Notre songe, 5–10

 

 

5

 

il y avoit
merveilleuse abondance

de porphyres
jaspes

et serpentines
de toutes couleurs

*

la mer

en la face longue
du costé droict                                                                                       (en aimant l’horizon)

estoient entaillées
aucunes figures

d’enfants
dansans

qui avoient chascun
deux visaiges

l’un riant
et l’autre pleurant

 

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6

(un rêve)

puis une flamme
de feu

un bassin
à laver

un vase
à biberon

un vase
antique

ayant la bouche couverte
et deux rameaux

l’un d'olive
et l’autre de palme

*

la mer

ancre
et lampe antique

tenue par un dauphin

 

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7

la mer

un timon de navire
auquel estoit attaché

une branche d’olivier

*

la mer

aux deux costez
de nostre silence

estaient
deux petitz enfans

volans

 

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8

nostre vie
rapportée

au silence

nostre vie
: tout

le tout
rapporté sur une pierre

de la coleur du ciel
quand il est serain

*

la mer
un cheval de mer

(un rêve)

les cheveux commençoient
à prendre forme de rameaux

 

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9

 

(un rêve)

tout
desconforté

et mourant
de dueil

à cause de sa belle biche
qui estait lardée d’une flèche

*

(un rêve)

et son corps
qui se couvroit d’escorce

et devenoit un bel arbre

 

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10

 

(un rêve)

ses gracieux membres
se convertissoient

en perpétuelle verdure

*

et par ainsi
je retournoie

tout soudain
à mon entreprise

persévérant en la contemplation

 

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En hommage au devenir, parce que passé et présent de la langue sont là en chaque ici et maintenant et demain, ces poèmes sont faits – principalement – de mots ayant trouvé – beau – domicile dans l’ouvrage suivant :

Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile [traduction de Hypnerotomachia Poliphili], présenté par Albert-Marie Schmidt, Paris, Club des libraires de France, Les libraires associés, 1963 (reproduction en fac-similé de l'édition de Paris, J. Kerver, 1546, parue sous le titre Hypnerotomachie ou Discours du songe de Poliphile).