Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours

Ce livre ouvre amplement une porte sur une littérature méconnue en France et dans toute la francophonie européenne, en général.

Mais peut-on parler de littérature quand il s’agit seulement de poésie ?

Quand Dany Laferrière, déjà doté d’un prestigieux Prix Médicis, mais pas encore Académicien français, présida la Biennale de la poésie à Liège, en 2012, il se prétendit honoréd’être reçu par des poètes. Ce n’était pas langue de bois, car, précisa Dany : « Dans mon pays, ce qui compte avant tout, c’est la poésie… et je ne suis que romancier. J’espère que votre invitation m’apportera un peu de prestige en Haïti. » Sous l’évident humour, perçait aussi une vérité culturelle, car la poésie semble reine en Haïti, comme elle pourrait redevenir reine, un peu partout, si, du moins, chacun y mettait les moyens.

Et encore, l’auteur de L’énigme du retourn’évoquait-il pas la poésie créole, à laquelle se consacre la présente anthologie. La langue créole, qui servit, au quotidien, à la résistance aux Duvalier, et qui continue son parcours d’impertinence et d’humour, sous des régimes guère plus fameux, est, ici, honorée. Le créole semble, en effet, de plus en plus respecté, répandu, écrit, lu et chanté… et cette lampe semble bruler pour la démocratie.

 

Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours, Actes Sud, Les ateliers du jeudi soir, Arles, 2015, 188 pages., 22 €.

 

`On aime que les anthologies soient bilingues. Non seulement parce que l’œil peut mesurer, de la page de gauche (où siège le poème originel), à la page de droite (où s’esquisse la traduction), le voyage linguistique, toujours incertain, qu’ont dû effectuer les traducteurs, mais aussi parce que, ici, en l’occurrence, la langue créole procède d’une oralité jubilatoire, que tout usager du françaispeut, au moins, percevoir : Ant lapli ak soleyi (entre la pluie et le soleil) / Ant domi ak je klè (entre le sommeil et la veille) (…) / Kilès mwen pi pito ? (ce que je préfère ? ) / Mon chè  m pa vlè ni yonne ni lot (mon cher, je ne veux ni l’un ni l’autre /)… (Extrait d’un poème de Kettly Mars).

Je n’ai rien du spécialiste de la langue créole et je connais mal la littérature haïtienne. Je parle, donc, en amateur, en découvreur. Je ressemble au lecteur que ce livre cherche. Il m’est donc impossible de discuter le choix des poètes présentés. Mais, son processus de construction a tout pour me rassurer, puisque ce sont quatre lecteurs et traducteurs qui ont uni leurs forces : de quoi diminuer, tout de même, les partis-pris et les copinages.

Ensuite, on lira ici des extraits de trente-neuf poètes, pas moins. À l’évidence, cela ouvre un champ large même si (à l’évidence aussi), on ne peut gouter qu’une bouchée de chaque poète.

À la fin, le lecteur gourmand et bousculé sortira de cette anthologie, avec un appétit de découvertes. Cette pléthorique entreprise, loin de l’avoir saturé, le conduira à aller plus avant. Car la poésie créole d’Haïti est à la fois terrienne et envolée, militante et naïve, toujours surprenante. Un fameux livre, donc, qui en appelle d’autres, à venir.

 




Legs et littérature n°8

Legs et littérature n°8
Revue haïtienne
Spécial Marie Vieux-Chauvet

 

Ce numéro 8 de Legs et Littérature  entièrement consacré à l'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet, regroupe dans la première partie,  huit articles autour de ses principaux romans, révélateurs de son engagement et quelques réflexions sur les personnages féminins importants ; une partie est consacrée à deux portraits de l'écrivaine ; une autre présente chacun de ses romans ; dans la partie « création » de la revue, chacun des auteurs présentés rend hommage à l'écrivaine, et enfin des repères bibliographiques sont donnés en toute fin.

 

Est-ce un hasard si un jour, Legs et Littérature m'a demandé une première contribution à leur toute jeune revue (née en 2013) ? Mon attachement pour la littérature des Caraïbes était déjà ancien, et celui pour Haïti m'était venu à ma découverte de l'oeuvre de Frankétienne pour laquelle je me suis vite passionnée. Grâce à un ami haïtien, j'ai pu lire ensuite René Depestre, Lyonel Trouillot, Dany Laferrière, Marie-Célie Agnant, puis Stephen Alexis, Yanik Lahens, et dernièrement Mackenzy Orcel et James Noël.

Frappée par la luxuriance de cette langue colorée et si vivante, qui savait apporter des images fortes et réinventer une langue, c'est sans aucun doute Marie Vieux-Chauvet qui me l'a rendue encore plus proche.

Legs et littérature n°8, Revue haïtienne, Spécial Marie Vieux-Chauvet. 

Et j'ai donc proposé ma lecture du chef-d'oeuvre, Amour Colère et Folie, son oeuvre la plus lue et la plus contestée aussi, pour ma deuxième contribution à Legs et Littérature. Parce qu'elle portait une dimension féminine de révolte et d'engagement, sensible à la condition humaine des plus pauvres et aux drames sociaux,  non, ce n'était pas un hasard ; toute ma réflexion et mon intérêt pour la littérature tourne depuis toujours autour de cette thématique entre Parole et Silence et ce, dès mes premiers travaux à l'Université, notamment sur Camus et ensuite dans mes propres écrits.

Comme le rappelle Carolyn Shread, dans son éditorial à ce numéro spécial consacré à Marie Vieux-Chauvet, ma réflexion lors de ma contribution à ce numéro (dans mon article Engagement et résistance dans Amour Colère Folie) s'est en effet concentrée autour de la parole de  Marie Vieux-Chauvet, celle qu'elle a osé prendre par l'écriture de fiction pour dénoncer la violence de la dictature de son pays. J'ai voulu souligner  le courage et l'audace dont relève son écriture tourbillonnante, un courage et une audace qui pourtant lui ont valu  bien des ennuis et querelles familiales et sociales.

Cette parole qu'il fallait oser prendre, pour dénoncer, a son corollaire, le silence et Carolyn Schread le souligne dans son éditorial. Un silence dans lequel la plupart plongeait pour se cacher et d'autres pour mieux réfléchir. Un silence qui est fait d'abord de la terreur portée par la tyrannie de la dictature mais un silence nécessaire parfois  pour demeurer serein au milieu des tempêtes. C'est de ce silence à soi (comme on a une chambre à soi...) pour contrer la violence et la peur, auquel Carolyn Schread fait référence à propos de Marie Vieux-Chauvet,  non que la peur ne l'ait jamais atteinte bien sûr mais le besoin de dire était bien plus fort.

- Le premier article s'appuie sur la Correspondance entretenue entre Marie Vieux-Chauvet et Simone de Beauvoir. Son auteur, Kaïama L. Glover voit en l'écrivaine  une théoricienne sociale, orientée vers « une critique féministe des sphères privées et intimes » que la publication de Amour Colère et Folie, grâce à Simone de Beauvoir fera entrer Marie Vieux-Chauvet chez Gallimard en France. C'est en effet une femme courageuse qui devait faire face à la domination masculine (son mari y compris) et celle d'un pays aux prises d'un dictateur et « en tant que bourgeoise, mulâtresse, femme et écrivain, Marie Vieux-Chauvet se situait dans l'oeil du cyclone sociopolitique qu'était l'Haïti de Duvalier, écrit Kaïama L. Glover.

 

Son livre devait se vendre et être lu, c'est ce qu'elle souhaitait plus que tout au monde même s'il était cause du malheur qui l'entourait et l'a conduite à l'exil. Elle dut se résigner à écouter son mari et récupérer le stock, le détruire après que plusieurs membres de sa famille ait été assassinés.
L'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet est une critique radicale de la société haïtienne et cette critique socialeest  au fondement de l'ensemble de son oeuvre romanesque

« Claire, entre conformisme et révolte », article de Ulysse Mentor, propose une lecture de la trilogie Amour Colère et Folie,orientée vers un des personnages principaux « silencieux » et complexe, celui de Claire, héroïne du premier récit Amour.Ce personnage mutique dont la révolte contenue explosera dans l'acte meurtrier en toute fin, est une femme dont la colère est également la résultante de passions intérieures puissantes,  révolte contre l'autorité parentale, amour incestueux et inavoué qu'elle éprouve pour son beau-frère, désirs puissants d'exister  et qui voient triompher dans le dénouement la dimension politique du récit.

L'article  intitulé « Les Rapaces : un choc salutaire pour les consciences » de Marc Exavier propose une réflexion sur le roman Les Rapaces paru en 1986, ouvrage posthume qui revient sur les monstruosités du régime Duvalier. On y voit toujours ce combat de Marie Vieux-Chauvet pour dénoncer l'injustice et la misère sociale dans un désir profond de réveiller les consciences.
Les Rapaces dénoncent ces chefs qui ont tous les droits et laissent mourir de faim les enfants. Roman saturé d'horreurs mais dans une écriture toujours juste.

- Dans l'article de Max Dominique, il est question de trois héroïnes  Lotus (dansFilles d'Haïti), Rose (dans Colère) Claire (dans Amour) mais aussi de Marie-Ange (dans Fond des nègres) et Minette (dansLa Danse sur le volcan).
Il y  est rappelé en particulier combien l'écriture romanesque de Marie Vieux-Chauvet a pu scandaliser  et « dissipe l'aura d'espérance et d'utopie que soulevait par exemple le lyrisme de Roumain ou l'imaginaire follement optimiste et baroque d'Alexis ». C'est que c'est une écriture qui oppose une volonté de résistance et de lutte dans l'espace privé et social des personnages.

- Yves Mozart Réméus s'intéresse dans son article La danse sur le volcan : entre histoire, fiction et féminismeà la manière  particulière dont Marie Vieux-Chauvet  a choisi de réécrire le récit de vie d'une actrice haïtienne (Minette) et la dimension idéologique de ce choix de l'auteur dans le contexte de l'histoire d'Haïti, au XVIIIe siècle à St Domingue sous la domination colonialiste, Minette incarnant alors un personnage « à la frontière de la scène et de la résistance ».

la comédienne fictive, à la différence du personnage historique, est consciente qu'elle peut se servir de l'art comme d'une arme », ainsi si la véritable Minette pouvait refuser de jouer des pièces locales en créole et préférait le Français, de « bon ton » (selon le récit historique qu'en a donné Fouchard), la Minette de Marie Vieux-Chauvet « fonde sa position sur son respect de la dignité des Noirs. 

La distance que prend l'auteur dans son roman vis-à-vis des récits historiques se traduit par une image plus positive de la femme et des métis.

Elle permet aussi de donner à ce personnage réel, un nouveau destin, celui d'une femme bien plus libre encore qu'elle ne l'était, d'une liberté qui aurait atteint à l'universalité, à quelque chose de plus grand qu'elle.

-Jean James Estepha dans son article intitulé La maison : lieu de refuge et de combat dans l'oeuvre de Marie Vieux-Chauvet s'intéresse aux lieux et propose une grille de lecture de ce lieu qu'est la maison,  point de départ dansAmour, Folie  etLes Rapaces, de toute révolte, à la fois  lieu de refuge pour se cacher et se libérer et  lieu de combat et de résistance. « Comment une maison peut être non seulement le lieu où l'on construit une œuvre mais aussi le lieu où l'on peut détruire une autre ».

-  « Violence, refoulement et désir dans Amour et Colère »titre l'article de Dieulermesson Petit Frère, lequel analyse la psychologie des personnages féminins pris en étau entre une éducation rigide et féroce et des désirs de liberté légitimes en regard de leur histoire sociale. La violence tant sexuelle que physique sourd de ces pages lumineuses, contenue et étranglée qu'elle est  par la force de ces désirs de liberté et de vengeance. Elle naît  de l'humiliation et de la frustration (amoureuse par ex pour Claire dans l'amour qu'elle a son beau-frère, dans Amour). Ainsi comme le fait remarquer l'auteur de l'article, la violence n'existe pas seulement dans le camp des bourreaux et elle accompagne la révolte. Dieulermesson Petit Frère souligne ici la violence qui traverse l'écriture de Marie Vieux-Chauvet pour exprimer la défaillance de la justice et ces sentiments de vengeance qui sourdent d'un passé lointain.

Les deux portraits sont rapportés par Dieulermesson Petit Frère dans « Chronique d'une révoltée », « auteur qui dérange et parfait symbole de l'écriture du roman moderne haïtien » et une rencontre entre Marie Alice Théard et Jean Daniel Heurtelou, neveu de Marie Vieux-Chauvet.

Dans la partie création :
-Le récit tendre de Serghe  Kéclard : un amoureux des livres  nous raconte son rêve de rencontre avec l'auteur et sa passion amoureuse pour l'oeuvre et la personne de Marie Vieux-Chauvet,

 

-Un poème de Iména Jeudi (auteur publié aux Editions Temps des cerises) : « Vivre est en moi frôlement de vertige cohorte de soupirs qui font signe d'avancer dans l'acte net des ombres arrêtées en flagrance de lits d'orgasmes en délits d'infinies défaites » (extrait deFaillir propre),
-un billet à Marie Vieux-Chauvet signé Marie Alice Théard, une lettre à Marie, signée Mirline Pierre.

L'année 2016 a mis à l'honneur Marie Vieux-Chauvet, pour le centenaire de sa naissance, lors de la vingt-deuxième édition du festival « Livres en folie », l'événement culturel le plus important en Haïti,  après de longues années de silence  après sa mort.

 




Navia Magloire, Je suis tout un Peuple Labyrinthe, Inédits

Carlo Sarrabezolles - statue de la victoire à Hell-bourg, Hauts de la Réunion.

 

INTERVALLE  

 

Ce nègre de l’après,
le nègre sans souillure
Avec ce petit air mélancolique creusant son sourire
il sillonne les alentours mordant dans le vide
on dit qu’il est atteint du mystérieux
ce mal du pays lointain
Dans mon pays à l’intérieur de ces terres
intranquilles et sans maître
les fous portent le mal de cet ailleurs lointain
quand ils se donnent d’interroger
leur toute première errance

in "Je suis tout Un peuple Labyrinthe", Inédits

 

 

DÉESSE  

 

Que devrais-je répondre si on me demandait

comment je me porte

à toute réponse les mots s’enlisent

et parfois ne viennent pas

Que devrais-je répondre si on me demandait

ce qui donc m’habite

devrais-je leur dire que le murmure inlassable

d’un pays perdu m’agite

Que devrais-je dire si on me demandait pourquoi

tant d’intranquillité vogue dans mon âme

l’amertume accompagne l’aurore et laisse tant de chaos

je suis fille de ce chaos, fille des terres initiées

mais le vide est insalubre

Ô Déesse, remplis moi de vents 

in " Je suis tout Un Peuple Labyrinthe" , Inédits  

 

 

 

 INTEMPÉRIE

 

Et nos rêves ont été toujours différents

vers le lointain nous portons nos gémissements

vers le lointain nous destinons nos joies

l’île, dans sa toile d’araignée

rêve de la grande mer 

elle rêve de retour

sa solitude si profonde fait écho

et le peuple abimé dans son gémissement

s’agenouille devant un dieu agonisant

Et nos rêves seront différents

nous rêvons de rêves difficiles

de rêves humains, de rêves banals

Vers le lointain nous portons l’avenir

et face à la mer, moi

j’aurais aimé naître ailleurs

in " Je suis tout Un peuple Labyrinthe " Inédits

 

 

ENTRE DEUX MONDES, CET AIGLE

 

Je finirai éparpillée aux quatre vents

livrée à l’errance

Dans l’ombre inhabitable, au bout de ma fatigue

tout ce vide en moi

Mes pieds ont marchés contre des vents inconnus

Et à présent je préfère l’errance aux nuits sans âmes

de ces mondes

Ici prend fin une grande descendance 

en recueillant le pollen de mes semelles

je me souviens de leurs pères, ces demi dieux

qui dansaient dans le bégaiement du vent

jusqu’à transpercer l’obscurité.

in " Je suis tout un Peuple Labyrinthe", Inédits

Mario Benjamin.




Murièle Modély, Extraits de Penser maillée

Ti fille gomé

 

mon main mon zyé mon pié
tout’ lé gomé
mi avance pu
mon pié mon zyé mon main
tout’ lé noir
dans lo fénoir zot i domand a moin
kissa la pose la kolle pou ou ti fille ?
kissa ?
kissa la gome a ou kom ça ?
mi répond a zot
la lang
la lang la gome a moin
la lang la efface a moin 
la cole mon peau
la cole mon main
sul papié blanc
dodan son grain

                    ***

demand pa moin tradui, mi gingnra pas
dan mon tet, nana deux zoizo
un lé blan, lot' lé noir
zot i tuit tuit matin lo soir
un coup i vien, un coup i vien pas
lé deux colé i rod chaper 
dossu mon lèv dodan mon voix
ni ou ni moin i sa atrape sa

 

 

                    ***

kroi pas zoizo la i habite ladan depui lontan
le nid té vide le zeuf té blan
dodan mon bouche té sen la mort
tout’ mot posé té fé décor
mi té fé pas semblant
mi té domand solment kissa
kissa la mét dan mon tet
que lo zoizo, lo blan lo noir
té gingn pa viv ensemb
té gingn pa chant ensemb
té gingn pas emmailler
mot effacer avec mot gomé
kissa ?
ou mém ti fille, ou mém
débrouill’ si out langage lé pas normé
ou lé
ou même ti fille
ou même

                   

                    ***

Petite fille poisseuse

 

mes mains, mes yeux, mes pieds
sont tout poisseux
je ne bouge plus
mes pieds, mes yeux, mes mains
sont noirs
et ils me demandent dans l’obscurité 
qui a « posé la colle » pour toi
qui ?
qui t’a sali comme ça ?
je leur réponds : 
la langue 
la langue m’a empoissé
la langue m’a effacé 
elle a collé ma peau
elle a collé ma main
sur le papier blanc
jusqu’au cœur de sa trame

                    ***

ne me demandez pas de traduire, je n’y arriverai pas
dans ma tête, il y a deux oiseaux
l’un est blanc, l’autre est noir
ils pépient du matin jusqu’au soir
parfois tout est clair, d'autres fois non
les deux oiseaux empêchés cherchent à s’échapper
de mes lèvres, dans ma voix
mais ni vous ni moi 
ne pourrons nous saisir de ça

 

                    ***

ne croyez pas que ces oiseaux habitent là depuis longtemps
le nid était vide, les œufs étaient blancs 
dans ma bouche cela sentait la mort
tous les mots posés étaient comme un décor
je ne faisais pas semblant
je me demandais seulement qui
qui m'avait mis dans la tête
que les oiseaux les blancs, les noirs
ne pouvaient vivre ensemble
ne pouvaient chanter ensemble
ne pouvaient emmêler
le mot effacer avec le mot « gomer »
qui ?
toi-même, petite fille
toi même
et tant pis si ta langue n’est pas normée
tu es
toi, petite fille
toi

   

                    ***

kan moin lété pti
mi té dor pa a k
oté 
koté momon koté papa
momon té di a moin 
« vien dor dan mon dos ti fille »
kel momon ici i ouv son po pour donn aou la place 
pou do lé pou do lo 
kel momon i écart' son poumon pou ou rest pas tou sél 
mon momon kom tout momon la ba 
i té donn a nou in kouto pou koup' la po 
pou tyé la mort pour tyé la pér 
pou pas ramp' tout sél dan lo fond lo cirque
pour koup' koup' lo chén i empech' tien dobout 
tout' po noir té dwa pesé com i galé dan lo fénoir
depui moin lé momon mi koup' moin aussi un bout d'po dessu mon rin
tou lé soir mi mét' mon marmaille dodan
et kan mi sa ferm mon zyé
mi koné zot i rév zot i march 
zot i tien droite

                   

                    ***

quand j'étais petite 
je ne dormais pas à côté 
de maman, de papa
maman me disait
viens dormir dans mon dos, ma fille
quelle maman ici ouvre sa peau pour te faire de la place
pour t'offrir du lait, de l'eau
quelle maman écarte ses poumons pour que tu ne sois pas seul
ma mère comme toutes les mères là bas
nous donnait un couteau pour couper la peau
pour tuer la mort, pour tuer la peur
pour ne pas ramper seul au fond des cirques
pour rompre la chaîne qui nous empêche de tenir debout
toute peau noire se doit de peser comme une roche dans l’obscurité
depuis que je suis mère, je coupe moi aussi ma peau au dessus de mes reins
tous les soirs, j'y mets les enfants
et quand je vais fermer les yeux
je sais qu'ils rêvent, qu'ils marchent
qu’ils se tiennent fiers et droits

                    ***

Dans l'île

Le rouge est plus rouge
Le rose est plus rose

Le soleil ne fait pas plisser les yeux
Il se ramasse, s'enroule
Et se jette d'un bond
Sur les feuilles
De combavas
De vacoas
De badamiers
Il instille son sang
Chaud, pourpre, parfumé

Les couleurs franches
Épaississent la sève et donnent
Ce rouge plus rouge
Ce rose plus rose
Qui déchirent le regard 
                                           d'un coup de sabre

L’œil comme une goyave fendue
Pleure des grains dorés dans une mer fuchsia 

Extrait de Penser maillée, éditions du Cygne, 2012

 

huître

 

quand nous mangeons de la langue 
quelquefois
                    banale
                    plate
la bouche fuit

mon kaf do lo
mon kafrine do fé

ce ne sont que des mots pourtant
les enfants s'y accrochent, comme à l'eau du ruisseau

c'est qu'ils ont eu cinq mille huit cent quarante jours
pour expérimenter différentes techniques de pêche

et ils se dressent 
sur la butte de mes joues

le regard concentré
                        impavides
                        immobiles
à tenter à mains nues
à la lance
à la ligne
de saisir une à une
toutes les perles cachées entre mes valves

Extrait de Feu de tout bois, Délit buissonnier n°1, tiré à part de la revue Nouveaux Délits

 

 

le poème est comme une tignasse crépue qui t’embrouille la tête
comment dire koman kozé
out poèm i galop i galop com in bébéte sovage
out lang la sienne 
t’entraînent au fond de l’eau dans un écheveau d’algues
out sévé sec maillé 
tu te demandes où trouver le soleil naufragé 
les mots, ces gros galets, et les vieux bouts d’épave

Extrait d’un ensemble inédit

Un jour 

Il faudra bien
Que j'éructe l'exil
Que je cesse
De considérer
La fuite
De l'île

Hors de peau
Hors des miens
Hors de mon
quotidien

Il faudra bien
Que j'écarte
Des côtes
Les bords francs
De la plaie
Que je laisse le sang
Ou les larmes couler

Ou mon cerveau
Qu'importe

Que mon corps
S’investisse
Que je cesse
De dire
Vissée au
Continent

Il faudra bien 

Un jour
Enfoncer la canule
Que le bout d'île
Explose

Que je m'enfonce nue
Dans la mer ou l'instant

Ou la répétition
Qu'importe

Que le crâne
Se fende
Que gerbent en continu
La bouche et le volcan 

Extrait de Penser maillée, éditions du Cygne, 2012




Esther Nirina : Rien que Lune

 

Esther Nirina : Rien que Lune

(Œuvres poétiques)

(Éditions Grand Océan, Saint-Denis de La Réunion, 1998)

 

L’œuvre d’Esther Nirina, poète malgache d’expression française dont les poèmes se trouvent ici réunis en une édition collective, se veut l’“Histoire simple/ D’une blessure absolue”, celle de vivre et d’œuvrer dans la déchirure du Monde. “Sitôt né, le mortel se trouve inscrit dans les intervalles du Monde, de soi à soi-même, à autrui, aux choses ; et du Monde à soi” (Philippe Forget). L’existence est un perpétuel travail de remontée et/ou de passage du gouffre pour celui ou celle qui refuse la dilacération et l’anéantissement — l’aphasie. La femme assume peut‑être, en tant que telle, en tant que prolongement incarné de la Terre matricielle et génitrice, un risque plus abyssal encore.

 

Mais seule…
Une femme seule
Dedans son abîme sans fond
Monte une échelle invisible
Au rythme…
De sa silencieuse respiration.
 

 

ville Schoelcher, Arbre de la liberté. 

Elle ne doit compter que sur son propre “rythme” qui est sa “respiration” et le battement de son cœur, la scansion aussi de la “simple voyelle”, labile mais indestructible, qui naît de son souffle expirant puis s’enflant à l’orée de sa bouche. Et tout cela doit porter la voix jusqu’au mot, au mot nécessaire pour achever “la traversée”, pour unir “ici” et “là-bas”, pour atteindre “l’autre rive”.

 

À mi-chemin du pont
Où vacille l’image de l’autre
Trouvez-moi le mot
Qui mène à terme la traversée
Avoir ainsi pour premier jet
L’hybride né du langage
D’ici et de là-bas 

 

« L’autre rive » n’est pas l’outre tombe, « l’autre » n’est pas l’étranger mais « le livre sans écriture » , la face cachée et séparée du Monde, d’autrui, dont il faut assumer et réduire l’intervalle. Ô paradoxe ! Par le verbe et l’écriture. Et « la simple voyelle » , qui donne son nom au premier grand mouvement de l’œuvre, est douée alors d’une extraordinaire responsabilité : elle, qui distingue seule « l’amour » de la « mort » , est vouée à l’infini et incessant ravaudage de notre vie, tissée à égalité d’élan, de désir, d’osmose, de mouvement et de repli, de déréliction, de destruction. Cette « voyelle » tient et unit, tout en les disjoignant, les extrêmes ou les opposés- « la vie de mort » qui est une vie suractivée dans et par la mort, féconde dedans la vie. Le feu qui symbolise cette aliance déchire et sourit, il brûle et apporte la paix.

Sourires aux flammes paisibles

La vie de mort
Se filtre dans le creuset
Scrutant la trace des trames
Elle ne défend pas une cause
Mais la cause demeure dans sa voix 

Mes filons brûlent de ce feu-là. 

Telle est l’humble transcendance qui naît de l’essor humain, de son feu vif et pâle, “respir” et rythme d’un cœur‑&‑âme vivant comme une tenace respiration qui maille et parle. Mais Esther Nirina veut croire aussi en celle qui descend des cieux, en la transcendance du Père dont elle est parfois tentée de douter, surtout quand elle pense, avec un serrement de cœur, au sort (colonial puis “tiers‑mondisé”) de son “peuple oublié de l’Histoire” réduit “à l’état d’homme à moitié”. Toutefois elle se ressaisit et s’ouvre alors pleinement à la verticalité de l’“éclaircie”, symétrique ailé et inverse du gouffre, où le “silence” devient tolérable car, actif, il n’est plus aphasie mais contemplation.

Acte du silence
Durée d’une éclaircie
Où règne
Le visage vivant
De Dieu.

Ce “visage” délivre de la peur, de toute peur, et il rassemblera les contraires dans l’unité de l’amour. L’autre, le Monde et le moi, portés par la “simple voyelle” qui pulse et chante, s’unissent à la “consonne” qui est la dureté du squelette, de la structure qui arrête et fige, de la loi et le principe même de l’harmonieuse consonance. Il en résulte une “Multiple solitude” (titre du second volet de l’œuvre) où le soleil, la lune et les paysages du pays natal composent avec le Monde et les autres un monde habitable, unitaire et solidaire malgré la solitude toujours présente et menaçante. Dans “le miel du jour”, grâce à l’alternance pacifiée du “flux et reflux”, la “Maison” est aussi “une tombe invisible”, utérine et céleste. (L’on peut penser ici à la proximité singulière, respectueuse et affectueuse, parfois teintée de crainte, qui caractérise le rapport des Malgaches à leurs morts — dans son livre, Esther Nirina évoque ses père‑et‑mère — et à la mort : cette dernière a droit au plein jour, au soleil.) Il suffit désormais d’accompagner la “Lente spirale” (titre du troisième moment de cette édition collective) qui est, à la fois, la lente remontée de l’abîme qui se poursuit et son prolongement aux cieux, épanouissement dansé, scandé, chanté. Musique et soleil deviennent à leur tour multiples, les contradictions et les déchirements s’apaisent.

 

Pascale Monnin. 

J’écoute ce que dit en moi
Mon autre. 

Consonne
Avec les voyelles 

Solitude
Qui se conjugue
Au pluriel 

Tout dans ce bémol
Est je
Avec nous 

Il nous donne
L’entrée du temple. 

La “Maison” et/ou la “tombe invisible” deviennent “temple” : lieu mesuré et immense, libre et cerné, multiple et un où s’établit une communication verticale, solitaire et plurielle, entre l’abîme de l’intervalle et celui de l’ouvert, entre la mort et la (re)naissance “Par débordement/ D’amour”.

           




Jean D’Amérique, Notes sur un chant…

Pascale Monnin, Danser le chaos. 

notes sur un chant

 

si tu entends une voix

c’est la boue qui fait chant

il y a longtemps

que le mât des cœurs s’est couché

pour compléter la poussière

 

les fleurs sous l’orage des ombres

de vies et de rêves débordent les sébiles du néant

comptées ne peuvent être les plaies

pour une ville élue au bal des charognes

si tu entends une voix

c’est la boue qui fait chant

c’est la boue qui dicte

la tombée d’une dernière étoile

 

le petit point bleu là-bas

on veut bien encore l’appeler ciel

le petit point bleu là-bas

c’est l’espoir

nom vaillant de la lumière à venir par les routes barbelées

météo de l’aube prochaine à sortir des touffes d’épines

le petit point bleu là-bas

c’est l’espoir

regarde autour

les balles gravitent

 

 

 

 

le sang des règles

 

passeport invalide

je trace ma route du sang des règles

entre mes jambes c’est la discorde

la déraison coule à flot

à cheval sur trébuchement d'arrache-pied je travaille

sur la mise en marche

d'un pas incertain

 

être sur la même longueur d’onde que les autres

magnétisme étroit qui n’attire pas

mon corps plongé dans le grand large

 

barbelés réunis en bloc autour des ailes

les murs constituent une science dure

que tout humain doit faillir à pratiquer

 

semblable aux chiens de Port-au-Prince

ces infidèles

heureux enragés qui vont sans maître

saluer l’errance

 

tombent les panneaux

les feux se signalent à mon imprudence

comme une mosaïque à embrasser sans frein

patrie blessée à volonté

du sang des règles je trace ma route

 

 

 




Jean Métellus, ou le réveil des mots

Jean Métellus, ou le réveil des mots

 

L’homme Jean Métellus était entouré d’affection et son œuvre, sur la fin de sa vie, a bénéficié d’une vraie reconnaissance. Mais a-t-on vraiment lu sa poésie et pris la mesure de la force et de l’originalité de sa démarche ?
Né à Jacmel, il vient d’une île qui ne manque pas de poètes ; parmi lesquels beaucoup se distinguent par l’authenticité et la qualité de leur œuvre. Lui-même, qui avait fait le choix d’écrire en français, se situe dans l’histoire non pas seulement de la poésie d’Haïti mais de la poésie en langue française, et singulièrement de celle des Caraïbes.

Pascale Monnin, Danser le chaos.

Les Haïtiens ont leur propre histoire littéraire et la Négritude n’est pas à proprement parler née sur leur île. Ce qui se comprend car, étant héritiers de la première révolution noire, ils avaient en quelque sorte une « longueur d’avance ». Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils aient été indifférents à ce vent nouveau qui arrivait des Antilles françaises et d’Afrique. Beaucoup de poètes d’Haïti n’hésitent pas à dire ce qu’ils doivent par exemple à Aimé Césaire.
Jean Métellus, de son côté, a exprimé son attachement à la figure d’un autre des initiateurs de la Négritude, souvent laissé un peu de côté et resté longtemps sans être réédité : le Guyanais Léon Gontran Damas. Il lui consacre le premier poème de son livre Voix nègres, voix rebelles, voix fraternelles, le nommant « cher Maître, mon aîné ».  Ce qui le rapproche de Damas, c’est d’abord un même combat contre l’aliénation entretenue par le colonialisme, aliénation qui fut au centre de l’œuvre d’un autre médecin, Frantz Fanon :
 

Tu as stigmatisé le snobisme  du nègre embrassant sa dénaturation
Du nègre oubliant qu’il est un nègre debout depuis deux siècles
Grâce à Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines

Mais, à travers cet accord sur le fond, sans doute se sent-il aussi proche de lui  du point de vue de la forme poétique elle-même. Dans le groupe des fondateurs de la Négritude, Damas se distingue par sa simplicité, sa poésie directe refusant toute fioriture et son vers, rythmé, fortement influencé par la musique et le jazz. Or il y a chez Métellus la volonté, de plus en plus marquée au fil du temps, d’atteindre à la plus grande des simplicités. Ce trait est déjà manifeste dans les pages du Pipirite chantant. Bien sûr, les poèmes du Pipirite sont comme portés par les alizés, traversés par le chant et habité par la luxuriance de la nature et du vocabulaire des îles… Mais on n’est pas là dans l’efflorescence verbale et l’explosion d’images de la poésie surréalisante de Césaire. Au contraire… Dès les premiers vers, la recherche de la vérité du poète le mène ailleurs :
 

 

 

            Je cours jour et nuit après moi
            Viens bercer ma joie de retrouver
            L’horizon maternel du matin 

Il connaît « la condensation pure du verbe / vouloir étincelant » et sait qu’il doit par son métier de poète  « apprivoiser dans la bouche d’autrui tous les moments du verbe » (p. 33). Mais il ne s’agit pas de s’en enivrer… Son but est plutôt d’ « accorder sa passion au réveil des mots ». (p. 37)
Le poète n’est pas un plongeur en apnée dans les eaux profondes du sommeil et du rêve mais un être de l’éveil.
La poétique de Jean Métellus, tout en faisant large place au son et aux sens, est avant tout une poésie du sens, une poésie de la conscience.
Cette tendance profonde à l’œuvre dans son écriture se révèle avec une vigueur particulière dans Voix Nègres. Ce livre est un recueil essentiel dans son œuvre. Il l’a plusieurs reprises remanié et réédité, en en modifiant le titre à deux reprises au moins, pour y ajouter d’abord la mention « voix rebelles », (en 2007) puis « voix fraternelles » en 2012 ; ce qui n’a évidemment rien de fortuit.
Le recueil est constitué d’une série de grands poèmes consacrés à quelques-unes des figures essentielles du mouvement d’émancipation des Noirs, comme Martin Luther King, Lumumba, Mumia Abu Jamal ou Nelson Mandela. Et pas seulement des Noirs puisque prend place dans ce Panthéon Ernesto Che Guevara… car le combat pour la liberté des Nègres, ces « damnés de la Terre », rejoint le combat universel contre l’exploitation et l’oppression  et l’un ne peut aller sans l’autre.
Certains parleront de manichéisme…  C’est d’ailleurs ce qu’a fait le journaliste du Monde au moment de son décès, dans un article par ailleurs tout à fait élogieux. Mais le naturel est difficile à chasser… « Manichéisme », c’est toujours le reproche que l’on fait (parfois même sur le mode affectueux et un peu condescendant) à l’écrivain et au poète qui a clairement choisi son camp et a pris parti pour le peuple.

Or Jean Métellus était de ceux-là. Il n’a jamais oublié d’où il venait et pour qui il écrivait.  Médecin et écrivain, il avait recours à la parole, « recours au poème », pour guérir. Aider l’enfant dislexique, l’individu en proie à l’aphasie… aider aussi les peuples, l’humanité privée du droit à la parole. Plus qu’une arme, la parole poétique est chez lui parole-médecine.
Et c’est pour cela qu’il ne recule pas, dans ce livre, Voix nègres, devant les exigences de la poésie didactique, aujourd’hui  si décriée (mais que pour ma part j’ai aussi essayé de pratiquer dans Cause commune). Car celui qui ne cesse d’apprendre, ne doit pas craindre d’enseigner.
Ce besoin de dire (tout à fait à contre-sens d’une certaine idéologie poétique toujours dominante en France selon laquelle le poète ne doit pas « dire », mais au mieux « être dit » par les mots eux-mêmes) pousse, comme naturellement, à innover et à transgresser les formes.
Ainsi, dans Voix nègres, Jean Métellus bouscule-t-il la séparation habituelle entre poésie et récit, vers et prose ; un peu comme l’avait fait Nazim Hikmet, dans Paysages humains quand il avait entrepris d’écrire l’épopée du peuple turc.
Dans le poème, sans négliger le rôle que peut jouer à certains moments l’image, Métellus n’hésite pas à donner à son lecteur toutes les informations factuelles historiques et biographiques nécessaires à la peinture du portrait de ses héros, sans craindre le prosaïsme mais en l’utilisant pour en nourrir son chant. Il renoue ainsi avec la poésie narrative et historique. Et, ce faisant, je pense qu’il ouvre une voie féconde permettant que la poésie reprenne utilité et vigueur ; et qu’elle retrouve du coup un public élargi. C’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle de jeunes slameurs et rapeurs s’intéressent à son écriture.
Pour conclure, je dirais que tant du point de vue de la forme que du fond (qui, comme on le sait, ne vont guère l’un sans l’autre), Jean Métellus est vraiment un poète progressiste.
Jamais il n’a renoncé à la promesse de la poésie, d’être avant tout « un chant d’amour et d’espérance ».

 

 

Herve haiti, Télémaque.




UNE RENCONTRE TARDIVE ET INTENSE

Certes, je savais qu'il était un des premiers poètes et romanciers de langue française en Haïti : l'ultime lecture enthousiaste de Malraux, sur son lit de mort, avait été  « Au piripite chantant », son premier recueil dont l'ample parole bousculait une poésie hexagonale asphyxiée à l'époque par ses prétentieux laboratoires. Certes, depuis 2005, il assistait aux déjeuners parisiens du Journal des Poètes.

Malgré tout cela, Jean Metellus restait une figure  respectée mais lointaine. Jusqu'au moment où, en 2009, au Comité des Biennales de poésie, nous pensâmes à une double présidence symbolique : un poète qui aurait représenté le pays le plus riche du monde et un autre qui aurait été l'emblème du plus pauvre de la planète. D'un côté, Jimmy Carter ; de l'autre, Jean Metellus. On aurait ainsi montré que la poésie appartenait à tous, qu'elle était à la fois la force et la fragilité de l'homme. Souffrant à l’époque et éloigné dans l'espace, Carter, très gentiment, renonça à nous rejoindre. Jean, qui vivait depuis longtemps à Paris, accepta tout de suite.

Ce qui, durant sa présidence, frappa chacun fut une double et rare qualité : une humilité discrète confinant à la timidité et une extraordinaire attention à tous, pénétrée de la conscience du rôle à jouer. Metellus assistait à toutes les manifestations. Quasi vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sa haute silhouette de grand mammifère farouche, son regard ultra-attentif, sa bienveillance, la sûreté et l'économie de ses propos, tout cela en fit un président idéal,  humble devant la poésie. Homme de contact mais  d'une grande réserve pudique et dont même les silences parlaient.

A partir de là, nous partageâmes une amitié solide et fidèle. Il m'envoya ses travaux, jusqu'à son dernier livre, « Empreintes » dans lequel cet homme de la terre et des éléments chante l’ivresse vitale, faisant une dernière nique à une mort que, sans doute, il sentait venir. Tel Néruda, le poète vieillissant évoquait dans la jubilation ces « Odes élémentaires » qui, toujours, dans un langage bien à lui, le nourrissaient de leur sève.

Fin juin 2013, il fit l’effort de participer avec la fidèle Anne-Marie au déjeuner parisien du Journal des Poètes. Ses yeux fiévreux, son amaigrissement inquiétant en faisaient une manière de long papillon de nuit qu'on aurait surpris en allumant brutalement une ampoule dans le grenier où il rêvait .

 

Mémorial, par Josué Azor.

Jean n'est plus. A son propos, on pourrait évoquer ce qu'Andrée Chédid, autre grande  et belle figure des Biennales, disait de Guillevic : «  Chez lui, on aime et admire autant l'homme que l’œuvre ».

Il n'est pas fréquent, dans un monde poétique qui se refroidit, de croiser un tel porteur de feu. Et le chagrin de l’avoir perdu ne sera pas mince, car tout, chez ce grand poète, était intense et vrai.

 




Littérature et décadence, Etudes sur la poésie de 1804 à 2010

L'histoire de la poésie haïtienne est indissociable de l'Histoire littéraire et de la société haïtienne elle-même. Dans cette petite anthologie dédiée à quelques poètes majeurs et pour certains tout jeunes encore, Dieulermesson Petit-frère dresse un état des lieux de la poésie de son île en souhaitant mettre à l'honneur les plus anciens, oubliés et la génération montante afin qu'elle ne le soit pas. « D'aucuns affirment qu'au cours des deux dernières années, la production littéraire haïtienne a connu un tel rayonnement au-delà des frontières qu'on peut parler de l'âge d'or de notre littérature », nous dit-il,  et c'est sans doute pour dater et inscrire ce rayonnement qu'il s'est employé à  soustraire au silence ces auteurs encore trop méconnus.

Soulignant la prépondérance de la poésie dans le paysage littéraire, il rappelle ce que les auteurs doivent aux modèles de leurs prédécesseurs, s'appuyant en cela sur l'exemple de la littérature française et ce qu'elle sait devoir à l'héritage antique, mais insiste sur la nécessité de s'en  émanciper, car l'histoire est mouvante et chaque période a apporté son lot d'expressions,  engagées le plus souvent.
Une extrême fragilité - politique, économique, sociale, sans parler des « fléaux s'abattant sur l'ancienne Perle des Antilles », perdure depuis son indépendance, renvoyant injustement le pays à sa seule responsabilité face aux épreuves de toutes sortes. Ce pays de paradoxe, résiliant et fragile à la fois - devenu selon l'expression de Christophe Wargny « Perle brisée » - depuis dix ans, ploie sous le poids « d'une occupation voilée qui ne dit son nom, si ce n'est celui de créer des conditions pour maintenir le pays dans un contexte de dépendance continue en vue de freiner son développement ». Mais ne nous y trompons pas. Price-Mars, nous dit Dieulermesson Petit-Frère, définit l'Haïtien comme « un peuple qui chante et qui souffre, qui peine et qui rit, qui danse et se résigne ».
Et « Depestre eut à dire que la littérature haïtienne est au bouche-à-bouche avec l'histoire ».

Parce que la littérature, la poésie et la culture en général sont ce qui reste quand tout tombe, comme dit Dany Laferrière. L'auteur, par cette proposition de périodisation de la littérature haïtienne, souhaite faire un état des lieux en regroupant les auteurs dans une perspective historique, rappelant que celle-ci a bien été tentée sur les bases de critiques esthétiques, mais qu'elle suit vraisemblablement les secousses et l'évolution de l'île depuis son indépendance. Il la divise en quatre tranches ou périodes distinctes correspondant chacune  à un événement majeur suivant cet ordre :

-1804-1915 : pré-classiques, classiques et post-classiques
-1915-1957 : période indigéniste ou culturo-nationaliste
-1957-1986 : renouveau humaniste
-1986 à nos jours : époque contemporaine (post-Duvalier)

Au fil de ce déroulement, force est de constater que si la littérature haïtienne, pendant très longtemps, s'est  largement inspirée de la culture française, allant jusqu'à s'oublier elle-même, oubliant ses propres traditions, aujourd'hui la littérature mais surtout la poésie occupent une place majeure et vouée à une expansion dans le sens d'une réappropriation de son identité.
C'est une poésie engagée socialement, basée sur une forme d'imitation de la littérature française « pâle copie de la littérature française » insiste Dieulermesson citant des auteurs de cette période qu'il appelle « pré-classique » où tels des Dupré, Chanlotte, Dumesne, (et hormis les récits d'Ignace Nau)  s'adonnent à une imitation et une admiration obséquieuse des auteurs français du 17e et du 18e siècle où de l'idée même d'engagement

il n'y avait qu'une exaltation de la liberté et de l'indépendance, qui oubliait de parler de la culture et des traditions populaires d'Haïti.  Même si les écrivains avaient formulé des objectifs plutôt clairs et définis en optant pour une littérature qui exprime les réalités du terroir et prend la défense de la patrie et de la race noire, ils continuaient à patauger dans l'imitation plate et puérile des poètes français. 

Frantz Zephirin.

La seconde période est celle de l'« Indigénisme » ou culturo-nationaliste, avec 1915 comme plaque tournante de la réhabilitation de la culture nègre coïncidant avec l'occupation américaine : elle s'impose alors comme un repère, avec les œuvres de Jean-Price Mars, pour sortir le pays de ce qu'il appelle « le bovarysme collectif » (bovarysme défini comme « la faculté que s'attribue une société à se concevoir autre qu'elle n'est » )
Il s'agissait bien non pas de rejeter la culture française ou celle d'Amérique latine mais d'en continuer l'héritage et de travailler à trouver sa place, produire ses titres et faire ses preuves « travailler à créer l'homme qui vient, le citoyen de l'avenir, le citoyen de l'humanité, une humanité  renouvelée avec la poésie comme « fer de lance du mouvement indigéniste ».
Avec la Revue Les Griots, on voit un retour sur les valeurs africaines, « impliquant une vision du monde différente de la conception européenne » de 1938 à 1940 puis de 1948 à 1950 » dans le sillage de la Revue Indigène « une obsession manifeste pour la quête identitaire, le retour aux origines et le nationalisme culturel. »
La poésie de ces années-là était déjà une poésie engagée dans les problèmes sociaux et raciaux, sur la question du langage et au niveau politique. Le poète Camille Roussan ayant probablement « apporté une contribution considérable à la préparation littéraire de la révolution de janvier 1946 »selon Baridon, une poésie visant à dénoncer la mauvaise qualité de vie des Nègres et de l'homme en général.
Le poète souvent s'engage à dénoncer les injustices et les souffrances mais aussi à rappeler les forces comme dans ce poème de Carl Brouard qui appelle à « l'insurrection, le soulèvement et  la révolte ».
Autre date charnière dans l'histoire d'Haïti, 1957 allait marquer  « la consolidation du règne du pouvoir noir »suite à l'explosion du mouvement de 1946 et l'avènement de Duvalier,  issu des luttes entre Nègres et MulâtresDans ce contexte de fragilité et d'instabilité économique, l'arrivée au pouvoir de Duvalier va voir émerger le mouvement culturel de 1946.
En 1960 naît le mouvement «Haïti littéraire»,  et s'y déploie :

une sensibilité et une esthétique plaçant le sujet au cœur du discours poétique ». C'est « une poésie de résistance et de survie, d'espérance et de lumière, une poésie d'urgence qui marque la rupture avec l'indigénisme et ses implications.

Mais c'est aussi l'année où la dictature de Duvalier va se déployer et se durcir : « la révolution mange ses propres fils, la misère bat son plein et la censure règne en maître ». L'exil devient alors le palliatif à ce mal suicidaire. Les flux migratoires ne sont pas nés, comme on pourrait le croire, de cette période dictatoriale mais ont pris racine bien plus tôt, avec la première occupation américaine d'Haïti. C'est alors que naît une « littérature hors-frontière », littérature en diaspora où l'écrivain-migrant se confine« dans une sorte d'enracinerrance ou de destinerrance »(Jean-Claude Charles) et d'où naîtra le « Spiralisme » fondé par René Philoctète, J.C Fignoli et Frankétienne, « conçu comme une sorte d'esthétique du chaos, le spiralisme est né du refus d'enfermement et de la peur », et la montée en puissance des productions en langue créole.
Enfin, l'époque contemporaine : 1986 à nos jours.

Nasson, VirginMary.

1986 signe la fin du régime Duvalier et la libéralisation de la parole, et voit naître toute une génération d'écrivains, la plupart poètes, une génération appelée « Génération Mémoire », composée de Yanik Lahens, Lyonel Trouillot, Gary Victor, Jean-Yves Métellus, Gary Augustin, Marc Exavier, Marie Célie Agnant, Dany Laferrière, Joubert Satyre, Willems Edouard, et quelques aînés comme Frankétienne et Anthony Phelps, elle est regroupée autour de Rodney St Eloi, poète et directeur des Editions Mémoires,  maison d'édition née dans les année 90 et « ayant survécu sans subvention, avec la complicité des écrivains, et surtout la volonté d'accompagner le livre haïtien » ; réunissant ainsi deux générations qui dominent la scène littéraire haïtienne,  entre rupture et continuité, les générations littéraires se succèdent.
Dans cet essai qui occupe un bon tiers de l'ouvrage, la place des femmes n'est pas oubliée, alors que longtemps cette société patriarcale a surtout fait l'éloge de la gent masculine, reléguant la femme aux oubliettes de l'histoire, la cantonnant à des rôles de nourricières, voire pire de servantes ou de prostituées dans la littérature, et plutôt objet que sujet.  
Beaucoup de femmes cependant occupent le paysage littéraire d'Haïti, et depuis 1990, il y a une éclosion de la parole des femmes et une prise de conscience du fait qu'écrire ou peindre ne relève pas d'une activité genrée.

Parmi ces femmes écrivains,  on trouve Kettly Mars, Yannik Lahens, Margaret Papillon, Evelyne Trouillot, et surtout Edwige Danticat - mieux connue aux Etats-Unis qu'en France,  sans oublier Marie Vieux-Chauvet au roman si subversif Fille d'Haïti.
En conclusion de son avant-propos,  Dieulermesson Petit-Frère s'interroge sur la transmission de cette littérature dans les écoles qui n'incite pas à l'indépendance d'esprit ni à la création.

Ce panorama historique fort intéressant de la littérature et de la poésie haïtienne  permet d'entrevoir ce regard ambitieux et prometteur de Haïti en littérature et en poésie.

L'ouvrage contient également plusieurs essais dont certains ont été publiés ailleurs, essais que Dieulermesson Petit-Frère a consacré à vingt-trois auteurs des différentes périodes. Dans l'ordre d'apparition du volume, les essais concernent :
Coriolan Ardouin (1812-1835), « le poète des âmes mortes » à la sensibilité proche d'un Alfred de Musset ;  Auguste Bonel (1971) et la sensualité de son écriture  ; Gary Augustin ( 1958-2014) et l'écriture du songe ; Jeanie Bogart (1970)  « au cœur de l'intime » ; Roussan Camille (1912-1961) auteur du magnifique Nédjein  Assaut à la nuit, écriture de la douleur des opprimés ; Georges Castera, figure emblématique de la poésie haïtienne aujourd'hui, et de la génération Mémoire,  dont « l'écriture  poétique se veut une invitation au voyage dans les terres de l'orgasme » pour dire la violence et le mal-être de l'homme, le désenchantement du monde ; Pierre-Moïse Célestin(né en 1976) poète comme beaucoup « nés du séisme » auteur de « Le cœur dans les décombres » ;

Jean Watson Charles,« poète au souffle du devant-jour et à l'imagination trempée à l'encre toute chaude de l'été » ; Webert Charles, auteur de poèmes en créole et en français, de  Que l'espérance demeure, entre autres, et de  Pour que la terre s'en souvienne,  co-écrit avec Jean Watson Charles ; Anderson Dovilas (1985) « le poète d'outre-monde » ; Marc Exavier (1962), écrivain de la distance ayant choisi « l'isolement comme mode de vie – en se retitant du monde-il fait du livre son idole et sa raison d'être » -  grand érudit, poète de l'image et du rêve ; Yanik Jean (1946-2000) fait partie de ces femmes que la critique a censurées et dont on ne parle presque pas, bien qu'elle soit une grande figure de la création poétique contemporaine. Son roman La fidélité non plus  (Ed Mémoire d'encrier) est « post-moderne, féministe, transnational et mémoriel » ; Jacques Adler Jean-Pierre (1977) né sous la dictature, auteur d'une « poésie à l'oralité raffinée » : « c'est par la poésie que ce diseur à la voix aigüe fait son entrée dans la littérature » et qui s'interroge sur « les sens (l'essence) »d'Haïti. : « La poésie contemporaine n'est plus rêverie, elle est action, réaction, lutte pour la vie, la liberté » ; Ineda Jeudiné en 1981 présenté comme relève poétique créole, écrit en créole contre l'idée reçue que « en Haïti celui qui écrit dans sa langue maternelle ne peut être considéré comme écrivain à part entière », a publié notamment un hommage au poète Georges Castera ;

Charles Moravia (1875-1936), une poésie qui atteint à l'universel et déborde le seul paysage haïtien ; Mackenzy Orcelné en 1983 dit l'attachement à sa terre et écrit  « pour la dignité de son peuple »selon les termes de son éditeur Rodney St-Eloi ; Emmelie Prophète (1971) « poète de la ville, de l'espace et du bâti »,« poète aux marges de la nuit et du silence des corps » ; Magloire St-Aude (1912-1971), une des figures majeures de la poésie contemporaine, a collaboré à la revue Les Griots, « écriture qui fascine et émerveille » - lire son Dialogue des lampes ; Rodney St-Eloi« le passeur de mémoire », écrit le réel pour « atteindre à l'indicible »selon la formule de Juarroz ;  Georges Sylvain (1866-1925), écriture de l'intime, poésie subjective et sensible, nostalgie et souvenirs ; Marie-Alice Théard, galeriste et historienne de l'art, « poésie fièvre ardente » ;  Lyonel Trouillot (1956) « le bien-aimé, le dieu adulé de la littérature haïtienne », poésie riche en images, amoureux des grands espaces, des immensités ; Etzer Vilaire (1872-1951) poète trop méconnu, révélé par J.C Fignolé en 1970, enseigné depuis dans les écoles - a publié une œuvre majeure de grande portée politique, historique et littéraire. Lire son long poème : Les dix hommes en noir, et son récit poétique en 1659 vers  Le Flibustier.

Un essai passionnant, une découverte ou des retrouvailles à chaque page, pour notre plus grand plaisir, un ouvrage important dans son intention première.




Frédéric Célestin, Poèmes fonnkèr

Gran monmon, gran papa 1

Pou sat la fé La Rényon èk zot min, zot kor, dann tan lésklavaz.

Gran monmon

Gran monmon nout péï

            Aèl minm té dann karo zépiss, kafé, kann pou koupé, pou sharoyé

           Aèl minm té i joué maloya dann kan, pou fé viv muzik-là an segré

            Aèl minm la fé pouss son zanfan an réspé

            Aèl minm la bati sof koman inn ti kaz an boisoutol

            Aèl minm la fé roul sèrvis kabaré

            Aèl minm la toujour réspèkte son bann zansète

            Aèl minm la done lamour otour d’El

Gran papa

Gran papa nout péï

            Aou minm la gingn lo kou èk groblan

            Aou minm la fé out travay san ronflé

            Aou minm la manz la mizèr an brède lastron

            Aou minm viktime linjustise lo péï la pa kit rien po ou

            Aou minm la pri Bondié, malbar osi touléjour

            Aou minm la yinm out famiy dann tréfon out kèr

            Aou minm la toujour travay an dignité la vi

Kinm inn tipé la fine gingné,
Azot minm va fini par gingn réspé san tardé, sof koman… Réspé.
Pou Gramoun èk Madame Baba.

__________

1 - Ce poème est un hommage aux ancêtres qui ont fait La Réunion de leurs mains, leurs corps et leur sueur : esclaves et engagés.

 

 

Maloya à l’affiche 2

Kaf lé dobout
Kaf là na lo kor in Bondié
Kaf na la rokonésanse in péï

            Dann tan té i moung ali !
           20 Désanm la moun ali !

            La Négritude péïdéor
                             Aimé Césaire, Senghor, Damas, Fanon èk d’ot domi bondié konm zot minm.

Nou osi nou nana nout bann Domi Bondié, la travay plis 40 t’an po nou.
                       Isi lo tex la rant dann la mizik La Rényon an révolision i flanm partou.
                       Isi lo tex la sort sépa an fabl, an zistoir, an roman, an fonnkèr, an téat…
                       Nout bann Domi Bondié, nout bann zékrivin la fé in gabié gro travay pou nou.

Parlfèt !
              Nout manzé lé anlèr
                             Nout mizik ? Anlèr !
                                            Nout lang kozé ?

Amoin, m’vé nou viv an multiling !
Amoin, m’vé nou viv an réyoné i débrouy sanm détroi lang.
Tash manièr viv an multikolor !
Batay kont la vi an roklor.
            Nout litératur ? I fleuri jour an jour !
            Lékol ! in gran shantié !
            Nout manzé ! Partou ou i gingn manj ali.
            La télé : sof an kass lé kui sof an sobatkozé !
            La mizik tan k’ali la goute lansan Bondié !
            Nout lang dann biro ! Kréol lé là !
            Nout lang la radio ! Na son plass !
            Nout lang dann la famiy ! La pa toultan i transmète.

Maloya à l’affiche, kabar nout péï l’anlèr.

_________

2 - Ce texte signale la victoire du maloya à la Réunion (reconnu à l’UNESCO) et de la réhabilitation du Kaf (Cafres : Noirs de La Réunion et descendants d’esclaves) longtemps victimes de racisme, racisme non encore tout à fait éteint à ce jour.

 

Le cri de l’anarchie 3

          Su le mur papié journal konm dann tan lontan !
          Su le papié in tex Danyèl Waro : « pou mwin maloya ».
          In tète. In kor. Lo pié, la min, lo bra. Zidé i koul desi mon doi.
          Roulèr i atann rienk pou moin doné, moin pou moin fé valsé.
          In révoltèr èk pantalon san t-shirt.
          Inn po domyèl sof la tète k’lé tourmanté an gri, rouj, oranj, noir, blan kassé.
          Dobout par dsi roulèr, la min i souplingn, deu min ranpli zidé èk léspoir.
          I joué pi roulèr, sépa i kri an skizofréni, sépa i kri an psikoz, ousansa plito i shante èk
          la voi i sorte dann la poitrine, i anklansh le keur.
          Si la pa la maladi, alor shanté là i sorte dann kor, dann poumon, dann la poitrine,
          dann piédkèr. In gran kou d’pinsso rouj. 
          Rouj si torax, rouj si in koté zépol, rouj dann kolé.
          Rouj pou di par kèr la koulèr in parti. In parti diabolizé, mé in parti rouj la fé bonpé
          pou la Rényon. Rouj. Rouj.

           Quelle est cette gauche intellectuelle ? Cette gauche séduisante à en mourir.
           Quelle est cette gauche, cette gauche mystique et opaque pour la middle class ?

            Quelle est cette extrême gauche, à tout exagérer, même si dit quelque vérité programmatique.
            Fratrie ! Patrie ! Mondialisation ! Homogénéisation !
            Permanence de la différence inégalitaire ! Excellence de notre patience !
            La route est encore longue
            Anou départman Maxime Laope la bien di 
            « nou la rant départman, nou port pa nou plu mal ».
             Cette gauche régionale nous a portés en silence, a négocié avec endurance, n’a rien
             spolié, jamais en transe, avec une rigueur toujours de mise.
             « Gro larzan mé gro dépanse i fo i okip nout dévlopman ».
             Astèr i fo ashèv tué la mizèr ! Kraz la mizèr ! Tué le mo bezoin lasistanse !
             La fine tué pa mal, parapor sat nout bann zayeu la koni !
             La viann ? Kansa ? Kansa té i manj la viann ! Piosh pou koupe fatak, vétivèr, kann tou
             la journé, épisa kan i ariv pou manjé : dori, lo grin, sof in frikassé brède, sof in kanbar
             in konflor, inn patate douce, in maniok pou akonpagné. Ala sa minm pou manjé.
            Jordi la pi lo minm mizèr. Demoun i manj, i gingn bénié sanm dolo sho, i gingn inn ti
            lapartman pou rèst anndan, la poin pou di i viv dann shemin, i rèt vant vide.
            Merci à toi gauche salvatrice qui a gouverné notre région avec raison,
            Même si loin d’être construite est notre Maison. 

F.C. pou P.V.

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3 - Ce texte est un hommage à Paul Vergès, dirigeant communiste incontournable de la vie politique réunionnaise.

Batème maron, batème sakré 4

Konmsi pou lave tout lo bann péshé !
Konmsi pou ékout inn nouvèl voi !
Konmsi pou trass in nouvo shemin !
Konmsi pou gingn in bon déstin !

Oui, nou fane dolo si nout kor.
Na troi bak par déyèr pou gingn lav nout mortaj péshé !
Na dolo an poundiak pou lavé,
                                               Pou rinsé !
                                                        Pou pèrsé !
                                                                   Pou boir !
Lo kor panshé an avan, la tète l’apou garde atèr ! An réspé.

I lav lo kor !
                I lav lo kèr !
                              I lave léspri !

I lav anndan konm déor !

Dolo-là i klate si lo kor in promié kou, épisa i klak atèr !

Vèrse bak dolo-la mon Fra !

           Vide dolo là kabass la vi !

                       Mèt tousala bien prop

            Desi lo kor
                          Ansanm léspri
                                          Anndan konm déor lo kor.

Batème maron,
            Batème sakré.

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4 - « Batème » n’est rien de plus que « baptème » en français. L’eau, élément naturel essentiel à la vie, est à l’honneur. Baptème des marrons (esclaves en fuite dans les hauts de l’île), des spirituels avec les notions de purification du corps et de l’esprit.

 

 

 

Bon moun 5

Bon santiman, bon moun bien rékonsilié èk...            

Son jéografi

                       Son manjé

                                   Son mizik

                                               Son bann lang

                                                          Shakinn son matriss kulturel i fé ali.

Bien rékonsilié èk li-minm.

 

Pou FÉ IN PÈP AN TOUT KOULÈR

            Bien an réspé.

 

La tras lo konba pou la koz l’ankor là,

Konmsi tatoué si la poitrine.

                       Konmsi ankor niméroté dési zépol.

Lo rèv non pli la pa shapé, èk koté gosh an bulle i kontinié révé !

Li la tonm an akor èk li minm.

Regar fyèr, an fyèr batar minm.

La tète lé droite, bien pozé.

Tous les sens sont actifs

            Lo zié pou oir toudsuite, épila osi prépar toujour le demin, kèk soi le demin.

            Lo zorèy pou akoute la parol bann Gran, sat la fé nout kor, sat la fé nout léspri.

            Lo né pou santi in bon ti gato patate apo kui dann four monmon.

            La boush pou goute la lèv inn tégorine, an mièl i rant dann ron.

            La min pou toush kabas dsi zépol kan ou i anbrass ali pou di bonjour.

Na d’profane. Nad réspé. Na d’partaj.

Santiman là lé bon.

Lé gayar. Lé doss. Lé valab.

Lé lib. Lé spirituèl. Lé sakré.

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5 - « Bon moun » en créole signifie quelqu’un de bien. Ici le « bon moun » est enfin réconcilié avec son environnement, ses langues, son identité à facettes multiples et plurielles : le Réunionnais.

 

 

Le bonèr 6

La vi an rozamèr : fini !

            Moin lé bien.

La nuite an krié dann fénoir mon tousèl akoz la pèr : la fini !

            Moin lé anlèr !

Larg mon loto dann la foré Bélouve pou èt lib : fini !

            Mon kèr lé doss !

Ral mon frèr d’kèr dann in fotrin si santié le Col des Bœufs !

Marsh dann shemin kazi touni dann in léranse total

                       San konète ousa i sava

                                   San konète pou konbien n’tan

                                               San koz èk pèrsone !

Gingn kou d’boté dann la mashoire : i arivra pi !

                                               Mon tètfol i pèrde pu le nor !

 

Astèr
Mon janm va pédal bord’mer !

Astèr
Mon molé va shof Piton Mont Vert !

Astèr
M’alé dann la foré nout péï.

Astèr
M’alé kabar èk mon bann kabass. 

Sourir touléjour akoz in vi an nik : zordi.

Bouj inpé son kor sanm in dalon : zordi.

Ekri sat nana pou ékri : zordi.

Fé lo travay néna pou fé : zordi.

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6 -  Eloge du bonheur, et direction nouvelle dans l’acte militant culturel et linguistique qui a dit non à la violence physique et verbale : un bonheur enfin mis sur la route du poète.

 

 

World Man

 

World Man is a good man!
He dances alone in his bathroom all the morning.
World Man doesn’t know consumerism!
He is in the creation, and not productivity.
World man loves life, all the lives we have.
He loves music, all the music we listen.
World Man create all the time.

Il crée tout le temps le Bonheur.
L’Homme du monde a vu du pays
A bu d’autres alcools
A goûté à d’autres plats
A dormi dans d’autres bras
A marché dans d’autres rues
A lu et entendu d’autres langues
A vu d’autres montagnes
A marché dans d’autres forêts
A souffert dans quelconque désert.

L’homme du Monde
S’est brûlé sur d’autres plages
S ‘est émerveillé d’autres Dieux
S’est enrichi d’autres cultures
S’est enivré à d’autres heures
S’est senti vivant à tout moment.

 

La Rényon lé konékté èk lo Monn, … the World Man.

 

 

 

Féré 

Ce poème est accompagné d'un enregistrement 

 

Na 300 z’an Lil té an kan.

            Kan zésklav, jiska an lav

            Kan maron, jiska dann fon

            Kan zangajé jiska krévé

            Kan zafranshi, jiska san riz.

 

Zordi : Domoun mizèr

                        la fré dann kèr,

                        Békèr d’klé baro gran rouvèr

 

            Domoun anlèr,

                        la klé san kèr.

                        Fonksionèr, lo kèr an pèr...

                        Domoun anlèr la klé daa posh

                        Franksionèr la pèr lo rosh.

 

            Kan ? Kansa ? Jiskakan klan groblan...

 

Dann milié in kaskade dofé,

Lo fèr i bate la porte také

Lo fèr i bate la porte sakré

La sérur san okinn klé.

 

Nout Sièl in rien an kapab

Lavnir pou nou, sa nout réskab ;

Nout Somanké anon travay ;

An lav koman fil mouramour,

An mièl tash manièr fil lamour.

Gaingn la pé-là san mèt la pay.