Elliot Serin, Primes carmes

 

Plume ambrée, sur ses lèvres le carmin

et la douce mystique d'une voix féminine.

Du halo le parfum qui encercle son corps.

Repetto ; elle porte de l'Orient quelque part

 

Des ahans que grognaient mes pensées,

me voilà longer le délinéament de son corps.

Il me faut me servir d'une myriade de syntagmes,

essaimée dans mon esprit,

et articuler en arial ce ravissement 

auquel elle m'affecte. 

 

 

Dans le monde vorace 

savoir équilibrer

ses revendications.

 

S'arracher un temps 

à la quête tortueuse 

d'un sens obtus.

 

Retrouver plutôt 

la parole transgressée

et l'écho puissant 

des choses invisibles.

 

 

Devant la pureté des azulejos portuans

sur les humbles murs de la terre et des hommes

la vérité du ciel est retranscrite 

majesté bleue.

 

 

Tu pourrais prendre cela 

de si grand sur toi 

et désormais dire 

de manière générale 

oui au monde.

 

Tu pourrais à ton gré

aménager du moins l'affront

à travers l'assurance de ses lèvres

et l'enseignement grandiose 

de vies précédentes

 

Bien qu'il te soit dur 

de rétracter la défense 

fauve de tes principes,

bien que l'humilité soit là

il faudra faire carrière

comme tu le pourras.

 

Oui au monde

tant que tu optes pour le biaiser

sans jamais assoupir ta liberté 

dans l'affairement gris.

 

 

Seules tes églises, Rome,

 me calment du désir ambiant

tentaculaire 

de ces foules qu'attirent tes ruines. 

 

Tes musées archéologiques,

seuls déserts que tu abrites, 

nous informent :

on vient pour se faire voir sur ton échine, 

on vient pour les autres 

qui t'arpentent ou te jalousent.

 

Un hymne à la séduction 

tu, mais constant.

 

Une folie sans race,

tant que l'on croit plaire.

 

Sur le forum, 

un lupanar 

à deux pas de l'autel. 

 




Andrée Chédid, Rythmes

La jeunesse, les mouvements, l'exil, les voyages, la voix, les métamorphoses, la liberté, les rythmes : la vie. C'est bien une ode à la vie à laquelle nous convie Andrée Chédid, où l'horizon s'écarte en saisissant le temps à bras le corps.

Pourquoi parler quand on peut chanter, ce pourrait être le mot d'ordre de sa poésie, elle qui fut toujours au plus proche de l'hymne vital. 

Andrée Chedid, Rythmes, Gallimard, Poésie, décembre 2017.

 

Ici le cri et la tendresse ne sont plus contradictoires mais complémentaires, naviguant dans « l'estuaire des mots », même si nos rêves s'agrippent encore aux vieilles pierres, même si la vie sur Terre est aussi fragile qu'une herbe, même si nos mains ne savent plus retenir.

Notre cœur bat toujours au centre du soleil.

Cette réédition est augmentée de la préface de Jean-Pierre Siméon qui nous donne à voir, à sentir, à toucher plus qu'à analyser, exposant les nombreuses dimensions de l’œuvre d'Andrée Chédid, en rappelant « je suis multiple » qui, plus qu'une formule, pourrait être sa signature, faisant écho à la diversité humaine qui forme un kaléidoscope parfois magique, que notre époque simplificatrice a un peu trop oublié, nous éloignant ainsi de notre vérité profonde où la poésie, rivière souterraine, en est une des sources essentielles.

Le souffle d'Andrée Chédid est encore si doux et si puissant qu'il nous emporte sans que l'on puisse y résister, si loin et si près que c'est un voyage initiatique de toute une vie que nous parcourons, où la vieillesse est un ciel généreux qui côtoie la jeunesse.

Les fragments d’éternité que nous sommes nous poussent parfois au-delà du portail de notre finitude, nous faisant prendre conscience, par un retour au présent,  de la beauté de ce qui nous entoure. Ainsi l’ultime partie est celle de l’émerveillement, où le ruisseau du regard extérieur coule au milieu de l’envoûtement des astres, braises d’un feu primordial, quand les mots sont impuissants à capter la sensualité, la force et les rêves infinis, quand la lumière est matière et le silence le langage du temps. Être au présent pour voir l’aube qui éventre l’obscurité, se laisser éblouir par la vie et ses formes démultipliées, transgresser sans jamais dénaturer et caresser la grâce de l’eau, goûter la pulpe de l’innocence, ouvrir les sens et l’instinct aux sentiments les plus enfouis, en abandonnant les algorithmes mécaniques des grandes villes.

D’eau et d’étoiles, de terre et d’espace, au présent et à l’infini, fluide ou minéral, « à force de renaître, auréolé de rêve », c’est l’amour qui a le dernier mot.




Jean-Pierre Boulic, IMPRESSIONS et autres textes

IMPRESSIONS

Le jour passe l’épaule
Le moineau gris
Sur le talus s’immisce

Le parfum des fougères
Ne gêne en rien
Le songe d’un vieux trèfle

Sur la dune et les champs
L’air est léger
Et son souffle invisible

Le présent est si beau
À la Saint-Jean
Dans l’élan du solstice

Je vis ces lieux aimés
De la lumière
Qui perle goutte à goutte.

                       *

 

CHEMIN

Sagesse des passereaux
Et louange des ombellifères
Humus aux parfums boisés
D’une allée où l’on trouve son âme

Lueurs des pierres
Et souffle de la création
Sous le regard du soleil

Mes lèvres s’ouvrent
S’accordent d’un cœur émerveillé
Au chemin de l’invisible.

                       *

 

ENVOL

Son plumage s’ébouriffe
Et de son pas étoilé
À l’instant de son envol
Il trace l’ordre des choses.

Non ce n’est pas la blessure
De la neige du jardin
Sous le dur soleil d’hiver
Mais le saut d’un rouge-gorge.

Retiens sa magnificence
Au point de faire silence.

                       *

 

DÉCRYPTAGE

Tombée du jour sur le port
Oiseaux à même les quais
Nos pas chuchotent, écoute
Les feux s’allument en mer.

À la barre d’horizon
D’un ciel sans convulsion
La lampe rouge du phare
Arrimé aux pierres noires.

Le temps semble s’échapper
Un signe nous est donné
Regarde et vois, seul demeure
Le beau silence incréé.

                       *

 

OISEAU

Oiseau gardant les yeux ouverts
Tu vas si difficilement
Sur le satin des jours des nuits
Par la forêt ses châtaigniers
Et les chuchotements de l’ombre
Parmi les landes et bruyères
La vaine terre les clairières
Des parcelles de vie.

 

 

 

EN PENSANT AU 26 JUILLET 2016

                                                    in Père Jacques Hamel

 

Offrant à jamais le sacrifice
D’un Christ relevé,
Avec une poignée de fidèles
Le vieil homme au regard émacié
A vu ses bourreaux
L’exécuter sans raison sinon
Celle cruelle sortant alors
D’un cœur de misère
Ignorant ce qu’il fait d’être ainsi.

Le sang du vieil homme
Vivante parole
Allant aux jointures et moelles
A coulé sur la légèreté
De cet été au pied de l’autel
Et sur les parvis de l’Éternel.

Depuis Abel jusqu’à Zacharie*((*Luc 11,51))
Et celui du mort au Golgotha,
Un lieu-dit sinistre,
Tous martyrs d’aimer sans renoncer
Le sang a coulé
De la plus petite pauvreté.

Le sang a coulé
De ceux qui ont vécu l’indicible
De la liberté
Dont certains veulent briser la clé.

De son sang versé
Le geste d’abandon du vieil homme
En toutes villes et les bourgades
Allume la lampe
Qui peut éclairer l’amour du monde.

 

                                           

 

 

 

 




Jean-Jacques Marimbert, La Fresque et autres textes

La fresque

Oh, frontispice de mes nuits, fresque de sable blanc,
Scènes gravées, à la lumière d’un halo italien. La rue
Baigne dans l’orbe du lampadaire muet. Les temples
Donnent sur le ciel, la mer et des portes, oh, à l’infini.

Chaque porte cache une énigme. Aucune ne s’ouvre.
Aucune pourtant n'est fermée, et j’entends des bruits
Ambigus. Râles d’extase et de mort, paroles étouffées
Et chuchotées. Éventail de cris et de rires. Rhapsodie

Houleuse qui annonce meurtre ou jouissance, orgasme
Ou dernier souffle, vengeance acide ou secret d’amour.
Je croise toujours un enfant, et une silhouette fugitive.

J'accroche une voile au soleil. Je découvre la fresque.
Une place ombragée, le reflet d'une île sur l’herbe. Je
M'y réfugie, consolé, oui, pour glisser dans l’inconnu.

Brume d’été

Dans le reflet d’une vitre passe, déjà enfui, le
Souvenir d’un drame, soleil couchant, l’épave
Naufragée d’une buée d’espoir. Souffle coupé,
J’ouvre grand la fenêtre, et tente de dire, quoi.

Touffeur, brume d’été. Pluies aveugles du fond
Des marais, lambeaux de lumière percés d’yeux
Inquiets, visage retourné dans un reflet de lune.
La rivière est d’argent, le ciel, criblé de songes

Hurleurs. L’essaim du désir frissonne. Le temps
Désincarné, à la nuit nue, coule à travers champ.
La voix blanche des éclairs de chaleur teinte la

Musique joyeuse des insectes prêts à mordre la
Vie, à aimer l’entrelacs des herbes lascives, oh,
Dans le labyrinthe d’une blessure immémoriale.

Fuite ou sommet

Si longtemps cette chute, je ne suis sûr de rien.
Est-ce un sommet à gravir ou un col à franchir,
Dans le vent chaud de la confiance. La lumière.
Soudain le sol se délite, nuage poussiéreux, de

Sang, non, de coquelicots épars. Tendre la main.
Oh, soleil des peurs, soleil des nuits, lamparo et
Longs couloirs où je fuis. Est-ce un puits, un pic.
Si longtemps cette chute. Non, remonter, tu sais,

Remonter, s’accrocher. Ne rien entendre, ni croire.
Tout fuit, s’effondre, matins dorés, sable des jours.
Chercher un regard. Je vois un parc et des statues.

Sublime sagesse, force, indifférente beauté. Ai-je
Failli. Leur voix me caresse, et les arbres chantent.
N’abandonne pas, oh non, aimer n’est jamais vain.

Ouvrir

J’essaie d’ouvrir, qu’y a-t-il. J’ai beau accueillir, est-ce
Moi. Ce volet, tous les matins. Rien n’y fait, ni tristesse,
Ni rage, non, un voile cache le soleil. Je me suis éveillé,
Pour jouer, levé, dans le couloir, oh, la forêt de tes yeux.

Voir, essayer, embrasser. Je refuse de marcher, ne veux
Plus. Dans un jardin, une statue, moi. Aimer le marbre
Et les rosiers, manger le ciel et dormir. Voir les oiseaux
Posés sur mon bras, les enfants me lancer des cailloux.

Assis sur un banc, je lis. L’écureuil m’observe, j’essaie
De parler. Les mots coulent dans l’herbe, bouche sèche.
La joie des fleurs s’évapore dans la poussière d’un vélo.

Il fait nuit, oh, soudain. Pâleur des fontaines, les arbres
Sont inquiets. Les pages de mon livre sont des miroirs.
J’ouvre les yeux. Fin d’après-midi, caresse de l’ombre.

Les dieux de marbre

Aimer le marbre et les rosiers, tandis que les acacias et
Les tilleuls dansent. L’autan furieux, embruns des fleurs
Aux pétales froissés, harpon du temps planté dans l’eau
De la fontaine. Peindre cela, et non des tripes les tracas.

Sait-on ce qui, du corps au pinceau, au fusain, passe et
Change le monde, non, le crée. La main trace les lignes,
La vie de la main est dans l’ombre laissée, nue, au reflet
Des échos, au remous des cellules, aux images fuyantes.

On voit l’attente et la mort, de longs voyages sur l’océan,
Les muscles battus par le vent et le rêve des baleines, les
Côtes lointaines approchées de nuit. On entend, enfin, le

Chant des villages brûlés et les dieux de marbre. Il suffit
D’un oiseau pour que la terre tourne, que la main prenne
Au vol un regard, une caresse, oh, le bonheur d’un matin.

 




La Fabrique de levure : Choix de poèmes de Jakub Kornhauser

Passeuse de pépites littéraires, la poète Isabelle Macor a traduit La fabrique de levure de Jakub Kornhauser, qu’elle a présentée en édition bilingue, aux éditions LansKine, en mars 2018. 

 

Le poète (lui-même traducteur, essayiste, éditeur, critique littéraire et critique littéraire…), né en 1984, a obtenu en 2016 le très prestigieux prix "Wislawa Szymborska", lors du festival international de poésie de Cracovie, "Festival Milosz".

Invitée par l'Institut polonais en tant que spécialiste de poésie polonaise pour prospecter et voir quels seraient les poètes à traduire en français, Isabelle Macor découvre cet auteur et nous fait partager le pain poétique produit par le levain de ses mots,  dont elle déclare : « J'ai adoré travailler sur cette poésie, la traduire, l'écrire et la réécrire...Réminiscences de la vie juive en Pologne, visions fantasmagoriques inspirées par des tableaux de peintres des avant-gardes européennes de la modernité... comme une nouvelle enfance de l'Europe ». 

La fabrique de levure

 

Dans un vieux bâtiment, niché sous les cheminées, vivait un pivert, sourd comme une souche. Par les carreaux cassés nous lui jetions du pain et des fourmis. Le bois se déglinguait de partout et le crépi du mur rappelait les rouleaux de la Torah. Nous ne savions pas encore que dans les ruines près du fleuve se cachait une petite synagogue. Les feuilles pourrissantes sentaient la levure. Nous observions la pointe de nos chaussures qui prenaient l’eau. Mon père n’a jamais voulu croire que le pivert rit comme un homme. Du reste d’autres oiseaux vivaient là aussi, pas plus gros qu’un pouce. C’était l’automne - la neige n’était tombée qu’en mars.

 

Jakub Kornhauser, La fabrique de levure
traduction et introduction d'Isabelle Macor
éditions Lanskine - Catherine Tourné Lanskine,
2018 ; Ailleurs est aujourd'hui, 2018, 104
pages, 14 €.

Drożdżownia

 

W starym budynku, gnieżdżącym się pod kominami, mieszkał zielony dzięcioł, głuchy jak pień. Przez rozbite okna wrzucaliśmy mu chleb i mrówki. Wszędzie walało się drewno, a tynk na ścianach przypominał zwoje Tory. Nie wiedzieliśmy jeszcze, że w ruinach nad rzeką ukrywa się mała bóżnica. Butwiejące liście pachniały drożdżami. Obserwowaliśmy, jak naszym trzewikom namakają nosy. Ojciec nigdy nie chciał uwierzyć, że dzięcioł śmieje się jak człowiek. Zresztą mieszkały tam też inne ptaki, nie większe od kciuka. Była jesień, a śnieg spadł dopiero w marcu.

 

*

 

Zamłynie

 

De l’autre côté du remblai de chemin de fer, là où on avait trouvé le corps sans vie du cordonnier, je contemplais les étoiles. Il fallait contourner le moulin, les flaques d’eau et les lapins, plus loin le chemin vicinal menait à une clairière. Dans le livre que je portais avec moi il y avait un personnage de vendeur de couteaux. L’homme avait une allure débraillée et c’est peut-être pourquoi personne ne le laissait entrer à la maison. Les étoiles étaient mouillées comme des flaques et elles ne tombaient pas du tout. Elles s’en allaient au petit matin avec le roulement des trains perdus.

 

Zamłynie

 

Po drugiej stronie nasypu kolejowego, tam, gdzie znaleziono martwego szewca, oglądałem gwiazdy. Trzeba było obejść młyn, kałuże i króliki, a dalej polna droga wyprowadzała na łąkę. W książce, którą miałem przy sobie, występował sprzedawca noży. Mężczyzna ubierał się niechlujnie i może dlatego nikt nie wpuszczał go do domu. Gwiazdy były mokre jak kałuże i wcale nie spadały. Odjeżdżały wczesnym rankiem wraz z turkotem zagubionych pociągów.

 

*

Carré rouge sur fond blanc (Malevitch)

 

Les dernières maisons rampaient vers la sortie, j’observais leur retraite derrière l’église. Au deuxième étage on projetait un film, chaque jour le même bien qu’avec une nouvelle fin chaque fois. Dans la petite charbonnerie des étagères de livres nous guettaient. Un jour j’en ai volé un, il avait une couverture noire et sentait le rêve encore chaud. Derrière la vitre on voit le tabernacle et une femme qui se coupe les ongles des orteils, sur les étagères – des rangées de livres identiques. Ce jour-là, le film s’est terminé bien plus tôt que d’habitude et j’ai dû errer dans les rues désertes. J’ai inspecté chaque faille, cherchant des portes en fuite, des poignées en exil.

 

Czerwony kwadrat na białym tle (Malewicz)

 

Ostatnie domy czołgały się do wyjścia, obserwowałem ich kryjówkę za kościołem. Na drugim piętrze wyświetlano film, codziennie ten sam, choć z coraz to nowym zakończeniem. W komórce na węgiel czyhały regały z książkami. Kiedyś ukradłem jedną z nich, miała czarną okładkę i pachniała ciepłym snem. Za oknem – tabernakula i kobieta obcinająca paznokcie u nóg, a na regalach szeregi identycznych ksiąg. Tego dnia film kończył się znacznie wcześniej i musiałem wędrować po opustoszałych ulicach. Zaglądałem w każdą szczelinę, szukając zbiegłych drzwi, klamek na emigracji.

 

*

La maison du mélamed I

 

Personne ne se souvient des gels qui crépitaient, des arbustes d’aubépine, des fauvettes qui tissaient leur nid sous le plafond. Les caisses en bois se sont vidées, les martres ont sorti les derniers kaftans et les chemises repassées avec soin. Quelqu’un a essayé de monter sur le toit de la boulangerie mais l’échelle s’est cassée et il n’est resté que quelques photographies sales. Sur l’une d’elles un vieux rabbin se voile la face avec le Livre tandis que la fumée s’élève au-dessus des branches chauves. La neige a fondu sous les bottes et le soleil, dans la maison du melamed les bougies brillaient tard dans la nuit. Chaque année les marchands grattaient les rides bleues des murs, des tapis s’écoulaient le pavot et le sable. Les fauvettes revenaient toujours au printemps bien qu’on ne les voie sur aucune des photographies. Ni les biches et les blocs de glace sur le fleuve. Les pompiers qui arrivaient de localités voisines éteignaient le feu. Ils avaient de grandes mains chaudes et des yeux noirs.

Dom mełameda I

 

Nikt nie pamięta trzaskających mrozów, krzewów głogu, piegż, które założyły gniazdo pod sufitem. Drewniane skrzynie opustoszały, kuny wyniosły ostatnie chałaty i starannie wyprasowane koszule. Ktoś próbował wejść na dach piekarni, ale drabina złamała się i pozostało tylko kilka brudnych fotografii. Na jednej z nich stary rabin zasłania twarz Księgą, a dym wznosi się ponad łysymi konarami. Śnieg topniał pod butami i słońcem, w domu mełameda do późna płonęły świece. Każdego roku handlarze wydrapywali błękitne zmarszczki w ścianach, z dywanów sypały się mak i piasek. Piegże zawsze wracały wiosną, chociaż nie ma ich na żadnej fotogra i. Ani saren i lodowych kier na rzece. Ogień gasili strażacy, którzy przyjechali z okolicznych miejscowości. Mieli duże, ciepłe dłonie i czarne oczy.

 

 

*

La cabine de bain (Ensor)

"Vivre dans une maisonnette au bord de la mer, une grande cabine de bois sur roulettes. Les crabes, qui entrent par le hublot sans vitre, apportent les restes du vent et de grosses moules. La plage est vide, on n'entend que les grands-gravelots fouiller les algues colorées. Le sable coule parmi les nuages, le bois crépite sous le soleil. Dans la maison se sont cachées des silhouettes maigres masquées, squelettes déguisés, et une vieille flûte. Quand on pose l'oreille contre le mur, les vagues deviennent bleues et les nuées se cachent entre les chalutiers. Vivre dans une maisonnette au bord de la mer, s'enterrer dans le sable."

 

 

 

James Ensor, "La cabine de bain", 1876




Alain Morinais, Une ombre et autres textes

Une ombre - 272 -

 

Et
Le regard se cherche
Au delà des mots
L'intention de la voix
Blanche
D'avoir trop dit
La bouche
Tordue
En appel à son cri
Les yeux
À tourner les pages
Se mouillent d'encre bleue
La tête s'alourdit
Cicatrices de cendres
Couvertes des silences
Arrachés aux ongles de la nuit

 

 

De la valeur des choses - 270 -

 

Les yeux s'arrachent à l'instant
Les poings enserrent déjà la prochaine pierre
Pierre à pierre sans rêve autre que la suivante                     
L'ascension ne prépare aux vertiges des cimes
Des sommets l'horizon est appel aux abîmes
Sauf à verser de l'autre côté du monde
et s'y oublier

Eau vive à dévaler les pentes
Les chemins de glace perdent la mémoire
Les déchirures d'écorce endormies s'effritent entre les doigts du temps

Et la beauté est l'éclat du sourire d'une souffrance au regard fier

 

 

L'atelier à ciel ouvert - 266 -

 

À user le temps
le tourneur de jour
parsème les nuits de copeaux de soleil
jusques aux limailles amoncelées
au matin du grand œuvre

Ignorant les tours à usiner encore
le noyau du futur s'amenuise

Céleste mécanique d'insaisissable horizon
ou machine outil de réelle précision ?

Le ciel court après tant de nuages
Le vent seul semble maître d'ouvrage

 

 

Derniers mots - 260 -

 

Plume à scarifier l'oubli
Écrivailleur pressé
             de s'attarder encore

À l'encre parfumée d'épices
              les mots
                           à chaque porte se bousculent

La dernière s'ouvre
             au champ d'immortelles

 

 

 

 




Claude Raucy, Sans équipage

Qu’on me pardonne, parmi beaucoup de poètes, le poète belge Claude Raucy m’était jusqu’à présent inconnu. Voici comblée une lacune, avec le petit recueil de cet authentique poète, à l’expression élégante, d’un sentiment subtil, à la fois délicat et profond. Cette plaquette est un long thrène, une déploration sans apesantissement superflu dans l’émotion, sur la disparition (semble-t-il) d’un frère. Tout le livre a pour fil conducteur le rêve que Jean de La Ville de Mirmont formulait en disant : « J’ai de grands départs inassouvis en moi » ; cet imaginaire des « vaisseaux qu’on a aimés en pure perte », partis sans nous.

Claude Raucy, Sans équipage, Dessins de Jean Morette, editions Bleu d’encre.

C’est l’occasion pour le poète de nous faire revivre par petites touches sensibles les moments de complicité avec ce frère défunt, les aventures « corsaires » de l’enfance, les « cartes et estampes » des greniers baudelairiens. Chaque vers est d’un ton juste, économe, qui parle des rêves de longs périples mais aussi, plus tard de la réalité de brefs voyages dans les pays voisins. Ce mince recueil de regrets est touchant, et parmi les derniers poèmes qui évoquent la personnalité de ce frère – aîné sans doute -, témoignant des rapports admiratifs de son cadet avec lui, je veux finir la présente petite note par celui-ci, sous-tendu par la métaphore du cercueil livré à la tempête qui emporte vers l’ailleurs :

 

tu aurais peur disais-tu
aurais-tu peur
seul avec moi dans les bourrasques
sur quelques planches de chêne rustre
aurais-tu peur

je n’entendrai plus ta grosse voix d’océan
la marée fait l’indifférente
comment veux-tu que je rame
sans toi

une femme myope
fait la sainte collecte
pour des orphelins

 

Dans son émouvant rôle de consolation-interrogation sur la vie, par le souvenir d’un être cher, un individu « particulier » réussit à exprimer grâce à la poésie une émotion où n’importe quel être humain « en général », se reconnaîtra. Claude Rancy dans son modeste livre se montre très poète, et cela méritait d’être souligné.

 




Opus 8 — dyptique : Seyrig-Coltrane, Marx-Ingold

1

J’aime tirer les volets en plein jour, ne laisser que des allusions de lumière, en somme séduire la nuit de profil. Me croire dans la clarté hadale de la baie d’Along, parce qu’il y eut, moi, au saut du lit, la pluie ; et toi, là-bas, sur l’eau – te souviens-tu ? Ou bien, cette pénombre dorée, pour être dans l’humeur de la tonalité mélodramatique qui accompagne ou, plutôt, qui contre-pointe, si je puis dire, la promesse de ciel – ciel par-là devenu abyssal où chute en s’élevant A Love Supreme de Coltrane.

 

 

Delphine Seyrig, in Alain Resnais,
L'Année dernière à Marienbad
1961

2

Penser que les plumes de cette parure sont d'un corbeau, aide à comprendre pourquoi dans les temps mythologiques elles étaient blanches : elles étaient destinées à faire corolle au visage de Delphine Seyrig. Elles ne paraissent noires qu'en raison de l'extrême pâleur de sa peau.

Le photogénique éclat salin de son aigue morte de peau. Au fond étymologique de Marienbad, on entend la mer. Cioran écrit qu'au jugement dernier, on ne pèsera que les larmes. En d'autres termes, à cette heure arrêtée, on pèsera le poids de sel que contiennent les larmes et chacun devra acquitter la gabelle du ciel. Je me souviens de vous. Je me souviens de votre surprise désarmée lorsque vous avez pris la dernière plume et que de la prendre, vous avez perdu. Le mélodrame est toujours la conséquence d'un faux mouvement. L'amour est toujours l'assurance de vivre faux. Habiter une vieille maison pleine de chats capricieux. Entendez-vous les brassées de sel que soulève la houle marine ou l'humeur vitrée des yeux ? Après tout, nous ne nous voyons jamais qu'à travers des larmes. L'histoire même du cinéma. Les trucages simples de l'enfance du cinéma : dans un cadre, il y a un personnage et puis il a disparu. C'est de pleurer et pleurer. On ne sait jamais. La mort est toujours l'effet d'une faute d'interprétation.

 

*

Isabelle Ingold
Des Jours et des nuits sur l'aire
2016

Marx-Ingold

1

Une hypothèse : Et si « la coupure épistémologique »conceptualisée par Althusser ne désignait pas le saut d’un Marx encore empreint d’idéalisme hégélien au Marx du matérialisme dialectique mis en œuvre dans Le Capital 

S’il s’agissait d’un faux-mouvement  -  un faux-mouvement n’est pas assimilable à une maladresse ou un acte manqué, c’est une dynamique qui se soustrait à un ordre  qui changea le penseur-militant-activiste en théoricien – si en bref il n’était question que d’un changement du rapport à l’écriture : après Le Manifeste du Parti Communiste, l’écriture, par son haut indice de matérialité, à quoi rien dans la réalité ne se compare, devient une fin – elle est la découverte d’une autre forme d’existence, qui n’a nom d’existence que par défaut, mais la forme, excepté tout, c’est elle ?

2

Sur l’aire d’une autoroute, sorte de biopsie de l’Union Capitaliste Européenne, en ce non-lieu comme un calcul du malheur, mais devenu salvateur pour certains qui s’y tiennent durant un laps indéterminé, pourquoi ? 

parce qu’un non-lieu tant à se libérer de ses conditions, c’est là sa radicalité, si bien qu’au-delà de la consonnance l’aire s’apparente vraiment aux lignes d’erre de Fernand Deligny, là, un homme va chercher dans une humanité de passage, nombreuse inconnaissable, qui vibrionne, la solitude que la familiarité indiscrète de son village natal étouffe, une femme isolée trouve une vie sociale satisfaisante auprès des lits qu’elle fait en tant qu’employée de service d’un hôtel automatisé, interrogeant les draps blancs, pourtant sans mémoire par excès de fréquentation, comme une table tournante hugolienne, d’autres, chauffeurs de mythologiques camions, avec des visages qui ressemblent à leur travail autant qu’aux mufles de ces bêtes mécaniques, inventent une socialité de la distance et de l’apatrie, autour d’un feu, sous une lumière de nature morte à la rouille de fer, redécouvrent le sens de la palabre, alors somnoler, matin, aux quatre vents de l’aire devient un moment prérévolutionnaire.




Leilah Beani Yamine, J’aime le thé prolétaire et autres textes

 

J’aime le thé prolétaire

J’aime les pauvres gens

Qui n’ont rien

Qui n’ont même pas

D’histoire

Ni de quoi se payer un voyage

J’aime aussi ceux

Qui n’ont pas une épaule

Sur laquelle

Reposer leur tête le soir

J’aime les gens qui n’ont rien

Dans leurs poches

Souvent personne

Dans leurs lits

Et qui vous tendent un grand sourire

Comme un soleil

En plein hiver

 

 

J’aimerais vous parler de solitude

 

J’aimerais vous parler de solitude
De bras serrés autour des genoux
De tirs sur fond de musique
Celle que l’on se joue au dedans de soi
Dans un film les ruines s’ouvrent en images
J’aimerais vous décrire
Le jouet qu’un adulte
Rêvait d’offrir à son gamin
Un pays qui ressemble
A un ruisseau. Et une berge
Le bruit de l’eau qui coule
Dans un tintement de dents de lait
J’aimerais vous dessiner
Sur du papier doré
Un enfant qui dort dans les bras
De son enfance
J’aimerais vous raconter
Qu’il n’y a pas un chat
Qu’il n’y a pas âme qui vive
Et que la pierre a oublié
La voix humaine
Dans ma langue maternelle
Une rue vide est une rue
Qui siffle
Des ombres de voyous morts
Y circulent
On y est longuement seuls
Quand on vous saigne à blanc
Et que les capteurs de songes
Universels
Pourchassent
Jusqu’à vos souvenirs

 

 

J'habite une maison cachetée 

 

J'habite une maison cachetée à la cire
Aux grilles fermées avec des chaînes d’acier
J’y vis seule en compagnie d’un sol
En terre battue qui ne s’en plaint pas
Conservant une odeur humide
D’avoir été si souvent lavée
A grande eau et balai de chanvre
Personne ne vient me rendre visite
En dehors des ombres traversantes 
Vêtues de leurs habits de vent
Qui lorsque le soir grimpe comme un lierre
Rejoindre du ciel la soie noire
Volent les voix de personnes aimées
Pour me narrer des récits vains
Je ferme les yeux pour les entendre
Comme j’écoutais jadis Grand-mère
Leur répertoire est toujours le même
Faute d’avoir d’autre compagnie 
Je laisse leur voix faire des entailles 
A même ma peau, à même mon cœur
Elles me racontent par détails cruels
La mort d’êtres auxquelles me relient
Des mystères de chair et de sang
Elles me décrivent sans rien omettre
L’instant où celles-ci rendirent l’âme
A je ne sais qui que je ne connais pas
Ma vie est une planche à savon
Si le monde est petit il n’en est pas moins loin
Glissant et au bout du monde
Introuvable il est comme une aiguille
Perdue dans une meule de foin

 

 

Je désobéis souvent

 

Je désobéis souvent

A ma vie

En prenant les chemins

Les plus longs

Par étourderie

Les seuls jeux

Que je sache jouer

Sont celui de m’extasier

Devant une bulle de savon

D’y voir le bout d’un toit

D’une maison

D’un rayon de soleil

Timide à me faire rougir

De sa pudeur 

De transparence

A une aile ;

De prendre du bout des doigts

Des gouttes de pluie

Dépaysées de s’être éloignées

D’un nuage

De croire un instant

Que mes mains tendues

Vers le ciel

Complètent

La ligne verticale

De l’eau

Quand il pleut.

 

Je désobéis souvent

Aux routes tracées

D’avance

Pas par goût de la fronde

Mais par absence

Au béton

A l’asphalte

Aux enseignes

Lumineuses

J’aimerais pourtant

Pouvoir devenir amie

Avec ceux qui tendent la main

Ou un journal

Dans la rue

Cette femme

Postée tous les jours

Devant le Monoprix

Avec des brochures

A recettes

Et des jeux

Que personne

N’achète

Je ressens

Une tendresse

Infinie pour

Son visage

De femme

Sans fard

Et sans regrets

Vaste et blanc

Postée sur ses deux pieds

Pendant des heures

Je me dis que

Je l’aime

Des fois je me dis aussi

Que je lui ressemble

Qu’elle est moi

Que je suis elle

Et cet homme

Que je ne connais pas

Ces personnes

Ces amis

Ces passants

Ce que j’aimerais

Leur dire

M’attendre à …

Que par désobéissance

Aux chemins battus

  • Et pourquoi battre les chemins

Jusqu’à ce qu’ils en deviennent

Les proies de nos lassitudes

Et nos monotonies ?

J’aimerais que

Cet homme donc

Appelons-le ainsi

Ne me tende plus

Des morceaux de lui

Qui complèteraient

Le puzzle

De son visage

Le coin d’un œil

Par un rictus amer

 

Je désobéis souvent

Au monde

En osant croire

Encore

Qu’aimer est la réponse

Que ceux que j’aime

Cachent la partie

La plus belle de la lune

Même si

Dans une chambre

Sur un mur

Ou dans un miroir

Il m’arrive d’entrevoir

Mon visage

Le leur

Désormais

Méconnaissables

Dans une romance

Qui fut la leur

La mienne

Ailleurs

Au temps où

Les mots étaient beaux

 

 

Le prénom de la caissière

 

Le prénom de la caissière

Est rayé au feutre noir

Elle porte son badge

Epinglé à sa chemise

Ses cheveux noirs sont noués

Sa voix épouse l’air

Avec lenteur

La caissière

Cache son prénom

Montre un visage

Dont le seul accent

Est deux notes suaves

Sa collègue

-Charlotte qu’elle s’appelle-

N’a pas froid à son nom

Ni à ses taches de son

Dehors sur le parvis

En plein nuages et vent

Un homme m’interpelle

Il est si gracieux

Que je n’ose m’éloigner

De ses mots

Il tremble en racontant

Qu’il est sans toit

Qu’il n’a pas mangé

Depuis trois jours

Ni sa moustache grise

Ni l’étoffe soyeuse

De son manteau safran

Ne laissent transparaître

Les misères qu’il narre

Qui font pâlir de honte

Les pièces que je lui tends

Les immeubles sont hauts

Ils grattent le ciel  

Les nuages traversent

Un hélicoptère

Bourdonne

Avec l’acharnement

D’une mouche

Des gardes stationnés

A chaque entrée

Demandent à voir

L’intérieur de nos sacs

Et nos vestes

Ils sont pour la plupart

Arabes ou noirs

Ceux portant une barbiche

Ont le profil parfait

Du terroriste des médias

Ils nous protègent

D’on ne sait qui ou quoi

Devant l’école de ma fille

Des soldats en faction fourmillent

Nous abaissons

Les paupières

De nos morts

De nos défaites

Et faisons notre chemin

 

De quoi demain sera-t-il fait ?

D’une jeune femme

Sans prénom

De jeunes écoliers

Avec des fusils

Au bout de leurs manuels

D’histoire

De sans abris

Errants sur le toit

D’un monde

Sans toit

 

 




François Debluë, Pour une part d’enfance

Prend-on un risque à consacrer son attention de poète et son écriture à ces jeunes êtres qui, ni tout à fait les mêmes que nous, ni tout à fait autres, partagent ou traversent nos vies ? Les enfants constituent-ils un « thème risqué »((Parole d’éditeur.))qui pourrait conduire le poète à certaine mièvrerie, à l’instar il est vrai de l’exploitation commerciale et économique de ces « innocents » ? Certains poètes et éditeurs semblent en effet rétifs et se méfier, plus de l’enfant d’ailleurs que de l’enfance, et plus des enfants côtoyés que de celui que le poète fut, comme si le souvenir nécessaire pour rappeler ce dernier protégeait le poète et le poème de la fadeur et des clichés redoutés.

D’autres poètes, au contraire, dans la lignée de Hugo, peut-être, accordent volontiers aux enfants leur regard et leur plume, et se saisissent de cette expérience, ne craignant pas de perdre dans la proximité de l’enfant la juste distance à laquelle exerce l’attention poétique. Car l’enfance et l’enfant ne sont pas un thème mais une expérience, celle de l’altérité, comme a pu l’être la femme  pour des poètes masculins; l’expérience également du temps bousculé ; présent et passé se mêlent dans le côtoiement d’un enfant qui réveille en l’adulte l’enfant et sa propre enfance en sommeil, tandis que dans cette collusion, l’avenir s’impose aussi à la conscience, promesse en même temps de vie, de vitalité, et de mort.

Dans Pour une part d’enfance, François Debluë se fait le témoin des rites et des jeux, des peurs et des interrogations de l’enfance et de l’enfant, variant les pronoms et les points de vue, adoptant le regard de l’innocent, au sens premier du terme de celui qui découvre, ou la posture au contraire de qui sait et avertit.

François Debluë, Pour une part d’enfance, Empreintes, 2017.

Qu’il soit à côté de soi, souvenir (celui que l’on fut), ou figure d’un tableau, l’enfant est toujours un autre que François Debluë approche rarement avec le pronom « je », plus souvent avec un « il » précautionneux, ou par un tutoiement qui fait sentir tout à la fois l’intimité et l’urgence de dire.

Car si l’enfant inspire le poète, c’est qu’il le place dans la nécessité d’accomplir et dire l’essentiel, qu’il l’invite à connaître et éprouver un état — l’étonnement — et un questionnement — que dire ? Aussi bien que léguer ? — tous deux consubstantiels à la démarche poétique.

Ramené au plus près de son art en même temps et de la vie, le poète qu’est François Debluë, quand il parle d’enfance et d’enfant, tient un propos grave, au sens où il est fondamental, mais dans une langue accordée à la fragilité et à la labilité de son objet, qui jamais ne pèse. Parfaitement maitrisée, la langue de François Debluë se décline volontiers sous la forme de suites. Sa scansion est à la fois légère et étudiée ; en témoignent par exemple ces blancs typographiques se substituant aux virgules et marquant mieux qu’elles la pause, ou plutôt la respiration.

Ainsi François Debluë nous convainc-t-il que poésie et enfance ont part l’une à l’autre, que l’émerveillement natif pour l’enfant est regagné par le poète grâce à l’exercice de son attention :

 

Quand les Noëls de ton enfance
ne seront plus que troubles et lointains souvenirs
quand une sourde mélancolie
aura confondu
toutes les fêtes et toutes les promesses d’autrefois
alors peut-être
par un jour d’hiver très doux
le murmure d’une fontaine
et la lumière de ses eaux cristallines
te seront plus grande surprise
et mystère plus profond
que tous les cadeaux d’autrefois.

 

L’écriture poétique serait-elle une enfance retrouvée ? Plus exactement, se dit-on en lisant François Debluë, une enfance approfondie.