A Propos d’Aimé Césaire (3)

Deux extraits du recueil La Poésie

Et nous sommes debout maintenant…

Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,
car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie
que nous n’avons rien à faire au monde
qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde mais
l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer
et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.
Extrait du Cahier d’un retour au pays natal

Pascale Monnin.

Pasko.

C’est moi-même, Terreur,
 c’est moi-même

 

Les rêves échoués desséchés font au ras de la gueule des
rivières
de formidables tas d’ossements muets
les espoirs trop rapides rampent scrupuleusement
en serpents apprivoisés
on ne part pas on ne part jamais
pour ma part en île je me suis arrêté fidèle
debout comme le prêtre Jehan un peu de biais sur la mer
et sculpté au niveau du museau des vagues et de la fiente
des oiseaux
choses choses c’est à vous que je donne
ma folle face de violence déchirée dans les profondeurs
du tourbillon
ma face tendre d’anses fragiles où tiédissent les lymphes
c’est moi-même Terreur c’est moi-même
le frère de ce volcan qui certain sans mot dire
rumine un je ne sais quoi de sûr
et le passage aussi pour les oiseaux du vent
qui s’arrêtent souvent s’endormir une saison
c’est toi-même douceur c’est toi-même
traversé de l’épée éternelle
et tout le jour avançan
marqué du fer rouge de choses sombrées
et du soleil remémoré

 

Extrait du recueil intitulé Ferrements




James Noël, Trois poèmes inédits

Circonstances

 

L’eau coule sous le pont
y en a t-il assez pour laver nos visages

Les oiseaux se dirigent
en diagonale vers la montagne
devant nous un grand arbre qui cache
ce qui nous reste humainement de forêt

au loin un chant accidenté de camionneur
c’est sûrement le vent

qui le ramène jusqu’à nous
en oiseau de mauvaises circonstances

l’eau coule sous le pont
y en a t-il encore pour laver nos visages

                                         *****

                                                                                              

James Noël par Pascale Monnin.

Texte Kenny Ozier La fontaine (Paul Poule), dessin
Gaspard oeuf.

En hommage à Manno Charlemagne

69 cordes pour une guitare

Rêveur magnétique
révolutionnaire mort à 69 ans
devrions-nous
pour les ouvriers
devrions-nous
pour les planteurs de cannes à sucre
et les semeurs de lucioles
dans les champs de nuit
devrions-nous
au profit de la lutte
érotiser tous nos héros


Manno Charlemagne
avait 69 ans
au fond le corps nu de sa guitare 
brûlait de passion
pour les volcans

devrions-nous
manger le pain
couler le café du soir
avec une étoile
dans la gorge
comme dernière aspirine
avant l’éternité
il faut des filles
et des cigarettes comme il faut
pour la révolution en pays chaud

la note est pure
mais rien n’est simple
en amour
les jours ouvrables sonnent fériés
les jours fériés sont entre-ouverts 
ouvrier céleste qui ferme le poing
dans la gueule du bourgeois
pourfendeur de haute gamme
et des luttes dans les bas-fonds
devrions-nous
pour l’amour libre
érotiser tous nos héros

                                        ****

Face à la page blanche

Puisqu’il faut parler de métissage
de la texture du désir se dérobant
de peau et de chagrin 
je confesse avec lâcheté
avoir dessiné tes fesses à la craie blanche 
sur une ardoise noire
j’ai couché tes courbes
avec du charbon noir
sur une page blanche
et j’ai fumé en boucle
tes pensées au travers
des nuages lourds
dis-toi bien Que
j’ai fumé
en boucle
au creux
de tes cheveux4
j’ai brisé la ligne du coeur
cassé la main gauche
cassé la main droite
je ne suis qu’un œil en roue libre 
dans le chavirement des couleurs

Veules-Les-Roses, France, déc 2017

Texte Kenny Ozier La fontaine (Paul Poule), dessin
Gaspard oeuf.




Jean-Watson Charles, Le chant des marées, extraits

Stivenson Magloire.

Comment vivre le monde quand je ne connais que Toi pour réalité
Mon bagne rêve sur tes genoux et d’un pays putréfié.
Combien de fois dois-je le crier
Que toutes les portes des villes soient à mes pieds
Que toutes les femmes soient des fruits mûrs pour La bonne récolte.
Que des villes et des terres lointaines
Se lèvent et marchent à poings fermés
Zafra Akkad Gorée Damas
Le temps n’est plus de la bonne semence
Mais souviens-toi que nous sommes des bohèmes

 

In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018

 

Le soir fondait dans tes yeux
Qui me parlaient tant de voyages
De ta souffrance et  tes désirs
J’ai si longtemps espéré la mer dans tes seins nus
Que parfois je rature le jour dans les contours
De tes orgasmes
Et dans la déchirure aux pieds du matin
Non je n’oublierai pas
Mes fantômes
Mes peurs
Mes envies et mon pays
Oui je n’oublierai pas
Puisque partir est un leurre
Pour oublier soi-même
Une porte ouverte du néant
J’ai peut-être souffert et fait souffrir le temps
Mais la mer ce long tissage qui ronge mon cœur
Pour qu’un jour elle t’appartienne
Comme un fruit maudit
Je voudrais parler ta langue, tes chansons
Pour dire à jamais que je t’aime
Je voudrais te dire tant de choses
Mais le cri du poète est une rivière qui pleure

 

 In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018.

 

Nasson, Cross In Arms.

Duval Carrie, Edouard crystal explorer.

 

Je t’écris pour te dire que mon cœur est une rivière
qui coule à ta rencontre. Et que chaque goutte est
un hymne à la terre, que chaque cri te dit la levée
du jour. Je t’écris comme ce vent qui passe et qui
m’emmène vers toi, pour te dire que mon cœur
Est à la dérive des continents

 

J’ai vécu dans le cœur des hommes la strangu-
lation. Le temps n’est plus à nos portes comme un cri
blessé ou nos yeux comblés de vent et de terres
maudites. Fini le temps des tam-tams et le chant du
soir, fini la plèbe et les jours testamentaires

 

In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018.

 

 

 

 




A propos d’Aimé Césaire (2)

Nimrod,Visite à Aimé Césaire suivi de Aimé Césaire, le poème d’une vie

La visite a eu lieu en juin 2006. Nimrod accompagnait Daniel Maximin à Fort-de-France. Ce que raconte Nimrod est bien plus que la visite d’un lecteur fidèle à l’un de ses auteurs favoris. C’est le récit d’une rencontre avec un homme et avec sa terre.

Être plongé dans le paysage qui a inspiré Césaire, un paysage à la fois beau et menaçant, comble Nimrod. « À présent j’ai du poème de Césaire une connaissance charnelle. »

Nimrod, Visite à Aimé Césaire suivi de Aimé Césaire,
le poème d’une vie
, Éditions Obsidiane, 2013, 78 pages, 14 €.

 

Césaire est « mal fichu » – ce sont ses dires. Il monte difficilement l’escalier qui mène à son bureau. Nimrod voit ensuite en l’homme ce qui est partout présent dans ses textes : des opposés qui coexistent. Malgré son âge avancé, ses problèmes d’audition qui obligent ses interlocuteurs à parler fort et sa petite forme, il a le regard vif, la parole claire et le style raffiné. Ensemble, ils parlent de Senghor, que Nimrod aime aussi.

De retour à l’hôtel, Nimrod réfléchit à la question des influences. « Césaire est le seul de nos poètes dont on ignore la filiation. Il ne sort pourtant pas de nulle part. De tels écrivains n’existent pas. » Nimrod, comme Léon Gontran Damas, pense que certains poèmes d’Aimé Césaire entrent en dialogue avec ceux de Charles Péguy. Cela peut paraître étonnant. Mais Nimrod a quelques arguments.

À la fin de l’ouvrage, Nimrod explique ce qu’entendait Césaire par négritude – concept que d’aucuns ont compris de travers, en pensant par exemple que Césaire se proclamait ainsi l’ennemi de l’Europe. Nimrod rappelle le contexte : « La négritude est la réponse que deux jeunes étudiants de la Sorbonne opposent au racisme. Exilés loin de leurs familles, vivant chichement (et pour cause : ils claquaient leur modeste bourse dans l’achat de livres), ce ne sont pas des bâtisseurs d’idéologies. Ils découvrent dans leur chair la douleur qui est celle des sujets coloniaux. Ils voient bien qu’ils ne comptent pas pour la France ; l’Afrique et les Antilles non plus. Les voilà choqués, révoltés. […] Aussi fondent-ils la revue L’Étudiant noir (1935-1936) pour faire connaître leurs idées. »

Nimrod insiste sur le fait que l’image figée que certains ont gardée d’un Césaire en colère ne correspond pas à la réalité.

  Le Cahier d’un retour au pays natal est un kaléidoscope de tons, de rythmes, de tempos. Le réduire au cri de révolte, c’est avouer ne rien y comprendre.

Et Nimrod referme son livre sur un mot qui sied mieux à Césaire : l’espérance.

 




Jean Métellus, Voix nègres, Voix rebelles, Voix fraternelles

Jean Métellus est de ces auteurs-aiguillons qui aident à ne pas avoir trop bonne conscience, ici, de ce côté du Monde. Nous, Occidentaux. Nous, berceau de l’esprit occidental. Nous Lumières mais pas seulement.

Inventeur du four crématoire et des gaz défoliants des bombes atomiques
                                                                                           et des mines antipersonnelles
Tout en proclamant précieuse la vie et sacré l’homme

 

Jean Métellus nous rappelle nos erreurs, nos crimes et demande de quel droit nous serions guides des autres nations. Il se fait le porte-parole de tous les nègres, qu’ils vivent en Haïti ou à Johannesburg, mais pas seulement, puisqu’il est question aussi du Vietnam, de l’Algérie, du Japon (Hiroshima) et des camps de concentration en Allemagne, en Pologne.

         Vêtement luxueux que le costume de Job auprès de ma misère

Jean Métellus veut croire au sursaut des pauvres hères, il annonce des revendications en provenance du continent africain… Et ses textes peuvent aujourd’hui, ici et là, paraître souffrir à la fois de manichéisme et d’angélisme.

Jean Métellus, Voix nègres Voix rebelles Voix fraternelles,
Le Temps des Cerises éditeurs, 2007, réédité en 2012, 147 pages, 10 €.

 

La résignation a gagné la partie dans nombre de pays où les colons blancs ont été remplacés par des colons noirs. Les textes de Métellus renvoient à un autre temps : celui de l’Apartheid en Afrique du Sud, un temps où la colère grondait dans les townships, un temps où le Ku Klux Klan était menaçant outre-Atlantique et Martin Luther King une raison d’espérer. Un temps où de grands hommes noirs tentaient de changer le cours de l’histoire. La poésie de Métellus a alors une valeur de témoignage. Par exemple ces vers sur Luther King :

 

En visionnaire il pressent la fin des tourments
Partisan de Jefferson et de ses émules
Pour qui l’immortalité de l’esclavage
Dégradait le maître blanc autant que l’homme noir
Il sait que le pouvoir use ceux qui en abusent
Que les victimes des violences, tous les opprimés
Réussissent toujours par se mettre debout
Que la fleur pillée par l’abeille s’épanouit
Que de grands bouleversements attendent les Noirs
De Harlem, de Brooklyn et de Los Angeles
De l’Amérique toute entière et de l’Afrique
La terre promise est là, à portée de regard
Ceux qui vivent dans la nuit de la désespérance
Voient briller la liberté et la délivrance

Et plus loin : 

Adieu fouets, bûchers, ghettos, cabanes et taudis
Adieu passé d’esclaves et de nègres à tout faire

 

Ce qu’il annonce n’est pas encore advenu. Ou pas partout. Certains pays que l’on estime être des modèles de démocratie, dont on vante le PIB en hausse, etc, proposent encore à la plupart de leurs travailleurs des salaires de misère qui ne permettent pas de vivre. Est-il nécessaire de le rappeler ? Jean Métellus semble croire au Paradis sur terre. Il le situe dans un passé lointain, l’âge d’or :

Redécouvrir l’âge d’or des Incas
                        L’époque où la terre appartenait à tous
Où le paradis était à portée de main,

 

ou dans un avenir qu’il espère proche. Il est question souvent de Dieu, de prière et de foi.

Les poèmes sont pleins d’hommes en marche. On croise Louis Armstrong, Steve Biko…

 

Steve et ses amis secouent le géant noir endormi
         Pour le sortir de son engourdissement
         Ils le somment de se mettre debout
         Le forcent à se dresser de toute sa hauteur
         Face à ceux qui veulent le maintenir couché

         […]

         Le 18 août de l’année 1977
         Il est arrêté
        En compagnie de son ami Peter Jones
        À un barrage de police, près de Grahamstown
        Dans l’Est de la province du Cap
        Sa mort est programmée
        Emprisonné en pleine santé, à l’âge de trente ans
        Il est découvert mort, vingt et un jours plus tard
       Défiguré, les traits altérés
       Les paupières tuméfiées

 Quand il est retiré de la chambre froide
Où les médecins légistes l’avait placé
Steve n’est plus qu’une grossière caricature d’être humain

          […]

         De profundis
         Oui, des profondeurs, Steve Biko crie
         Et réclame non pas vengeance, mais justice
         Justice pour tous les Noirs de la terre
         Justic
         Exigent ses tempes enfoncées
         Ses oreilles mutilées
         Ses pommettes fracassées

          […]

Depuis la mort de Steve Biko, en 1977, l’histoire et la justice ont-elles fait un bond en avant ou patiné sur place ?
Ici et là, le militantisme prend le pas sur la poésie : il faut, on doit…

 

         La peine de mort, cet assassinat légal
Doit disparaître des sociétés civilisées

 

Parfois, Jean Métellus se fait pédagogue et le recueil prend des airs de manuel d’histoire.

 

         NELSON MANDELA

         Né le 18 juillet 1918
        Dans un siècle fiévreux et tumultueux
Terrifiant et scandaleux
Aux frontières du Natal

 

Le but du poète n’est-il pas alors exclusivement de rendre hommage ? Cela peut lasser, à la longue. Quand la parole se fait trop didactique, il manque au lecteur la musique des mots. Ici par exemple :

 

         Après sa journée de surveill
         Mandela doit réviser les cours de Ford Hare

 

Bien sûr, ceux qui admirent Nelson Mandela seront touchés par certains passages.

 

         Et Mandela au bras de sa première amante, le 10 mai 1945
Entouré de mineurs, d’ouvriers, d’employés de maison
De femmes de toutes catégories
Marche dans Market Street
Et remonte avec l’impressionnant cortège
Vers les quartiers de Hillbrow et de Braamfontein
Qu’il est beau Mandela ce jour-là
À la tête d’un défilé pacifique
D’une manifestation précédée de fanfares
Où une foule joyeuse chante, danse
Exorcisant la crainte de voir voler les bâtons et les balles

 

Cela rappelle ces merveilleuses images de foules dansant et chantant, le courage qu’il leur a fallu...
Quand il s’éloigne des grandes figures, la parole de Métellus a davantage d’intensité.

 

         L’espoir timide dessine une voie nouvelle
Je remonte le verso de la nuit
Rejoignant le jour qui chemine solitaire
Accordant mon souffle à la clameur de la lumière
À l’orchestre indompté des désirs

 

 




Elbeaux Carlinx, Poèmes

Ti koze nan Pòtoprens

 

Se sou beton
pou w konnen bout reyalite.
Se nan mache chache
pou w konnen sa lari pote.
Kokoriko... koukouyoukou
depi kòk chante midi
konmè solèy ranje chita l
souf Pòtoprens fò, li cho, li kout
kou fanm gwòs ki kase lèzo.

Fòk ou ta moun isit pou ou konprann...
Vwa moto ak  vwa kamyon fè koral
pou kouvri briganday ti machann
nan tout bout kwen, sou tout twotwa
rèl lanbilans makònen
ak woywoy machin zotobre
pou panike yon pèp zonbi
yon mas san namm
k ap boukannen
anba fouk yon solèy sadik
solèy toutouni
solèy yanm kale.

Wounou-wounou siyameto,
goyin, rifla, ak megafòn.
Lamantasyon metal
bout fè, tòl, tèt kaderik,
vye chòdyè ki konn kwit lamizè
recho, pòtay
anba brimad kout mato.
Refren kòchon kamyon
k ap resite san repo
lorezon : Dèlma, Petyonvil, Ayopò
Jeral, Laplenn, Anba lavil.

Konplent bobota,
bobota san jèvrenn
san lasimòk
san kouray.
Bobota rechiya
k ap goumen ak lavi
jouk yo kriye san, kriye lafimen.

Siplikasyon pòv ki pa sispann
mande kichòy a sa k pa gen.
Kaskad ri chomè k ap chase strès
nan domino sou vye tab debwate
menm lè pa bò isit
se grangou ki toujou bay dekabès.

Anmwe vwazinaj
k ap mande sekou ponpye
pandan kay fin boule.
Briganday vagabon raj mode
lè gwo trip ap vale ti trip.
Blogodow aksidan...
Bri pataswèl granmoun k ap chivoke
timoun anmèdan tankou vye ranyon.

 

Pòtoprens tounen yon kanaval koulè
yon sòkòy, yon tchaka
kote tout zagribay, tout kouch melanje,
Tablo monte desann yon popilasyon
ki toujou prese men ki san destinasyon.

 

Se sou beton
pou w konnen bout reyalite.

 

Le tableau de ton corps.

 

Le jour se lève pour moi,
quand le rideau de tes paupières se tire
pour me laisser contempler
la lumière tendre de tes grands yeux.
Déesse, j'ai chevauché
sans répit mes rêves
au point d'arpenter l'univers;
ce n'est que dans la souplesse de ton corps
j'ai découvert Eldorado.
Mon coeur a palpité,
mon âme a frissonné
quand j'ai vu une fois,
la lune plonger sa nudité dans le miroir éclatant de ton sourire.
Mon sang comme un geyser
a bouillonné, grondé dans mes veines.
Mes cheveux ont tressailli,
quand j'ai trouvé
cette fontaine de vin et de miel
en fermentation dans ta bouche
aux margelles rouges et convoitantes:
huppes de fleurs
que la langue assoiffée de la nature
rêve d'embrasser et d'embraser.
Mon imagination joue au cache-cache
avec ton ombre,
elle parcourt le désert velouté de ton ventre jusqu'à ton jardin foisonnant,
jusqu'à ta forêt ébouriffée
jusqu'à l' écrin de ton être
cachant des fruits juteux et délectables .
Ange, ni or ni perles
ma sébile misérable attend de toi.
Donne-moi, juste la chance de savourer
les nombreuses délices
débordant de ta cruche.
L'éventail de sucreries que tu portes
dans la bourriche de ton opulente poitrine.
Chérie, laisse mon regard construire son nid
dans les branchages de tes cheveux.
Accorde-moi la chance de respirer
le parfum capiteux de lilas
émanant de ta voix.
Laisse-moi tapoter, caresser les tambours bombés et spongieux
surplombant ta charmante sculpture
pour faire tortiller, danser,
virevolter chacune de tes cellules
comme une fourmi éprise de nectar.
Le jour se lève pour moi quand le rideau de tes paupières se tire
pour laisser poindre tes deux auréoles de soleil colorant mon visage de toutes les belles couleurs d’Iris.
Quand la rosée de mes lèvres
peut s'étendre sans rupture
sur ton fruit défendu.
Le jour se lève c’est quand…

 

Tablo kò w

 

Bajou kase pou mwen
Se lè rido popyè w leve
Pou m wè zye w k ap briye.
Cheri mwen vwayaje sou do
rèv mwen
vizite tout peyi.
Men se nan kò w mwen dekouvri Eldorado.
Kè m palpite.
Nanm mwen vibre.
Lè m bare lalin
ki ap benyen yanm kale nan miwa souri w.
San mwen bouyi nan venn mwen
Cheve nan tèt mwen tresaye.
Lè mwen twouve sous myèl k ap fèmante nan bouch ou
dèyè touf flè
lang lanati vle karese.
Imajinasyon m fè lago ak lonbraj ou
li pakouri dezè vant ou jouk rive
nan gran chimen,
nan forè w
nan zantray ou
kote fwi lanmou ap donnen chak jou.
Cheri tanpri mwen pap mande w lajan.
Mwen pap mande w dyaman.
Men jis ban m chans
goute pwovizyon ou pote nan kannistè w.
Rapadou, konparèt, dous pistach
Ou chaje nan makouti pwatrin ou.
Cheri kite rega m fe nich
sou branch cheve w !
Akòde nen m chans respire pafen wozo
k ap boujonnen nan vwa w !
Kite men m tape, karese tanbou asotò w
pou chak selil nan kò w pran gouye
tankou foumi fou ki wè siwo !
Bajou kase pou mwen se lè rido popyè w leve
pou bay de kouwòn solèy ou
makiye vizaj mwen ak koulè lakansyèl.
Se lè lawouze lèv mwen
ka simen sou fwi defandi w.
Bajou kase se lè…

 

 

 

 

 

*  *  *

 

Nan pran jòf nan fetay kay
pwent tete w pike imajinasyon m
mo yo chanje koulè sou lang mwen
pou yo pran fòm lonbray ou.
Pa konn ki van ki ap mennen m.
Ki melodi ki ap trennen m.
Mwen pèdi nan labirent kò w
kote chak liy se yon mistè
soti nan kaskad chive w
jouk rive nan fant zòtèy ou.
Ayida wedo se fanm pouki te non w !
Se nègès pou ou ta ye !
Mwen paka pale de bote w
san mwen pa sèmante
san tonnè pa boule m
san loray pa kraze m.

*  *  *

A trop te lorgner
par la crevasse des murs
tes seins fermes, pointus
ont aiguillonné mon imagination,
et sur ma langue émue
les mots se metamorphosent
pour épouser la forme
de ton ombre.
Je ne sais quelle bourrasque m'entraine !
Quelle musique m'emballe !
Je me perds dans le dédale de ton corps
où chaque ligne,
chaque courbe est un mystère
des méandres sveltes de tes cheveux
aux interstices veloutés de tes orteils.
Pardieu ! Tu ne pouvais être que femme !
Tu ne pouvais être que négresse !
Je ne peux parler de ta vénusté
sans jurer par les dieux
sans être assommé par la foudre
sans que le diable ne m’emporte.

 

 

SI

 

Si le nègre est couleur d'ébène
c'est parce qu'il porte son histoire
sur sa peau blessée, raturée
et cicatrisée.

Si le nègre a le front hâlé
c'est parce qu'il a longtemps enduré
les morsures du soleil
dans les plaines
et les savanes arides
pour recouvrer  sa liberté.

Si le nègre a les bras noueux
c'est parce qu'il n'est pas fait
pour les chaines atroces
mais pour la lutte, la gloire
et la lumière.

Libye aurais-tu oublié...

Aurais-tu oublié
que ces canailles, ces hères,
aujourd'hui que tu enchaines
ont donné jadis leur sang et leur sueur
Pour vivre libre ?

Aurais-tu oublié
que ces chairs brûlées, ces ombres
aujourd'hui que tu ligotes
ont juré de ne plus avoir
ni de maitres
ni de dieux importés ?

 

Libye si tu as tout oublié...
Si ta mémoire est froissée
par la touche sadique du temps,
le nègre lui ne pouvait souffrir d'alzheimer
lui qui porte encore dans son âme
les entailles de l'esclavage.

 




Passage en revues

Autour de Vents Alizés, Contre-Allées, Le Journal des Poètes, N4728, Soleils & cendre, Nunc, Poësis, L’hôte

Karoly Sandor Pallai, par ailleurs auteur d’essais et de poèmes, dont quelques uns ont paru dans Recours au Poème, met en œuvre une revue online Vents Alizés, dont on consultera le site de Vents Alizés((http://ventsalizes.wix.com/revue#!numéros))

 

 

Un titre qui découle de sa passion pour les littératures de l’océan Indien et du Pacifique, mais une revue qui n’est pas confinée à cet espace géographique, même si elle lui accorde une ample et belle place. On est frappé, immédiatement, dans ces presque 500 pages, par la qualité de ce qui est publié là, avec un ton ou une ambiance qui font irrémédiablement penser en effet aux vents alizés et aux infinitudes de l’océan de cette partie du monde. La revue est une partde l’océan Indien et Pacifique. Des pages fraternelles, ouvertes sur l’autre, qui justifient pleinement le titre de ce premier numéro : Partaz. Formellement, cette revue en ligne se présente et se lit comme un livre. C’est fort bien réalisé. On y lira, en diverses langues, des poètes et des écrivains originaires de l’Océan Indien (Maurice, Seychelles), de la Caraïbe et des Amériques (Canada, Haïti, Martinique), du Pacifique et de l’Asie (Philippines, Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française, Vietnam), d’Afrique et du Proche Orient (RDC, Zimbabwe, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Tunisie) et d’Europe (France, Italie).

Karoly Sandor Pallai.

On y retrouvera des poètes publiés ou amenés à l’être dans Recours au Poème, comme Sonia Khader ou Mounia Boulila par exemple. Pour ma part, ma subjectivité m’a conduit à aimer tout particulièrement les textes de poètes comme Borgella, Leonidas, Anne Bihan, Pham van Quang, Garnier-Duguy, Ben Eyenga Kamanda ou Tendaï Mwanaka. Le tout est accompagné de notes de lectures et de superbes œuvres d’art contemporaines, pour une bonne part réalisées par des artistes mexicains. Tout cela a le souffle des mondes autres, une grande respiration.

Franchement, amoureux de la poésie, vous auriez tort de vous priver de la lecture d’une revue qui nous parvient comme un don((Vents Alizés, revue semestrielle online en accès libre : http://issuu.com/pallaikaroly/docs/vents_aliz_s_-_partaz/45; Lire Karoly Sandor Pallai dans Recours au Poème :http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/k%C3%A1roly-s%C3%A1ndor-pallai)).

 

 

Contre-Alléespoursuit sa belle aventure sous la houlette de son couple de créateurs/fondateurs, Romain Fustier et Amandine Marembert. Ce nouveau numéro met à l’honneur le poète Jacques Ancet, en un poème intitulé « un entre-deux sans fin » composé de sept parties. Sept, il n’est pas de hasard pour ce poème d’apparence quotidienne mais qui en son parcours conduit son lecteur vers un dévoilement initiatique du réel. Il se termine donc forcément sur une question. Viennent ensuite une quinzaine de poètes, certains présents ou à venir dans Recours au Poème(Marie Huot, Philippe Païni, Emmanuel Merle, Christian Vogels…), puis des questions croisées permettant d’entendre Luce Guilbaud, Cécile Guivarch, Cédric Le Penven, James Sacré, Anne Belleveaux, Sandrine Fay, Jean Le Boël et Jean-Louis Massot. Des personnes qui oeuvrent pour la poésie depuis belle lurette. Contre-Alléesaime aussi les autres revues, si bien que ses notes de lecture parlent de plusieurs de ses confrères, souvent en sympathie. Un beau numéro, avec la voix forte de Marie Huot((Contre-Allées, numéro 31/32, revue de poésie contemporaine dirigée par Amandine Marembert et Romain Fustier. Le numéro 10 euros. 16 rue Mizault. 03100 Montluçon, contre-allees@wanadoo.fr, http://contreallees.blogspot.fr/)).

 

Le récent numéro de ce Journal des Poètesdont nous disons régulièrement du bien, car nous nous sentons humainement proches de lui, en sa chaleur fraternelle, et loin des petits chapelles prétentieuses, est, comme d’habitude est-on tenté de dire, de fort belle qualité. On lit ici un superbe hommage de Jean-Luc Wauthier à la poésie de Richard Rognet, un dossier passionnant sur les poètes de l’Est en Belgique, concocté par Albert Moxhet, dossier permettant de lire Robert Schaus, Bruno Kartheuser ou Léo Gillessen. Puis le Journal revient sur la Biennale de Liège 2012, en donnant la parole à son président Dany Laferrière, entre autres. Et aussi, car c’est de Parole dont il s’agit, à nombre de poètes venus aux Biennales, dont par exemple Mohamed El Amraoui, Bluma Finkelstein, Anise Koltz, Jacques Rancourt, André Ughetto ou encore Shizue Ogawa (pour la poésie de laquelle j’ai un faible avoué). Trois belles pages, un poème poète. Une vraie page d’histoire. Notons aussi qu’Yves Namur, collaborateur régulier du Journal, a reçu le prix Mallarmé 2012 pour son recueil La tristesse du figuier, paru chez Lettres Vives, éditeur de haut vol. Il n’y a pas de hasard ((Le Journal des Poètes. Numéro 4/2012, 81eannée, oct-déc 2012, Jean-Luc Wauthier. Rue des Courtijas, 24. B-5600 Sart-en-Fagne. wauthierjeanluc@yahoo.fr http//www.mipah.be, Le numéro : 6 euros. Le poète Jean-Luc Wauthier, rédacteur en chef du Journal, donne maintenant des chroniques régulières à Recours au Poème. Ici : http://www.recoursaupoeme.fr/users/jean-luc-wauthier)).

Déjà le 23enuméro de N4728, belle revue, au format redevenu original, qui s’est progressivement imposée dans le paysage poétique contemporain. C’est même un des espaces parmi les plus originaux et les plus contemporains de ces dernières années. Christian Vogels, aidé d’Albane Gellé, Antoine Emaz, Alain Girard-Daudon et Yves Jouan, propose des écritures poétiques variées et ici considérées comme innovantes. Une partie des voix que l’on peut entendre ici, car pour N4728,poésie et oralité sont intrinsèquement liées, ce en quoi nous sommes bien d’accord, proviennent des lectures/rencontres de poésie contemporaine organisées à Angers par le Chant des mots, ou bien du côté de Rochefort (rien d’anodin en poésie, de ce côté de l’hexagone) et Saumur. C’est la partie « Mémoire vive », laquelle propose cette fois les voix de Edith Azam (un texte en prose, puissant, à paraître bientôt chez POL), Caroline Sagot Duvauroux (dont la majeure partie de l’œuvre, elle aussi en prose, et elle aussi de grande puissance, est publiée chez Corti) et Alexis Gloaguen. La partie « Plurielles » donne quant à elle à lire des voix diverses, lieu de l’ouverture de la revue (ce qui plaît bien évidemment aussi à Recours au Poème), et l’on écoutera avec attention les voix amies de Béatrice Machet, Matthieu Gosztola, Arnaud Talhouarn ou Mathilde Vischer.

Cette dernière donnant un ensemble qui reste longtemps présent à l’esprit. De toutes les manières, l’ensemble des pages de cette revue est d’une très grande qualité, et on lira avec attention les textes de Patrick Argenté, Estelle Cantalla, Nicolas Grégoire, Daniel Pozner, Marie de Quatrebarbes, Maryse Renard, Nathalie Riou, Pierrick Steunou, Jasmine Viguier, Jérôme Villedieu et Pierre Antoine Villemaine. La revue se clôt sur des notes de lecture choisies, en particulier au sujet d’Ariane Dreyfus, Serge Nunez Tolin et Vincent Pélissier, dont les travaux nous intéressent fortement. Puis quelques mots de Antoien Emaz au sujet de trois poètes des éditions Potentille (dont il faut saluer le beau travail), Geneviève Peigné, Philippe Païni et Albane Gellé. Un bel atelier, à visiter sans modération((N4728. Publiée par l’association Le Chant des Mots. Semestrielle. Abonnements : N4728. Madame Dandeville. 29 rue du Quinconce. 49100 Angers. 25 euros pour un an. Prix du numéro : 12 euros, N4728@zythumz.fr)).

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Le 103enuméro de Soleils & cendre, paru au printemps 2012, ouvrait ses pages au « chaos ». Venant d’une telle revue, à la fois de poésie et de recherche intérieure en poésie, on se doute que l’ordo/ordre n’est pas loin… Le sous titre, « fractation du point de vue », est, sous cet angle, très clair. Menée par Henri Tramoy et Yves Béal, Soleils & cendreémane des éditions Les Solicendristes. Ici, l’on a goût pour l’alchimie et l’hermétisme, au sens noble de ces mots/visions/expériences. Autour du chaos, on lira des textes d’une vingtaine de poètes et écrivains, parmi lesquels l’ami Matthieu Baumier (que je ne suis guère surprise de retrouver dans un tel thème d’écriture), Sylviane Werner, Daniel Thürler, Philippe Jaffeux, Jean-Guy Angles, Henri Tramoy ou Jacques Laborde. Une revue ancrée, située, et qui a un ton. Un vrai ton. Et une histoire, maintenant((Soleils & cendre. Henri Tramoy. 99 bd des Mians. 84260 Sarrians. Le numéro : 6 euros. Revue trimestrielle. solicend@orange.fr, http://www.soleils-et-cendre.org/)).

Ce nouveau numéro de l’exceptionnelle revue Nuncrend un bel hommage à la poésie de Jean Mambrino, lequel nous a quittés il y a peu. Trois textes reviennent sur le poète, signés Pascal Boulanger, Claude Tuduri, en forme de poème, et Jean-Luc Maxence. Tous insistent sur la luminosité chrétienne de l’homme et du poète. Le texte de Maxence, intimiste, touche juste, me semble-t-il, en évoquant chez Mambrino la part du feu, le néoplatonisme. Il y a avait une certaine idée de la Renaissance chez ce poète. Vient ensuite le dossier central de ce numéro de Nunc, un dossier « cinéma »… en apparence ! Car évoquer le cinéma de Béla Tarr, ce n’est pas uniquement, loin de là, parler de cinéma.

C’est parler de poésie. Parler du Monde. Le dossier est dirigé par Hubert Chiffoleau. On lira la retranscription d’un échange entre le réalisateur et son public, passionnante, ainsi que des textes de Joël Vernet, Hubert Chiffoleau (entretien), Jérôme de Gramont, David Lengyel. Ce dossier fait immédiatement référence. Et, sincèrement, lecteur qui aime la poésie puisque tu lis ces lignes, si par malchance tu ne connais pas encore le cinéma de Béla Tarr, le moment est venu d’une découverte, de celles qui marquent une existence.

Nuncpublie aussi une suite de très beaux poèmes de François Bordes, sous le regard de l’Evangile de Thomas, souvent considéré comme « l’Evangile des gnostiques » mais la formule est trop rapide, comme bien des formules. Qui lit ce texte en sait les profondeurs ésotériques. On parle ensuite de Virgile, de diverses manières (Madeleine Désormeaux, Jérôme de Gramont), puis on replonge dans des poèmes, ceux de François Amaneger, avant d’entrer dans la partie « Axis Mundi » de la revue, centrée sur un cahier consacré à Michael Dummett. Deux textes signés Michel Fourcade et Christine van Geen, puis un texte de Dummett. Tout cela est déjà fort riche et n’est cependant pas terminé, car Nuncest un « monstre » comme Recours au Poèmeles aime : un entretien avec Jacques Arènes, des poèmes de Borges (ceux sur Spinoza) dans une nouvelle traduction, un texte important de Franck Damour au sujet de la récurrente controverse autour de la fonction anthropologique du droit et de très beaux poèmes de Christophe Langlois, poète que l’on retrouvera aussi bientôt dans Recours au Poème. Les notes de lecture évoquent enfin Gamoneda, Bocholier, Marion, Del Valle… Ici, en cette revue, les choses sont centrées, et cela est bien((Nunc, revue attentive n° 29. Le numéro : 22 euros. www.corlevour.fr))

Poësis n’est pas une revue au sens strict de ce mot mais il me plaît d’en parler ici. Il s’agit d’une « petite anthologie de poèmes maçonniques » contemporains éditée par l’Institut Maçonnique de France, sous la houlette de l’ami Alain-Jacques Lacot, dans le sillage des activités menées là pour promouvoir le livre maçonnique, et donc une vision sereine d’un humanisme pour demain. Autant dire que l’on a bien besoin de toutes les énergies…Les poèmes ici regroupés sont ceux primés lors du concours de poésie organisé par l’IMF à l’occasion du dixième salon maçonnique du livre de Paris. 20 textes en tout, ponctués par un superbe cadeau d’un poète que nous aimons beaucoup dans les pages de Recours au Poème, Jacques Viallebesset, poème intitulé La tribu nomadeque nous donnerons à lire dans quelques temps.

On lira dans cet ensemble des poèmes divers, ancrés dans une profonde quête spirituelle et intérieure, en particulier ceux de Jean-Philippe Ancelle, AxoDom Yves-Fred Boisset (par ailleurs directeur de la revue martiniste L’initiation), Marc de la Paix, Jacques Fontaine, Thierry Maillard… Tout cela est d’autant plus important qu’il est évident que poésie, ésotérisme et maçonnerie appartiennent au même Corpus d’être. On espère voir l’initiative se développer, et cette autre anthologie de la poésie maçonnique autrefois parue chez Dervy connaître une nouvelle édition « allongée ». Ici, nous ne manquerons pas d’idées et de liens vers des poètes profonds à conseiller. On peut demander mon email à la rédaction, ce sont gens courtois. Ils transmettront, si j’ose dire((Poïesis. Petite anthologie de poèmes maçonniquesPublication de l’Institut Maçonnique de France http://www.i-m-f.fr/)).

 

Bienvenue à L’Hôte ! Il faut, de tout temps, saluer l’initiative de se lancer dans la création d’une revue. C’est un acte nécessaire et, cela n’est pas rien, formateur. L’Hôteest sous titrée « Esthétique et littérature », et n’est donc pas centrée sur la poésie. Mais elle mérite le salut. Le sommaire s’ouvre sur sept pages de textes du poète Gérard Pfister, par ailleurs directeur des excellentes éditions Arfuyen. Le ton est ainsi donné. Vient ensuite un texte très intéressant de Didier Ayres au sujet du narcissisme de l’auteur de théâtre, une étude de Gabrielle Althen sur Jean Fouquet… Une revue d’esthétique sans doute, mais pas seulement. On sent dans ces lignes la volonté de quitter les terres convenues de certaine esthétique presque officielle, et de reposer une vraie question : celle du Beau. Cette revue n’est donc pas « de poésie » mais l’acte, lui, est poétique. Longue vie((Revue L’Hôte. Numéro 1. Direction : Yasmina Mahdi, Ivan Darrault-Harris, Didier Ayres, 27 rue Lucien Dumas. 87200 Saint-Junien. Le numéro 5 euros. didier.ayres@free.fr)).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Les longs poèmes de Dany LAFERRIÈRE

Tout se passait jusque là comme si, dans l’œuvre de Dany LAFERRIÈRE, de roman en roman – de récit romancé en récit romancé, devrait-on dire – la même parole se prolongeait, traversée par le même souffle poétique. En cela, Dany LAFERRIÈRE est bien un Haïtien, même s’il s’est exilé il y a plusieurs décennies maintenant. Ce pauvre caillou qu’est Haïti fourmille de poètes. Certains vivent ailleurs mais ils ne s’éloignent que géographiquement. Dany LAFERRIÈRE est la preuve vivante que l’éloignement n’entraîne pas une fin nette et brutale de la complicité avec les gens, la langue, les paysages, les bruits, les odeurs, les mythes et la poésie. Bien au contraire. L’union semble confortée par la distance. En même temps, cette complicité entre Dany LAFERRIÈRE et Haïti porte la trace de la séparation. Et c’est justement cette séparation qui est au cœur du dernier livre édité chez Grasset, Chronique de la dérive douce.

 

D’autres romanciers haïtiens sont aussi poètes, sont avant tout poètes. En 2011, lors d’un entretien qu’il nous accordait (dans le magazine en ligne La Cause Littéraire) après la parution de son roman La belle amour humaine chez Actes Sud, Lyonel TROUILLOT nous expliquait :
« Le texte de fiction constitue aussi un corps sonore.  […] je suis malheureux à la lecture d’un texte sans musique, sans rythme. Peut-être cela vient-il d’un rapport privilégié à la poésie […]. »

L’essence poétique des textes de Dany LAFERRIÈRE est visible d’emblée : la forme de L’énigme du retour est, dès le début, celle d’un long poème. Pour dire la mort du père du narrateur, l’auteur écrit

La nouvelle coupe la nuit en deux.
L’appel téléphonique fatal
que tout homme d’âge mûr
reçoit un jour.
Mon père vient de mourir.

La moitié du roman sera construite ainsi.

Il m’a donné naissance.
Je m’occupe de sa mort.
Entre naissance et mort,
on s’est à peine croisés.

 

Bien entendu, il ne suffit pas d’aller à la ligne tous les trois ou quatre mots pour passer du roman au poème. Il ne s’agit pas seulement d’une question de forme, de rythme. Le but du voyage dont il est question dans L’énigme du retour est poétique lui aussi : le narrateur veut ramener son père – l’esprit de ce dernier, car son corps est resté à Brooklin – à Baradères, son village natal. Ne faut-il pas être poète pour entreprendre de telles choses, pour croire encore à l’impalpable, à l’invisible ? Le narrateur de Pays sans chapeau – autre grand livre de Dany  LAFERRIÈRE – était aussi en contact permanent avec les morts. Il lui suffisait de verser la moitié de sa tasse de café par terre en les nommant pour les sentir à ses côtés. Dans L’énigme du retour, la distance paraît plus grande entre le narrateur et son pays (les gens, leurs morts, leurs croyances…). Plus de dix ans ont passé entre les deux voyages. Windsor dort à l’hôtel ; tout se passe comme s’il était devenu un étranger sur sa terre.
Alors c’est Césaire – une sorte de père de substitution – qui accompagne le narrateur de L’énigme du retour partout. Ils sont faits du même bois : doux à l’extérieur, en colère au-dedans. La situation en Haïti est insoutenable pour qui vient du monde protégé, du Nord.

Dans le dernier roman publié par Grasset, Chronique de la dérive douce, la forme est identique mais on ne retrouve pas la fibre poétique des deux romans du retour au pays. Le livre a en fait été écrit avant Pays sans chapeau et édité à Montréal en 1994. LAFERRIÈRE y raconte son arrivée à Montréal, en 1976. Il vient de fuir la dictature haïtienne et débarque en terre inconnue. Trouver à manger et où dormir sont au départ ses seules préoccupations. Grâce à l’aide du bureau des immigrés, il peut louer une petite chambre.

J’ai hâte de m’étendre
sur ce matelas sans drap,
les bras en croix,
tout en pensant que
c’est la place
que j’occupe dans cette galaxie.

Les quartiers où il pose sa valise sont pleins de pauvres hères. Il n’arrive à jeter l’ancre nulle part. Dehors, il observe les hommes en cravate, les pigeons…

Quand je m’ennuie,
j’achète un ticket
et je passe la journée
dans le métro
à lire les visages

 




Claude Sybille, Coeur des îles

Cœurs des îles

 

D’un passé écorché ont éclos des îles 

Magiques aux seins de Cannes et d’indigo

Métisses allumeuses chaudes

Ces îles aux âmes créoles

Ces îles aux pas de danses folles

Ces îles aux voix rauques

Ces îles noires et blanches

Ces îles qui chantent fort

De la morsure des chaînes

De sa bouche à ma bouche 

De sa langue à ma langue

Par l’entrechoc

De nos mots

Une chanson douce,  une poésie

Rêve, crée, métisse

D’un souffle solaire

D’un jeu de lumière

Sous l’arbre 

Qui chante

Au cœur du vent

Des fesses charbon

Des corps coton

Ces îles aux ventres d’alcool 

Ces îles aux queues de sermon

Ces îles aux cœurs d’enfant

Ces îles en peloton.

Sergine Andre.   




Pierre-Louis Snayder, Poèmes

Pascale Monnin, Ma Chair et mes colibris.

 

Il faut transformer les mots
En intimité des autres
Pour écrire un beau poème

Il faut laisser coucher le soleil dans ta culotte à dentelle
Pour observer la beauté humaine

Il suffit de voyager à la file indienne
A travers des îles composées de questionnements
Pour inverser tous les bruits qui veulent pénétrer ta maison
De façon un peu précaire

Ma fille,
L`histoire est un petit son
Qui ne veut pas s`arrêter
Quand on dépoussière un ancien verbe

 

Ce liquide qui sort du bois de chêne
Est une rumeur publique
Sous l`emprise des voleurs d`espoirs

Il est beau
Comme un reflet qui ne fuit pas
Quand l`avenir est passager

Camarade
Partir ne peut pas inonder ce siècle,
Car les promesses ne sont que des symptômes d`excuses
Purement maléfiques

Il faut lutter
Jusqu`au fond de l`aube
Pour atteindre la lumière

 

Bitho faustin, La Musique en Liberté.