Chantal Bizzini, TRANSFERTS

TRANSFERTS

(en écho à l’œuvre Different Trains  de Steve Reich)

1.America—Before the War

 

The sun’s moved to Jersey, the sun’s behind Ho-
boken.
    Covers are clinking on typewriters, rolltop desks
are closing ; elevators go up empty, come down
jammed. It’s ebbtide in the downtown district,
flood in Flatbush, Woodlawn, Dyckman Street,
Sheepshead Bay, New Lots Avenue, Canarsie.
    Pink sheets, green sheets, gray sheets, FULL
MARKET REPORTS, FINALS ON HAVRE
DE GRACE. Print squirms among the shop-

worn officeworn sagging faces, sore fingertips,
aching insteps, strongarm men cram into subway
expresses. SENATORS 8, GIANTS 2, DIVA
RECOVERS PEARLS, $800,000 ROBBERY.
    It’s ebbtide on Wall Street, floodtide in the
Bronx.
    The sun’s gone down in Jersey.         
—JOHN DOS PASSOS, Manhattan Transfer.

 

 Le soleil s’en est allé vers Jersey. Le soleil est
derrière Hoboken.

Les couvercles des machines à écrire décliquent,
les rideaux des bureaux se rabattent.
 Les ascenseurs
montent vides, redescendent bondés.
 La marée
descend dans le quartier des affaires et monte à Flatbush,

Woodlaw, Dyckman Street , Sheepshead
Bay, New Lots Avenue, Canarsie.

 Feuilles roses, feuilles vertes, feuilles grises.
« CÔTÉ DU MARCHÉ, RÉSULTAT FINAL
 DES
COURSES AU HAVRE DE GRÂCE. »
 Les journaux palpitent sous les visages penchés, fatigués
par la vie de magasin et de bureau.
 Bouts de doigts
douloureux, pieds endoloris, homes aux bras
robustes entassés dans les métros express.

« SENATORS 8, GIANTS 2, DIVA RETROUVE
SES PERLES. VOL DE $$ 800x000. »
Marée basse à Wall Street. Pleine mer au Bronx.
Le soleil s’est couché derrière Jersey

 — JOHN DOS PASSOS, Manhattan Transfer.
[I]((Traduction Maurice-Edgar Coindreau, Paris, Gallimard,1928.)

 

 

Toujours cet homme, à travailler, en face de moi ;
il ne regarde pas la pluie, ces hachures
sur la vitre, qui brouillent le paysage,
la campagne, ce soir…
est-ce un visage, ce reflet qui s’y superpose sur la vitre noire ?
est-ce un paysage réel, pour filer ainsi,
comme une pellicule
qui se consume et part en nuages d’encre ?

Dans la salle de projection, suite
en noir et blanc d’images mouchetées, sombres, rayées,
décalées maintenant,
L’homme qui rit,
l’enfant,
la neige, ses pieds nus,
son rire fixe,
dans la douleur même, et la peine,
la machine s’emballe,
la bande crisse, fond, se crispe, se tord,
l’écran est mangé par la lumière
le film a pris feu…

Vers le Sud, vers l’Ouest ; il refait la route de son enfance,
autrefois de New York à Chicago,
un destin confié aux roues ;
en sens contraire à ceux qui fuyaient vers le sud,
ou qui progressaient vers l’ouest ;
et les hobos, quel manque décidait leur fuite,
comment s’accrochaient-ils
au train-destin
et à son battement régulier ?

En route, les pistes qu’on abandonne se dispersent,
et les cris ne sont plus ceux d’animaux,
traqués dans le désert ou les montagnes,
mais ceux du vent dont la vitesse multiplie la puissance.

Les animaux se sont cachés, loin
des pistes, loin des rails qui mènent
aux concentrations humaines
— certains capturés, tués, mangés,
ou bien élevés en captivité, torturés, mutilés —
où les êtres se rencontrent, travaillent, se multiplient,
dans la misère et la répétition.

Cependant, sur la tapisserie, pré pacifié semé de fleurs,
les animaux sourient :
licorne et lapins, oiseaux…

Il y a une direction : que signifient
ces noms de villes
pour celui qui les dit :

— Chicago, New York 

quand la voix
et la mémoire résonnent-elles ?
Quel est leur écho maintenant ?
… mesurer ces ondes

Sur tes genoux, ce livre, le tracé des lignes,
tissage des vies, cartes raturées, pliées, usées par
ces allers-retours
traversant le paysage
– mais de part et d’autre des voies
vit tout ce qui échappe au tracé rectiligne
du côté des bois, du côté des montagnes
et des sources ;
quelle vie s’y réfugie encore ?

Le courant de ce fleuve ne fait plus battre cette nouvelle terre
industrielle, il ne donne plus vie ni ivresse,
ni ne permet l'abandon au voyage
vers le delta, puis le golfe,

Sur ton chemin de chaque jour (que signifie chaque jour ?),
quelle variation dans la répétition ?
Des trains différents mènent à travers les orages,
voir passer ne permet pas de comprendre…
sur place, sifflets du progrès,
les rails, et ce battement syncopé…
Directions : d’un point à un autre,
emportés par l’expansion,
pouvait-on envisager alors… ?
aller vers plus de bonheur, peut-être…
comment le soleil luit-il
aujourd’hui, ou
pleut-il ?
… demain…
mais toi,
es-tu deux fois le même ?

La voie,
est déjà tracée, coupée dans les forêts, dans la pierre,
dans la terre et dans les vies d’hommes ;
et nous y avançons vers cette dissolution,
cette fin,
dans les larges rues, entre les bâtiments
plus ou moins denses selon les reflets
sur le verre ou le métal,
ou le passage des nuages ;

… à l’assaut des hauteurs, mais toujours dans la lumière variable
et le vent,
venu de la mer,
en cette île pacifiée
qui reçoit et qui donne, où la moindre contradiction
n’est pas, à Bryant Square,
la torsion de ses branches d’arbres sur les raies verticales noires et blanches
des buildings,
ou ces grues, au loin, qui montent plus haut encore
et, de leur mouvement, déploient le ciel, les parcs, leurs ombrages,
et les églises ouvertes sur la rue passante s’illuminent
dans le soir.
et la foule va à pied,
parmi les vitrines éclairées…

Voici de minuscules cadeaux japonais,
ces fruits nouveaux, plus sucrés, artificiels
qui fondent sur les lèvres comme le baiser
des fleurs
et ces brassées, en sous-sol, dans la pénombre
du restaurant,
et l’élancement des branches
disposées,

mais tout cela n’est que souvenirs d’avant,
(souviens-toi, ce masque de papier)
— d’avant l’accélération, le danger —
qui voyagent et s’échangent : paroles, lettres, cartes postales, photographies,
voici une nouvelle année où
le progrès nous a menés…
Crystal Palace et Chrysler Building…
nous sommes bien après l’insouciance…
et nous montons,
-Empire State Building
tout en haut, pour voir
la foule naufragée, en bas,
ou bien visitons le musée
où clignote la maquette, un grand jouet :
on peut tourner autour de cette ville miniature,
le temps passe et la nuit et la journée alternent, elle s’éclaire,
puis s'assombrit, tremblante de vie électrique ;

Réfugiés sur ces bords
du monde
ou sans abri,
aveugles,
nous nous heurtons contre les parois,
– ô rivage amer,
qui avait dans la bouche le goût d’une promesse, dans
l’autre langue.

Où faut-il être pour voir encore
se succéder les soleils et les nuits ?
Naufragés,
naufragés à la Nouvelle-Orléans, naufragés
à New York,
naufragés au cœur de la foule
et non plus seulement sur l’île écartée des voies maritimes,
naufrage advenu en chacun de nous ;
porosité des parois, des tissus,
girouettes sensibles aux cris, aux éclats des
phares,
hommes,
animaux
maintenant rendus fous…

un kangourou se dresse, l’œil
agrandi et la mâchoire ouverte, figé
par le faisceau dans la nuit
qui l’a arrêté…




Florence Saint Roch, L’Invention du jardin (extraits) et autres textes

1/Extraits deL’Invention du jardin, Les Cahiers du Museur, 2016.

 

  

D’en haut le jardin

Depuis la mansarde ouverte

 

 

Le cerisier s’élance

On le reçoit en pleine face

 

L’épaisseur de ses feuillages

La puissance du vert

Données là

 

 

Sa densité nous éprouve

On creuse la sensation

 

 

On se tient au rebord de la fenêtre

Non qu’on ait le vertige

Seulement cette modestie

Qui nous vient

 

 

Le jardin occupe tout l’espace

 

On observe  le silence

Un silence solide et précis

Que dans sa hauteur

Il nous prescrit

 

 

Il se laisse détailler

 

 

Il faut bien le reconnaître

On est un peu dépassés

 

Même si les murs font leur important

Il respire plus large qu’eux

 

D’aplomb pulsé jusqu’à nous

 

 

On n’a jamais essayé d’engager conversation

Certains paraît-il s’y entendent

Pour parler aux arbres aux oiseaux

 

On n’en est pas là

 

 

L’évidence devant nous

Le jardin comme il est

Sans qu’on y soit pour rien

 

 

La pelouse s’est oubliée

Depuis longtemps

Entre les murs immobiles

 

Lui tout ouvert

Tenace dans ses développements

 

 

Pas facile de trouver

Le jardin d’où l’on vient

 

 

Ceux qu’on avait traversés avant

Si décevants à chaque fois

 

Celui-là

On l’a reconnu tout de suite

 

 

Son fouillis nous confirme

 

Après tant de tentatives

Notre jardin premier

 

 

 

2/Extrait d’Embarque, Les Venterniers, 2017.

 

 

jette-toi à l’eau il fait nuit encore qu’importe monte dans ton bateau sans rame ni voile ni gouvernail pliées les vergues et les bâtardes relégués les cordages oublie manœuvres courantes ou dormantes sans aide et sans recours ose les tours et les détours les passes improbables les impasses certaines n’aie pas peur la rivière te prend aujourd’hui ni arrêt ni escale qu’importe si la dérive est bon plein ou travers tu cours ta plus belle chance ta volonté se suspend en advienne que pourra quelle sera l’arrivée quel sera l’arrivage ne t’en inquiète pas en cette affaire tu ne décides rien réduits à néant ta commande et ta gouverne ton avis ton suffrage ton ordinaire hâte ta précipitation si souvent tu regimbes renâcles à obéir mais cette fois cela va de soi cette parole est faite pour toi embarque laisse tout là

 

 

3/ Premières pages d’Éclipses, à paraître chez Vincent Rougier, juin 2018.

 

1

 

Tandis que le ciel
Lentement vire au gris
Autour s’éloigne s’assombrit

 

Des bandes d’étourneaux s’affolent
Vrombissements d’insectes
Brassages à l’étourdie

 

Plus rien là-haut qui tienne
Avec ce soleil en train de disparaître

 

 

En cette heure particulière
L’espace s’est amolli
La lumière devenue confondante
Le monde flou et circonspect

 

On comprend l’inquiétude des oiseaux
Comme eux on oscille
Entre ce qui n’est plus
Et ce qui va venir

 

 

2

 

Gris tendu sans un nuage

 

On se sent dessaisis
En suspens
Dans cette lumière étrange

 

Oubliés la transparence et l’éclat

 

 

 

Les cris des oiseaux se perdent

 

Vols désordonnés
Trajectoires nerveuses
Comme pour vérifier que le ciel
Reste le ciel

 

 

À chaque déroute pense-t-on
Son explication

 

 

 

3

 

D’un coup la folie de l’air se tait

 

 

L’estompe s’est généralisée
Le ciel vidé de ses occupants
La lumière tout entière partie
De l’autre côté

 

 

Avec ce gris d’argent de tantale
Immobile au-dessus de nos têtes
On accède à un moment
D’avant le premier jour
L’éternité avant qu’elle ne songe
A devenir le temps

 

 

 

On entre dans de nouvelles considérations
Impressionnés de voir dehors
Ce qui se passe souvent
Dedans

 

 

 

4/ Rouge peau rouge, premières pages, en préparation pour Tarabuste.

 

 

On fait corps avec lui

 

 

Rouge dedans rouge dehors

On n’est pas très doués

Pour la dissimulation

 

Toujours il bouge

Variables son épaisseur

Ses rapides ses coups d’éclat

 

On ignore les pâleurs diffuses

Les mondes décolorés

 

 

On vit rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

I

Notre sang parle vif

 

Nos jours comme notre peau

Cinabre posé dans son cri

 

 

 

La plaine s’étire devant nous

On ne s’y perd jamais

 

On l’aborde dans les grandes largeurs

Les chevaux la terre brûlée

Les herbes concises

 

 

 

L’impalpable est notre cause

 

On est des drôles d’Indiens

 

 

 

Nos campements sont provisoires

On s’établit dans la course et le saut

La source et sa suite

 

On n’a pas grand-chose entre les mains

Juste un peu de terre

Et contre nos dents

L’amertume des baies sauvages

 

On efface nos traces derrière nous

Notre usage du monde

Tenu et léger

 

Un jour bien obligé

Nous partirons en fumée

Ne restera de nous qu’une poignée de braises

Confiées au vent

 

 

 

On n’a jamais rien déserté

 

L’air vibre sec et court

Déplace la poussière

Fer et souffre mêlés

 

 

 

Rouge esprit

Infusé en tout

 

On fait face

Notre totem planté là

Devant tous

 

Nos colères sont derrière

Flèches au carquois

Bien serrées dans le dos

 

 

 

Que le vent se mette à parler haut à la plaine

Avec lui on flaire les pistes

On déchiffre le secret

Des présences passagères

 

On devine  l’arbre

Tout entier contracté

Dans la graine

 

Sans le voir on sait le torrent

Là-bas qui s’ébroue et attend

 

Les mots comme des images

Oracles courageux

 

 

 

Qu’importe si nos fables paraissent rafistolées

Les voix qu’on entend sont si confuses

Si difficiles à démêler

 

Elles soufflent dans le feu qui crépite

Le frémissement des viornes

L’envol tranquille des oiseaux

 

On n’a pas peur d’elles

 

Avec constance

On leur paye notre tribut

 

 

Poissons plantes fruits gibier

Toutes choses à leur place dans le grand cercle

 

Nous séparer de la terre

Serait comme vendre l’air et les nuages

 

Sûr qu’on est ici

Pour de bonnes raisons

 

 

 

L’autre monde est là

Prêt à sortir de sa réserve

 

Si un jour il nous paraissait petit

C’est que nous aurions diminué

 

 

 

 

 

 

 




Quentin Biasiolo, Arias (Extraits)

Monuments

Prisonnier désormais des énormes cités je me heurte à certaines sortes de contradictions nouvelles – voyant là le lieu seul où je pourrais te trouver tout en sachant qu'à la fin c'est ailleurs qu'il faudrait aller vivre. Toujours les rues m'apparaissent alors comme ce lieu impossible où pourtant il faut être – la ville et ses si grandes façades sans cesse bloquant ma vue tout en risquant toujours d'y donner son objet je me rappelle nos anciennes demeures en d'anciennes cités et je vois combien les paysages que l'on désire tiennent en nos pensées et à chaque moment infiniment plus de place que le lieu quelconque où en effet l'on reste parce qu'il se trouve qu'on y est sans que l'on sache pourtant par quel hasard on y est arrivé.

 

Alors aux anciens monuments parfois je reviendrai – ayant besoin encore de rouvrir quelques portes et croyant sans doute que personne depuis lors n'a jamais eu l'occasion de les franchir – portes et fenêtres illusoirement vierges depuis nos récents départs. Revenant ainsi sur les marques de nos passages déjà tellement vieux je ne veux parcourir ces places ni en simple curieux ni même en voyageur. De retour en ces vieilles terres je puis dire qu'il n'y aura ni visite ni photographie d'aucune sorte – mais une fois loin des villes seule maintenant comptera notre situation commune d'autrefois cette campagne mouillée qu'au commencement des heures l'on semble voir comme au travers d'une vitre sale et certainement vieille.

Mais ces places je crois pouvoir le dire ne me contenteront pas. Sans doute y serai-je en fait comme j'eusse été ailleurs – rendant par la simple avancée de mes pas chaque lieu identique à tout autre et croyant parce que j'aurais retrouvé quelque endroit pouvoir en même temps ramener quelques heures.

 

Quentin Biasiolo, Restes, L'Armourier Editions, Coll. Fonds poésie, 2016, 12 € 50.

Mais ces places je le sais jamais ne parlent assez haut – je n'y vois pas ce que je voudrais voir et je sens qu'à force de ne plus me trouver dans les choses j'en viendrai à ne plus figurer au-dedans de moi-même – sentant bien que me fait défaut celle qui seule aurait su faire le lien entre l'ancien monde et les sphères nouvelles ouvertes face à moi. Mais les pavés où nous fûmes ensemble je le sais ne sont plus – les lieux que nous avons connus se sont retirés du monde de l'espace et je comprends désormais que les maisons les portes et les rues sont fugitives – comme sont aussi les heures. Et parce qu'à la fin jamais je ne t'y trouve chaque rue chaque ville chaque trottoir à l'arrière de mes pas s'effondre et disparaît tandis qu'en moi reste seule l'impression incertaine d'avoir connu pour rien une nouvelle aire du monde qui pourtant me semblait familière et dont j'oublie déjà les détails singuliers – conservant seulement la pensée que ce séjour à la fin me fut bien inutile.

 

1

Choses

Certains prétendent en effet qu'en rentrant dans tel lieu telle cour telle maison où l'on vécut plus jeune – et comme alors au contact d'une atmosphère à la fois vieille et bien connue – on retrouve un moment ce que l'on fut jadis. Ce sont là pourtant pèlerinages bien hasardeux où il semble que jamais l'on ne trouve ce qu'on était venu chercher – faute d'avoir mieux senti que les lieux fixes à la fin ne sont guère qu'en nos propres pensées et que ce que l'on voudrait maintenant découvrir dans les choses – comme une sorte de clarté droit issue de nous-même – ne tient en réalité qu'à cet assemblage unique d'idées qui lorsque nous les regardions se faisait en notre cerveau et formant pour elles une espèce de voisinage leur donnait en même temps un espace commode où s'étendre.

Mais lorsque des minutes anciennes il ne reste plus rien lorsque les choses les plus familières ont été détruites ou que tout en semblant demeurer identiques à elles-mêmes elles ont seulement cessé d'être ce qu'elles furent pour nous seuls alors – plus fragiles mais aussi plus vivants – les odeurs et les sons longtemps restent encore – car il est des impressions tenaces que rien ne saurait effacer et si leur intensité vient un jour à baisser la marque subsiste – comme un sceau qui façonne et qui forme chacun de nos gestes et de nos sentiments pour l'ensemble des minutes futures. Me demeurent ainsi en pensée tantôt le bruit des parquets des fenêtres à demi-ouvertes tantôt l'odeur de quelque savon de quelque pâtisserie de quelque livre usé posé là sur ton bureau ou bien celle surtout de tes vastes rideaux auxquels s'accrochaient à la fois la poussière les multiples parfums de ta chambre d'enfant et la lumière enfin des innombrables jours.

Combien suis-je ainsi resté dans tout ce que j'ai vu entendu et senti – combien il doit rester de morceaux de moi-même en ton ancienne chambre comme en toi-même aussi toi tantôt debout très droite en toute pièce tantôt allongée ou assise siégeant ou dormant au sommet de quelque meuble aux draps tellement nombreux. Moi-même auprès de chacun de tes gestes et de tes vieilles postures au plus près de ta nuque tes mains et tes yeux inclinés – comme une singulière substance m'étendant ainsi par degrés à l'ensemble de tes choses éteintes me voici présent là où toi-même n'es plus – au-devant de nos rues ou des vastes campagnes au-dedans de nos chambres ou sous l'orage la foudre et les chutes de toute sorte au plus près de ce que nous fûmes à la fin je demeure – dans mon expansion muette et continue rencontrant au hasard nos plus vieilles figures et cherchant quelque abri pour faire taire mes pensées.

2

Pensées

Mais ces quelques pensées jamais ne m'abandonnent – conduisant une vie ni tout à fait semblable ni tout à fait distincte de la mienne elles disposent sans me quitter jamais d'une espèce de rythme propre que je devine sans le connaître et que j'éprouve sans le saisir. Ainsi souhaiterait-on parfois n'avoir plus rien en tête et comme l'on sent que penser à la fin gêne autant qu'une marche lente au-dedans d'une pluie fine on voudrait pouvoir se donner quelques heures ou minutes d'oubli – choisissant peut-être la facilité si c'est tellement facile de trouver le repos au prix d'années perdues si c'est à ce point simple d'avoir vécu pour rien pour vivre enfin tranquille.

Voudrais-je m'amputer quelques bouts de cerveau encore faudrait-il savoir où sont allées se loger ces multiples idées – car il n'est pas certain qu'une seule partie de moi-même puisse alors demeurer tout entière tant il est vrai que ce sont mes mains mes pieds ou mes narines qui d'abord se rappellent et que fermer les yeux ou s'occuper un bref instant l'esprit souvent ne suffit pas à oublier le chemin de nos anciennes places ni l'odeur et le bruit des fruits chauds au plus haut de l'automne ni enfin ta silhouette tantôt longue tantôt ramassée au plus près de l'accord naturel de nos muscles. En les revoyant moi-même après si longtemps j'éprouve face à nos lieux d'autrefois combien la présence simple des choses peut ranimer ce que vivement l'on sentit auprès d'elles – sans que l'on sache toujours où tout cela s'était allé réfugier pendant tant et tant d'années sans que l'on sache non plus les possibles effets que ces impressions tues eurent alors sur nous comme sur la conduite aussi de notre vie quotidienne.

Mais pourtant je sens bien que ce qui me reste ne consiste plus guère qu'en de vagues images désormais bien communes et sans rapport aucun avec ce que tu fus ni avec ce que tu dois sans doute être aujourd'hui. Je sens bien toute la dispersion qui règne en mes idées mais sans toi comment parvenir à seulement me rassembler – moi et les quelques restes d'une pensée confuse depuis que toi qui jadis gouvernas nos deux corps ne sais plus me servir de canne ni d'appui. Quel supplément trouverais-je au désordre qui maintenant compose ma vie mentale – moi-même allant mendier quelque secours auprès de nos plus vieilles places – pathétique tocsin des anciennes années qui peut tout rappeler sinon toi qui au commencement voulus m'apprendre à penser et qui développas si bien ce monstrueux instrument qui me passe et me domine. Alors tandis qu'il ne me reste qu'une plate collection d'images figées et sans doute hors d'usage je voudrais seulement connaître – moi qui de loin n'en sens plus les effets – si les quelques pensées que jadis je fis naître en toi sont encore présentes et quelque peu vivaces quoique confusément ou si l'infinie succession des années et des heures a fini après tout de les rendre muettes et de recouvrir alors – comme un peintre fait d'une couleur trop forte comme une couche nouvelle sur une ancienne terre – tout ce que j'avais tâché de déposer discrètement en toi.

3

Minutes

Alors nous en reviendrons peut-être à l'époque des chutes extérieures où le plus grand dénuement finit par s'observer alentour de chacun. Tantôt il fera noir tantôt il fera froid et toi absente de ton ancienne demeure comme moi-même isolé de mon lieu véritable nous connaîtrons de ces nuits qui étouffent et compriment le muscle comme un papier qu'on froisse – et chacun allant deci delà au milieu des villes et des rues innombrables nous connaîtrons que le dégoût de ce que l'on possède est un état cent fois pire à la fin que le simple regret de ce qu'on a perdu.

Incapable de goûter jamais le lieu où je me trouve je me tiens en pensée à l'arrière de mes vieilles fenêtres et je revois d'abord la route ni droite ni courbe au-delà de laquelle commençaient les hauteurs et ensuite les arbres de toute sorte nus et comme entassés les uns par-dessus les autres. L'instant d'après nous serons au-dedans de ta chambre d'enfant et seules au milieu de notre vaste nuit tes mains resteront parfaitement visibles tes mains désormais choses – choses mentales pour mon esprit fatigué – ma pensée ainsi dispersée demeurée présente en chaque endroit que nous avions connu y restant attachée par quelque inconcevable lien et ne sachant plus désormais comment se rassembler alentour d'elle-même – distendue enfin par tant d'éloignement et se trouvant en mon cerveau comme en une terre inconnue et pourtant familière.

Quand remontant peu à peu l'un des innombrables fils qui les ramènent à moi quelques-unes de mes pensées rejoignent leur résidence il me paraît alors que qui nous fûmes ne doit être au fond qu'une chose vue au-dedans de nous-même une chose bien vague aux contours imprécis et que les souvenirs eux-mêmes en tant qu'ils ramènent nos pensées aux lieux les plus anciens et les laissent à nouveau s'y établir pour un temps travaillent à effacer – de sorte que je ne suis plus tellement sûr aujourd'hui que le malheur soit affaire seulement de déception. Privé désormais d'une pensée entière et continue c'est au jour le jour que tout cela a lieu – mesurant au temps que mes plus nombreuses pensées passent éloignées de moi-même le poids en mon cerveau des minutes patiemment amassées. Et puisqu'au moment des crises au-dedans de mon muscle le temps a repris sa plus grande lenteur puisqu'à l'arrière de nos vieilles fenêtres traînent encore quelques pensées solitaires on en viendrait presque à commettre de vieux gestes de supplique – demandant quelque chose comme un air tranquille de musique ou juste un peu d'oubli en attendant que la saison finisse – n'importe quoi en somme pour nous faire presque sentir ce qu'au travers des vitres on ne fait que rêver n'importe quoi enfin pour nous empêcher autant qu'on le pourrait de produire des pensées.

4

Consolation

Ainsi rendu à ces minutes longues longues comme les ans l'on voudrait à la fin pouvoir trouver çà et là et peut-être même en n'importe quel lieu quelque forme de vie qui fût calme et à peu près tranquille. Et sans doute irions-nous alors en ces anciennes terres qui gardent la mémoire de ce qui n'a pas su rester et qui – nous offrant la vieille image de très vieux monuments monuments déconstruits de ce qui depuis longtemps n'est plus et tâchant malgré tout de faire taire nos chutes intérieures sans accélérer l'effacement des traces qui au-dedans de nous a lieu – nous procurent un remède bien faible et souvent ridicule. De même c'est en vain que nous explorerions toutes sortes de places jusqu'alors inconnues pensant par là renouveler le mobilier et les tapisseries de notre vie mentale – car s'il est vrai qu'ensemble jamais nous n'y aurions été s'il est vrai que jamais nous n'y aurons confondu nos gestes nos pas et nos pensées je connaîtrai bientôt que dans ces lieux nouveaux où les sensations multiples ne sont pas encore amorties par un effet certain de l'habitude on retrempe soudain et avec une force que nous n'attendions pas quelque vieille marque laissée au creux de notre muscle.

Si bien que c'est sûrement en ta propre figure que je voudrai trouver ma tranquillité la plus haute et comme la plus certaine – cherchant mon front une dernière fois posé sur tes genoux à goûter à nouveau la couleur chaude encore des restes d'une saison passée. Que ne saurais-tu être celle en qui – mère à la tête penchée – les minutes les unes après les autres retrouvent la rapidité qu'elles eurent en mes années premières – toi la mère du pire des ingrats toi l'inconditionnelle sœur du pire des méchants qui te fit ce que l'on sait que ne voudrais-tu être encore la certitude principale où mon muscle enfin pourrait se rassurer.

Ce sont là choses impossibles car ces temps ces états ces époques ne sont plus et s'il me semble parfois que nous sommes toujours unis par quelque inconcevable accord de nos intérieurs propres il me faut avouer à la fin combien tout cela n'est qu'une malice de plus jouée par mon cerveau et propre à me faire sentir la vivacité de ma situation – car lorsque je conservais encore l'espoir de te revoir je me flattais en pensée qu'un instant de ta présence rétablirait mon calme et j'envisageais au moins dans les possibles un état plus heureux que le mien. Mais désormais tu le sais c'est un corps que je pleure – et de ne plus revoir ces mains cette tête ces yeux tellement inclinés que j'ai cru posséder et n'ai jamais connus – plus encore qu'un esprit car pour cela outre qu'en la succession inlassable des ans il aura sans doute fait preuve d'un peu plus de constance que les formes variées de ta silhouette de fille je ne désespère pas d'y pouvoir pénétrer à nouveau – ne me trouvant alors qu'à moitié et peut-être seulement pour de très brefs jours en ces lieux inférieurs où seuls finissent ceux qui ont eu quelques raisons sérieuses de désespérer de soi. Moi-même ayant tout de même pitié de mes vieux intérieurs – où seule encore demeure une petite vieille mendiant quelque aumône – mais ayant enfin compris que bâtir sur les muscles est une chose sotte et qu'être malheureux c'est ainsi avant tout s'être trompé de croyance.

5

Sentiment

Égaré ainsi d'un tel égarement je vois désormais combien ce qui fait la substance de mes intérieurs les plus vastes ne tient au fond qu'à quelques vieilles images que je peine à ressaisir et qui ne ressemblent plus à rien de ce qui maintenant demeure. Aussi mon muscle principal n'est-il qu'une sorte de théâtre vide où seuls se font entendre quelques rires et quelques moqueries méprisant cet état de tranquillité bête dont les idiots se contentent si bien. Pour moi malgré la déserte étendue que mes yeux peuvent découvrir au-dedans de mes plus récents horizons malgré ces égarements où ma tête ayant souvent l'envie de se jeter en arrière je suis parfois et presque malgré moi conduit je ne sais que trop la valeur et le prix de mon sentiment comme aussi je connais ce qu'enfin je lui dois. Je n'ignore pas qu'en cette matière certains pourront me dire que ce sont là terres d'infertilité et de confusion mais ne serait-il pas vain de vouloir affecter tant de mépris et tant d'indifférence pour cette vie interne à l'organe majeur dont chacun malgré lui se trouve toujours pourvu comme il serait aussi pareillement vain de vouloir substituer comme on l'a vu parfois une langue mentale aux paroles du muscle tâchant ainsi de faire d'un sentiment une pensée ordinaire et s'efforçant encore de confondre l'existence du cœur et la vie de l'esprit – tandis qu'il faut on le sait maintenir les deux ordres tant il est vrai que s'il pouvait parler le muscle principal aussitôt s'arrêterait tant il est vrai enfin qu'il vaudrait mieux parvenir à l'arrêt immédiat des minutes plutôt que d'être encore sans pouvoir rien sentir.

Ne pouvant moi-même me résoudre à traîner au long des étendues l'insipide vie d'une personne quelconque je comprends enfin tout ce que je lui devais comme aussi je vois combien rares sont ceux dont la conscience intérieure garde toujours une continuité. Pour moi quoique jeune encore je sens mon muscle neuf et pourtant tellement vieux déjà et capable seulement de suivre la succession heurtée des minutes qui une à une autour de lui s'amassent et l'irrégulière poussée des plus vieilles images marquant combien mes intérieurs manquent à la fin de cette cohérence qui fait l'identité des personnes tranquilles. Ainsi est-ce pourquoi je ne me reconnais dans aucun de vos âges incapable toujours de comprendre mon état présent et commençant déjà de vernir et de peindre les images d'autrefois.

Et cherchant à m'expliquer avec moins de confusion je me heurte sans cesse à de nouvelles barrières tant il est vrai que ce que nous sentons comme nous étions décidés à le cacher toujours nous n'avons jamais vraiment songé à la manière de le dire – mais tout d'un coup c'est en nous comme une bête immonde et inconnue qui s'est alors formée et dont l'apparition soudaine en leur esprit effraie ceux qui de nous reçoivent cette confidence qu'on a faite parfois sans y réfléchir comme aussi les ferait trembler l'aveu proféré par un criminel ne pouvant s'empêcher de confesser un crime dont jusque-là ils ne le savaient pas coupable. De celui-là sans doute dois-je au moins partager l'inquiétude ambiguë – éprouvant déjà le ridicule mépris de mon ancien état et des errances répétées de mon muscle d'antan me revoyant pauvre et bête égaré à force d'insistance en la mauvaise voie espérant que les égarements du muscle trop jeune trouveront une fin plus tranquille mais inquiet enfin de savoir qu'un jour sans doute c'est avec calme et ironie qu'on lira tout cela – en une situation nouvellement apaisée moi-même relisant peut-être sans pouvoir ressentir à nouveau cette urgence d'alors tant il est vrai que la mémoire ni le cœur ne sont jamais assez vastes pour pouvoir être fidèles – redoutant donc désormais de trouver en moi-même un muscle à jamais desséché.

 




Emmanuelle Sarrouy

Emmanuelle Sarrouy se présente comme une « artiste hybride, auteur, poète, vidéaste ». Ses productions font appel à plusieurs vecteurs artistiques : l’écrit, l’image, le son…Elle réalise des installations et expose à l’international. Elle publie également des textes qui proposent un décloisonnement générique dans de nombreuses revues. Emmanuelle Sarrouy, artiste pluridisciplinaire,  pratique un art expérimental, et nous permet de découvrir des œuvres qui interrogent la représentation. 

 

je suis untasse de café

 

je suis une tasse de café

je suis un verre de vin
je suis un croissant
un pain au chocolat
une brioche au beurre tendre un pain aux raisins

je suis un browny un doughnut
un muffin
une navette

je suis un bretzel un sushi
un beurek
un dolma

je suis une terrasse un restaurant
une salle de spectacle je suis triste

je suis un loukoum
je suis un makrout
je suis un baklava
je suis un parfum entêtant

je suis un air de rock

 

un air de jazz

 

un air de samba
je suis fatiguée
je suis Paris
je suis Bagdad
je suis Kaboul
je suis Ankara
je suis Dakar
je suis Bamako
je suis Abidjan
je suis Bruxelles
je suis Copenhague
je suis Tripoli
je suis Jérusalem
je suis Marseille

je suis la chouette qui hulule aux quatre vents je suis le soleil qui hurle au travers des nuages

je suis le vent
je suis les nuages
je suis triste
je suis la pluie qui s’évapore sur les pavés je suis la brise qui sèche les larmes
je suis triste et fatiguée
je suis syrienne
je suis irakienne
je suis libyenne
je suis afghane
je suis française
italienne
et marocaine
je suis grecque
et espagnole
je suis l’ailleurs

le proche et le lointain

je suis fatiguée
je suis l’enfant et le soleil levant
je suis l’Orient et je suis l’Occident je suis la mer et les parterres de fleurs

je suis la forêt vierge et ensorcelée
je suis la Mandragore

du Proche Orient et du Bassin Méditerranée

je suis l’espoir qui renaît inlassablement des cendres
je suis le cheval lancé au galop
et le chat prélassé en haut des marches

... /...

je ne suis certainement pas la première ni bien évidemment la dernière
mais il est nécessaire je crois
de le rappeler parfois

 

T.I. - TRIBUNAL D’I-DEN-TI-TÉ

 

« L'enjeu de l'ouverture des frontières des corps et des désirs n'est pas
seulement humain et politique. Il est aussi poétique. L'ouverture totale des
frontières favorisera un métissage des corps et une créolisation des langages.
Ne serait-ce que pour cela. Ne serait-ce que par souci poétique. Exigeons de
nous-mêmes et des institutions qui gèrent nos destinées malgré nous, le
devoir d'hospitalité radicale. »

Marc Mercier, catalogue des 27e Instants Vidéo Poétiques

 

« À Elmina, des autobus déversaient des flots d’Africains-américains.
Alors qu’ils venaient se recueillir sur les lieux d’où avaient gémi leurs
ancêtres avant d’être embarqués dans le Passage du Milieu, ils
étaient salués par les cris moqueurs de cohortes de gamins : ‘Obruni
(Étranger) ! Obruni !’ »

Maryse Condé, La vie sans fards

 

 

malgré
nos Identité(e)s Meurtrières
nos Héritages Meurtriers
tâchons toujours de
vivre ensemble avec
nos
Différentes Cultures
et
notre
Histoire Commune

i-den-ti-té
voilà c’est lancé
donnez-moi votre i-den-ti-té

mon i-den-ti-té ?
mais non mon i-den-ti-té non
je ne peux pas vous la donner
ça ne se donne pas ces choses-là
ça ne se donne pas

personnelle
unique
multiple
mon i-den-ti-té
est plurielle
insaisissable
il faudrait plusieurs jours
pour tout vous raconter

mes i-den-ti-tés
et quelques longues nuits étoilées

nos i-den-ti-tés
changent
au jour le jour
au gré des vents insaisissables ces choses-là

alors donc si vous ne voulez pas me la donner
alors donc déclinez-moi votre i-den-ti-té
décliner décliner décliner comment ?
comme on décline une invitation ?
comme on incline la tête
pour les coups de bâtons ?
décliner décliner décliner vraiment ?

alors voilà...

mais vous n’êtes pas français(e)
mais si regardez
mais je ne sais pas moi si vous êtes français(e)
mais oui regardez
vous n’êtes pas né(e) en France il me faut des preuves
votre mère n’est pas née en France il me faut des preuves
il me faut des preuves
vos grands-parents vos arrières grands-parents
des preuves
votre père peut-être... ah il est mort !
oui mais le jour où il est né c’était
sur le sol français peut-être ?
il me faut des preuves des preuves des preuves
des pieuvres
en/cornets
et des épreuves
certifiées
conformes et
légalisées
sur/légalisées
comme si...

comme ça !

des épreuves à vous dégouter
à vous demander si vous êtes bien Français
il me faut des tampons des sceaux des signatures
il me faut de la confiture pour déjeuner bien français
des pommes des poires et des scoubidous bien français
comme ça je vous dis c’est comme ça
il n’y a pas à discuter
papiers d’i-den-ti-té
certificat de nationalité
papiers décapités
formule désactivée

il faut tout recommencer certificat invalidé

alors on fait des confettis ?

oui parce que depuis vous êtes mariés
ça change tout ça vous êtes mariés
il faut tout remanier il faut vous remarier
il faut tout à nouveau prouver

et puis ce n’est pas vous qui décidez
on vous dit comme ça
on vous lance comme ça
une bonne droite bien profond dans l’estomac
on vous dit de revenir
on vous dit c’est comme ça
qu’on n’a pas le choix
on vous dit de pas rester planté là
on vous dit de partir
on vous dit d’aller voir ailleurs
on vous dit de revenir ça peut prendre des mois
ça fait plus d’un an qu’on vous dit ça
on vous force à la ruse
on vous force à l’esquive

alors...

on apprend à ne pas lâcher le morceau
malgré la désespérance
malgré les années d’errances
malgré l’exil imposé
malgré les crises d’ i-den-ti-té

après on ira recoller les morceaux
après on reprendra le chemin
des identités multiples et composites
décomposées recomposées
joyeusement complexifiées
sans frontières tranchées
tranchantes sans
frontières
identités bandantes

après on viendra vous raconter
après on ira respirer
après on ira danser
prendre l’air
s’envoler
après

 

Terristoire

UN CHANT

« L’histoire entière du monde sommeille en chacun de nous. »
Djalâl-ud-Dîn Rûmî, Mathnawî

 

Nous, enfants du Tout-Monde si cher à Édouard Glissant...

 

un chant s'élève
écoute bien
au son du derbouka
du oud de la flûte et
du violon magique
écoute bien
au loin la cornemuse l'accordéon et
le bandonéon
les rythmes s'affolent
les voix s'enflamment
les robes s'envolent
tourbillons indomptables
plus de voiles burqa niqab hidjab tchador et autres camisoles
nos seules ailes sont celles
du désir et de la liberté
écoute bien
encore un peu plus loin
un chant créole un air jamaïcain
viens avec moi danser au son du
ukulélé
mektoub
essaime-t-elle à tout vent
sur la dune embrasée
la chatte arabe acquiesce
Mouna
l'avait-elle prénommée




Ping-pong : un poète hongrois, Tibor Zalan

Quelques moments qui n’en finissent pas

Traduire la poésie de Tibor Zalan c’est, en rêve, se retrouver acculé au fond d’une impasse, face à un homme ivre armé d’un coutelas : pas d’échappatoire. On va y passer. 

Et soudain – c’est un rêve ! – nous voilà hors de l’impasse. L’homme pose son bras sur notre épaule, et l’on s’en va boire une bière à la terrasse où nul ne nous connait. On peut, les partageant, se libérer alors de nos joyeuses cruautés, de nos hantises adolescentes, de nos névroses obsessionnelles de chérubins tardifs.

La poésie de Zalan est pleine d’oxymores, d’ambiguïtés, de répétitions et de répétitions et de répétitions. Jeux de mots, citations retravaillées, métaphores provocantes, références étranges. Des images reviennent avec la régularité d’un marteau cognant sur l’enclume des mots  comme pour les tordre et leur donner la forme désirée – et leurs contours aléatoires. 

Face à ce qui pourrait parfois s’apparenter à quelque pathos mystico-érotique, il nous faut apprendre à plonger en apnée dans cette langue, afin de rencontrer une vérité de l’homme plus sensible, plus sincère – et peut-être plus pure. Un cristal enfoui sous des tas de galets.

Au catalogue des mythologies, l’inspiration de Zalan, pleine de désirs baudelairiens, chine des sépias pornographiques dont il fait des images pieuses. Comme s’il tentait de reconstituer une foi perdue. Pour se sauver de quelque intime malédiction ? Entre sa poésie et le lecteur, on ne sait plus très bien qui apprivoise qui. Fausse humilité, inquiétude surjouée, tout est théâtre d’ombres déformées.

Nous pourrions ainsi, avec Zalan, résumer nos chemins croisés de poésie par ce vers, innocemment jeté au seuil ultime d’un poème :

Tibor Zalan, Le Chien aveuglé
par la lune, Editions Palamart.

je ne sais plus d’où vient le chant.

 

Mais le sait-on nous-mêmes ? Quoi qu’il en soit, voici, dans les pages qui suivent, ce que l’on fit du sien…

 

 

Graffitis du monastère  /Firkák a kolostorból

 

Des chauves-souris
se heurtent au rideau
de ma fenêtre ouverte
Téméraires oiseaux de mort
sur le seuil d’un trépas différé
(Ce matin encore des taches
de sang sur le couvercle de mon
laptop On continue de se battre pour moi)

 

 

Du thé à l’églantine
Du pain grillé du beurre de la marmelade du miel 
De longs cafés n’en finissent pas
Des cauchemars enfuis
parmi les miettes sur la nappe
Le thé déborde de ma tasse
en la soulevant ma main tremble
confus je la repose et tousse
Je ne peux plus entrer dans le jour
ni rester là
Derrière la fenêtre les sapins séculaires
De l’autre côté c’est toujours exister
De ce côté un tenace crachin de cendre

 

 

Du pont surplombant l’autoroute
singe hirsute grimac
Sur deux fois quatre voies
des cohortes d’insectes métalliques phosphorescents
dévalent vers le néant
Dans le tunnel
les signaux échappent au GPS
Moralité : mieux vaut ne pas vivre
trop au-dessous là où les signaux se dérobent
sachant que Dieu ignore les tunnels
Ceux qui vivent sous terre
privés dès l’origine de signaux - sont morts  

 

 

Tant de virées
dans des villes inconnues
m’épuisent
Je n’ai guère de patience
pour ce genre de tourisme
S’insinuer dans la vie des autres
S’empiffrer de hamburgers frites
tremper sa moustache dans la mousse des chopes
puis se laver les mains en se pinçant  le nez
tout dégoutant quel intérêt
À part ça : tant que m’émeut
le déhanchement des femmes
je vieillis au milieu des gargouilles
à têtes de monstres fabuleux
Sûr que j’évite le passé
péniblement et méthodiquement
Le temps passé
(je n’y peux rien)
visiblement m’évite
péniblement et méthodiquement
J’écris une carte postale 
représentant un vautour – destinataire illisible
 

 

L’étoffe lâche
de la tranquillité
s’élime tôt ou tard
Certes nous le savions
sans avoir le courage de l’empêcher
Honte d’une inertie qui se consume 
Un train de nuit avance dans le noir
Nul ne s’accoude aux fenêtres aveugles
Le sang noir et tiède du cygne suinte de l’univers

 

 

Le Père Omerl
le gardien boiteux
se plaint de la chaleur
Dans une telle fournaise
les moines n’ont pas envie de prier
pensé-je sans aménité
Dans l’église de Gand le cierge allumé
en souvenir de mes morts est désormais éteint
Toujours ce rêve de paix et de sérénité
Bien sûr j’ai aussi essayé de prier
sans y parvenir malgré la fraîcheur de l’église
J’ai regardé Jésus
regard en retour
Je m’en fus vers une baraque de frites

 

Avant de m’endormir
j’ai bataillé avec ton souvenir
Peut-être à cause de cette cellule
ou du sentiment que j’en éprouvais
Si tant est qu’un tel sentiment
existe ou puisse venir au jour
Toi aussi tu m’as conseillé
à l’époque
une cellule à Pannonhalma
vous m’avez attendu en vain
car j’ai eu peur de passer la nuit
à boire avec les sages prêtres
s’il est vrai que je suis encore limité
mon seul mérite c’est la volupté
Ici j’apprécie
le silence
l’incessant et muet battement
des ailes des chauves-souris
Mon âme n’est plus qu’un béguinage abandonné 
j’ai honte de me l’avouer
Nulle nonne ne saurait de ses pieds nus
piétiner mon âme
Toi aussi
tu éclates soudain de rire
Flash ! 
voilà sauvée à mes yeux
Ton beau et sage visage
Père David – mon Père

 

  

Dans mon rêve
quelqu’un fond en larmes
je n’ai pas vu son visage
il me tournait le dos
s’éloignant
s’éloignant sans cesse
et moi sans savoir où
sidéré et debout
incapable de le suivre
le couteau m’est tombé des mains 
Je me vois en sang
jusqu’aux coudes
sans savoir d’où vient ce sans
qui sèche sur mes doigts
Me regardant dans le miroir
je vois ma gorge tranchée
Calmement je constate
que le mort
c’est encore moi

 

 

J’arpente les traverses
d’une ligne de chemin de fer
un train surgit devant
un autre derrière
Impossible d’y échapper
Si je saute sur le bas-côté
je perds le peu d’estime qui me reste
Simuler un suicide
serait trop lâche
Je ne parviens pas à choisir
quoi me tuera
Ils approchent inexorablement
Je m’allonge la tête sur le rail
le fracas des roues puis les pleurs
des deux trains qui partent pour la mort

 

 

Un vent violent soufflait
la nuit
L’orage grondait
secouant les vieux arbres du monastère
puis soudain se retira indifférent    
Assis devant ma fenêtre
je scrutais le néant  dehors  
écoutant dans le vide l’écho
du martèlement de la pluie  
Je ne me souviens pas
de quand je me suis endormi  
Au matin
je me suis réveillé
étendu sur le plancher
autour de moi partout éparpillés
des clous des coquilles d’œuf piétinées

 

  

Je ne vis que pour empoisonner
le bonheur des autres
Fardeau quasi insupportable
Me comparant à ma jeunesse
la honte m’envahit
Ce qu’est devenu l’homme qui fut
n’ayant pas su mourir à temps
Coiffé d’un bonnet de bouffon
il s’agite entre les planches
de quelques mètres carrés
Sa bouche voudrait mordre les mots
mais ne mâche que sable et froides racines

 

     

De lents moulins à vent
brassent d’épais nuages
dans le ciel blafard
Bouche sèche
J’aimerais marcher tête nue sous la pluie
Que le néant informe et froid
me trempe jusqu’aux os
On m’allonge sur un escalier de verre
Tout autour des bêtes pelées
exsangues me fixent
les plus hardies s’approchent
attirées par ma chair
De grosses mouches vertes
pondent leurs larves sur mes restes
néanmoins je survis au milieu des vers qui grouillent

 

Le funambule raccroche aux clous
ses pieds chaussés de chaussons
Des volutes de cigares
flottent dans la pénombre de la chambre
Sur le reste d’un cigare oublié
dans le cendrier
une libellule démembrée se balance
monde en miettes qu’accompagne
des miettes de musique
Le chef d’orchestre part la tête sous le bras
sa baguette plantée dans le dos
Son chien-guide
pousse gémit
et chie sur la nappe brodée
de la table empire du réfectoire
l’après-midi sectionne en deux
ses yeux exorbités
Je m’épingle avec une aiguille
ornée de rubis sur le coussin blanc
d’une vitrine en flammes
Au manège c’est bal jusqu’à la nuit tombée

 

 

Je commence à avoir des problèmes
avec mon visage
Je me l’imaginais tout autrement
à cinquante-quatre Comme s’il ne m’appartenait pas
ni à quiconque 
n’est pas un visage pâle
le plus souvent il fait penser
à celui d’un putain d’Indien
ou d’un terroriste irlandais alcoolique  
Père Omer
raconte au petit-déjeuner
qu’à leur insu on a vendu le monastère
Un si grand bâtiment
n’est pas érable
par six moines désemparés
À sa place l’année prochaine
on ouvrira un centre de désintoxication
Ce monastère s’est fort bien consumé
plaisante le père avec une joie franche
en fixant mon visage transporté d’émotion
Je le presse amicalement
Lui rit comme s’il voyait déjà
notre avenir réduit en cendres

 

 

(Traduction et adaptation : Jenö Farkas et Marc Delouze)




Les Revues “pauvres” (1) : “Nouveaux Délits” et “Comme en poésie”

Ce n’est certainement pas à l’excellent qualité des contenus et des projets  que renvoie le terme « pauvre » - mais comme pour ce qu’on nomme « l’art pauvre », je voudrais par ce titre souligner l’inventivité, les maigres ressources (les abonnements et l’investissement bénévole des revuistes), et ce génie de l’utilisation des bouts de ficelle qui permet de concocter des revues ne le cédant en rien aux plus connues, mais qui vivent à la marge, en raison de la confidentialité de leur diffusion.

« Nouveaux Délits, revue de poésie vive » en est un excellent exemple : de petit format (une feuille A4 pliée en 2), agrafée sous une couverture rousse, il offre 54 pages d’excellente poésie accompagnée d’illustrations en n&b – un illustrateur différent invité pour chaque numéro -  imprimée sur papier recyclé : « Du fait maison avec les moyens et la technicienne du bord, pour le plaisir et le partage. » ainsi que le déclare la maîtresse d’œuvre, la poète Cathy Garcia, qui mène contre vents et marées cette entreprise depuis 15 ans, et à laquelle je cède la parole en recopiant l’édito du numéro 60, dans lequel on lit l’enthousiasme et les difficultés de l’entreprise : 

"Eh bien, voilà un numéro qui n’a pas été simple à réaliser, il a fallu que je m’adapte aux circonstances assez pénibles et aux données qui m’étaient accessibles. Aussi Je profite de cet édito pour remercier infiniment celles et ceux d’entre vous qui ont pu répondre présent(e)s à mon appel à soutien pour le rachat d’un nouvel ordinateur, indispensable, le mien ayant pris définitivement congé après une dizaine d’années de pas trop mauvais services. Merci donc, d’ici quelque temps, une nouvelle machine devrait permettre de poursuivre l’aventure dans de bonnes, voire de meilleures conditions et aussi de stocker à l’abri, entre autres, 15 années de Nouveaux Délits !

Nouveaux Délits, numéro 60, avril 2018 , non paginé (54 p. environ), 6 euros (plus port, 1,50),
ou par abonnement via le « bulletin de complicité » (chèque de 28 euros pour 4 numéros) –
infos et adresse sur le site web 

 

Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable."

 

Feuilletons ensemble ce numéro fatidique : après l’édito que nous venons de citer in extenso, le sommaire : 7 poètes pour cette livraison, dans une partie intitulée « Délit de poésie » puis deux livres présentés dans la rubrique « Résonnance ». Suit la mention intriguante « Délits d’’in)citations percent la brume des coins de page » : en effet, la revue est ponctuée de citations plus ou moins longues, dans l’angle des pages non numérotées : on trouve dans ce numéro un proverbe russe, Victor Hugo, Daniel Biga, un haïku de Sôseki… ou encore – en écho au poème de Valère Kaletka, « Le lieu », cette phrase de l’humoriste Pierre Doris : « C’est très beau un arbre qui pousse dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse ». Car l’entreprise de Cathy Garcia, on le comprend vite, n’est pas dépourvue de cette distance souriante, qui lui a fait choisir le titre provocant de cette publication, liée à l’association et aux éditions Nouveaux délits, à Saint-Cirq Lapopie – rien de moins : revue pauvre, peut-être, mais au moins sous le regard tutélaire d’André Breton, qui y a séjourné après y avoir acheté une maison en 1950. D’ailleurs, si elle invite le lecteur à s’abonner, elle le fait en dernière page avec un « bulletin de complicité » qui vous propose de « blanchir (votre) argent en envoyant (votre) chèque à l’association – et comment résister à cet appel à soutien, lorsqu’on a pu constater la variété des textes publiés ? Dans cette livraison, outre Valère Kaletka, Pierre Rosin, dont on suit le parcours de peintre-poète dans Recours au Poème également, et dont je relève le post-scriptum à l’un de ses textes : « PS : nous pourrons garder les poètes et les peintres à condition qu’ils sachent jardiner ». Puis Daniel Birnbaum, Joseph Pommier, Florent Chamard, dont on peut écouter deux textes lus par Cathy Garcia sur la chaîne youtube « donner de la voix » 

Puis Vincent Duhamel avec quelques proses poétiques, et Antonella Eye Porcelluzzi, dont la biographie succinte nous amène sur google à regarder les films ou écouter à travers la voix de Cathy sur la chaîne associée à la revue

Vous ne connaissez pas la plupart de ces noms ? C’est qu’ils ont surtout publié en revue, et que les éditeurs ne les ont pas encore rencontrés, mais parcourez donc, sur le site, la liste des poètes publiés par la courageuse revue Nouveaux Délits – et : bonne découvertes !

L’indescriptible désordre de mes rayons ne me permet pas de vous présenter le dernier numéro de Comme en Poésie, revue arrivée à l’âge respectable de 74 numéros (soit 18 ans) – glissé sous une pile, d’où il sautera comme un diable quand je n’en aurai plus besoin, prêté et non revenu… qui sait le destin des livres, revues et brochures qu’on ne sait pas ranger comme dans les bibliothèques dont on rêve et qu’on voit derrière les écrivains qu’on admire…  Vous aurez donc la possibilité de découvrir le numéro de mars 2018 en attendant que l’autre pointe le bout de sa couverture pour me narguer – mais chut !

Jean-Pierre Lesieur, seul maître à bord, enjoint ses lecteurs et potentiels abonnés à avoir de l’humour car « ça ne coûte rien » . Voici comment il présente sa revue en troisième de couverture (car aucun espace n’est laissé vierge dans cette publication abondante, nourrissante – enfin, pour le lecteur, pas pour le poète ni pour le revuiste) :

 

 

Comme en poésie, n. 73, trimestriel, 80 p.
(revue seule, 4 euros, abonnement 1 an, 4 numéros, 15 euros –
730 avenue Brémontier, 40150 Hossegor –
informations sur le site de la revue « sur papier et par internet »

« La revue est entièrement pensée, fabriquée, envoyée, par Jean-Pierre Lesieur. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs que par abonnement. Ne la cherchez pas dans les librairies ni dans les grandes surfaces. Si vous y voyez Lesieur ce n’est pas la revue, c’est une bouteille d’huile. »

 

Introuvable, c’est vrai : je l’ai découverte jadis, sur le marché de la poésie Saint-Sulpice, à l’époque encore bénie où son éditeur, pauvre,  était invité à partager un coin de stand dans l’angle des revues… Ce n’est plus le cas, et c’est bien dommage, car cette publication mérite d’être lue, non seulement parce qu’elle permet à des poètes de faire leurs premières armes, mais aussi parce qu’elle offre de beaux textes, de belles illustrations, et de belles signatures. Car Jean-Pierre Lesieur l’annonce : «( on ne fera) pas d'exclusive poétique, mais recherchera une qualité d'écriture et d'originalité en faisant la chasse aux clichés, redites, traces informelles, doublons, minauderies, copies, piratage..“

Mais feuilletons ensemble ce numéro auquel ont participé pas moins de 30 poètes, parmi lesquels Gérard Mottet, Claude Albarède, Werner Lambersy… Feuilletons, avec quelque précaution : reliés sous sa couverture cartonnée thermocollée, on craint que les pages ne s’envolent avec les poèmes – mais non : l’artisan a bien tout soudé, et dans l’ensemble, ça résiste à plusieurs manipulations.  Comme la est aussi ouverte à différentes formes d'écritures, de dessins, de photos, de chanson, de performances, de mail art, de petites annonces humoristiques, de contes, de nouvelles, etc., Outre les poèmes, j’y découvre des illustrations, en noir et blanc et en couleur (4 pleines pages, dont deux consacrées aux photos d’Eliane Morin, illustrant le poème d’Evelyne Morin sur le « Chemin des Dames, 1917-2017) – et une couverture toujours magnifiquement illustrée d’un collage, d’une photo…), et une carte illustrée dont on comprend l’usage dans la rubrique du même nom : les lecteurs sont invités à légender les saynettes proposées. Dans le numéro 73, au centre, une dame en sous-vêtement 1900 parle à un monsieur en costume de  tweed qui semble bien furieux, tandis qu’un élégant à monocle renfile sa veste sur sa droite. Les deux pages nous proposent les légendes envoyées à propos de l’illustration du numéro précédent : une dame assise sur un sofa, dont on ne voit que l’énorme chignon démodé s’adresse à un homme aux cheveux longs assis à ses pieds … un peu George Sand et Musset… Parmi les légendes, je relève celle de Claude Albarède : « Poète ami des mots, des vers, des haïkus / reprends ta plume en mai, reste pas sur le cul / et quand tu seras las d’avoir poétisé / laisse tomber ton luth, et viens donc me baiser ! »

Aux poèmes s’ajoute une rubrique « pot-au-feu » dont le titre indique à tout cuisinier digne de ce nom qu’elle se compose d’un peu de tout, dans un esprit popote et bon enfant. Ici, des réflexions sur la poésie, les aléas des réabonnements, des aphorismes : « Il est mort des suites d’une longue maladie qui l’emporta tout de suite ».

Le tout ne serait pas complet sans les lectures Jean Chatard, et la « cité critique J.P.L » petit parcours personnel qui présente des livres et ici  également une série de petites revues dont on se dit qu’il serait temps de les lire aussi : Le Pot à mots, Friches, Spered Gouez…

 

 

Et pourquoi ne pas commencer par vous abonner à Comme en poésie ?  Vous faites une très bonne affaire, et une bonne action – et à défaut du numéro 74, dont  j’attends le retour, pour vous donner une idée de ce qui vous attend, voici son sommaire : 

 

Page 1 : UN NOUVEL ÂGE par jpl
Page 2/7 : Antoine JANOT
Page 8/17 : Faustin SULLIVAN
Page 18/19 : Silvaine ARABO
Page 20 : Gérard LE GOUIC
Page 21 : Ferruccio BRUGNARO
Page 22/26 : Jacques LALLIÈ
Page 27 : Guy CHATY
Page 28/30 : Claude ALBARÉDE
Page 31/33 : Colette DAVILE-ESTINÉS
Page 34 : Pierre BORGHERO
Page 35 : Ludovic CHAPTAL
Page 36/37 : Sylvain FREZZATO
Page 38 : Basile ROUCHIN
Page 39 : Èvelyne CHARASSE
Page 40/41 : Georges CATHALO
Page 42/43 : Jean CHATARD
Page 44/45 : Patrick PICORNOT
Page 46/47 : Aumane PLACIDE
Page 48/49 : Werner LAMBERSY
Page 50/53 : Cartes lègendées
Page 54/55 : Bastien MARIN
Page 56 : Françoise GEIER
Page 57 : Èmilie NOTARD
Page 58/59 : ALAIN JEAN MACÈ
Page 60/61 : Bernard PICAVET
Page 62/63 : Mireille PODCHLEBNIK
Page 64/65: Vincent CADET
Page 66/67 : Dominique MARBEAU
Page 68/71 : Jean CHATARD 
Page 72 : Claude ALBARÉDE
Page 73 : POT AU FEU
Page 74/76 : LA CITÉ CRITIQUE
Page 77 dénis parmain
Page 78 : Jacques BONNEFON
Page 79 : Luc ALDRIC
Page 80 : ADRESSES REVUES




Berbard Desportes, Le Cri muet

Nous sommes un peu dans les voisinages d’André du Bouchet où percent quelquefois un ton, un mot, un rythme qui le rappellent. Mais l’ensemble du recueil est bien personnel, ce ne sont que quelques croisements, dus à une fréquentation assidue d’une poésie, autre richesse à se joindre. Recueil qui allège la lecture par des alternances de proses, de poésies et de lettres, le tout à géométrie variable maintenant néanmoins une ligne de mire propre à l’auteur. Divers lieux où passe le poème (Truinas, les Cévennes, la Normandie…) nous assurent un voyage, une légèreté qui y prend appui puis s’élance vers son propre devenir :

Bernard Desportes, Le Cri muet,  Frontispice
de Gilles du Bouchet, Editions Al Manar, 18 euros.

route coupée
me rompt à moi-même
et moi-même alors
loin devant moi

Cette poésie s’adresse à l’espace du noir, à la défiguration tout aussi bien qu’à l’espoir et l’été. Tout est venu et tout est à venir dans un élan qui nous porte plus loin que nous. Il y a aussi un espoir voilé dans ce cri de : l’âcre monde.Il se produit un mouvement de resserrement puis d’ouverture, une oscillation entre perdre et retrouver, entre l’épars et l’unité. Une solitude surgit quand la parole ne parle plus aux impossibles rencontres, aux dialogues avortés.

Il y a une recherche de la présence du monde, et, de celle de l’auteur en particulier au travers de ce recueil dont une certaine unité est assurée par la nature partout suggérée et par le ténu de la vie ordinaire qui loin de nous abattre, relève la route devant nous. Tous les horizons convergent vers un même point. Il s’agit d’un dépassement de soi par des voix/voies multiples que souligne la diversité de ce recueil sans fond, sans fin dans le jour/inachevé, même si … la jouissance de l’anéantissement /submerge la parole. Dire aura encore été ce qui nous aura sauvé : page blanche gravée de signes livrée à cette extrême attention qu’est le réel sans concession. Il y a une pudeur à parler de ce recueil vécu dans le ressenti et dans l’approche de la poésie, celle que l’on fait sienne venue à la rencontre de notre vie pour nous élever.

Je ne suis pas /d’ici fait écho à Le Cri muet quand La lumière hache le jour.

Beau frontispice de Gilles du Bouchet qui part, s’affirme et puis s’en va comme il est venu, discrètement.




Laurence Chaudouët, Ta seule mémoire

Comme une procession de lents taureaux de bronze

L’obstination de la terre aux semelles

J’irai jusqu’au chemin des veines cristallines

Au souffle minuscule dans le brouillard lointain

Presque invisible et ta seule mémoire

 

 

Derrière les murs du jardin de Jouarre les arbres
            étaient portés par une grâce légère

Les feuilles silencieuses ouvraient un chemin dans la pierre
au loin sur de profonds portiques

Mon ombre très loin
suivait le mouvement souterrain des feuilles

Et c’était là
une douce vision de la mort

 

 

C’est dans ton pas que mon pas se fait

Il n’est pas le tien il n’est pas le mien
            Ensemble pourtant ils s’unissent

Il n’est plus permis de prendre les chemins de terre
             Où le souffle se change en cristal

Plus une seule trace pour les yeux

Comme mes yeux sur ton visage
Ne voyaient plus de marques

Et comme
Je n’entendais plus de plaintes

Je ne vois plus n’entends plus que je t’appelle

Nos pas se font pas à pas ensemble

 

 

Il ne cherche pas de l’amour
(ce serait se nier lui-même)

Cet amour qui est de la terre de la lumière et de l’eau !

 

 

Nuit boréale dans le milieu du jour
Toute chose usée par une ardeur blanche
Dont aucune n’est déchiffrable

En glissant rien ne marque
Ni la trame aiguisée des pensées les plus pures

Mais après le silence de craie
On entend une musique
Prisonnière d’une chair invisible

 

 

Mes mots sont des pierres de sable et l’invisible coursier du silence
les accompagne

            Nulle part le tamis n’est si fin que le silence ne puisse l’emplir

            Les mots s’arrêtent à toi seul à toi pour jamais

Il n’est de silence plus insaisissable que la pierre où toute chose se replie et s’absorbe
            Sans atteindre le plus petit atome

            où le saisir minuscule là où ton absence dure
            Toujours semblable et jamais la même

            Mais je t’aime sans nulle limite et quand je te parle le monde me répond
            Par ton absence de parole     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Résonance Générale

La dernière livraison de la revue, dirigée par Serge Martin, Laurent Mourey et Philippe Païni, s’accompagne d’un billet de l’éditeur annonçant la fin de cette aventure éditoriale – ce dont tout lecteur se désolera, autant en raison de la qualité des contenus que de l’élégance de cette publication en cahiers cousus, façonnés de façon traditionnelle, et imprimée sur un beau papier ivoire.

Ce qui caractérisait (il me pèse de l’écrire au passé) l’esprit de Résonance générale, c’était son « refus de la séparation lire-écrire-penser-vivre » - refus également de la séparation entre poème et théorie, d’où le sous-titre cahiers pour la poétique

S’ouvrant sur un édito commun des « rédacteurs de la revue » intitulé « Manifeste continué », chaque livraison regroupe les textes en diptyque ((on en trouve la liste sur le site de l’éditeur, avec la possibilité d’acheter les numéros restant, ainsi que le numéro 10, qui clôt la série, au prix exceptionnel de 10 euros  )) dont les titres sont repris sur la couverture.

« Insaisissables danses, tes miracles » annonce le numéro 8, qui présente des textes de Charles Pennequin, Matthieu Gosztola, Alfred Jarry, Thierry Romagné, Frédérique Cosnier, Guy Perrocheau et Serge Riman, ainsi qu’un cahier de photos noir & blanc d’Adèle Godefroy.

Le poétique « manifeste » - rien d’explicatif, dans ces textes liminaires que le lecteur reçoit comme un poème-essai en prose d’ouverture – est inscrit sous l’égide des danseurs de L’Iliade (livre XVIII) et cite, outre Georges Did-Huberman Patrick Boucheron et Alice Godfroy. Je retiens ces lignes du premier: « N’est pas n’est que pas dansé-mouvant et c’est ce qui fait corps et phrase /En longueurs inégales pas en ressac non plus dans les rythmes la fibre (…) » et  ce passage dont la résonance me met en condition d’accueil des textes et poèmes qui suivent :

 tout ce qui fait consonance est la meilleure voie vers la nuit

la solitude et le silence sans aucune servitude dogmatique

pour déployer l’espace intérieur d’une danse même dissonante

où s’entend toujours la pluralité des corps vifs ou morts 

Résonance générale : cahiers pour la poétique,
revue semestrielle, numéros 8 et 9
L’Atelier du grand tétras, 128 p, 12 euros.

 

*

C’est par l’intermédiaire de Théodore de Banville que « La Ronde des nuits debout » dans le numéro neuf, se place elle, sous le drapeau de l’insurrection ; patronage dont la surprise se dissipe dès l’abord : il s’agit du poète des « heures heureuses » sous l’égide duquel se place l’édito jubilatoire et critique. On y souligne ce qui fait l’originalité de la revue : son côté collectif, sans revendication d’ego – un collectif dans lequel le poète, parce qu’il incarne la marge, a sa place pour « mettre le doigt là où ça parabole » - faire sens avec les événements, entraînés dans « la rOnde » (sic) qui clôt aussi la livraison de façon tout à fait exemplaire. Françoise Delorme, Rolf Doppenberg, Nathalie Garbelli et Isabelle Sbrissa se sont engagés dans un échange circulaire de poèmes – « une écriture singulière et collective, une ronde poétique qui se construit au fil des textes et que nous envoyons dans des enveloppes timbrées » entre le 23 mars 2015 et le 21 septembre 2016, nous donnant à lire seize textes librement inspirés les uns des autres, par un jeu de déplacements, d’échos et de résonances, qui suscite des parcours ludiques de lecture – jeu dont on aurait aimé qu’il se prolonge, comme ce flux souterrain évoqué dans le dernier courrier :

 

et la rivière souterraine

comme une Durance d’en bas,

une durance sous-sol 

toute une Provence phréatique s’abouche à la mer

durance de fond

ses eaux douces viennent se mêler à l’eau de mer

même son embouchure est sous les eaux 

 

Entre les deux – le manifeste aux couleurs de révolte, et la confluence imaginaire de cette durance poétique – on découvrira une série de réflexions sous forme de poèmes d’Arnaud Le Vac.  « Une vie humaine » interroge les idéologies de notre siècle, les désastres du précédent, et sous le titre « Soleil, cou coupé » (où l’on reconnaît le dernier vers de Zone, d’Apollinaire ), interroge la fonction de l’artiste ou du poète :

 

« Pas d’erreur sur l’heure,

c’est de ce siècle

que l’on voit et parle aujourd’hui.

D’un sujet autrement

souverain.

Et de ce qu’il aura fallu vivre :

l’esprit en fuite,

le rire en tête,

la vie dans tous ses états,

pour reconnaître et célébrer

ce qui importe. »

 

Guy Perrocheau, Angèle Casanova (avec dix poèmes autour de « pandore eve épouse de Barbe bleue » et de la tentation scopique), Chantal Danjou, dont on relève la magnifique image « l’Horizon est le chien rouge qui s’approche de la nuit », Marie Desmée et le texte d’Alexis Hubert sur les lavis de Philippe Agostini composent la première partie « des nuits debout ». Serge Ritman ouvre la seconde, consacrée à « la rOnde » déjà évoquée.

Une partie « on continue » propose, p. 112, des notes de lecture, et p. 118, Serge Martin offre aux lecteurs un texte provenant d’une journée d’études à La Sorbonne Nouvelle en juin 2017, qu’il intitule « Pasolini et le pathos ou le poème au plus près », dans lequel la philosophie qui a guidé les années « Résonances Générale » et son « énonciation échoïque » (p. 123) se trouvent magnifiées et explicitées. Je ne peux qu’inciter le lecteur de cette note à se précipiter sur le site de l’éditeur pour se procurer ce numéro et le suivant, le dix et dernier, hélas.

 

 

 




Constance Chlore, L’Alphabet plutôt que rien

Affirmer la préférence de l’ « alphabet » à un certain « rien » intrigue. Il fallait oser confronter  le mot (bourré de lettres alphabétiques) à sa propre absence (néant total ou peu de chose), comme si le mot pouvait aussi être absent ou a contrario l’absence se muer en langage. 

Glisser de surcroît un adverbe ((Cf. Carole Mesrobian, titre avec locution adverbiale en conséquence (Le sursis en conséquence)) dans le titre donne un coup de semonce à la titrologie classique, tout en la rénovant dans le respect de la grammaire. Ainsi s’ouvre la porte d’entrée de cet ouvrage de Constance Chlore ((La poétesse porte un nom d’empereur romain, bien involontairement, on s’en doute !)), poétesse aux pulsations multiples. Elle entame la « traversée chaotique  vers la construction de soi, de l’amour, du langage » qui croise ça et là « de larges appels de vent ». Selon quel cheminement ? « Tu grandis dans ton ombre », écrit-elle. Est-ce le fil rouge conduisant sa pensée ?

Dans le dédale des variations typographiques (corps et typo variés), certains mots font des sortes de bonds dans notre direction. Bousculant le reste du texte, ils participent à l’approche singulière de chaque lectrice. Tous traquent des mouvements de l’âme : reflux, ressac, sauts, rythme, j’oscille…. 

Constance Chlore, L’alphabet plutôt que rien, Editions éoliennes, 2017, 80 pages, 12 €.

Souvent aquatiques ou marins, ils évoquent volontiers des rives, des abimes, des gouffres.  Au détour des pages, ils révèlent des « éclats de crinière », des « harpes d’aile », le « ventre des abîmes », « les ombres rapides du vent » ou l’ « écho transparent des larmes ». Autant d’images éblouies qui emportent la lectrice dans le phrasé et les soubresauts de leur vague !

Cet opuscule revendique son propre langage d’amour. Le corps y est puissamment présent, parfois ardent (« Tous mes sens m’éveillent à l’autre »), parfois happé par les effets de ses désirs («  Ma propre faim est ton appât »).  Il génère le lien affectif : « Nos doubles présences dans l’étreinte ne relâchent pas ». Le poème Pierre  évoque une lumière à la fois évanescente et étincelante en un lieu où l’autrice se souvient avoir été une autre personne avant de se découvrir elle-même (« je rejoins mon visage »).

Le titre du recueil s’éclaire en fin de ce parcours en un poème qui le répercute.  « Entre consonne et voyelle se révèle-t-on à soi-même ?» interroge la poétesse. Elle s’exclame alors : « Je t’écrirai un poème en forme de E », libérant nombre de mots  qui commencent par cette voyelle : écarlate, éclats, enfer, élévation, escalier, éphémères, élytres… « Dans les cheveux de la mer/l’alphabet est apparu/et tout a changé ». Ses mots sont - en quelque sorte -  nés des eaux. Ils habitent un monde dupliqué où «ici est là bas ». 

Certes les jeux graphiques réitérés (points de suspension, parenthèses, racines carrées, pointillés, points de suspension, lettres en gras) laissent perplexe. Ils ne semblent pas définir une forme spécifique (calligramme), proposant  des signaux spontanés ou de hasard peut-être simplement échappés du clavier d’ordinateur.

Et puis, enfin, quelque part aussi (p.48 !), une phrase merveilleuse - presque ultime - qui clôture une pensée : « Regarder est mon silence ». Elle donne envie de se taire, de muer notre regard en un mutisme fusionnel. Oui, mais qui écrira alors ?