“Face aux verrous”, les étudiants du Master de Lettres Modernes de L’Université de Caen
Dans le cadre du Master de Lettres Modernes de l’Université de Caen, Anne Gourio, Maître de conférence, a organisé une rencontre avec les étudiants du cursus, afin de leur présenter les revues de Poésie et parler de "l'activité" de poète. Marilyne Bertoncini et moi-même avons donc été invitées à présenter Recours au Poème, puis la mission était de parler de la Poésie… Persuadée que la plus belle manière d’honorer cette impossible mission était de « lire de la Poésie », j'ai emmené des camarades, Henri Michaux, Marc Tison, Alain Brissiaud, Guy Viarre, Dominique Sampiero, pour ne citer qu’eux…
Leur point commun est qu’ils évoquent tous cet équilibre instable dans lequel nous tentons de tenir, nous, la communauté humaine. Equilibre impossible parce que nous essayons de nous enraciner dans la vase d’un monde lui aussi instable, inouï, incompréhensible, dément…
Ces étudiants ont choisi de vivre en Littérature, impossible de l’oublier, j’étais comme eux… Ils ont devant eux les routes à tracer, ils sont stupéfaits, et déracinés d’avenir… J’ai souvent fait ce parallèle avec les débuts de la période romantique, et vu en notre jeunesse des Frédéric Moreau, des Octave de La Confession, des jeunes soumis aux tourments du début du siècle XIX, lorsque les horizons social et politique disparus toute définition de soi-même au sein de la communauté devenait impossible. Les espoirs en une société meilleure amenés par la Révolution (mais c'est très simplifié... ) s’étaient envolés… A ceci près qu’alors, en même temps, ceux-ci renouent avec la mythologie chrétienne de La Matière de Bretagne, véhiculée par l'Imagerie moyenâgeuse. En ce début de siècle XXI, la spiritualité reste à inventer. Les croyances anciennes, les légendes, les mythes et archétypes qui portent les universaux de nos pères ne représentent plus les idéaux, et la physique quantique ouvre la voie d’une nouvelle source universelle et spirituelle. Mais en attendant, où va le monde ?
Je commence ma lecture par Mouvements, poème liminaire de Face aux verrous de Michaux. Je leur fais part de mon point de vue, « c’est le cri le plus magistral »… Ils écoutent et partent avec Michaux, qui tente l’envol, l’évasion de lui-même… Puis je lis Marc Tison, magnifique poète qui s’empare du monde, le met en mesure de restituer son absurdité. Ils sont attentifs, « ça » leur parle, « ça » touche leur cœur, réveille leurs émotions. Nous communions. J’ai parlé de Poésie, je crois… Puis certaines ont souhaité lire des textes. Un moment magnifique, le partage.
Rentrée je ne peux en rester là… Je souhaite évoquer leurs attentes, celle d’une Littérature engagée, manifeste et imprégnée du réel pour le faire aller vers un autre horizon, celui du début de qui devra exister : une société globale, mondiale, fraternelle, humaine et édifiée sur le partage. Ils le savent, ça peut me rassurer. Je le sais aussi… Alors je demande à leur professeure de leur dire que je souhaiterais qu’ils choisissent un poème qu’ils aiment, pour le publier…
Les photographies sont de Sanda Voïca.
Parmi les envois voici. Il y a, me semble-t-il, nature à réfléchir… Je les remercie, pour leur accueil, pour ces secondes du cri ensemble, à travers la Poésie, chant cosmique, parole de tous, pour l’Humanité.
Voici l'envoi de quatre étudiants : le poème qu'ils ont choisi et les propos qui les accompagnent.
Léo Le Breton
Comme un lego, Alain Bashung et Gérard Manset
Léo accompagne son choix de ces quelques lignes :
Poésie, structure au service du flottement
qui berce aveuglément nos petites existences
Comme un Lego
Gérard Manset, en train de fulminer, mélodieux
Alain Bashung, au micro, sobrement extatique Comme un Lego
"tout-à-l'égo" dirait Muray !
ça rend compte du grouillement
mieux que toute statistique
or, indéniablement, ça pense
(le cri du "sans mémoire" désespoir du sans dieu)
ça dégage une odeur, aussi.
Peut-être le plus important.
Comme un lego, Alain Bashung et Gérard Manset
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
Et tous ce petits êtres qui courent
Petits ou grands
Comme durant des siècles égyptiens
Péniblement
Sous la chaleur et sous le vent
Dans le soleil ou dans la nuit
Voyez-vous ces êtres vivants ?
Voyez-vous ces êtres vivants ?
Voyez-vous ces êtres vivants ?
Terrible, cruel, captivant
Les maisons, les lacs, les continents
Comme un lego avec du vent
Comme un lego avec du sang
La force décuplée des perdants
Comme un lego avec des dents
Comme un lego avec des mains
Comme un lego
Danser ensemble à se donner la main
S'embrasser dans le noir à cheveux blonds
A ne pas voir demain comme ils seront
Et qu'ils s'agrippent
Au-delà, c'est le vide
Assis devant le restant d'une portion de frites
Noir sidéral et quelques plats d'amibes
Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un légo mais sans mémoire
Comme un légo mais sans mémoire
Comme un légo mais sans mémoire
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un légo mais sans mémoire
Comme un légo mais sans mémoire
Comme un légo mais sans mémoire
Pourquoi ne me réponds-tu jamais ?
Sous ce manguier de plus de dix milles pages
A te balancer dans cette cage...
A voir le monde de si haut
Comme un damier, comme un légo
Comme un imputrescible radeau
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte sur le dos
Comme un insecte sur le dos
C'est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans...
On voit de toutes petites choses qui luisent
Axel martin
J'ai choisi de présenter un poème vis à vis de la chanson The End, du groupe américain The Doors.
" Voici la fin, mon bel ami.
Voici la fin, mon seul ami, la fin de nos plans élaborés, la fin de tout ce qui a un sens,
la fin, ni salut, ni surprise, la fin ".
Ce monde, ce monde se consume,
la terre que tu foules se meurt, noyée dans le consumérisme exacerbé.
Tes désirs t'ont rendu aveugle,
sourd aux cris d'alarmes de ceux qui l'entourent,et muet devant les revendications auxquelles tu pourrais participer.
Ce pourrait être la fin pour toi mon ami, pour moi, pour nous tous.
Pourquoi ne fais-tu rien ?
Pourquoi ne vois-tu rien ?
Pourquoi ne dis-tu rien ?
Tu es semblable à l'arbre mort, un simulacre d'existence t'anime, tu n'es qu'une ombre parmi les ombres, incapable de tolérer la lumière.
Tu ignores les rares vivants devant lesquels tu passes, sans pouvoir comprendre à quel point ils te surpassent, toi l'arbre mort.
Tu es le zombie blanc...
Julie Jardin
Poètes d’aujourd’hui n°119 : Jacques Brel. Jean CLOUZET
Lire « Les Vieux » de Brel, c’est se perdre entre l’effroi du temps qui passe et le frisson du lyrisme employé à le dépeindre…
A ceux qui écriraient que la chanson n’est pas de la littérature, à ceux qui s’insurgeraient contre la publication de chansons dans une revue de poésie, à ceux qui dénonceraient la nomination d’un auteur-compositeur-interprète à un quelconque prix d’écriture, je répondrai :
– En effet, la chanson ‘’brute’’ n’est pas de la littérature. Elle est un art de l’entre deux, tantôt musical, tantôt littéraire… Est-ce pour autant à dire que les textes de chansons se dérobent à nous, lecteurs, et n’offrent leur poésie qu’au public d’auditeurs, aux musicologues ?
Dans son excellent ouvrage Le démon de la théorie, littérature et sens commun, Antoine Compagnon explique que « […] les textes littéraires sont justement ceux qu’une société utilise sans les rapporter nécessairement à leur contexte d’origine. Leur signification (leur application, leur pertinence) est censée ne pas se réduire au contexte de leur énonciation initiale. C’est une société qui décide que certains textes sont littéraires par l’usage qu’elle en fait hors de leurs contextes originaux »[1].
– Certes, me direz-vous, encore faut-il pouvoir distinguer une action ou un usage social permettant de définir un « texte littéraire »…
– C’est juste ; et ce phénomène social doit d’abord être envisagé comme un acte éditorial : en l’occurrence, la publication du texte de chanson n’est plus seulement phonographique, mais aussi imprimée. Le recueil de chansons, qui n’est pas un « cahier de chansons » (mêlant partitions et textes), est bel et bien destiné à des lecteurs : cette orientation du texte vers un lectorat conditionne et définit le recueil de chansons comme un genre littéraire hybride à découvrir et à penser.
– Cela est très bien, vraiment. Mais la poésie dans tout ça ?
– J’y viens. Car pour lire des vers de poésie là où se rangent des lettres, des mots et des phrases qui composent le texte d’une chanson, le simple phénomène éditorial ne suffit plus. La force des auteurs-compositeurs-interprètes est d’avoir su poursuivre le dur labeur des initiateurs de la révolution poétique ayant eu cours dans la deuxième moitié du XIXe siècle : si Baudelaire ou Rimbaud sont parvenus à confondre le plus prosaïque au plus poétique, les auteurs-compositeurs-interprètes ont rendu au grand public le goût de la poésie. Avec la chanson, « le plus vraiment poète est en même temps le plus populaire. […] Dans les rues, les ateliers, les bistrots, le poème circule, camouflé en chanson mais poème, et beau poème. » [2]
– La réception du texte ne fait tout de même pas tout… Si ? Peut-on parler d’une poétique du lyrisme pour la chanson « Les Vieux » de Jacques Brel ?
– S’il faut justifier la poésie de Brel stylistiquement, on observera simplement (parmi bien d’autres effets de formes employés dans « Les Vieux » ) les personnifications, des livres qui « s’ensommeillent » ; les réifications des voix qui se « lézardent » , comme des peintures flétries ou des cloisons fendues ; les parallélismes, avec par exemple au vers 17, « L'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide » ; ou encore les gradations, comme au vers 14, « Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit ».
L’opposition frontale entre la célèbre citation, « Le petit chat est mort », extraite de L’Ecole des femmes (II, 5) de Molière et le renvoi à un stéréotype culturel populaire, « le muscat du dimanche ne les fait plus chanter » (vers 10), témoigne d’un habile maillage entre différentes références culturelles. Ce maillage est repris tout au long du texte avec le va-et-vient de l’horloge, « qui dit oui qui dit non » : ce balancement ne symbolisant pas seulement le temps qui passe et le statut d’entre-deux des « vieux » (à demi vivants, à demi morts avec seulement « un cœur pour deux » ), mais aussi celui du texte et du genre « chanson » qui oscille entre art mineur et majeur, musique et littérature, prose et poésie, représentation scénique, édition phonographique et édition littéraire…
– Quelle ambition poétique, pouvons-nous alors octroyer à la chanson « Les Vieux » du Grand Jacques ?
– Il n’y a pas chez l’auteur-compositeur-interprète la volonté de se substituer au poète ; mais plutôt un désir analogue d’exprimer un frisson, une angoisse, une révolte à travers une forme différente. Le texte de chanson, animé d’une force poétique, s’émancipe : il est beau et lyrique, sans l’écrin du corps de l’interprète, de sa voix, ou de la musique. Son rythme, est soutenu par le découpage grammatical, les images successives et les procédés stylistiques. Lire « Les Vieux » ce n’est donc pas vraiment lire un poème, mais une forme intermédiaire de poésie. Lire « Les Vieux » de Brel, c’est se perdre entre l’effroi du temps qui passe et le frisson du lyrisme employé à le dépeindre.
Syrine Lehodey
Redéfinition, Marc Nammour (La Canaille)
La Canaille est un pseudonyme inspiré de chants populaires de la Commune. Entre le rap, le théâtre, les arts de la rue, ce poète urbain dépeint dans ses albums le monde des plus démunis face à un système toujours plus oppressant. De la vie des usines à la galère des fins de mois, il décrit la misère, la tristesse, la colère d’une part de la population souvent oubliée et sous représentée. Dans ce texte, il reprend un chant de 1865 « la canaille » qu’il actualise à des problématiques modernes. Le sous texte est toujours le même, une lutte de classe et un jeu de vocabulaire entre un pouvoir élitiste qui calomnie ses dissidents, les canailles et la réappropriation par ses derniers des mots pour leur donner un nouveau sens. La Canaille est un épouvantail que les classes dirigeantes agitent pour provoquer la peur des classes moyennes et aisées face à la crasse, l’immoralité, le manque de savoir vivre des plus pauvres sans les faire s’interroger sur les mécanismes du système qui mènent à cette situation. Il sert à étouffer des protestations populaires légitimes. Se revendiquer Canaille est un retournement, un détournement pour montrer les coulisses que cache l’emploi de ces mots : des injustices, un mépris de la classe dirigeante, et une peur des plus haut-placés de la révolution et de la perte de pouvoir.
C'est un cri qui sort de nulle part, une aberration
Une scie pour une évasion, c'est un tambour, un tam tam
Un boucan d'tous les diables c'est un ramdam
C'est un râle d'homme, un ras l'bol
Une bouteille du tissu et de l'alcool
C'est un fond de dalle, un calvaire
La gueule du sauvageon qui veut pas s'taire
C'est une espèce tenace
Une promesse, mieux, une menace
C'est une femme noire qui s'assoit devant, et désobéi
C'est cette plume qui rentre au pays
La boule au ventre de colère
Et le changement d'attitude qui s'opère
C'est un chant qui porte la résistance en lui
C'est la Canaille eh bien j'en suis
C'est un lion, c'est une panthère
Tête baissée, le poing en l'air
C'est un combat un constat, une réflexion
Un siècle et demi après la redéfinition
C'est du piratage, sabotage
D'la graine de mutin c'est de l'abordage
C'est la science du renversement
L'ennemi de l'ordre et des gouvernements
C'est ici, c'est maintenant
C'est ce son dans les tympans
La conséquence le réceptacle
L'alternative à la débâcle
C'est l'évolution, c'est l'après
C'est l'héritage, c'est la clef
Ouais c'est ce phare qui brille dans la nuit
C'est la canaille eh bien j'en suis
C'est la lave d'un volcan qui se réveille
C'est la vague qui te balaye
C'est le vent : un vent d'humanité
On veut la justice pas la charité
Au nom du merveilleux, de ces yeux écarquillés
Au nom de la beauté d'nos rêves éparpillés
C'est de l'amour, ouais de l'amour à revendre
A réduire un système en cendre
C'est une armée, c'est une légion
Internationale est la pression
C'est plus haut qu'les frontières et les barbelés
C'est des mots, des mots pour marteler
C'est ce qu'on sait faire de mieux
Et c'est vieux comme le feu
C'est la lutte comme un rempart à l'ennui
C'est la canaille eh bien j'en suis
Qu'ajouter... si ce n'est le poème de Leo, qui à lui seul dit toute absurdité... De quoi s'agit-il ? De nos modes de vie, sociaux, politiques, de ce qui perdure. Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'ils conservent ce regard, et leur coeur, ainsi, parce que nous avons demain à imaginer...
CANTINE
Ansamble avec deux fautes sur une plaquette cantine
Salade marco polo : poivron rouge surimi
Des concombres sauce yaourt, leur caviar d'aubergines
Mitonnée de légumes avec compote tout fruits
Disponibilité d'approvisionnement
La bavaroise betterave chantaillou ail fines herbes
Parmentier de poisson au fondu président
Pyrénées printanières coulommiers ail fines herbes
Entremets praliné, céréales oubliées
Jambon grill, fricassée, pommes de terre persillées
La santé, bleu blanc coeur, porc issu de filière
Madeleine tricolore, concarnoise jardinière
Produit animation, pâtisserie maison
La semoule fantaisie : tomates et petits pois
La salade vendéenne : chou blanc et raisin sec
Kiwi fripon picon saucisson cornichon
Roti au jus curry poulet liégois gouda
Torti agneau chipo salade mêlée pastèque.
Sauce confiture
Semaine du goût
Lentille, oeuf dur
Et lé-tabou
Restauration, services plus près des territoires
Un restaurant scolaire, un plan alimentaire
Pictogrammes et légendes dans une sole meunière
Cocktail de bienvenue aromatisé noir.
[1] COMPAGNON, Antoine. Le Démon de la théorie, littérature et sens commun. Collection « La couleur des idées » aux Editions Seuil, Paris, 1998, 307 p.
[2] Poètes d’aujourd’hui n°99 : Georges Brassens. Alphonse BONNAFE (dir.). Collection « Poètes d’aujourd’hui », sous la direction de Pierre SEGHERS. Poitiers, 1970 (1ère éd. 1963). « INTRODUCTION : L’HOMME QUI RIT », page 8.