Les questions de Franck Venaille

Franck Venaille ((nous republions ici, en raison de l'actualité, un article paru sur nos pages le 4 avril 2013)). Quarante ans d’écriture. Du journal qu’il renie aujourd’hui à l’anthologie rétrospective Capitaine de l’angoisse animale (Obsidiane/le Temps qu’il fait 1999), avec quelques sommets. Pourquoi tu pleures, dis pourquoi tu pleures ? Parce que le ciel est bleu... Parce que le ciel est bleu ! et son formidable titre (Oswald 1972), Caballero Hôtel (Minuit 1974), la Guerre d’Algérie (Minuit 1978), la Tentation de la sainteté (Flammarion 1985), la Descente de l’Escaut. Poème (Obsidiane 1995), mais aussi Papiers d’identité (Oswald 1966), l’Apprenti foudroyé (Oswald 1969), et la Procession des pénitents (Monsieur Bloom 1983). Mais aussi, avec les derniers opus Tribunal des chevaux (romanesques) (l’Arbalète/Gallimard 2000), et Tragique. Poème (Obsidiane 2001).

Franck Venaille. Son œuvre a le grand mérite – et le courage –, d’aborder de front une des plus grandes aventures humaines : la souffrance, et ses pulsions, sans pour autant abandonner le travail sur la forme. La rendant unique. Ce qui frappe chez Franck Venaille, est l’extrême homogénéité, cohésion, de l’œuvre. Quel que soit le genre – Franck Venaille est poète, mais il les aborde tous, n’en délaisse aucun, le récit, le théâtre, et même le conte, le fantastique –, le ton Venaille est là. Celui de la confession, de l’exploration de l’endroit de la douleur, de la plaie. Celui de l’angoisse, du cri. Avec la naissance de la narration, le léger et le rire, aussi, qui fait baisser la tension. 

On retrouve ainsi dans chaque livre de Franck Venaille la souffrance, l’angoisse de la naissance, le manque du père, le football, la violence des sentiments, l’enfant, la difficulté de la relation féminine, la guerre. Il voulait faire aussi bien avec la poésie que le cinéma, la peinture – l’auteur a avoué ses influences du cinéma américain pour la vitesse du propos, de certains peintres (Klasen, Monory...). Pari gagné. L’œuvre de Franck Venaille est originale, personnelle et forte.

On entre dans un Venaille parfois difficilement. Ambiance nouvelle, nouvelle langue. Puis à un moment, la magie naît. Et c’est l’amour, fou (lisez la Tentation de la Sainteté). Le point de départ de l’œuvre est peut-être le passage du Journal de bord, à Papiers d’identité, ou plutôt, à l’Apprenti foudroyé, plus déterminé et abouti dans ses choix. D’une non-écriture inhérente au cri le plus fort, à une écriture du cri, qui s’épanouit à merveille dans Pourquoi tu pleures. Comme tous les grands – le mot n’est pas trop fort –, il a écrit contre. Contre la poésie, et même, avec la haine. De la poésie, du monde. Avec une telle haine, on pourrait aller jusque là, qu’il en aurait haï sa propre langue ? L’Homme en guerre, avance l’un de ses titres. L’homme a été en guerre, contre lui-même et contre le monde, à plusieurs reprises. Paradoxe : Franck Venaille a réussi à fuir la littérature, tout en en faisant. C’est là l’une de ses plus grandes réussites.

Un autre élément, qui trouble par sa forte présence, est que l’écriture de Franck Venaille atteste d’une attention aux lieux (la Belgique, Trieste, Istamboul, etc) – expliquant l’insertion de bribes de langues étrangères, de flamand, par exemple –, tout en étant hantée par des figures (qui peuvent tout aussi bien être un écrivain, un personnage d’opéra, une figure portée au mythe, etc). Les lieux et les êtres qu’il aime, les premiers découlant souvent des deuxièmes, le plus souvent écrivains, ou philosophes. Venaille est attaché à sa terre, ses terres, et cela, d’une façon quasi mystique. Il habite les lieux de ses pères, jusqu’à leur langue. Insertion de la parole de l’autre, de citations (avec l’apogée de la Descente de l’Escaut), travail sur la forme, et autres : toute l’œuvre de Venaille pourrait se résumer à ce titre de Construction d’une image (entretiens, textes et réflexions, Seghers 1977). Et un jour, Venaille est même devenu conteur (le Sultan d’Istamboul)...

On pourrait définir plusieurs périodes dans l’œuvre de Franck Venaille en fonction des revues qu’il a créées, car l’homme est aussi un créateur de revues. La période politique (première série de la revue Chorus de 1961 à 1965), la période du réalisme (deuxième série de Chorus de 1966 à 1974), la période de l’abstraction (revue Monsieur Bloom de 1978 à 1981). Mais l’analyse montre bien vite ses limites, et s’avère ne pas convenir. Tout au plus dégage-t-elle les périodes d’influence. Pourrait-on alors dégager deux périodes, une première qui utiliserait fortement le style – Franck Venaille entamera une recherche formelle qui puisera ces racines dans le journalisme (travail sur la ponctuation, textes encadrés, traits continus doubles en fin de poème, etc), qu’il arrêtera la même année avec Jack-to-Jack et la fin de la revue Monsieur Bloom (1981) –, et une deuxième qui en ferait peu à peu l’économie ? Ce qui est sûr, ce que l’on peut avancer, c’est qu’une période narrative traverse l’œuvre de Venaille, qui a commencé grosso modo en 1975, qu’annonçait déjà Noire : Barricadenplein. Celle-ci comprend les récits-fragments « l’Anus de Dieu » (Construction d’une image), la suite de récits-poèmes en prose la Guerre d’Algérie, les proses-narrations Jack-to-Jack, le récit la Tentation de la sainteté, la pièce Cavalier/Cheval (Imprimerie Nationale, 1989), le conte le Sultan d’Istamboul, et plus récemment, la Halte belge dont les textes sont annoncés comme « nouvelles ». Mais on ne peut ne pas relever la période qui tourne autour de la réflexion de Venaille sur l’opéra, avec la traduction remarquée des livrets originaux qui suivent le livre Mozart : les grands opéras (Imprimerie nationale 1989), qui a amené les poèmes qui pourraient très bien être appelés « poèmes scéniques » de Cavalier/Cheval – le premier livre de 1986 publié dans le volume l’Apprenti foudroyé des Écrits des forges –, et d’Opéra buffa. Proses-narrations, fragments-récits en prose, proses-fantastique, etc : deux appellations sont bien souvent nécessaires à qui cherche à définir, et répertorier, chaque livre de Franck Venaille. Franck Venaille, est vraiment un formidable créateur de formes.

L’œuvre de Venaille fut pour une grande part, et pendant un long moment, introuvable, ou seulement par bribes, disséminée ici et là dans des passages d’anthologie, ou par citations. Pas moins de dix ouvrages d’importance étaient épuisés. Il était urgent d’y remédier, pour qu’une deuxième génération de lecteurs puisse la découvrir depuis ses premières expressions. Défaut, lacune, que l’anthologie Capitaine de l’angoisse animale est venue corriger, et combler.

Ce n’est malheureusement qu’un premier pas, même s’il est plus que louable, qui, par la part d’ambiguïté que sème toute entreprise anthologique, fait demander. À quand les œuvres complètes ? Plus qu’une boutade (la demande est bien sûr prématurée), l’idée est des plus justifiées, par la demande légitime de l’accès aux œuvres. Dans leur intégralité. Car cette anthologie amène interrogations. À savoir. Que la quasi totalité des publications de Capitaine a été retravaillée, non seulement dans leur forme mais également dans leur contenu. Faut-il alors, entre intégralité et meilleur de, entendre le mot anthologie au sens de sélection des meilleurs passages, ou au sens de postérité, de publication de textes remaniés pour fixer celle-ci à jamais, dans leur version définitive avec les textes supprimés (alors qu’ils étaient parfois bons et aimés des premiers lecteurs), et les quelques déplacements effectués ? Les textes ont-ils été définitivement supprimés, ou temporairement omis ? Quels sont alors les textes définitifs ? Ceux qui ont été retravaillés, abrégés, ou ceux qui ont été publiés antérieurement, complets, mais non retravaillés ? Est-ce le retour de l’écrivain hanté par la perfection sur ses premiers textes, sur son œuvre écrite, de travail colossal de cohérence finale, ou le seul besoin d’unité du présent ouvrage anthologique ? L’homme est habile, distingué, et fin styliste.

Toujours est-il que le constat mis en avant valide la thèse, jamais avancée et encore moins débattue, de l’abandon par Venaille des premières recherches formelles. Constat des plus importants. L’œuvre Venaille est décidément intéressante à plus d’un titre. Avec ses questions, que le respect de son auteur, au travail, et de l’entreprise, mérite de laisser temporairement en suspens.




Philippe Barma, Ault-Onival

Falaise de calcaire
au bord d'une blancheur

Sur l'enclume des eaux
respire l'immobilité feinte des rêves

Ouverture des maisons
au vent noir de la pluie

Bruit de silex
dans la rouille du doute

Brisement de la mer
contre la tombée

de la lampe allumée
sur de grands oiseaux blessés

 

****

 

Sur la plage
l'arbre de la mer
aux feuilles de sable calme
s'exténue dans la nervure des ridins

 

L'arbre aux feuillages de vagues
est là sur le sable
immobile
il écoute seulement

le bleu silence des écumes
avant que de retourner
vers le clocher de Quend

Il ira peut-être jusqu'à Rue
portant sa croix
de Résurrection
a travers les ombres
rouge sang
d'un matin de novembre.

***

 

le regard boit la mer
comme une coupe d'eau
qui déborde de silence

 

***

 

Ce matin
le rose des sables
pleure à peine sur la branche
nue des sables

les écumes de ciel empourprent
la haute lenteur des nuages

Comme une vibration du simple
la couleur  par-dessus le vert
là-bas chante le silence

 

****

 

Arbre de la mer
aux racines de sable et de sel
Effeuilles de vagues sans cesse agitées
par un vent de glaise profonde

parfois un fruit roule sur la pente du ciel
a pas légers de nuages vermeils

Peut-être vont-ils
pleurer Verlaine
du côté de l'Arrageois
où campent les Atrébates
peuples aux cheveux longs et bleus
de la Gaule Belgique

et c'est un soleil de miel
au fond d'un peu de lait
déposé comme une offrande lyrique
sur les bords de la Somme mystique

 

***

Jamais le jour n’a coulé plus  haut par-dessus nos têtes. Il finira par
déborder sur les patiences de la pierre. Il pleut à peine sur la vitre où
les araignées tissent le hiéroglyphe de nos prochaines forfaitures. Les
gouttières engrangent le blé malgré les jalousies de l’ivraie.

 

***

 

Une main de nuit subsiste dans le carnage de l’épaule sanguinaire. Elle
porte une  corbeille de plâtre noir. Les fruits de l’hiver luttent contre
le retour de la mémoire. La cendre recompose la  trace d’une rigueur
éteinte. La courbe du deuil combat inutilement un soleil de Résurrection

 

***

 

Un cri de cormoran blesse le crépuscule. La voile blanche des cerisiers
lève du côté de Valloire par-dessus un  cloître de verdure.

 

***

 

La mer efface toute vague qu'elle ne peut corriger

 

***

 

Un oiseau sur la Somme recoud les fièvres du vent et sacrifie les hautes
pierres aux pluies brûlantes des orties
Quai Jeanne d’Arc. Longue promenade qui embrase les confusions du sel pour
éclairer les gestes de la Somme. Les tilleuls sont amarrés  aux feuillages
de l’hiver.
Du côté du Courtgain, près du calvaire des pêcheurs, Degas est là.
Immobile. Il regarde les toits de Saint-Valéry-sur-Somme comme une promesse
de peinture construite.
Pays aux pluies horizontales  où la lumière pleut les souffrances du gris

 

***

 

La baie de Somme gésit dans les toiles de Braquaval. Celui-ci a lutté de
vive lutte pour libérer sur sa toile le fluide de la mer mêlée à celui de
la lumière changeante et variante. Alors le vaste ciel de Picardie maritime
occupe les deux-tiers de sa toile. Et la baie de Somme n’est plus qu’une
ouverture symphonique en gris de lumière. Et le ciel nuageux fait  à lui
seul comme dans les marines hollandaises tout le concert sur l’effacement
et la sourdine des terres environnant cette baie à jamais close sur
l’infini du Ciel.

 

 

***

 

Je réveille les aubes sèches de la lune. Mon jour rassemble les limpidités
des rivages  éteints. Dans l’inquiétude de voir se lever la nuit comme
une clarté, mon pas mesure l’improbable de l’herbe à l’aune d’un
peu de foi.

 

 




Poésie du Québec : Donald Alarie, Marcher dans ses pas

 

                         à M.

 

1-

 

nos rencontres automnales
dans un café
au nom très chaleureux
étaient devenues un mode de vie
une façon d’être présents dans la ville                                

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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