Gérard Baste : Plus rien à dire ?

On a dit à Gérard Baste qu'il est le « Patrick Sébastien », le « Jean-Marie Bigard » du rap français (je le cite)… Peut-être qu’il y a beaucoup de provocation dans certains de ses textes, mais pour ma part je connais un homme posé et réfléchi, qui sait exactement comment et pourquoi...

Comment faire pour émouvoir, toucher, ne pas cesser la lutte… et pourquoi : parce que lui est engagé, bien qu’il s’en défende avec humilité, pour la cause de tous,  pour l’humain, et l’édification d’une société plus juste, plus sociale, et plus… poétique… Et puis, surtout, Gérard Baste refuse la facilité, le star-système et les occasions offertes sur des plateaux qui mènent à devenir un bâillonné de plus.

Le Rap et le Slam est-ce de la poésie mise en musique ou bien de la musique avant tout, accompagnée par un texte…? Est-ce encore et toujours le lieu d’énonciation d’une parole engagée… ?
En tant que rappeurs moi et les membres du groupe (Svinkels) avons grandi avec la montée du FN et le mouvement punk donc on a abordé ces thèmes là. De manière simple et frontale… Et l’évoquer serait simple, serait juste, et ce serait rendre compte de ce pour quoi nous agissons. Mais on ne peut pas non plus ignorer que la parole engagée est de nos jours l’objet d’un investissement de la part de ceux qui énoncent aussi un discours convenu. En gros la « parole engagée » a été récupérée par le système. Et c’est choquant de s’entendre dire que c’est démagogue quand on aborde des problématiques qu’on ne peut pas passer sous silence… C’est ce qui m’a  motivé pour écrire les textes Le Corbeau, ou Réveille le punk. J’ai voulu créer une ambiance à la Clouzot, une atmosphère un peu intimiste qui évoquerait « l’esprit de clocher »… Renaud avait ce discours engagé sans être dans l’énonciation directe des problématiques socio-historiques. C’est en rendant compte du quotidien qu’on peut le mieux témoigner, émouvoir, toucher les gens,  et porter une parole engagée.

 

Et puis, je me considère comme un poète avant tout, et avant toute chose c’est au texte, à la parole que j’accorde une attention particulière. C’est une posture personnelle bien sûr. J’ai lu et je lis encore de la poésie, car le Rap et la Slam c’est avant tout pour moi un "travail" sur la langue. J’ai grandi avec, et j’ai même eu un prix de poésie pour des textes écrits dans ma jeunesse.  Je suis devenu un rappeur  et ce que je fais est hédoniste, mais avant tout on essaie de mettre de la poésie là-dedans,  en travaillant le langage. Nous faisons  une poésie crue comme celle de  Bukovski par exemple.
Le rap et le slam sont de la poésie du quotidien. C’est une poésie de la rue. Les artistes se sont appproprié la syntaxe et les mots du langage quotidien des jeunes.
Il y a des artistes qui enchainement mots et idées et qui s'emparent du quotidien avec ce matériau-là du langage, comme PNL par exemple… Cette écriture contribue au travail d’évolution de la langue. Je pense que les jeunes ne se posent pas la question, ils grandissent avec ces codes là, et les retrouvent dans des productions qui les interpellent. Et poésie et musique se rejoignent de plus en plus. Certains poètes comme Philippe Katerine commencent à collaborer avec des rappeurs (avec Alkapote). Ils créent ensemble une dynamique spéciale qui donne jour à une poésie typique rythmée et dont la langue séjourne entre une oralité ancestrale et le rythme d’une respiration purement actuelle.
La part du rythme y est-elle proportionnelle à la volonté de porter une parole politique…
Le rap est élaboré à partir d’une rythmique. Les mots sont prévus pour marteler, être martelés,  et il y a une énorme  envie de langage ! J’ai souvent été épaté de voir des jeunes qui n’ont pas un accès de fou à la "culture" mais qui ont des fulgurances magnifiques, qui écrivent à partir d’un rythme transcrit dans et par les mots, des textes qui ont une portée incroyable !
De quoi nous interroger sur le déterminisme, et sur les systèmes qui permettent à certains de s’exprimer alors que beaucoup pourraient témoigner, rassembler, relier l’humain à l’humain. Beaucoup n’ont rien eu dans les mains mais la liberté est là...
Faut-il penser la culture comme un lieu de pouvoir ?
Sur le terrain la culture est un lieu de « petit pouvoir » : on est subventionné mais il faut rester dans le cadre de certaines attentes… Alors que même s’il faut savoir bousculer il est nécessaire  d’être à l’écoute des gens… La poésie, la musique, doivent rassembler, fédérer, unir et permettre à l’humain d’émerger parce qu’il se reconnaissent dans une parole commune. Dans les grands festivals malheureusement beaucoup tiennent les mêmes propos, se positionnent tous de la même manière, parce que c’est « mieux vu »… Il y a toujours les mêmes groupes, qui répondent aux mêmes attentes…
La parole poétique, la musique, le Rap, le Slam, tout ceci est de l’art au sens où c’est façonné de nos chairs, de nos bouches, de nos quotidiens ! Ça appartient à tous.
On en revient à la question de l’engagement, que tu m’as posée au début  : je parlerais alors du  "divertissement" avant tout, car se pose cette question : est-ce que faire de la poésie pour dénoncer n’est pas un peu démagogique ? Je pense pour ma part que si,  parce que on parle à des convertis, à des gens qui attendent ce discours, précisément. Mais je continue à chanter engagé parce que ça donne du souffle  et surtout que les gens prennent conscience depuis peu de toutes les problématiques importantes de notre époque : la couche d’ozone, la pollution, la façon de manger… les gens changent…
Il est également important, voire incontournable, de rappeler que tout discours a du mal à trouver sa voie parce que la priorité de beaucoup de nos frères est remplir le caddie, c’est une lutte quotidienne, qui les tient éloignés de toute nécessité autre que celle de la survie. Leur énergie est tout entière absorbée par ceci, la survie. Tout discours aurait du mal à trouver place, à s’immiscer là-dedans, dans ce quotidien miné par le souci permanent de tenir debout.
Et puis je remarque aussi que ces problématiques qui touchent l’engagement social et (donc) politique trouvent désormais sa voie beaucoup plus facilement dans le cinéma… Bruno Dumont ou  les Frères Dardenne, Audiard (le fils) aussi, dressent des portraits vivaces et réalistes des gens donnés à voir dans un quotidien qui est révélé par une fiction, travaillée bien souvent en corrélation avec une visée documentaire (Bruno Dumont se tient sans cesse sur ce fil ténu qu’est le récit fictionnel et le reportage). Et même si le Rap et le Slam ont contribué à mettre un petit coup d’accélérateur pour ce qui concerne l’énonciation d’une parole de révolte et de résistance, je remarque que beaucoup se tournent vers le cinéma, qui semble prendre le relais en la matière (Grand Corps Malade par exemple).
Peut-être est-ce aussi parce que de nos jours l’image prend le pas sur la lecture, on compte en terme de "vues", pour ce qui est des vidéos que les gens visionnent majoritairement (préférentiellement à la lecture par exemple)…
On utilise donc tous ces vecteurs, et on essaie de continuer, à porter la poésie, le Rap, le Slam, et aussi surtout à ne pas renoncer à faire évoluer les choses…

 

Présentation de l’auteur




Philippe Labaune, Tokyo drone et autres poèmes

 

le général me disait on pourrait être des héros juste un jour je crois me disait des héros  je marche vers mon rendez-vous vers ma totale disparition je marche dans Yanaka Ginza l’heure du silence et tout fermé les boutiques les petits marchands les jouets lumineux les odeurs de cuisine rien rebel rebel m’avait-on chanté dans le bureau de l’ambassade cette nuit en me donnant l’adresse – 54 -  et maintenant au petit matin dans la rue vide le métro aérien les fils téléphoniques j’avance en dansant courbe de la rue façades aveugles tout écrit dans la verticale tout clos courbe du pont suspendu je suis la tache de couleur électrique dans cette carte postale en noir et blanc je penche je pense à l’amour que j’ai pour elle qui brise mon cœur en deux chorus des cuivres je marche dans un film muet tout dans la tête je suis l’agent double et secret je cherche le contact l’indicateur le mystérieux porteur de message - nom de code Xenon -  tout ce silence autour de mes pas je marche et n’avance pas comme dans la brume en mon royaume solitaire je suis une étoile noire en pleine nuit l’adresse n’existe pas le monde vide les ondes invisibles autour et en moi un désert urbain c’est l’accident industriel mon cœur en fusion comme une légère vibration dans l’air mes pieds touchent à peine le sol dans cette avancée statique un monde dessiné au crayon mon nom partout sur les enseignes illisible mais partout le monde s’est ouvert à mon passage je regarde à gauche grilles baissées ombres collées aux parois métalliques - où es-tu Xenon ? - je regarde à droite palissades le ciel à dix mètres porte tes yeux par ici Xénon où que tu sois ton magasin vend des coquilles d’oeufs je suis au paradis mes cicatrices ne se voient pas et maintenant je cherche ta main et sa clef m’a dit le général une clef pour faire son office le ciel si blanc et opaque sur mes yeux et le sol noir de graphite un jour tout le monde me connaitra la rue en courbe immensément vide comme morte regarde par ici mec je suis en danger je n’ai plus rien à perdre je plane si haut au ras du sol que ma tête me tourne - ça ne me ressemble pas ? penses-tu - je suis le merle bleu celui qui décode les clefs - d’où vas-tu venir mon amant secret mon agent terrible ? - je vivrai comme un roi dans cet extrait de rue en courbe ne penser qu’à ton cul mon caché mon innommable j’ai des cicatrices qui ne se voient pas et que je te montrerai – le texte dévisse peu à peu - à hauteur du 53 à deux pas puis 55 manque une case une fissure dans l’espace un blanc dans le regard une percée une ouverture où saisir la clef Xénon j’appelle ma voix ne sort pas rien pour faire vibrer l’air agiter les radiations comme s’il y avait un calque sur l’image dans laquelle j’avance – aucun retour possible - cri blanc déchirant Xenon mon secret approche-toi tends le bras le général m’a pris les mains hier et nommait les lignes mon général au teint pâle - non pas demain maintenant - le fou dans la zone chaude la musique est à l’extérieur elle cogne sur les parois du ciel de craie et je marche entre deux murs de rythmes et j’ouvre la gorge pour chanter la sale leçon du chœur pour t’appeler Xenon je te sens l’enfer derrière les rideaux de métal quelque chose dans mon ciel quelque chose dans mon sang qui cogne pour toi la clef la clef la clef qu’arrivera-t-il quand tu la poseras dans ma paume je ne verrai même pas ton regard ton visage impossible dans la nuit tout le souvenir des années mortes s’il y avait seulement une sorte de futur je crois que j’ai perdu mon chemin je suis cinq ans de plus dans Yanaka Ginza et ses fantômes - où sont-ils tous ? - pauvre mon âme je suis l’espion debout si près je cours dans le vide sur place pour l’éternité saisi dans une suspension du temps le général l’ambassadeur le code - je me souviens - la mission la rue bruyante comme vidée 54 n’existe pas même de profil ça n’entre pas des tambours sonnent derrière les murs aveugles de la rue ça s’approche et je ne vois rien suis une silhouette stationnaire dans cette rue de Tokyo -  ne veux-tu pas être libre ? - la poussière de lune finira par me recouvrir repas et mort dans un monde de lumière bleue envoyé ici pour toucher l’invisible distillation fractionnée de l’air liquide où sont-ils dans le silence le métro dans mon rêve m’a déposé au cœur de la supernova comment revenir peu à peu m’efface avalé par le vide de la rue morte confusion des lignes et des sons à gauche à droite sans fin quatre notes attaquent ma mémoire c’est un vol simulé un entrainement - où êtes-vous général ? - je suis l’insecte qui gratte le sol un crayonné sombre dans un paysage vide pour l’éternité dans cette zone de sécurité cette rue je vis d’heure en heure la mort de l’homme sans odeur lorsque rien n’est rien vanité est trop lente il n’y a pas d’enfer je nage dans la rue Yanaka Ginza en trompe-l’œil quelque chose de trop complexe pour un homme simple je ne sais plus ce que je suis venu faire ici sinon disparaître il n’y a pas d’enfer il n’y a pas de honte mon général juste devenir bleu et retenir son souffle – good timing drone - il n’y a pas d’enfer il me faut rester à l’écart de l’avenir ma vie se perd dans les feuilles mortes et dans le vent tout est arrêté tout est dérangé il n’y a pas de clé – aucun contrôle – je suis maintenant un homme brisé celui qui perd son nom les flammes brûlent mon corps invisible cette rue n’existe pas il serait bien d’avoir de la compagnie pour de grandes conversations en regardant les démons au travers des fenêtres appelez ça un jour rêver de sommeil je suis avec le nom caché des baisers et des morsures inspirant-expirant  donnez-moi une fois de plus que je sente encore la douleur comme de la neige –couvre-moi couvre-moi – profondément enfoui dans l’air mort un zéro dans le tissu du temps lui-même j’aurais voulu vous ramener à l’entrée de la rue j’aurais voulu vous ramener au moment où tout a commencé

 

Extrait de la série Drones, octobre 2018.

La ballade de Desert Eagle

  1. Swing pied droit dans l’écran de la téloche ça bave bleu partout la mire en giclées plein la tête du blue et un et deux et vlan Suicide joue jukebox babe ouch peux plus les voir les trop de signes d’objets d’images démolissons même les ruines et bang jean chemise bretelles jaune blanche rouges tenue du dimanche encore un coup last time dessiné gros fort et à la bière you’d better work bitch
  1. Aspiré par la machine recraché de nuit au désert ouesterne comme j’en rêvais petit j’entends les têtes parlantes et les serpents à ssssonnettes chanter salut cow-boy qu’est-ce que tu mattes sur ton cheval dans le bleu de la nuit américaine comme l’éclair sur mes pompes vernies dans le sable tu glisses de l’autre bord de la colline et c’est indolore et c’est moi dans quelques heures la puissance d’un cheval à l’arrêt

Interlude - Saupoudré de gris un geste de la main la besace et l’ennemi qui guette ça tangue dans la maison en mouvement j’entends encore les trompes du désert je chante et ça répond en chœur lève un bras et l’autre l’assaillant de baisser la garde et me prendre contre lui fin de la guerre d’Espagne en électrofunk à suivre l’avilissement continu avers et revers d’un monde de bruit et de fureur William sors de ton trou

  1. La fille à la Cadillac en plein soleil bientôt ici votre pavillon avec piscine quadrichromie quatre par trois à l’américaine y a quoi dans ton coffre je descends la bute le soleil comme une râpe sur l’échine le skaï du volant va me cloquer les paumes ça pue à l’arrière on a tous quelque chose à cacher je pratique l’anesthésie sensible l’opérateur verbal cogne sous le capot brûlant je ne regarde plus pour voir
  1. Caterpillar à fond les ballons en plein milieu d’un grand rien jaune je l’ai appelé une fois deux fois et à chaque fois bridge impossible fonce droit dans la faille et fume fume little loader ça me rappelle une chanson de Franckie l’esquimau souffle sur le sable et c’est la tempête pourquoi ne pas manger la neige canari et la chenille déroule ses accords électriques à toute berzingue et racle et plonge dans le désert en feu et sonne la sirène et tout foutu en l’air le parc d’attraction mondial aucun exercice de soumission et les vapeurs du diesel dans les yeux

Interlude – sous le désert un salon dans la mer et une sirène qui embrasse les dormeurs on change de dimension tout allongé plus rien d’un carré une poche sans oxygène tout fluide le chant des baleines pour oreiller aucun signe extérieur de rébellion je suis le souvenir d’un rêve ce nageur énigmatique et sa poupée gonflable misère

  1. enfin enfin presque le métro transglobal et creuse et fore et perce et sape une Joconde de profil on dirait ma copine Alice un rat dans le moteur avec ses airs de ballerine c’est une grosse basse qui avance sous le crâne passe-moi la clé et le mambo encore et encore ta musique de froussard et chante avec les sept nains de la mine oh joie du travail
  1. c’est piscine on est tous là avec nos gueules de déterrés Alice William Franck Yma Sumac attention sol glissant ne pas courir manqué l’éclipse qu’avons nous appris de notre roman d’aventures technicolor akétibotiptipbombodirabambum maintenant toute l’essence dans le sang et la sagesse et la trahison des images dans des vapeurs de fuel non à la torpeur et à la mort oui à la couleur

 

Extrait de la série Drones, Juillet 2018.

First burning attraction

intérieur nuit de l’hôpital lumière clignotante du néon - .S.O.R.T.I.E. -  je compte les cliquetis de l’ampoule couché 80 bpm c’est l’issue de secours mon lit et son alèse de plastique légère moiteur du corps qui colle aux draps quelque chose sort du noir c’est ma dernière photographie pâle mon corps sur le lit blanc des siècles de surexposition très loin une petite sonnerie - comme une alarme - depuis un très profond sommeil et une note tenue - presque une voix - une lanterne rouge flotte dans l’air noir - suspendue et en mouvement à peine - va et vient de la couleur sur la rétine quelqu’un frappe à la porte mais loin les bruits du monde comme tamisés  – peu à peu - d’autres corolles rouges sortent du noir et avancent sur le chemin je les vois depuis mon lit mais ce chemin n’existe pas dans ma chambre ce sont des enfants - des fillettes - les coups sur la vitre - la porte – insistent de la vaisselle brisée et fourchettes et couteaux et cuillères qui tombent sur le sol de carrelage - cascade de métal - un homme me parle à l’oreille c’est une plainte il est si loin - comme un astronaute - dans la nuit du ciel les fillettes avancent encore toutes blanches et sans visage - juste un ovale plus sombre - les lanternes à la main un champ de coquelicots en mouvement dans la nuit une marche - si lente - si silencieuse - j’entends le réfectoire – au rez-de-chaussée - qui entrechoque – brise - un torrent de couverts en inox l’autre me parle encore c’est – à peine - un message de Jim Lowell je n’entends que sa peur qui grince et racle comme un vaisseau à la dérive dans les galaxies 160 bpm plus de vingt lanternes rouges maintenant je n’arrive pas à faire le point un grand flou sonore une masse informe de respirations et les images mobiles avancent les fantômes d’enfants et deux

sur le bord grimpés

sur un mur

sous le poteau télégraphique

deux ombres qui me désignent du doigt

halos écarlates progressent depuis le fond du noir les petites princesses-sorcières s’approchent du lit lanternes à la main dans ma tête je clignote maintenant et peu à peu effrité mon corps de sable grain à grain se défait une absolue sécheresse - un désert sur le lit - Jim à l’intérieur de mon oreille - une plainte - on dirait qu’il pleure la note ne faiblit pas et tourne et ronfle et gonfle et envahit l’image une première attraction brûlante c’est un cortège funèbre qui passe à côté de moi c’est une roue qui frotte glisse le long du lit fillettes sans regard - le vent dans leurs cheveux - le vent dans ma chambre de malade très en-dessous - sous l’hôpital - sous les sous-sols - la note vibre et circulaire c’est le son des guirlandes rouges - le son d’Apollo - qui dérive et flotte mon lit sur les épaules des petites mortes c’est un cri qui ne peut pas - inarticulation de la douleur -  leurs pieds ne touchent pas le sol - ont-elles des pieds - je ne peux pas aller plus loin reste une note qui s’éteint dans le brasier des sons

 

Extrait de la série Drones.

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (37) : Béatrice Douvre

Béatrice Douvre a traversé le ciel de la poésie comme une comète de feu et nous en sommes toujours éblouis. En 2000, les éditions Voix d’encre avaient publié la quasi-totalité de ses poèmes, avec une préface de Philippe Jaccottet.

Mais il restait un nombre considérable de pages inédites, et notamment le Journal de Belfort où Béatrice Douvre parle de ses 6 derniers mois d’existence, brusquement interrompus le 19 juillet 1994, à l’âge de 27 ans. Il faut donc se féliciter que cette édition, réalisée par Jean-Yves Masson et Philippe Giraudon, pour leurs excellentes éditions La Coopérative, nous fasse découvrir le monde le plus intime de ce poète, un univers intérieur vertigineux. 

Comment en parler ici, sinon avec ces phrases fulgurantes, tranchantes comme des épées, que Béatrice jette sur la page : 

 Je suis perdue, les chemins croisés meurent autour de moi, je n’ai plus qu’un amour, blessé, mélancolique. Je veux le merveilleux dans des bras de velours, l’attente brève, l’affolement limpide, et le baiser des lèvres pures.

 

Béatrice Douvre, Journal de Belfort, Editions La Coopérative, 20 euros.

Une  extraordinaire crucifixion s’impose d’emblée : pureté et sensualité, « folie » et lucidité aiguë, affections et sexualité troubles…  Mais surtout, sur ce visage dont la photographie ouvre le volume, on voit la braise le consumant, le regard déjà parti vers un autre ciel, la maladie opérant ses ravages :

Je suis l’anorexique aux lèvres refusées, dans le miroir et la balance, l’enfer glacé des sables. Je me suis retournée sur mon désir, j’y ai vu un désert épineux, un dieu mort parmi les ronces. Rien n’éclairait, que la noire lune sur une enfance immatérielle. Mais les chevaux trébuchaient dans les neiges roses de l’aurore, le corps se donnait aux équilibres fulgurants, aux danses, aux rythmes désenchantés.

L’enfance est toujours là, où tout s’est semé, creusé déjà en abîmes, au contact des chevaux, dont « le pas noir » martèle le désir. 

     Je me rappelle mon enfance auprès des chevaux bruns qu’on entraînait debout sur les selles humides.

Et déjà, la menace avançait ses griffes, la « passante du péril », comme elle se nomme, faisait face au plus tragique, à la mort prochaine, enfermée à la fin dans un amour impossible pour un homme se dérobant sans cesse, la refusant pour courir auprès des garçons :

J’ai adoré ma sépulture, je l’ai creusée dans la terre meuble et verbeuse. J’ai suicidé ma spiritualité en m’alitant sur des lits blancs froissés, j’ai foré mon enfance, y dégageant une mémoire perdue.

Quelles plaintes amoureuses peuvent-elles être plus splendides et plus déchirantes que les siennes ? 

Je pars aux pays de neige, fendre le froid qui me maintient. Mes seins de glace que rien ne réchauffe, mes cuisses fermées aux dents de l’amour, je me vêts pour le séduire, il me regarde comme une statue pure du péché de chair, pure de non-vouloir.

Et quand le sacrifice se fait total, alors les phrases se bousculent et nous bouleversent par leur poids de chair, de souffle et de sang :

Il m’embrasse, sa chaude langue me fait jaillir de mon néant, je suis à la vraie vie, vraie vivante. Mon écriture se desserre, exalte les matinaux et poursuit l’invisible à ses côtés. Ahmed, ton ami te préfère, il dort sur ton torse froid, il a ta langue et ton sexe, moi j’ai la tendresse amoureuse. Socle splendide où déposer sa virginité, dieux assis qui tournoient dans l’air printanier, tenant des saphirs dans leurs mains pour tout regard.

Les 37 poèmes en prose qui suivent ce journal disent la même soif, le même ennui de vivre, le même « vide exténué » de l’âme. Les phrases sont seulement plus vibrantes encore, d’une dureté de diamant, coupante et scintillante, animées de souffles d’une fraîcheur inouïe, entre visions d’extase et râles d’agonie.

Les 12 derniers poèmes, de juillet 1994, font entrer plus de vides, font entendre une voix plus défaillante, apercevoir d’ultimes blessures. On les lira comme un adieu, où le poète semble déjà détaché de cette argile humaine où ses larmes ont tant coulé, déjà rentré dans le ciel d’où cet ange étrange, « un charbon sur la bouche », était descendu, un jour d’avril, parmi nous : 

 

                                Tu gis sur le chemin trempé

                                Et de pleurs tu défailles

 

                                Maintenant brille d’obscures larmes

                               Tu acceptes la peur immaculée de vivre

 

Présentation de l’auteur




Mario Pérez Antolín, Aphorismes.

Introduction et traduction par Miguel Ángel Real

Mario Pérez Antolín est l'un des plus importants auteurs espagnols d'aphorismes. Ses livres ont reçu les éloges de penseurs éminents tels qu'Eugenio Trías, Victoria Camps, Joan Subirats ou Vicente Verdú, et sont devenus une lecture de référence pour ceux qui aiment la fusion entre bonne littérature et littérature dissidente. Sa poésie,  « déguisée en philosophie » selon Carlos Aganzo, se caractérise par la force expressive des images et la profondeur réflexive des idées, créant ainsi un style novateur très apprécié par la critique spécialisée en Espagne et à l'étranger.

L'un des aphorismes de Pérez Antolín nous dit : « Il n'est pas de meilleure éthique qu'une apologie élégante du rire », et son écriture sait certes se révéler ironique, mais il reste très éloigné d'auteurs de référence dans l'histoire littéraire espagnole tels que Ramón Gómez de la Serna (1888-1963), inventeur des Greguerías, qui étaient des créations poétiques où se mêlaient l'humour et la métaphore. De son côté, Pérez Antolín développe dans ses aphorismes une philosophie profonde qui refuse l'anecdote :

Parmi les qualités du travail intellectuel je mets en avant l'honnêteté, qui m'oblige à défendre même ce qui ne me convient pas si ceci est juste, et la rigueur, à travers laquelle on met à l'épreuve les conclusions avant qu'elles soient validées  (dans « La más cruel de las certezas », Ed. Baile del Sol).

 

Pour Aitor Francos, Pérez Antolín a su développer  sa pensée entre l'intuition et la rationnalité, entre la surprise et l'exercice analytique.

Dans une recherche humaniste qui refute tout nihilisme, il sait se remettre en question en permanence pour chercher continuellement la vérité, ou plutôt, « l'incrédulité interrogative », seule façon d'échapper aux dogmatismes qui ont tendance à occuper l'espace intellectuel actuel. Ses livres, dans lesquels on trouve aussi des micro-récits et des courts poèmes, se révèlent très accessibles car ils sont rédigés dans l'exigence d'un langage clair, gage de précision et de pouvoir évocateur.

Pérez Antolín, justement, explique qu'un bon aphorisme « doit avoir la force émotive du meilleur poème et la profondeur réflexive du meilleur essai, et tout cela avec une précision éblouissante. Rien que cela. » Il s'agit d'un genre qui trouve sa place « entre la'intuition et la rationnalité, entre la passion et l'analyse, entre l'éthique et l'esthétique ».

C'est avec un immense plaisir que nous vous proposons, en exclusivité, ces quelques aphorismes inédits, appartenant à son projet Contrariedades.

 

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La trampa de las ideologías consiste en hacer pasar por enunciativo lo que es, en su mayor parte, emotivo.

Le piège des idéologies consiste à faire passer pour énonciatif ce qui est, en grande partie, émotif.

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No alcanzamos la verdad porque no estamos preparados para ella. Su sola visión nos desintegraría.  

Nous n'atteignons pas la vérité car nous n'y sommes pas prêts. Sa seule vision nous désintégrerait.

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Muchos prefieren trucar antes que truncar. El engaño como alternativa a la mutilación. Practican la magia por no practicar la siega.

Nombreux sont ceux qui préférent truquer plutôt que tronquer. Le mensonge comme alternative à la mutilation. Ils pratiquent la magie plutôt que le fauchage.

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Hoy cumplo 53 años y soy más evocable que futurible.

Aujourd'hui j'ai 53 ans, et je suis plus évocable que potentiel.

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No queda otro remedio que ser huidizos: utilizar cualquier recurso que nos haga ilocalizables, desaparecer de los registros y las bases de datos. La evasión que permite zafarse del chequeo.

Nous n'avons pas d'autre alternative que d'être fuyants : utiliser tout moyen pour nous rendre injoignables, disparaître des registres et des bases de données. L'évasion qui permet de se dérober au contrôle.

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Creo en un Dios que aún no haya creado nada, generativamente inédito.

Je crois en un Dieu qui n'aurait encore rien créé, générativement inédit.

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La soledad contemplativa predispone a la creación y a la autodestrucción.

La solitude contemplative prédispose à la création et à l'autodestruction.

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No hay mayor mentira que la clemencia del vencedor. El que gana siempre descabella.

Il n'est plus grand mensonge que la clémence du vainqueur. Celui qui gagne porte toujours l'estocade.

La máscara daba miedo, pero el enmascarado, oculto tras ella, aún más. El mayor terror se encuentra siempre al otro lado.

Le masque faisait peur, mais le masqué, caché derrière, encore plus. La plus grande des hantises se trouve toujours de l'autre côté.

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Evita que la muerte tenga envidia de tu felicidad. Deja siempre, en tus logros, una pequeña parte sin cumplir. Tómatelo como un seguro de vida.

Évite que la mort soit jalouse de ton bonheur. Laisse toujours, dans tes réussites, une petite part non accomplie. Prends-le comme une assurance vie.

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Présentation de l’auteur




Cairns 25, Murs, portes ou ponts

Souvent on se demande d’où naît le poème, d’où émerge la poésie. Par quelle magie, les mots se regroupent-ils et constituent-ils une entité attrayante ou envoûtante ?

En cherchant l’expérience de notre premier poème balbutiant, nous découvrons qu’il est toujours déjà ancien : il est un véritable réceptacle de nos sensations,  nos sentiments,  nos idées, nos révélations antérieures. Nulle part n’est pourtant inscrit cet apprentissage au poème. Dans le fatras scolaire, les mathématiques croisent l’anglais, la littérature enjambe la géographie, etc… L’école autosuffisante ignore l’élaboration poétique et réduit la poésie à la lecture de quelques poètes privilégiés (Chénier, Ronsard, Rimbaud, Hugo, etc.).

 C’est pourquoi l’initiative de la revue Cairns∗ 25 est  originale, inattendue, pédagogique. Cette revue est une invitation au poème, à écrire des poèmes. Enfin. Il fallait y penser. L’âme et l’imagination du futur poète peut-être préparée à la poésie. 

Cairns 25, Murs, portes ou ponts,
septembre 2019, 9 €.

Comment ? L’opuscule propose tout en douceur la lecture d’un poème écrit par des contemporains, puis invite jeunes et  moins jeunes (élève, membre d’un atelier d’écriture, etc.) à passer à l’acte poétique, à oser…. Ainsi des poèmes fraternels et variés fleurent bon le terroir  avec des moutons audacieux (Kévin Broda), des ponts relieurs (Jacques Jouet) ou traducteurs (Jacques Ferlay), des portes toujours ouvertes (Danièle Helme) ou en train de l’être (Simon Martin), des chemins de terre ou de mer (Bernard Grasset). Un haïku de Patrick Joquel fait office d’édito : « Au milieu du pont / hommage aux dompteurs du vide / et suivre sa route. » La photo d’un cairn de Laurent Del Fabbro illustre en pierres le pouvoir de la création.

Sous les poèmes, une proposition pédagogique spécifique (en encadré) incite le participant à regarder « de l’autre côté de la fenêtre » (monde réel), à consulter des œuvres picturales comme Hiroshige ou écouter Bach via Rostropovich (monde de l’art), à passer à l’acte (prendre des photos de portes ou faire une exposition) et même à philosopher (sur le temps ou le présent écologique). Les sites des auteurs permettent même au novice d’entrer en contact avec les créateurs de futurs « cairns »..

 Le contexte d’écriture n’est pas précisé, tout simplement parce que la poésie est partout n’importe où. Il suffit d’ouvrir les yeux du corps et de l’âme.

Note

* Cairn : tumulus ou amas artificiel de pierres destiné à marquer un lieu.




Michel Saint Dragon, Nymphose et autres slams

Nymphose

Avouer les vagues
Comme la flaque chuchote
Le bruit de la pluie

Les alcalis sombres
Épousent les feuilles mortes
L’humus est une mémoire

Et qu’il est bon de vibrer
Là où la feuille bruit
Pareil au chant de l’oiseau

Dans la brasse du vent
Sifflant soufflant la plume
L’épistolière de l’âme

Je suis une bactérie dans l’œil de l’épicycle
L’origine de la vie, la source et puis le cycle
Et je retourne à la terre, ultime métamorphose
Je fais le chemin du voyage, des réminiscences, du souvenir

Je me souviens chrysalide traversant la nymphose
Dans les veines de l’arbre j’entends le cœur de la forêt
Je me revois papillon aux ailes chiffonnées
Je sais l’air et la terre j’en connais les secrets
Je me rappelle imago, baignant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

De cendres et de poussières
Enfin je suis la terre
Fossile dessin de pierre gravé
Roche de calcaire

Je me souviens chrysalide traversant la nymphose
Lovée dans la sève de l’arbre j’entends le cœur de la forêt
Je me revois papillon, dernière métamorphose
Mes ailes chiffonnées, je vais me déployer
Je me rappelle imago, battant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

Cendre, cristaux de glace, oxygène, fines poussières
Ma Terre mon élément ma place, l’Air mon atmosphère !

Je me souviens chrysalide, je suis le cœur de la forêt
Je me revois papillon, mes ailes déployées
Je suis la Terre et son secret
Je me rappelle imago, baignant dans l’atmosphère et l’ivresse de l’argon

Je me souviens chrysalide
Exuvie et nymphose

Je me revois papillon
Je me métamorphose

Je me rappelle imago
Ivresse de l’argon

Mémoire de cendre
Empire de poussière

Rêve sans matière
Je retourne à la terre

 

Cent slams en tête

 

J’ai des slams plein la tête à pourfendre du poète
Ça joue du tambour et de la trompette, je feins la fuite, mais en fait
Je peux pousser la chansonnette et t’en chanter à tue-tête
Car j’ai cent slams plein la tête à pourfendre du poète

 

J’ai des oiseaux sous ma casquette enfermés dans une cache secrète
Que tu ne vois mais dans ma tête ça tourne ça chante et puis ça pète !
Des larmes aussi dans les mirettes, parfois je mets trois graines dans une assiette
Je protège mes rêves dans des cachettes juste à côté d’une brunette

 

Celle-ci d’ailleurs, mais quelle nymphette ! Elle en connaît des pirouettes !
Fesses de déesse et yeux noisette, belle petite fleur, ma pâquerette
Cela n’est pas des sornettes, range-la ta mine tristounette
Faut-il encore que je répète que j’ai cent slams plein la tête ?

 

Au cou j’accroche des amulettes, la nuit je prie mes statuettes
C’est de la magie noire aux aiguillettes à faire pleurer les malhonnêtes
Mais je suis malade et j’interprète le petit mot le moindre geste
À faire partir les amourettes, ça tourne tellement dans ma grosse tête

 

Que je me demande qui est le poète que je veux pourfendre… C’est moi en fait !
Vas-y, fais sonner la trompette, je me suis trouvé c’est moi l’arpette
Sans balais sans pelle mais une baguette, ce sont mes rêves que j’époussette
Sans artifice et sans fumette pour une vision beaucoup plus nette

 

Et vous, vous parlez tant mais qui vous êtes ? Vous prenez-vous pour des prophètes ?
À me lorgner dans la lunette vous ne décochez que des fléchettes
Donc j’ai une pomme sur la tête, vas-y prends-la ton arbalète
Fais attention dans la tempête, ne te loupe pas que ça en jette

 

Que tu sois le roi de la planète, que tu me voles la vedette
Moi je m’en fous, j’ai cent slams dans la tête à pourfendre du poète
Mais détends-toi et fais risette, je ne suis pas le roi de la gâchette
Il y a mille bonheurs et cent mille recettes dans ce petit monde où on furète

 

Puis je t’ai oublié depuis belle lurette, j’ai mon bonheur dans ma pochette
Je ne crie pas l’amour à la sauvette mais si tu n’as pas compris je le décrète
Une dernière fois : je suis en quête avec cent slams plein la tête
Jette-moi la haine aux oubliettes, chantons l’amour pas les paillettes

 

Laisse-moi tomber ta clarinette tes idées fixes tes étiquettes
Ce ne sont que des réglettes destinées à te mettre perpette
J’avance ici à l’aveuglette, une vision folle dans la serviette
Avec cent slams dans la tête, amour, c’est tout ce que je souhaite !

 

On est plus fort que ça

Quand ça commence à vriller
C’est là que tu peux faire des gros trous
Ce sont des murs que nous avons à percer
Il y a tellement de haine autour de nous

Alors il faut s’engouffrer
Alors il faut s’enfoncer profondément dans les abysses
Parfois il en sort de l’art, parfois il en sort du vice
C’est dément

Avec nos vies d’artifices
Sorties de nos fissures qui grandissent
On ne sait jamais de quelle blessure on gravera nos cicatrices

On ne sait jamais quels mots vont changer la donne
Il y en a tellement de laids qu’on se prend en pleine gueule, tu m’étonnes
Que ça tombe que ça crève que ça se défonce que ça se cachetonne
Cette vie est une meule ! Et on se fait aiguiser ! Toujours être plus tranchant !

On se fait presser comme un citron et on prend tout dans les dents
Ça n’arrête pas ça n’a pas de fin, tu respires à peine la bouche hors de l’eau
Eh oui ! c’est ça mon ami ou tu acceptes et tu te traînes, ou tu te noies et tu restes sur le carreau

Mais putain où on vit ?
Tellement on crève pour rien !
Tellement on crève pour rien !
Tellement on rêve pour rien !

Pour trois heures de calme
Pour trois grammes de came
Avec de l’alcool et un peu de fumée
On rêve d’une vie qui reste à inventer

Mais on étouffe dans le commerce de ce monde en marche, le tonnerre gronde
De tout ce barouf ils nous bouleversent les ondes
Et puis ils cravachent nos frères, ils sont immondes !

À bouffer sur nos rêves, à nous faire rêver la trêve
L’amour dans le costume, non, surtout le chèque dans l’urne
Moi je n’irai plus jamais voter
Au lieu de ça le dimanche j’écrirai que je les déteste tous
Je leur ferai voir la détresse dans laquelle ils nous poussent

Les soirées de semaines à huit heures et demie je suis ivre
Eh ouais ! il faut que j’oublie que j’ai une sacrée chienne de vie à survivre

Tous ces moments ça ne tient plus la route
On pourfend les poètes on s’abreuve du doute
Tous en quête d’un meilleur plumard
Tous, on se guette le refuge et on se partage l’art
On se donne de l’amour ? On deale nos toujours !

Toujours plus de rêve
Toujours plus de haine
Toujours plus de peine
Mais toujours plus d’amour !

La drogue ou les lettres
Moi j’ai choisi la poésie
Mais putain où on va ?!

Alors, je n’ai pas l’habitude de dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il faut dire
Mais cette fois, mes amis, si on veut s’en sortir
Il faudra qu’on rentre dans la vie et qu’on vive de tout ça
Il faudra s’enfuir dans cette vie encore plus que ça

Et si ça ne suffit pas, il faudra qu’on lui coupe les bras
À cette mort qu’on nous vend et qui nous court après
Qui veut absolument nous rattraper !
Non !

On est plus fort que ça !

 

La mode des rencontres

 

Les rencontres brodées du hasard, au gré des canevas d’errance
Ça nous aiguille tôt ou tard dans le chas d’un bonheur immense
Cela agite le foulard en soie, parfois sur le quai d’une gare
On se départ de l’accessoire, en réseau ou pourquoi pas dans un bar

Où s’assaille le comptoir des dentelles, de la geste des couturiers
Ça raille en rêvant d’arcs-en-ciel, c’est la valse des cœurs brisés
L’union de fragrances de sourires, gravitent autour des turpitudes
La lance de l’ivresse et des rires empale les pourpres solitudes

Voilure du prêt à consommer ou confectionné sur la durée
Piqûre au fil suave et doré, le verbe qui suture en surjet
Haute couture de l’élégance et parfois du prêt-à-porter
Les rencontres sont une chance mais quelquefois faut s’en défiler

Parce que quelquefois le bonheur immense, eh bien ça peut vite se déchirer
Il faut prendre garde à la chance qui pourrait bien vite embrocher
Le cœur et laisser la raison émiettée, patron décousu
Et pourrait aussi faire chanter à la gloire du « non, non jamais plus ! »

Cette fois c’est qu’on n’aurait pas eu de pot ou qu’on n’a pas bien essayé
On se retrouve dans un paréo qui nous va beaucoup trop serré
On essaye de coudre un bouton puis une fermeture éclair
Mais d’histoire n’avait que le nom et la doublure d’un éclair

Le bouton pète, la fermeture se grippe, on revoit notre savoir-faire
Découd la couture on traîne aux fripes la mélancolie à l’envers
On finit par vendre le fil d’or, aussi notre machine à coudre
Jurons sur la vie et la mort, on envoie l’amour se faire dissoudre

On peut alors se faufiler, après de longues heures en guenilles
Dans la collection lingerie, ici c’est l’histoire qui se déshabille
Celle-là où règne le passepoil, où la reliure peut s’enfuir
Ça rafistole sans grand style mais au moins ça ne brûle pas le cuir

Plus rarement il y a la grande maison, du sur-mesure pour âmes sœurs
Ceux-là s’habillent de grandes créations et deviennent leurs propres tailleurs
Tunique en soie estampillée de la griffe mannequin de la durée
C’est la mercerie des aimés, ils en font un métier à tisser

Ils peuvent être un peu énervants pour qui est seul dans sa jupe
C’est vrai que la peau sans collants, en hiver c’est un peu abrupt
Mais au fond on les aime, même si on leur taille un costume
Car si des rencontres, on a le rhume, on peut en faire couler la plume

 

Présentation de l’auteur




Morgan Riet, Euphémisme et autres poèmes

                                               pour Elliot.

 

« Il fait une petite chaleur »
vient-il de dire,
comme s’il tenait
à n’offenser
ni le ciel, ni personne,
à nous rassurer un peu
sur les suites
de l’entreprise.

Bouchée franche
des regards,
sans périphrase
autour des sandwiches,
il fait bleu de sourire
ductile
dans l’éclair
de ce pique-nique

en bordure de pluie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des voisins

 

Avec eux parlant
de la pluie et de l'herbe
tondue ou à tondre ;
avec eux c'est simple
comme bouger un pied
spontanément après l'autre -
et ainsi de suite,
allant son train bonhomme,
le moindre échange
sans arrière-pensée
au balcon ou bien devant
nos garages respectifs -
Avec eux il y a comme
l'effet d'une pierre
de sucre      candide
qui volontiers vient fondre
au milieu quelquefois
d'une amertume passagère.

 

 

 

 

Acquiescement

 

                                                 pour Olivier.

 

Alors que nous courons,
une parole entraînant l’autre,
tu en viens à évoquer
des tranches de vie,
ce que nous ne rattraperons plus,
ce qui nous brûle,
étape après étape,
et revient là,
en coup de sang, dans nos cœurs,
par petits tas de cendres.

Pour toi, comme pour moi,
le plus âpre dans tout ça,
c’est d’accepter ce train
qu’impose le temps
avec toutes ces gares,
ces incendies de parcours,
ces aiguillages humains
au goût d’amitié ou d’amour parfois
amers.

De tout notre souffle,
nous tranchons, en dépit
d’un ciel pesant de pluie et de larmes,
dans le vif des regrets,
et repoussons impuissamment la fin,
au gré des paysages traversés
d’images        en nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

Plongeon

 

Rideau à peine
baissé du soir,

nous traversons
sa douceur et la rue
piétonne.

Rideau à peine,
baiser du soir -

les terrasses
y fourmillent
de langues, d'alcools,
de fumets divers,
baignés d'une sorte
de légèreté commune.

Rideau à peine -
oublieux         de savoir

nager      et des regards
qui me sont terre
ferme,

voilà que je plonge
avec le jour,
lourd de tous mes sens,
au large d'une pensée
fugace,
dans la houle
des récits possibles.

Rideau, sur ce,
troué d'étoiles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bis

 

Ici, ça ne dure pas,
toujours ça tourne à l’orage,
et y r’pleut
comme on dit par chez nous.

Un cri de mouette,
pour nous rappeler l’été,
zèbre soudain ce tonnerre
d’abattement grisâtre.
(Toboggan, balançoire,
rêvant de cigales,
ont depuis belle lurette
enjambé le mur                   du jardin.)

Et c’est ainsi que tombe
de nos mains moites,
comme le poids maussade
d’une vache sur nos tongs,

la faible perspective
d’un château de sable.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Arnaud Vendès, Silence et autres poèmes

Nous glisserons ensemble
vers les sommets rongés
de nos doutes séculaires

Seul, je tisserai contre la ville
les liens serrés,
de l'instinct noir du vide.

Le silence offre la cécité bienveillante
du sommeil promis,
aux égarés des songes premiers.

Les cendres grises couvrent la plainte consumée
des amants trahis vers la lumière du jour.

Nous laisserons ensemble,
une empreinte figée dans le fer et le sang séché.

 

 

 

 Les heures blanches

 

Un calme de lune
Un rire de terre grasse
Abandonné aux seuls amoureux des heures blanches
Où la lumière mouille de son halo vivant,
Le dernier chemin ouvert sur demain.

La pluie détruit à grands traits de malice,
La porte sucrée,
Passage unique, des histoires rendues folles de ton absence.

Le vol inquiet de tes bras
L'air battu d'une plainte sonore,
Rappel sur la glaise,
Ton corps secoué du doute.

Tu es partie !

 

 

 

 

Une île dans le ciel

 

Les larmes effilées au tranchant de feu
Sèment à la volée le grain chargé d'ivraie.

Le visage éteint, ton silence
Réveille les douleurs en souffrance.

Accroché aux reliefs écroulés
De notre mémoire infidèle,
Un sourire une caresse
Délivre la lumière aux tisons noirs.

Par des allées vert-citronnelle,
Les lambeaux rouges du soleil
Peignent des îles dans le ciel
Et des ombrelles si fragiles.

Plaines fertiles en bonheur, lendemains creusés de victoires volées,
Que dansent des reflets dorés, sur les récoltes à mon cœur incendié !

 

Ton empreinte

Les larmes de pierre dévorées à nos lèvres serrées
Perdent leur gangue en perle de calcaire

Attise le feu des croyances ocre rouge. 
À tout perdre elles tombent.
Offertes aux lois de l'ombre.

La sagesse résiste, attaquée, prise au piège.
Un seul nom sur la liste, feu de joie perpétuel,
Le jardin aux supplices, vague sourde, destructrice.

Blonde et triste, la lumière craque.
Source profonde de silences profanes.

L'aveu creuse le chemin colore les murs,
De fresques éphémères, que le soleil disperse.
La première peur, le dernier geste.

L'amour ne rend pas les corps. 

 

Crépuscule

 

Le soleil boit l'océan par dégoût
Et le crâne vidé, l'artiste se soûle de néant.

Au chevet du jour ridé,
L'espérance accompagne le moribond,
Guide ses pas évanouis d'attente vaine.

Il ne reviendra pas ?

Les derniers traits incarnats,
Doigts de lumière liquide,
Trépassent en jets parfumés.

Le sépulcre est avide en conversation stérile,
Quant à la gloire intrépide d'une pensée humide.

Rêve donc de bonheur !

En partie dévêtue,
Le visage peint, le sein, pierre ruisselante de larmes.

La nuit coule sur tes yeux.   

 

 

 

Étreinte

Je dessine sur ton corps une fenêtre secrète.
D'un bleu de ciel lavé fait ton cœur apparaître.
L'histoire de ta peau, frêle enveloppe d’écume,
À mon doigt perdu, signe la route du bonheur.

Le sang frappe son langage de feu,
Vibre le désir, Calme l'étreinte.
Et meurt, prisonnier des jours de plomb.

La fortune salée tire ses rideaux de pluie.

Ton rire de cathédrale éclate d'une ondée fertile
Et libère des créatures fantastiques.
Au chevet de notre joie, le pâle ennui, en rêve chante.

Par une porte dérobée les sentiments usés,
Suivent la course de l'été au son triste de juillet.
La brise marine, nous appelle vers le large.
Une poudre d'étoile guide l'amour encore sage.

Sur mes cheveux lisses courent tes ongles de granit.

 

 

 

Dans le murmure des hommes

 

Le désert mime des contes ordinaires.
Dégrafés dans le sens du vent,
Ses bribes se lient d'amitié.

Le vent marin disperse tes mots, notes de musique.
En cet exil minimal, les sons animés, alignés,
Complices d'une partition, concert d'oiseaux en cage,
Voyage sur ton corps baigné de sable brun. 

Les songes déchirés,
À notre ombre nue ondulée,
Souffle des dizaines de secrets,
Absorbés, digérés, parties de l'humus végétal.

Prends mes mains sèches, souffle la vie légère,
Tourne les âmes sans raisons.
La lune crisse bien des soirs.
Connais-tu d'autres histoires ?

La demeure des âges risque ses traits tirés,
De sagesse en partage.

Je sens couler l'eau chaude d'une cascade de vie,
Les larmes impriment le plaisir de ton prénom.
Mes pensées sont plus fortes que les mots.

 

Fleur de brume

 

Je roule entre mes doigts
Les images tièdes
Du jour qui s'éloigne
À l'écume d'une vague.

Zéphyr révolté
Réclame son tribut
Aux roches nues,

Victimes des flots,
Combattants sacrifiés.

Les mains glacées
De l'aurore liquide
Donne un vol limpide
Aux ailes silencieuses
Des frégates.

La semence dispersée
De quelques monstres marins
Chevauche les rouleaux d'argent,
Déferlante concubine,
À la côte déchiquetée.

J'enserre mes bras figés de brume
Aux barques imprudentes
Repues des festins tragiques
Du grand large.

La pluie sèche
D'une foule joyeuse
Lèche le sable vierge
En grappe de bonheur.

Le corps pénétré d'exil
Je glisse, reflux de l'aube lourde,
Vers des promesses d'orient.

 

 

 

 

Le cœur « Vent Battu »

 

Le silence amer de ta vertu vide le lit des fleuves aux berges déifiées.

Attablée parmi les étoiles, ta jeunesse part en jet de pierres. 

J'invente pour toi
Le masque lourd de la tendresse 
Que l'on étire sur les joues.
Je place les mains autour de tes peurs
En pleur la rudesse des contours.

Les lacs brûlent, coulent vers la mer.
Porte le deuil cruel des assauts du vent.
Trouble la vue des sables du désert.

Tu parles la langue circonflexe,
Généreuse, à l'accent brisé, criblé d'injustice.
Si la mort à profusion frappe ainsi les lions,
Le soleil mûrit sous le ciel d'or, dans ton sommeil un avenir.

Au détour d'un rire, j'ai croisé ton regard.

 

Le sommeil du funambule

Endormis trop tard ils sont partis !

Le silence reste
Moi qui aime la tourmente
Un rien me laisse seul
Guide mon regard
Vers ce point d'espoir.

La trahison du nombre 
Sèche les doutes 
De nos instants écrit 
Sur l'écorce du pardon 
Je cherche ma route 

Si ton sommeil existe 
Pluie de feu interdite 
Place forte libérée
Découvre ton sein
Calme ma nuit

Je me souviens des visages amis.
Ils peuplent ma mémoire
Le crâne déchiré d'oubli
Reste sur le seuil

Je prends ton sourire.

 

 

 

 

Mangeur d'ombre

Dans ce pays d'ébène
Les pierres cognent
À la porte des rêves
Les veines tarissent
Du sang des collines épanchées.

Les Grands Vents
Traversés d'épieux
Durcis au feu de forge
Transpirent le labeur
Du mangeur d'ombre.

L'obscurité abrupte
Vibre encore de ta lumière
Aujourd'hui inhabitée, désertée
Des morsures tribales
Qui jadis nous tourmentaient.

Par le ventre fécond
D'une mère affaiblie
Ta violence glisse
Des sommets effondrés.

Que l'enfant seul
Contre mes yeux éloignés
Cherche cette parcelle d'âme
Où se brise les mœurs anciennes.

 

Signe de vie

Dans ce pays sans mémoire
La pluie prie quelques secondes
Les fruits, les fleurs, les enfants,
Mangent la lumière aux pleurs des ruelles.

Consumés, dans une tisane d'embruns sucrée de courage
Les lambeaux de pierre coulent au saillant des ombres qui chantent.
Du lait de tes doigts la terre jaune s'épanche en fièvre de tourments.

Les pieds blessés emportés à midi par le chemin défoncé des pêcheurs
Tu plies sous le boutoir des rêves démantelés.
La bouche retournée du goût âcre d'un fruit vert
Une plage se dérobe à tes pensées.

 

Sous la mitraille et dans les airs, tu suis Icare en son dédale.
La roue inutile des servitudes pourrit les temps de plomb par ton exil libéré.
Tu salives l'inquiétude maternelle, les rires déglutis au soleil de l'enfance.

Les souvenirs sont des plaies béantes léchées d'innocence.

 

 

Présentation de l’auteur




Samy Hassid, Le Vent dans la chambre…, et autres poèmes

Le vent dans la chambre
fait glisser les pigeons ramiers
dans les petites mains rougies
de l'arbre en face.
Par la fenêtre ouverte
des vagues viennent
s'allonger un instant sur le lit
pour aspirer l'odeur
de nos sécrétions intimes
faisant vibrer au passage
les pages des livres
en spasmes éperdus.

 

Avec cette chaleur
me revient l'odeur
de la grenadine à l'eau.
Goûters pris entre deux activités
ou dans le car
de retour d'excursion
les mains toutes collantes de sève.
Énergie brûlée de soleil
les tempes résonnant encore
de courses exténuées
les pieds en feu
mais heureux d'avoir gagné
2 barres de chocolat
allongées sur du pain.

 

 

Mycènes est tombée.
Forteresse minée
par les tombeaux de ses suzerains
strates de poteries polychromes
trésors à même le sol
générosité posthume.
A l'ombre des oliviers
lentement se goûte
l'huile des siècle écoulés
le silence hachuré des cigales.
La mort qui montait la garde
dans l'étroit corridor du “cercle A“
à présent se gorge de ciel
dans les tholos effondrés.

 

 

Essuyées sur la table
extirpées du grille-pain
balayées jusque sur le seuil
les miettes fragmentent la matinée.
Elles gagneront le ciel
dans des gésiers d'oiseaux
tandis que ce fromage
jaune et friable
au goût sans arrière-pensée
reste ici avec moi.
Carence de plénitude.

 

 

Présentation de l’auteur




Angelo Tonelli — extraits de Fragments du poème perpétuel / Frammenti del perpetuo poema

choisis et traduits par Marilyne Bertoncini

I (extrait)

Un punto non visibile tra il mare

e il cielo illividito di dicembre

ancora a rimirarlo in pieno sole

sempre quel punto, vuoto, inafferrabile

potesse persuaderci senza ebbrezza

qua morti, almeno noi rari superstiti

nell’aldilà del mare a questa vita

 

 

Un point imperceptible entre la mer

et le ciel blême de décembre

que la contemplation incessante en plein soleil

de ce point, vide, inaccessible,

puisse nous persuader d'entrer sans ivresse

ici morts, au moins nous rares survivants

dans l'outre-marin à cette vie

 

*

 

II (extraits)

 

Mi chiamo Angelo, così

mi hanno chiamato. Non ricordo

di essere nato, non credo

che morirò-il centro dei mondi

è cuore di luce, che racchiude

una piccola ombra-mi hanno chiamato

Angelo, forse sono nato

dal nulla, se è vero

che sono nato-raggi innumerevoli

filtrano il sangue di quel cuore

fuori di sé-non chiedetemi

cose certe : so

che mi hanno chiamato Angelo e deliro

me stesso tra gli umani

che mi sciàmano intorno, non intendo

se esistano o non esistano, soltanto

se chiudo gli occhi scompaiono, ritornano

se dischiudo le palpebre

 

Je me nomme Angelo, c'est ainsi

qu'on m'a nommé. Je n'ai pas souvenir

d' être né, je ne crois pas

que je mourrai – le centre des mondes

est cœur de lumière, qui recèle

une ombre minuscule- ils m'ont nommé

Angelo, peut-être suis-je né

du néant, s'il est vrai

que je suis né-des rayons innombrables

filtrent le sang de ce cœur

hors-de-lui -ne me  demandez pas

des choses avérées : je sais

qu'ils m'ont nommé Angelo et je délire

moi-même parmi les humains

qui chamanent autour de moi, je ne sais

s'ils existent ou non, je sais juste

qu'ils disparaissent si je ferme les yeux, reviennent

si j'ouvre les paupières

 

*

 

Noi corriamo, gli umani, ricorriamo

eventi, memorie, intensità

di cose. Non il gabbiano che si lascia andare

sul filo dell’aria, posa

sul nulla e plana e trova meta

e ristoro. Come ala

di gabbiano filassero i miei giorni, candida

piuma, occhio vigile sul mare

 

 

Nous courons, nous humains, nous poursuivons

les événements, les mémoires, l'intensité

des choses. Pas le goéland qui se laisse porter

sur le fil de l'air, posé sur

le néant il plane et trouve  destination

et repos. Que filent comme ailes

de goéland mes jours, blanche

plume, œil vigilant sur la mer

 

*

 

Il mio dio ha occhi di colomba

e aquila, si erge tra me e il mondo, gioca

con i miei pensieri. Poi sparisce. Ne resta

eco lunga in me, come vagìto

lontano o gemito di felicità, che mi confonde

a onde salendo, a fiotti, a mano a mano

che il sole matura dentro l’anno.

E gioca e mi divora il dio di luce

e tenebra e mi ruba ai giorni limpidi

di questo primo autunno che si frange

contro rive di pietra, rupi ripide.

 

mon dieu a des yeux de colombe

et d'aigle, il se dresse entre moi et le monde, il joue

avec mes pensées. Puis disparaît. En reste

un long écho en moi, comme un vagissement

lointain, un gémissement de joie, qui me trouble

de flots d'ondes montantes, à mesure

que le soleil mûrit au cours de l'année.

Et il joue et me dévore le dieu de lumière

et de ténèbre et me dérobe aux jours limpides

de ce premier automne qui se brise

contre des rivages de pierre, des rochers escarpés.

 

 

*

 

VII (extraits)

 

Le parole galleggiano su un vuoto

colmo di luce, vacua plenitudino

lumine plena, e da questo vuoto

ora germina il mare, ora la notte

sorella del giorno, ora l’aurora.

È bene misurare le parole

attingerle alla fonte della luce

e donarle come quarzi trasparenti.

È bene commisurare le parole

alla forza profonda dell’umano

al suo nome segreto, e siano specchio

tra la goccia lucente e la sorgente

d’acqua che vibra e ride contro il sole

 

Les paroles flottent sur un vide

comble de lumière, vacua plenitudino

lumine plena, et de ce vide

parfois germe la mer, parfois la nuit

sœur du jour, parfois l'aurore.

Il est bon de mesurer les paroles,

Les puiser à la source de la lumière

et les offrir comme des quartz transparents.

Il est bon de comparer les paroles

à la force profonde de l'humain

à son nom secret, et qu'elles soient miroirs

entre la goutte luisante et la source

d'eau qui vibre et rit contre le soleil

 

*

 

Al Discepolo assente

 

Che cosa resterà di me ? chiedo

nel cuore della notte guardando

i tetti delle case, prima che mi colga

tra pensieri reiteranti, immagini

di passato e presente, il sonno… che cosa

resterà di me ? Certo, i miei versi

circoleranno. Ma io,

questa luce raccolta in me, forse qualcuno

accoglierà nell’anima, saprà qualcuno

reggere la mia essenza ? Questo

non mi è dato sapere. Ma posso

in versi spezzati e colloquiali dire

che cosa vorrei da te

uomo o donna che tu sia, erede

dei miei misteri, posso

dirti, io vorrei che fossi

te stesso in ogni attimo, vero

fino a confonderti con lo sguardo

del dio – se dio

posso nominare il principio vivente

di tutte le cose, loro essenza

presente in esse, eppure altrove

ridente – te stesso

altro da te, cielo

e terra, ombra

e luce. Vorrei

que la tua quiete

nascesse dagli armonici contrasti

di una totalità vibrante, sull’orlo

di traboccare nel pieno della vita

ogni momento. La tua sapienza

sia giocattolo delle mani di un dio-fanciullo

emotivo e veggente. La morte

riconosci come devastazione

di quello che sei, esplodere

di tempie, labbra, cuore ; abituarti

all’improvviso rovesciarsi delle forme

più belle.

Quando morirai

se morirai, sii morte sarai stato

gioia e dolore, forza

e squallore. Di questa sapienza

che all’umano concede di somigliare al dio

vai fiero, ma non troppo. Riconosci

il limite che ci costringe. Del piacere

di sognare, non privarti mai… La vita

considera come viaggio in solitudine

a tratti ravvivato dall’amore, ricerca

de Principio in tutte le forme, anche

le più insidiose : così

dio tra gli umani e questa grandezza

racchiusa nel cuore

ti basterà.

 

Au Disciple absent

 

Que restera-t-il de moi ? Je pose la question

au cœur de la nuit en regardant

les toits des maisons, avant que ne me cueille

entre pensées qui reviennent, images

du passé et du présent, le sommeil... Que restera-t-il

de moi ? Certes, mes vers

circuleront. Mais moi,

cette lumlère blottie en moi, peut-être quelqu'un

l’accueillera dans son âme, quelqu'un saura-t-il

supporter mon existence ? Ceci,

Je ne puis le savoir. Mais je peux

en des vers brisés et familiers dire

ce que je voudrais de toi

homme ou femme que tu sois, héritier

de mes mystère, je puis te

dire, je voudrais que tu sois

toi-même en chaque instant, vrai

au point de te confondre avec le regard

du dieu – si dieu

je peux nommer le principe vivant

de toute chose, leur essence

présente in esse, et pourtant ailleurs

riant – toi-même

autre que toi, ciel

et terre, ombre

et lumière. Je voudrais

que ta sérénité

naisse des contrastes harmoniques

d'une totalité vibrante, sur le point

de déborder dans le plein de la vie

à chaque instant. Que ta sagesse

soit un jouet dans les mains d'un dieu-enfant

émotif et voyant. Que tu reconnaisses

la mort comme dévastation

de ce que tu es, explosion

de tempes, lèvres, cœur : t'habituer

à l'improviste renversement des formes

les plus belles.

                                                           Quand tu mourras

si tu meurs, sois mort tu auras été

joie et douleur, force

et misère. De cette sagesse

qui concède à l'humain de ressembler à dieu

sois fier, mais sans excés. Reconnais

la limite qui nous contraint. Du plaisir

de rêver, ne te prive jamais... Considère

la vie comme un voyage en solitude

parfois ravivé par l'amour, recherche

du  Principe en toutes les formes, même

les plus périlleuses : ainsi

dieu parmi les humains et cette grandeur

blottie en ton  cœur

te suffira.

 

 

*

 

Lo scoramento

è corpo morto del dio : venera anche quello

e anche incertezza :  incerto

è il dio, tra essere

e non essere, risplendere

e nascondersi. Semplicemente, compiutamente sii

alba al sorgere del sole, orizzonte

al suo tramonto, nube

quando piove, arsura

nell’estate, germoglio

in primavera, spoglio

nell’inverno. Non dimenticare

nulla, vivendo nell’oblìo

continuo, non perdonare

nulla, perchè non sarai mai lo stesso

che ha subìto torto : tutto muta

continuamente.

Ascolta

Il flusso del sangue, gli infiniti

moti delle cellule, che cosa

ci appartiene ? Sei ovunque

e in nessun luogo.

Ama

Il prossimo tuo come te stesso : con crudeltà

e dolcezza ; se ferirai

ferirai sempre te stesso, perché tu

sei il mondo, se tradirai

tradirai te stesso.

Ciò che non ti appartienne

considera cosa tua, pensa perduto

tutto ciò che ai.

E poi ?

Nascerà luce

dentro l’anima che guida

ad altri mondi. Nascerà

una Città di Luce

dentro l’anima, una candida

eterna città dove non è dolore

no ombra. Qui dimorano

e attendono gli dèi, nel limine

estremo della vita, che conducono

al cuore delle cose, al nucleo immobile

di una abbacinante eternità.

 

Le découragement

est le corps mort du dieu : vénère cela aussi

et l’incertitude : incertain

est le dieu, entre être

et non-être, resplendir

et se cacher. Simplement, complètement sois

aube quand paraît le soleil, horizon

quand  il se couche, nuage

quand il pleut, sécheresse

l’été, germe

au printemps, dépouille

en hiver. N’oublie

rien, vivant dans l’oubli

continu, ne pardonne

rien, parce que tu ne seras jamais le même

qui a subi un tort : tout change

continûment.

Ecoute

Le flux du sang, les infinis

mouvements des cellules, qu’est-ce

qui nous appartient ? Tu es partout

et nulle part.

Aime

ton prochain comme toi-même : cruellement

et tendrement ; si tu blesses

c’est toi que tu blesses toujours, car tu es

le monde, si tu trahis

c’est toi que tu trahis.

Ce qui ne t’appartient pas

considère-le comme ton bien, pense perdu

tout ce qui est à toi.

Et puis ?

Naîtra la lumière

dans l’âme qui guide

aux autres monde. Naîtra

une Cité de Lumière

dans l’âme, une pure

cité éternelle sans douleur

ni ombre. Là demeurent

et attendent les dieux, à la frontière

extrême de la vie, qui conduisent

au cœur des choses, au noyau immobile

d’une éblouissante éternité.