Shizue Ogawa, réflexions sur le temps

Présentation par Alice-Catherine Carls

 

La réputation internationale de la poétesse japonaise Shizue Ogawa n’est plus à faire. Traduite dans de nombreuses langues, invitée et lauréate de festivals internationaux dans le monde entier, elle partage inlassablement son message de paix et de beauté.

Ce nouveau CD trilingue a une volonté politique : celle de rapprocher trois continents et leurs cultures. Conçu au moment de la visite historique du président Barack Obama au Japon pour le 60e anniversaire de la fin de la 2eme guerre mondiale, ce CD parait aujourd’hui dans une atmosphère internationale très tendue qui rend son message encore plus actuel. En outre, il est distribué hors commerce, ce qui permet à Shizue Ogawa de verser les dons reçus aux œuvrescharitables dont elle s’occupe. Les poèmes du CD, choisis par Shizue Ogawa, reflètent sa technique d’écriture rapide, spontanée. Shizue Ogawa écrit comme elle respire : elle vit et elle voit en poésie. Cette facilité indique une grande maitrise des techniques esthétiques et poétiquesqu’elle a soigneusement étudiées et où le palimpseste est roi – que ce soit sous la forme desymbole, d’allégorie, d’images, ou de connotations. Cette forme palimpsestique est une forme detraduction culturelle, un passage de cultures par la poésie.

CD trilingue de Shizue Ogawa, A Soul at Play, Voices from Three
Continents
Une âme qui joue – Voix de trois continents, 2018.

Les critiques occidentaux aiment analyser l’influence de la pensée et de l’esthétique zen sur son œuvre. Préfaces et recensions ne manquent pas, telles celles, très judicieuses, de Michèle Duclos. J’aimerais ici présenter le côté « joueur » de Shizue Ogawa dans une perspective un peu différente. En effet, tous les sous-titres de ses douze recueils de poésie publiés en japonais portent le sous-titre « Une âme qui joue. » Ludique ou grave, le jeu fait partie intégrale de sonœuvre. Fréquemment, ses poèmes ont la légèreté et l’innocence des jeux d’enfants, qui seuls savent transformer les questions graves en devinettes simples qui font partie de l’ordre naturel.Fréquemment, un incident quotidien devient une occasion de faire jouer la mémoire et le temps,transformant l’anodin en symbole culturel. Une telle acceptation des lois du destin renforce lecaractère poignant des préoccupations existentielles tout en les délivrant de la panique et de lahâte qui sapent l’élan vital des civilisations occidentales. Les poèmes du CD illustrent cet aspectludique de son œuvre. Les trois poèmes ci-dessous, reproduits avec la gracieuse permission de Shizue Ogawa, fournissent une belle introduction aux poèmes du CD.

Toujours “demain” – Souvenir de Paris
             De Le Soleil – Une âme qui joue (XI)          
Traduit à partir du texte anglais par Alice-Catherine Carls

 

Toujours “demain,”
Aujourd’hui je ne peux en parler,
les larmes me monteront aux yeux.
Je pense à l’été dernier.
Assise en face de toi,
je mangeais un caramel
et toi une madeleine.
« Le gâteau préféré de Proust. »
Un signe de tête complice et un sourire. 
Les friandises ont effacé
l’année écoulée.

On avait apporté
trois tasses.
Tu avais commandé une verveine
et tu m’encourageas à en boire. 
Verveine.
« Ma grand-mère m’en faisait souvent.
Dans un grand bol.”
Tu arrondis les mains
comme pour embrasser un arbre. 
À ton cou la broche
trembla légèrement.

 

« Voici du papier.
Veux-tu écrire quelque chose ? »
Tu me tendis une feuille quadrillée.
J’écrivis le mot « verveine » —
une lettre dans chaque carré.
« Tu me montreras ton poème demain ? »

 

Always “Tomorrow” ― A Memory in Paris
De The Sun ― A Soul at Play (XI)
Traduit du japonais par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa

 

Always “tomorrow,”
I cannot speak now,
I will get teary.
Sitting in front of you,
I pondered over our memories last year.
I chewed on a caramel,
you had a petite madeleine.
“Proust’s favorite cake.”
Nodding, we smiled.
The year’s distance
dissolved with sweets.

Three teacups
were laid on a table.
You ordered a Verveine
and urged me to try it.
Verveine.
“My grandmother often made this tea for me.
She used such a large kettle.”
Gesturing with both hands,
you looked like you were holding a tree trunk.
Your collar's brooch
swayed slightly.

“Shall I give you a piece of paper?
Do you want to write something?”
You gave me
a squared paper.
I wrote “Verveine”
filling each square with a letter.
“Show me tomorrow what you wrote.”

Yes, it is always “tomorrow” when it is important,
it is always after it becomes a memory.
Verveine.
See you in Paris next year.

Le temps ne coule pas dans la mer – Une âme qui joue
De Le Temps – Une âme qui joue (XII)       
Traduit à partir du texte anglais par Alice-Catherine Carls

 

« Viens chez moi, »
répétait ma soeur.
« Une autre fois, » lui dis-je.
« Je voudrais que tu viennes aujourd’hui. »
Du pied, elle frappait le sable par petits coups.
Sa voix était familière.

« Je suis fatiguée, »
lui mentis-je.
D’accepter son invitation,
aurait écourté ma douleur,
silencieux épanchement, sourde peine
de dire « non » à ma sœur.

Pesants sont les liens du sang
depuis mes origines
peu à peu le temps s’amincit
et plonge dans le noir.
Il ne coule pas dans la mer,
il pénètre dans le péché.

« Ne viendras-tu pas ? »
Si j’avais accepté son invitation,
mon offense aurait été pardonnée,
et j’aurais revécu notre enfance.
Soulagée, ma sœur
m’aurait tenue par la main
et aurait sautillé en disant,
« nous serons toujours ensemble. »

Les vagues de la mer
eraient revenues au rivage où nous marchions,
caressant la plage
pour ne pas effacer la trace de nos pas.
Le temps ne coule pas dans la mer,
dans mon sang il continue à chercher la source du péché.

 

Time Does Not Spill into the Sea – A Soul at Play
De Time ― A Soul at Play (XII)
Traduit du japonais par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa

 

"Come to my place,"
my sister repeated.
"Another time," I said.
"I would love for you to come today."
She lightly kicked sand with her foot.
Her voice was familiar.

"I am tired,"
I lied.
If I had accepted her offer,
my pain
would not have persisted for so long,
this quiet, deep flow of pain
from saying “no” to my sister.

Blood ties are heavy,
from the upper stream,
time gradually narrows,
sinks into darkness.
It does not spill into the sea,
it sinks into the sin.

"Won't you come over?"
If I had accepted her offer,
the sin would have been atoned,
I would have relived our childhood days.
My sister relieved,
would have held my hand,
skipped while saying,
"We are always together."

Waves from the sea
would have returned to the shore where we walked,
gently lapped against the beach,
not to wash away our footprints.
Time does not spill into the sea,
It continues its search for the source of the blood’s sin.

 

Le temps des enfants
De Le Temps – Une âme qui joue (XII)       
Traduit à partir du texte anglais par Alice-Catherine Carls

 

Le temps
ressemble à un ballon gonflable,
à une balle.
Une fillette demande à ses parents, « puis-je avoir un ballon? »
Elle plonge dans l’herbe drue
pour attraper une balle,
aperçoit un lézard et s’immobilise.
Le temps est complet. 

Il

ressemble à un beanbag,
à des billes rondes et plates.
La fillette sourit à son amie en disant,
« je suis meilleure que toi à ce jeu. »
Le temps est complet.
Elle sait que la vie
et la mort ont la même durée.

 

 

Le temps
répète ensemble
« fin » et « mort. »
Il va et vient
entre deux jeux d’enfant.

 

Children’s Time 
De Time ― A Soul at Play (XII)
Traduit du japonais par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa

 

Time
resembles a balloon,
a ball.
A child asked her parents, "Can I have a balloon?"
dived into the thick grass,
running after a ball,
saw a lizard and froze,
time was complete.

 

It

resembles a beanbag,
flat round marbles.
The child smiled at her friend saying,
"I am better at this game,"
time was complete,
she knew that the duration of
life and death were the same. 

 

Time
simultaneously repeats
"completion" and "death,"
it comes and goes
in between moments children play.

 

 

 

 

 




Richard Soudée : deux Lys sur le balcon

J’ai rencontré Richard Soudée une seule et unique fois. Mais il y a des hommes que l’on n’a pas besoin de connaître pour savoir. Il était comme une source de lumière pure. Un grand homme souriant. J’ai appris depuis qu’il se savait condamné. Je n’ai pourtant lu dans son regard que de la bienveillance, et un accueil inconditionnel. Il m’a demandé quand paraîtrait l’article d’Alice Clark sur Fleurs de la Trace. Je lui ai répondu « Début 2019 ».  « Je vous remercie », a-t-il dit doucement, souriant. Il savait qu’il ne pourrait peut-être pas le lire sur Recours au Poème

 

Richard Soudée, Fleurs de la trace, Editions L’Harmattan,
collection Poètes des cinq continents, 2017, 138 pages, 15,50 €.

J’ai assisté ce soir là à la lecture de ses textes accompagnés par un musicien extraordinaire. De purs moments d’émotion.  Une poésie et une prose dont l’une et l’autre se mêlent pour offrir cette chance au décloisonnement générique de ne conserver que le meilleur de chaque pôle… Son écriture aussi m’a semblée digne et haute. La Trace, c’est ce chemin sinueux de montagne de la Martinique où il a rencontré son épouse.

C’est elle ainsi que Michel son fils qui m’ont reçue chaleureusement, dignement, avec une gentillesse inexprimable. Deux boutons de lys roses, en automne, c’est ce qu’il y avait sur le balcon de la chambre du couple. Nous avons évoqué Richard Soudée, l’homme à travers l’écriture, et l’écriture à travers l’homme.

Fleurs de la Trace, son dernier recueil, rend hommage à son épouse. Et grâce au jeu avec l’homophonie du nom, la trace est aussi celle qu’à laissée le poète, qui évoque ses souvenirs dans ce recueil à caractère autobiographique.

Dans la première partie Richard Soudée nous offre ce moment de découverte du monde, ses souvenirs d’enfance, à travers l’évocation de moments rythmés par des titres qui commencent tous par « J’ai grandi ». Une prose dont la narration ne sait où ancrer son appartenance générique tant la langue y est poétique, tant le langage déploie toutes se potentialités… 

 

J'ai grandi sous un cerisier

C'est à l'ombre ajourée de ses jupes que je fis mes premières siestes. C'est là que je fis mes premiers pas, en touchant son bois. J'ai grandi dans l'odeur puissante de ses feuilles, l'éclat tremblant de ses fleurs, l'érection de ses fruits.

A son pied, j'ai poussé avec mon grand-père une boule de neige plus grosse que moi, j'ai tracé des routes pour faire rouler mes billes et j'ai dispersé la dînette de ma mère avec une fille.

 

Puis il évoque ce moment des voyages « quand il est sorti de sa condition d’européen » dira son épouse...Son attraction, venue de l’Orient, pour la Turquie et surtout pour les poètes orientaux, le pousse à séjourner en Turquie.

 

Il y a aussi le théâtre, cet art par lequel le poète a commencé…Il est d’abord comédien, puis il rencontre Mehmet Ulusoy. Il devient son collaborateur et tous deux fondent le Théâtre de   Liberté, pour lequel il est metteur en scène et comédien. Ils y montent alors des spectacles  qui mêlent poésie et récit à une mise en scène qui met en œuvre ces catégories génériques. Les pièces sont politiques et poétiques. Elles frappent par les pratiques mixtes qu'elles développent : elles mélangent des éléments textuels, gestuels, plastiques et musicaux. Il s’occupe aussi du montage des scénarios, qui ne sont que des canevas, car la majeure partie des spectacles fait appel à l’improvisation. Certains textes sont composés par Aimé Césaire à Fort de France. Il met aussi en scène Le Cercle de craie caucasien de Brecht, Macbeth, Maïakovski, Hikmet, à l’Odéon. C’est le théâtre qui lui a fait rencontrer la Turquie, la Martinique et Aimé Césaire.

 Mehmet Ulusoy,
Un Théâtre interculturel,
Editions l'Age d'Homme, 2010,
280 pages, 24 € 90

Il écrivait les scénarios de Mehmet, traduisait ses idées, faisait une sorte de montage. Il faisait du « théâtre-montage », théâtre épique ou grotesque et sublime. La plus grande partie de la pièce reposait sur des improvisations mêlant jeu et objets. Au début, il  jouait. Ensuite il n’a fait que de la mise en scène. Sa poésie est donc liée à une oralité, au conte aussi. Universitaire, et professeur des universités, il est l’auteur d’un thèse sur les rites de passage.

Il gardera cette volonté de restituer les souvenirs, ce qui demeure d’eux à travers les sensations ancrées dans la chair, dans ses poèmes. Il a commencé à écrire de la poésie quand il était très jeune. « Dès lors l’écriture fut ma trace » disait-il. Il écrivait comme son grand père traçait des sillons de terre. Il écrivait pour faire le lien, s’emparer de son instrument à lui, témoigner. Jusqu’à son dernier souffle a écrit.

 

La neige de ton visage
                          n'a pas encore fondu
                                                          elle reste dans mes yeux

C'est elle qui me révèle
La brillance du blé en herbe
La pesanteur des branches
                                           de cerisier
                                                        sur la route

Ton odeur d'avalanche
Repose au fond de moi
Repose au fond
                           de moi

 

Puis il a réalisé un disque de chansons d’enfance des émigrés, Musaïca. La chanson est elle aussi liée à son écriture poétique, ryhtmée et qui comporte nombre de refrains.

Entre tous les univers, ou dedans, tout comme maintenant son âme s’est envolée pour mesurer la permanence de la parole poétique, Richard Soudée était un poète, s’il est vrai que la poésie est ceci qui ceint le monde et en restitue l’invisible immanence.




Ainsi parlait…

Un Hugo caravagesque

 

Pour parler du grand auteur romantique français qu’est Victor Hugo, il faut trouver des mots amples et englobants. Une fois acquise cette idée, il ne faut pas oublier de rappeler l’esprit très moderne de la pensée de Victor Hugo. Ainsi, son travail d’écrivain est-il l’alliance des contraires – fond et forme, force et faiblesse, lumière et obscurité, vie et déclin, présence de l’homme au sein de l’univers, renaissance de l’idéal au sein d’une réalité, imagination au sein du réel – et se résume par cet adjectif  : caravagesque. 

Pierre Dhainaut, Ainsi parlait Victor Hugo, éd.
Arfuyen, 2018, 14€

Cette épithète peut donner forme à une lecture générale de cet ouvrage, fait d’aphorismes, de dits, de choix de poèmes notamment. Cette littérature semble bel et bien être celle du clair-obscur, où l’on reconnaît en l’occurrence les images peintes de Victor Hugo qui décrivent un univers noir et lumineux.

Ce livre propose un choix de citations parmi les livres, poèmes, romans, carnets et recueils de l’auteur. Il met en lumière ce qui pour moi est l’essence de la vie intellectuelle de la poésie  : l’oxymore. Et avec lui, cette tentation d’allier les contraires avec toutes les chances de saisir la réalité. Hugo est un maître caravagesque qui décrit une réalité plurielle, profuse, dans laquelle la lucidité est désirée avec intelligence. L’on peut par exemple chercher la définition de l’homme, ou de l’artiste, ou du génie, et c’est toujours un peu plus près de la vérité que nous nous trouvons, vérité qui demande que la réalité soit dite philosophiquement dans sa complexion.

[La] poésie fera un grand pas, un pas décisif, un pas qui, pareil à la secousse d’un tremblement de terre, changera toute la face du monde intellectuel. Elle se mettra à faire comme la nature, à mêler dans ses créations, sans pour autant les confondre, l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d’autres termes, le corps à l’âme, la bête à l’esprit. […] Tout se tient.  

Donc réfléchir avec Hugo, cela veut dire qu’il faut penser en termes moraux et esthétiques, lesquels sont pour finir la seule vraie mesure de l’activité du lecteur. Cette dernière doit être éprise à la fois de beauté et de morale. Et ici particulièrement, c’est autant Dieu que les hommes qui exigent le côtoiement du beau et de la vérité. Du reste, beau, vérité, œuvre, artiste, tous ces termes sont capables d’aider le poète de la place Royale à accoucher d’une littérature grandissime et auprès de laquelle l’homme acquiert une dimension supérieure, la littérature l’augmentant.

Veille ou dors, viens ou fuis, nie ou crois, prends ou laisse. / Sois immonde ou sois pur  ; sois bon ou sois pervers  ; / Insulte l’aube, ou ris sous les feuillages verts  ; / Montre-toi, cache-toi  ; va-t’en, demeure, oscille  ; / Ignore ou bien apprends  ; pense ou sois imbécile. […] Le monde est une meule à broyer la pensée.  

Je disais tout à l’heure que l’écriture de Victor Hugo faisait place à des figures et à leur contraire, et que cela allait de pair avec un esprit moderne. Et il ne faut donc pas oublier combien le poète s’est battu contre la peine de mort, a contribué et contribue encore aujourd’hui à se faire une haute idée de l’Europe politique ou encore plus simplement à appeler l’homme moderne à une foi personnelle. 

L’assujettissement aux Bibles, la servitude aux livres, l’idolâtrie des textes, l’obéissance passive aux Védas et aux Korans, tout cela est terrestre, tout cela est artificiel, tout cela est construit pour le besoin de tel ou tel mode de civilisation, tout cela porte des ratures et des surcharges faites de main d’homme  ; tout cela n’a, dans l’absolu, aucune raison d’être. 

ou

La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine […].

Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.

Pour conclure, j’avais à l’esprit de citer mieux que je ne le fais les aphorismes les plus pertinents, nonobstant la distance temporelle qui nous sépare de ces écrits. Mais je crois que chaque lecteur ou lectrice peut se faire une idée individuelle et choisir son propre chemin comme le fait Pierre Dhainaut. Je referme ces lignes malgré tout avec ce petit texte en volume un peu pris au hasard de mon cheminement.

Ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est d’être incomplet  ; c’est de se sentir par une foule de points hors du fini  ; c’est de percevoir quelque chose au-delà de soi, quelque chose en-deçà. 

     

Une littérature oppositionnelle

Comme beaucoup de lecteurs français, je ne connais vraiment de l’œuvre d’Herman Melville que Moby Dick, et j’ai pris plaisir à la lecture de cet Ainsi parlait - que publient intelligemment les éditions Arfuyen -, séduit par la richesse intellectuelle de l’écrivain américain. Sans doute, le sommet de son art est-il consigné dans ce roman maritime, et la reconnaissance publique de l’œuvre, maintenant une chose acquise et assurée, en est l’expression. Mais je répète que j’ai été surpris par la profondeur dont témoigne cette prose, et de voir autant de tenue morale dans les poèmes, la correspondance ou les œuvres narratives, lesquelles dessinent une pensée complexe et articulée, anticonformiste et humaniste.

 

Ainsi parlait Herman Melville, édition bilingue,
trad. Thierry Gillyboeuf,  Arfuyen, 2018.

Je dirais même que son œuvre est articulée par une forme maitrisée de schize, de dédoublement du propos, mettant en valeur la pauvreté contre la richesse, le barbare contre le civilisé, le sage contre l’ignorant, le faible contre le fort, tout cela dans une tension presque dramaturgique qui permet de distinguer la vérité, ou du moins, la vérité de l’auteur.

À mon sens, le terme « sauvage » est souvent utilisé à mauvais escient ; de fait, quand je regarde les vices, les cruautés et les monstruosités de toutes sortes qui prospèrent dans l’atmosphère corrompue d’une civilisation fiévreuse, je suis enclin à croire qu’en matière de perversité relative des parties, quatre ou cinq insulaires des Marquises envoyés comme missionnaires aux États-Unis seraient sans doute aussi utiles qu’un nombre équivalent d’Américains dépêchés dans ces îles au même titre. 

Une fois admis ce parti oppositionnel, il faut poursuivre en expliquant que l’art de Melville se frotte à Shakespeare, la Bible, Montaigne ou Lucrèce, et évidemment reste nourri de ce qui entoure l’écrivain, c’est-à-dire Emerson ou 

Thoreau, ou Whitman qui est son exact contemporain. On trouve aussi des idées originales et singulières, par exemple la conception que l’auteur a de la démocratie, qui, je pense, diffère de la conception de Whitman qui chante, lui, le poème lyrique des États Unis et de leur Constitution, alors que Melville reste circonspect, prône davantage le sceptre et le pouvoir royal, ce qui rétrospectivement, pour notre temps politique d’aujourd’hui et la crise des démocraties occidentales, est presque une vision d’avant-garde. 

J’ai parlé d’un discours tendu entre des pôles, des oppositions tranchées et très nettes, mais il faut néanmoins accorder une unité intelligible à la figure de Dieu (dont d’ailleurs Melville interroge la majuscule). Je crois pouvoir m’avancer en voyant en lui un croyant, une âme confrontée au silence de la méditation, dans une méditation plus poétique que mystique. Ainsi, un Dieu pantocrator qui gouvernerait la nature et les eaux. D’ailleurs, on reconnaît très nettement La Tempête.

Comme chacun sait, la méditation et l’eau sont unies à jamais.

Et je pourrais poursuivre en faisant état de mon cheminement de lecteur, en dialoguant au sujet des eaux, avec les Cinq Grandes Odes, et repérer ici ou là, les eaux bachelardiennes qui m’ont toujours été un rêve personnel. N’oublions pas que Melville est célèbre pour son récit maritime qui met en scène une quête d’absolu mortelle et magnifique, angoissante et dense. Donc, Melville est l’auteur sans contestation possible qui règne parmi les plus grands de notre panthéon littéraire. Pour preuve et pour conclure, je citerai : 

Chaque fois que je sens l’amertume torde mes lèvres, chaque fois qu’un novembre humide et bruineux règne en mon âme, chaque fois que je me surprends en train de m’arrêter à mon insu devant des magasins de cercueils et de rejoindre le premier cortège funéraire que je croise, et surtout quand le cafard m’étreint si fort que seul un puissant sens moral m’empêche de descendre d’un pas résolu dans la rue pour faire valser méthodiquement les chapeaux des passants – j’estime alors qu’il est urgent de prendre la mer dès que possible.

 

Le poète de la relation

 

Aborder Baudelaire aujourd’hui relève d’un processus de lecture à la fois académique et personnel. Pour ma part, je ferais de ce livre Ainsi parlait Charles Baudelaire, une lecture personnelle et en quelque sorte au carré. En effet, on ressent nettement que Yves Leclair, le poète qui a collationné ces citations avait son propre Baudelaire en tête. Et donc pour ce qui me concerne, je ne peux que faire une lecture de la lecture, me refaire mon propre Baudelaire dans le Baudelaire d’Yves Leclair. 

Je dirais qu’il s’agit en quelque sorte de chercher « un poisson soluble », c’est-à-dire l’idée qui aimante et fait axe dans ces textes et les rend cohérents, et voir comment cette idée abstraite éclaire le mystère du texte. J’y ai vu une cristallisation autour de grands thèmes, celle de la relation de grands thèmes : relation du texte et de l’amour, relation du texte et de la mort, où s’articulent le discours poétique et les femmes, ou encore la relation du poème avec la beauté. J’affirmerais même que la beauté a été mon poisson soluble, la cheville ouvrière qui m’a ouvert à la compréhension esthétique de ce corpus complexe, ce poisson qui s’est défait dans les eaux profondes du texte baudelairien. Et cela n’a pas annihilé la dimension d’angoisse, de la densité de l’anxiété du poète, qui d’ailleurs fait appel plus à Dionysos qu’à Apollon. 

Et par le hasard des contingences, je lisais le De profundis d’Oscar Wilde et l’un de ses Essais, au moment où j’ai reçu ce livre intéressant que publie Arfuyen, et qui m’a permis de lire « au carré » cette belle littérature britannique. Cela pour évoquer la filiation du poète français avec la modernité littéraire et dont l’influence va peut-être très vite vers Wilde, Verlaine, et qui sait ? vers Nietzsche. En tout cas, je retrouve cette activité de dandy créateur à égalité dans le Wilde souffrant en prison et le Baudelaire opiomane. 

La mode doit donc être considérée comme un symptôme du goût de l’idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre et d’immonde, comme une déformation sublime de la nature, ou plutôt comme un essai permanent et successif de réformation de la nature.

Ou encore

Sur un fond d’une lumière infernale ou sur un fond d’aurore boréale, rouge, orangé, sulfureux, rose (le rose révélant une idée d’extase à la frivolité), quelquefois violet (couleur affectionnée des chanoinesses, braise qui s’éteint derrière un rideau d’azur), sur ces fonds magiques, imitant diversement les feux de Bengale, s’enlève l’image variée de la beauté interlope. Ici, majestueuse, là légère, tantôt svelte, grêle même, tantôt cyclopéenne ; tantôt petite et pétillante, tantôt lourde et monumentale. 

Et là se situe bien mon Charles Baudelaire, calme dans sa vie tumultueuse, fort et âpre, quand par ailleurs j’aime tant voir l‘homme derrière le poème. Du reste, et pour conclure, je dirai que le poète a eu une importance considérable dans ma vie, car lors de mon premier voyage hors du continent européen, j’avais pour seul livre dans mon bagage Les Fleurs du mal. Et ce livre a correspondu exactement à la violence de ce séjour en terre nord-africaine. Je me suis donc épris moi aussi depuis de beauté, et fais du poème une hantise. Et c’est avec le poète des Paradis artificiels que je fermerai cette chronique.

La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.

Ainsi parlait Charles Baudelaire, conception d’Yves Leclair,
éd. Arfuyen, 2018, 14€




Les carnets d’Eucharis (portraits de poètes vol. 2)

Dernier opus annuel version papier, suite du numéro « portraits de poètes vol.1 » paru en 2016. C’est Gustave Roud qui se fait tirer le portrait avec les honneurs. La couverture nous invite à un plongeon en des eaux qu’on devine accueillantes malgré l’inconnu sous la surface. Comme toujours, en plus de poésie, il est question d’arts visuels pénétrés en mots et en images. Et cette « entrée dans l’eau » imprime tout son mouvement en portfolio par la maîtresse des lieux, Nathalie Riera. Les rédacteurs habituels, Richard Skryzak, Martine Konorski, Laurence Verrey, Alain Fabre-Catalan, Tristan Hordé, Angèle Paoli, Claude Brunet… mettent leur savoir-faire et leur inspiration au service des divers portraits, entretiens et traductions (3 poètes italiennes).

Les Carnets d'Eucharis, Portraits de
poètes vol.II / 2018: "Gustave Roud"

 

 

Un travail grâce auquel des auteurs vivants et très actifs en côtoient d’autres disparus, tels que Marina Tsvetaïeva, Armel Guerne ou Czeslaw Milosz, dont la singularité de leur écriture comble un lectorat qui subsiste – faut-il le rappeler ? « A claire-voix », quête, fondements et genèse des écrits chez Julien Bosc, Brina Svit ou Esther Tellerman (souriez, vous êtes filmés !). Chacun, à sa manière, tente de faire ressortir du poème la portée universelle de sa problématique. C’est entre pudeur et besoin de révélation que sont évoqués ces ferments nécessaires que sont traumatismes et blessures internes.

« Au pas du lavoir » propose des poèmes de gens plus ou moins connus sur la place (de Rodolphe Houllé à Hélène Sanguinetti, de Jean-Paul Lerouge à Isabelle Lévesque). Le dossier consacré à Gustave Roud foisonne. Pas moins de quatorze auteurs (dont James Sacré, Nathalie Riera, J-C. Meffre… L. Verrey et A. Fabre-Catalan, tous deux coordinateurs du dossier) pour donner envie de lire l’auteur suisse (donc à part), cerné par ses tropismes bucoliques aptes à faire rimer Amour et Nature sous une résonance parfois élégiaque. Idyllique, champêtre sont des adjectifs qui reviennent à propos de l’œuvre du poète vaudois – néo-romantique ? Traducteur de Rilke, Hölderlin, Novalis ou Trakl, son travail « s’apparente à la lente approche d’un paysage », il aura influencé Philippe Jaccottet, Anne Perrier ou Maurice Chappaz, pour ne citer que ses pays. Il faut évoquer enfin Roud photographe (avec quelques reproductions ici), amoureux aussi de la peinture ; celle de Gérard de Palézieux notamment en laquelle il se retrouvait, comme en témoigne leur échange épistolaire qui dura 25 ans jusqu’à la mort du poète en 1976. Deux autres artistes moins connues sont également mises à l’honneur. Nancy Cunard, poète d’origine anglaise, également éditrice, maîtresse d’Aragon (dur métier !), ayant fui son milieu social aussi argenté qu’étriqué à tant d’égards. Elle y répondra par son engagement militant pour la cause afro-américaine et afro-européenne discriminée comme on le sait dans le monde occidental et contre la montée des totalitarismes de l’époque. Sa  Negro anthologie  de 1934, au faible retentissement alors, se voit re-publiée en 2018 aux nouvelles éditions J. M. Place en fac-similé, « augmentée d’un appareil critique ».

Charlotte Salomon ferme ce trio d’honneur du numéro : « jeune peintre allemande morte en 1943 dans le chaos du nazisme », par ailleurs soumise au germe héréditaire de la folie. « Liberté de ton » et « audace ironique » caractérisent ce jeune tempérament bien trempé de son temps qui laissera à la postérité un millier de gouaches et un livre (graphique) intitulé  Vie ? ou théâtre ?, publié en français aux éditions du Tripode en 2015 où l’histoire de sa vie est peinte et dépeinte. On retiendra la suite de la « conversation autour du poste de télévision » amorcée dans le numéro de 2017 entre Alain Bourges et Richard Skryzak, le second interviewant le premier, cette fois-ci sur son œuvre écrite. On disserte entre autre sur la façon dont la réalité est finalement aussi indexée sur l’imaginaire que l’inverse, prétexte à organiser sa vie tout en résistant « à la soumission ou la folie ». Au bout du compte, un numéro qui confirme son foisonnement éclairé, à aborder par où l’on veut. D’un mot une image, d’une image la sensibilité du lecteur qui s’anime et glisse entre les disciplines, pas si éloignées que ça les unes des autres.




Le pantoun, une pépite méconnue

À travers le monde, les formes poétiques brèves sont légion, à l'image d'une richesse créative de grande ampleur. Pourtant, peu d'entre elles sont connues en France. Si le haïku et le tanka, tous deux originaires du Japon, ont une certaine notoriété qui ne fait que s'accroître avec l'ascension du Net, qui a déjà entendu parler de l'englyn gallois, du hain-teny malgache, ou encore de la triade mongole ? 

L'équipe de Pantun Sayang, composée d'une poignée de passionnés de poésie, cherche à promouvoir une de ces formes courtes, aux spécificités attachantes : le "pantoun". Via les réseaux, les publications (notamment la revue en ligne "Pantouns et genres brefs") et les rencontres, elle tente de transmettre son engouement pour ce petit bijou versifié.

Provenant du monde malais, le pantoun fait partie intégrante de la tradition culturelle orale. 

Les pantouns sont incorporés aux grands récits, chantés dans les cérémonies, cités tels des proverbes dans les conversations, et peuvent même se répondre les uns aux autres lors de joutes poétiques endiablées.

Ils sont porteurs de thèmes variés, comme l'amour, l'amitié, la sagesse, mais aussi plus rarement, la politique ou la religion.

Le pantoun se présente dans la majorité des cas sous la forme d'un quatrain aux rimes alternées. Mais les jeux sonores ne se limitent pas aux rimes et les vers 1 et 3 d'une part, 2 et 4 d'autre part, tendent à se rapprocher phonétiquement.

Ceci dit, ce qui fait la spécificité du pantoun, c'est surtout la nature différente des deux distiques : alors que le premier est une image, une description, une scène, le second donne une signification au quatrain. Soit avec une sentence, un proverbe, soit avec l'expression d'une émotion ou d'un sentiment. Cette originalité du pantoun en fait aussi sa difficulté, le lien de sens entre les distiques devant exister, sans pour autant s'imposer.

Les entrelacements sonores des vers couplés aux rôles différents - mais complémentaires - des deux moitiés du quatrain donnent au pantoun une place inédite dans le monde de la poésie.

Si le quatrain est sa forme principale, elle n'est pas la seule pour autant, d'autres formes dérivées ayant vu le jour. Ainsi, par développement interne des deux distiques, se créent des sizains, des huitains, etc. Ou encore, des "pantuns berbalas", quand plusieurs pantouns se répondent. Et n'oublions pas le "pantoun enchaîné", ou "pantun berkait". Ce dernier se compose de plusieurs strophes, chaque strophe étant un pantoun-quatrain. D'une strophe à l'autre, les vers 2 et 4 sont repris et deviennent les vers 1 et 3. Un poème plus long se développe ainsi, véritable petite histoire, tout en conservant la dichotomie des débuts et fins de strophes.

D'ailleurs, on retrouve justement un pantun berkait à l'origine de la forme française du pantoum, lequel s'éloigne finalement en de nombreux points du pantoun originel. 

En effet, Victor Hugo inclut en 1829 dans son recueil "Les Orientales", avec l'aide de l'orientaliste Ernest Fouinet, une note comprenant un pantoun enchaîné. Dans cette note, une coquille s'est glissée, changeant l'orthographe "pantoun" en "pantoum".

Cette série de quatrains devient célèbre et inspire plusieurs écrivains, notamment Baudelaire et sa fameuse "Harmonie du soir" (dans "Les Fleurs du mal", 1857). Il est à son tour une source d'inspiration pour d'autres poètes, et le pantoum devient un genre fixe français. 

Toutefois, outre la disparition de sa brièveté, celui-ci perd chez bien des auteurs ce qui faisait l'essence du pantoun originel, à savoir la distinction entre les distiques des quatrains. À l'inverse, une nouvelle particularité voit le jour, sous l'impulsion du théoricien Théodore de Banville : le pantoum doit désormais reprendre au dernier vers le premier, singularité bien française, absente des pantouns enchaînés malais.

Les cousins "pantoun" et "pantoum" ont donc pris des chemins séparés, tout en se recroisant parfois, au gré des virages et des poèmes.

Quelques pantouns malais traditionnels (extraits de "250 pantouns, Le trésor Malais",  ed. ITBM, 2015). Les traductions sont de Georges Voisset.

Burung merpati terbang seribu,
Hinggap seekor di tengah laman ;
Hendak mati di hujung kuku,
Asal berkubur di tapak tangan.

Mille colombes passent en un vol,
l'une se pose au milieu du terrain.
Je voudrais mourir au bout de ton ongle,
pourvu qu'on m'enterre au creux de ta main.

 

 * * *

 

Mempelam di tepi parit,
Disambar oleh rajawali ;
Tuan manikam duduk tersulit,
Belum tampak melahirkan diri.

La mangue du bord du canal,
un autour est venu s'en saisir.
Diamant précieux, solitaire à l'écart,
vous attendez votre heure de resplendir.

 

Quelques pantouns contemporains (extraits de la revue en ligne "Pantouns et genres brefs")

 

La mangue du bord du canal,
un autour est venu s'en saisir.
Diamant précieux, solitaire à l'écart,
vous attendez votre heure de resplendir.

Kistila

 

Topinambour, panais et raiponce,
Patrimoine potager de nos aïeux.
Aux mots vieillots je ne renonce
Qui rendent le parler plus goûteux

Valeria Barouch

 

Sous le baiser de la lune
les kelip kelip apparaissent.
Sous tes baisers, ma peau brune
feu d’artifice de caresses.

Patricia Houéfa Grange

 

Large le toit de tuiles recouvert
profonde la cuve où l'on capte la pluie.
Vaste l'espoir des cœurs à découvert
sans fond le souvenir de ce qu’on n'a pas dit

Jean de Kerno

Pantouns de Cédric Landri

Même sous la brume,
Les tulipes brillent.
Même sous ton rhume,
Tes regards pétillent.

Quand jaillit le printemps,
Les forêts se défroissent.
Quand le peureux s'éprend,
Les émotions s'amassent.

L'abeille fait sa ronde
Et sans un son s'abrite.
Je sens chaque seconde
S'échappant bien trop vite.

Dans l'ennui des plaines,
Des lapins divaguent.
Dans les nuits si pleines,
Devenir des vagues.

Les écorces tissent
Des facettes vives.
Nos corps se déplissent
Et nos yeux dérivent.

Dans l'arbre disloqué,
Le bruit d'un autre miel.
Derrière nos fumées,
Le pli d'un arc-en-ciel.

Dans tout l'univers
Des courriers s'égarent.
Dans les creux des vers
Nos lettres se garent.

La splendeur des poiriers
Fat chanter les mésanges.
La langueur des soirées
Fait vibrer nos échanges.

Les autos propagent
Des romans d'essence.
Lire dans les âges
Des romans des sens

Les jours sombres les coccinelles
Ont des sauvageries de loups.
Les soirs pénombres vos prunelles
Ont des emportements qui nouent




Jean Diharsce, Sur Guillaume

l'automne tarde
Guillaume
et je ne suis pas mort
il s'en fut de si peu
je laisserai le temps faire ses galipettes
quelques guerres
ici
ailleurs
au rebord d'autres mers

une femme bruyère m'ôtera le bandeau
tout autour de la tête
Guillaume
je ne saigne de rien
juste cassé mon rêve
nul ne passe en ce chemin
je ne cueillerai pas
j'irai un peu plus loin

 

 

©Jean Diharsce

©Jean Diharsce

il y a l'univers
mon village
où le sang et l'horreur tapissent le décor
l'injustice et les races
les vivants qui ont peur
les bombes et les flammes
les enfants et les femmes
le soleil dans l'ozone
la mer qui a monté
la faim la soif
et les tyrans qui prient

 

il y a ce continent
ma rue
où le luxe et le fric tapissent le décor
l'injustice et les races
les bateaux qui ont coulé
les cadavres et les flots
les enfants et les plages
le soleil barbelé
la mer ensanglantée les camps de rétention
l'eldorado la mort
et les élus qui dictent

il y a ce pays
ma maison
où l'indifférence tapisse le décor
l'injustice et les races
les jeux de tous les rôles
les menaces et les peurs
les enfants qui mendient
le soleil asséché
la mer et les falaises les ravines du temps
les ghettos le silence
et l'avenir offert à l'extrême caché

à paraître en janvier 2019

il y a cette porte
qui restera ouverte
devant laquelle un banc
où je te blottirai
pour ne plus avoir froid
il y a cette table
couverte de papiers
où nous ferons un monde
qui nous ressemblera
et un couvert de plus

il y a ce lit
au bout de tant d'horreurs
où je caresserai à en perdre le temps
à en frôler le beau
à me trouver en toi
me poser un instant tout dans le chaud de toi
croire encore en demain




Brigitte Broc, Ne cherche pas à dire, réfuter, expliquer et autres poèmes

 

Ne cherche pas à dire,
réfuter, expliquer.

 

C'est lorsque tu es sans visage
que t’inonde le vrai feu.
Matin de bouches,
matin de neiges, vierges.
Un halètement,
venu de très loin,
dénoue les apparences.
Le grand large titube,
saoul de la fonte des ombres.
Un cerne de sueur s’agrandit
à l’aisselle du ciel.
Il fait radieux sous les ailes,
il fait chaud sous les plumes.
Elle s’étonne 
de la jonchée des astres,
des pépites de sel
que tu tiens, bien serrées,
dans le creux de ta main.
Elle te suit
quand tu descends l’orage,
elle te suit,
celle avec qui tu vécus
d’autres rives.

 

Un jour entier entre les lignes

 

Un jour entier
entre les lignes,
transmettre la bancheur,
s’ébrouer dans les signes.

De l’éclair au point,
des éboulis à la virgule,
tout un pays 
transporte sa patience, 
ses noms,
l’arête bleue
de son architecture.

Terre pacifiée 
où j’ose raturer
les maisons détruites,
l’arrogance.

Qu’est-ce qui s’échappe
de la marge
et tremble sous ma main ?

Les yeux d’une sultane,
une aile balbutiante,
les preuves de l’été ?

Au coin d’une phrase
batifolent les herbes,
j’y plonge avec délices
tous mes rires d’enfant,
la brusque soif du lait.

Sans attendre la ponctuation
qui érode le chemin,
enfourcher les mots,
les nuages qui passent.

A marée haute,
les runes éclairent le rivage,
perpétuent le message.

Chaque trace nous délivre.

 

 

Versets d’Afrique

 

Il y eut ce qui transpire,
ce qui prie
et succombe.

Il y eut ce qui appelle,
ce qui affole
et incrimine.

Pierriers du vent
à l’haleine tranchante,
dunes en cavale
où le regard ricoche.

Dans le brasier du jour
se fendent les lèvres,
s’ébrèchent les paroles.

 

La nudité d’être,
au milieu de ce rien,
au milieu de ce tout,
seule à tourner
sur son orbite de chair,
astre bédouin
qui ne veut pas s’éteindre.

L’Africaine déborde
de ses étoffes bleues,
du ciel qui ne l’étouffe plus.

Patiemment, 
elle greffe un peu de vert
au vent
pour qu’essaiment racines,
feuilles et serments.

Nuits de bouture, nuits de liesse
où se décousent les lointains.

 

Passage ouvert
dans le flanc des comètes
qui taille ses arbres
et détourne la soif.

 

Lentement, dans le sable,
elle trace la mer.
Sous les frondaisons d’écume
accostent les gestes
dénoués.

Cuisses ouvertes,
elle accueille la marée.

Le sel, réconcilié,
fertilise ses paumes.

Ce qui éclôt,
ce qui pousse
et bouge,
danse sur le sang,
danse sur la pierre.

Versets d’Afrique, 
élégies lapidaires,

dans le creuset brûlant
s’accomplit le passage.




Arnaud Forgeron, à la laisse de mer, île d’Oléron et autres poèmes

à la laisse de mer, île d'Oléron (extrait)

variable d'écume
d'eau
à ta lèvre

 

-

 

comme un frêle dépôt
j'irai sculpter ton ombre
avec du sable

le soleil envolera
le peu de mots qui nous reste

et main dans mot

nous ajusterons l'essentiel

les yeux
dans les dunes

nous regarderons le vent
soulever les nuages de sable

les bancs soulever
les prières de l'eau

les vagues qui expirent

 

vaque l'océan

 

vaque le temps

 

vaquent nos âmes

 

-

 

couple en danse

passant ses ailes

aux suspensions des rives

 

 

 Chemin de Rineve  (extrait)

 

réduire
la cadence des pas

regarder le ciel
les nuages se faire
se défaire

entre deux chênes

vue de hamac

 

-

Les univers, c'est comme les nuages de septembre, ça s'écarte, se rencontre, se diffuse, s'éprend, et moi, je me balance sur un tapis de tissus flottant à un petit mètre de la terre.

J'aurais voulu être là quand tout s'est allumé, au grand, au magistral flash de lumière. Depuis combien de temps regardons nous le ciel, depuis combien de temps sommes nous un réceptacle à ces grains de lumière ? Combien de fenêtre nous reste-t-il à ouvrir sur les espaces immenses? Et moi, je me balance dans la stabilité relative des sphères, arrachant des neutrons à ma muse discrète, décalant dans l'insoupçonné vers et proses pour en affiner les saveurs. Ah la discrétion des muses, effeuillant leur surface en photons, en boucle, en jet, en orage magnétique, ne nous disant rien de leur intérieur de gamma. Nous ne pouvons les voir, simplement les pressentir, deviner leur passage rasant nos chandelles, traversant nos chairs délicates, nos muses sont opaques et oscillantes.

-

ce soir
les arbres
coulent leurs racines dans le temps

ou est-ce
le temps
qui coule des arbres

je n'ai plus de direction

 

sur ce chemin
brisé de symétrie

il y a aussi la veille et le lendemain

-

je suis ce que je pèse
la trace

 

 

Mémoire d'après (extrait)

 

chevreuils
bondissants
de ma mémoire

chaque matin

l'élan sauvage
de la nuit

cette fois
je ne reviendrai pas
sur mes pas

-

mare

nuit des amphibiens

anguille qui se glisse
au rêve prébiotique

chaque réveil
est un frisson du monde

un rappel

un appel

un esquif

une sonde

 

Apprendre à aimer chaque pas (extrait)

 

Goutte, filet, rigole, ruisseau, rivière, fleuve, l'eau s'immisce comme les mots, traversant les obscurités et les pleines lumières. Il y a aussi les chevelures scintillantes des comètes frottant leurs peaux à l'atmosphère, leurs désirs ardents de corps de glace.
Il y a les poèmes comme des lèvres d'encres qui préfèrent chuchoter, les icebergs comme des mots de banquise qui se détachent, le chant des oiseaux comme musique du monde, et ce temps qui passe
à ne pas déranger l'ordre des choses.
Il y a, quelque part, ce qui nous manque ici, cette absence, cette présence de l'intouchable, ces bouts de nous-même jamais conquis.
Nous cheminons entre les gravats et les aurores, passant nos regards dans les moindres failles
de l'inconnu, cherchant à tisser l'instabilité de nos doutes, l'effritement de nos pensées
les lignes des lendemains.

Il n'y a pas d'à rebours en deçà de la lumière
nous nous élançons dans l'or et le charbon.

 

Néandertal à Gibraltar (extrait)

 

à notre arrivée sur ce rocher
la première chose fut de regarder la mer
puis de regarder plus loin
de lancer nos battements de cœur

qu'il est beau de voir un monde qui s'en va un autre qui arrive
s'entremêler se broder composer les probables

et dans ces probables un réel à nos chairs
en première ligne

 

 Le gris de l'aube, un chant de l'aube à Jack KEROUAC (extrait)

 

je me cache dans la tristesse secrète de nos nuits
chasseurs de naufrages
chargeurs au long court
mon frère trop large pour les SOUTERRAINS
trop étroit pour l'avenir
je me cache dans l'intuition grisée
de l'aube, j'aperçois, je te VOIS
les rames à la main appliqué au génie
des épreuves de l'existence grisé de
l'éraflure constante de nos DOUTES
je te VOIS à l'EMBOUCHURE
DELTA des innombrables déroutes.
Je VOIS dans notre sillage des étoiles
qui s'effondrent, c'est notre allée DIVINE
bordée de fleurs des appeaux de glorieux camés
de leurs masques loqueteux et livides d'épuisement
c'est notre ALLEE divine des farouches descentes
quand il est moins le quart à la petite
folie, qu'à la porte toque l'IVRESSE et
sa révérence, je me cache dans tes yeux
infligé des PUISSANCES subalternes
dans le BUNKER du PARRAIN AUTOMATIQUE.

 

Je me cache au seuil des visions
de l'impalpable
infra opale
que les mains frôlent
où tu remise la lumière.

Je me cache dans l'intervalle

du dernier battement de paupières

o|ù se sont fermés tes yeux

de soleils noirs.

...le monde invisible est trop plein de beautés pour qu'on puisse le traîner devant le tribunal des réalités sociales.  JK

   

La géométrie du choc, quand s'envoleront les dunes de sable...(extrait)

 

Ces pas qui portent un silence.
Ces quelques mailles défaîtes de mon pull de laine
qui retiennent ma présence.
Les visages du jour
les masques de la nuit
je n'ai pas oublié.
Que peuvent accomplir les mots sans la présence?
Le monde est un calque pour exister.
S'y appuyer
mine de rien
passer de l'être à l'existence.
L'infini ne s'habite pas.
S'asseoir désormais à sa place
moulée dans la roche
les yeux comme des calcites
lancer des regards de pierre.
L'on assiste à ce pour quoi l'on est spectateur.
L'eau ne doit pas couler avec le sang.
Je ne pense pas avoir été plus fou
que l'apparence des choses
que l'apparence d'un instant.

 

Oeuvre d'indéfinissables (extrait)

 

Dans mes mains tombe l'invisible.
Dans l'océan tombe le réel de mes mains.
Je porte l'eau à ma bouche.
Je pars ma présence d'absences
d'heures bleues.
Solstice des chromatiques.
Tout un monde se transvase
oscille
bascule.
Le poète en avance
note les apparences.

 

 

 




Karthika Naïr, Until the Lions – Echoes from the Mahabharata

Frêle jeune femme, Karthika Naïr s’attaque et se mêle aux géants, est une géante. Et une discrète Amazone. En s’affrontant au Mahabharata, l’une des deux immenses fresques fondatrices de l’hindouisme avec le Ramayana, elle s’inscrit dans une longue et inlassable histoire d’écritures et réécritures de cette grande épopée qui relate les fardeaux infligés par les anciennes générations aux nouvelles.

Dans la vie courante, Naïr bataille entre scène et clapotis sur le clavier, entre mots et corps : son Until the lions a fait l’objet d’une adaptation dansée à Sadler’s Wells et sera (en 2020) donné en opéra à l’Opéra national du Rhin. Akram Khan, qui adolescent participa au légendaire Mahabharata de Peter Brook, chorégraphie ses vers : tels les hommes mythiques sur les femmes, grandes oubliées du mythe, Akram prend appui sur la poésie de Karthika comme nos corps sur nos métatarsiens et nos métatarsiens sur la Terre mère.

De son côté, Naïr s’appuie sur le contexte indien multiple, notamment le polylinguisme, pour nous livrer une polyphonie aux inspirations, f(r)actures et teneurs variées, qui dépassent d’ailleurs volontiers les frontières de l’Inde comme de la « grande » culture : elle dessine, tisse et tend ses subtils fils d’araignée gracile entre poésie mystique penjabi et mise en page (entre autres) résolument contemporaine, entre sestina provençale, landay afghan et références aux dialogues du Bollywood des années 60.

KARTHIKA NAÏR Until the Lions – Echoes from the Mahabharata, 
Arc Publications, Todmorden, 2016, 293 pages, 15 € 16.

 En Inde, Until the Lions a remporté le prestigieux prix Tata normalement réservé aux romans, comme en Angleterre en 2010 le poème A Scattering de Christopher Reid avait remporté le Costa Book Prize. C’est donc une victoire (notre vocabulaire se laisse influencer par la fougue belliqueuse du Mahabharata), de la poésie sur le roman – dans ce cas précis, de la poésie indienne en langue anglaise sur le roman indien en langue anglaise, qui se taille d’ordinaire la part du lion non seulement sur le marché mais aussi dans l’esprit des critiques. Notons que Jeet Thayil, romancier et poète lui-même, dont un commentaire apparaît sur la couverture de la version indienne de Until the Lions, a consacré son récent deuxième roman aux poètes des années 80 à Bombay, à paraître en France (2019) dans une traduction de l’auteur de ces lignes : soufflerait-il une brise délicate au milieu des miasmes colossalement putrides de l’époque?

 Until the Lions n’est pas romanesque mais de l’ordre de la poétique. S’ancrant dans une réalité invue de l’ample texte, plus que biblique ou homérique, attribué à Vyasa ( IVe av. J-C./IVe apr. J-C.?), Karthika Naïr le revisite à-bras-le-corps. On aurait toutefois du mal à traiter d’épique son subtil remaniement, tant elle ne garde de l’épopée que ce qui, justement, n’appartient pas à son image dominante, virile et idéalisée : elle préfère s’infiltrer dans les failles, frayer avec les oubliées, les laissées-pour-compte de la grande fable.

Son sous-titre (Échos du Mahabharata) l’indique bien, le livre est fait de blancs, d’élisions, de rebonds, de relectures et relectures de relectures de la matrice, dont il n’existe d’ailleurs pas vraiment de version originale ; mais aussi de sauts temporels et autres entre passé et présent. Des sauts légers, aériens comme une danse, et comme une danse éminemment pesants, charnels  et puissants, voire violents. Signe de l’élasticité de la méthode de Naïr, il arrive que la forme se modifie au sein même d’un poème, afin de mieux souligner les différences entre les incarnations.

Le titre du volume vient de l’écrivain nigérian Chinua Achebe : “Jusqu’à ce que les lions aient leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur.” Dans ces Échos du Mahabharata, les lions sont les femmes : amantes ou servantes –personnages secondaires ou pas de la mâle épopée –auxquelles la parole est ici enfin permise au fil de poèmes d’une belle grâce érotique, autant que dans des monologues dramatiques. Le récit s’articule autour de voix de femmes et du personnage de la matriarche Satyavati, le tout créant une contre-généalogie matrilinéaire.

S’il faut céder un instant à l’hellénocentrisme, disons que l’ensemble est animé d’un pathétique à la Troyennes. Non que l’histoire du sous-continent indien ait eu besoin de la Grèce ou d’Euripide pour abreuver sa terre de sang, de haine et d’hégémonie religieuse masculine. “Nulle mère ne devrait avoir à allumer le bûcher de ses fils. Non. Nulle mère ne devrait/ survivre à son sang. Moi si, moi si./ Le coeur n’a pas d’os à briser./ Il continuera de battre, néanmoins.” Le c(h)oeur des femmes fortes, fières, grinçantes et tapageuses continuera de supporter, colérer, crier vengeance, se lamenter – de dire et maudire. Naïr dit et maudit sa geste, elle la brode avec fougue, maestria et finesse à la fois.

Malgré la virulence de ses créatures, elle-même n’est pas dans une contestation frontale de féministe aguerrie, plutôt dans un décalage qui ajuste le texte sacré comme si de rien n’était, comme un couturier ou plutôt une couturière qui, par une à peine perceptible modification d’une pièce ou d’une couture, transformerait le corset, le carcan, la camisole, la carapace, l’armure en vêtement fluide et libre. Ce vêtement dont on lit en filigrane dans ce Mahabharata déconfisqué que la citoyenne indienne d’aujourd’hui, prisonnière de la dictature religieuse naissante, aurait bien besoin de le revêtir, et vite.

“Quand le roi décide de me violer, moi ou mes soeurs, personne n’emploie le mot ‘viol’. Ce mot n’existe pas dans l’univers du roi. Ce corps n’est qu’une des myriades de provinces qui sont siennes, du nombril au téton et à la paupière, de la plante du pied au clitoris.”

 




Christiane Prévost, Poèmes

JONCS

Les joncs allongés
Ploient sous le vent
Quel est ce mystère
Le silence du lieu déserté
Quelle est cette lumière
Qui se dresse dans ces lieux aimés

Les joncs ploient sous la lumière
Quel est ce calme
Qui achève de cimenter ces ruines
Et ce fleuve englouti

Les strates
O lumières
Dans les couches de terre
Qui recouvrent ses yeux

 

IVAN

Près de la mer
Les sabres sont levés

Les portes s’ouvrent
Dans le couronnement du siège de Kazan
Les princes asiatiques
Ont vu sous le Christ
Luire la pierre l’Orient

Ivan
Dans le couronnement des bois
Les chevaux drapés d’hermine

Ont recouvert ta chevelure
Des pierres de l’Orient
Et les pluies d’encens sur ta bouche
Ont immolé le cri du tsar enfant

 

LES HERAUTS D’ARGENT

La salle brillait des éclats de l’héliotrope
Les couverts étaient mis
Les mains gantées offraient en silence
Le témoignage de la vertu

La cape sur les épaules des chevaliers d’honneur
Rejoignait sous le cliquetis des armes
Les paroles épanouies des hérauts d’argent
Qui vêtus de leurs souliers de satin

Se répandaient parmi les tables
Pour apporter aux convives en mal d’aimer
La blancheur excessive de leur destinée

 

HIEROGLYPHES

Des perles de sang coulent de la lune tranchée
Sur la terre Sienne des regards introuvés
Luit l’hiéroglyphe secret de l’oiseau-lyre

Sur la mer calme et bleue affleure l’aigle
A la recherche de la parcelle de feu à voler aux Dieux
De son combat nocturne jaillit la lumière de la vérité déchiffrée
Les pierres parlent à travers les signes disparus de leur langage
Des temps anciens où Cléopâtre se donna la mort par amour pour Antoine
Mais aussi pour échapper à l’Empereur César Auguste venu l’emprisonner
Le serpent aspic enfoui dans les pommes dorées par le Soleil de l’automne
A fixé à jamais dans ses yeux noirs l’aveu de son serment de mourir libre
Seul l’illustre savant dans les palais des inscriptions figées
A découvert le sens secret de nos sourires inassouvis