
érables
tileulx
fraisnes
et autres semblables
mais différents
°°°
17
nostre songe
la mer
entaillée de moulures
tout à l’entour
et au dedans
certains troubles
en belle forme
*
(un fragment)
dans le vide
s’estoit
entortillé
un daulphin
j’interpretay le silence
en ceste manière
°°°
18
nos nuits
leurs rivages
estoient bordez
de toutes manières
d’herbettes
qui ayment
le voisinage des eaux
comme souchet
nymphée
adianthe
cymbalaire
trichomanes
*
nos pensées amoureuses :
toutes espèces
d’oyseaux de rivière
sçavoir est
hérons
butors
sercelles
plongeons
cigognes
cygnes
poulies
d’eau
et cormorans
°°°
19
nostre soupir
avoit une grande plaine
toute plantée
d'arbres fruictiers
en forme de verger
*
nos arbres
les escureaux
y sautelloient
de branche en branche
et les oysillons
gazouilloient
entre les fueilles
si bien que c’estoit
grande mélodie
°°°
20
le parterre
de nostre-vie-ensemble
estoit semé
de toutes manières
de fleurs
et herbes odorantes
enrosées
de ces petitz ruisseaux
qui rendoient
nostre trouble si plaisant
que je pensoie lors
estre aux Isles fortunées
*
nostre nuit
(la mer)
entre le jour
et le voile
dedans
le cercle
estoit entaillé
un beau soupir dormant
estendu sur un drap
(l’ombre
comme si elle luy eust servy
d’oreiller)
En hommage au devenir, parce que passé et présent de la langue sont là en chaque ici et maintenant et demain, ces poèmes sont faits – principalement – de mots ayant trouvé – beau – domicile dans l’ouvrage suivant :
Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile [traduction de Hypnerotomachia Poliphili], présenté par Albert-Marie Schmidt, Paris, Club des libraires de France, Les libraires associés, 1963 (reproduction en fac-similé de l'édition de Paris, J. Kerver, 1546, parue sous le titre Hypnerotomachie ou Discours du songe de Poliphile).