Claude Tasserit, A l’essai

Les casernes vidées de leurs soldats vont-elles devenir des centres d’un genre inconnu, destinées à accueillir toujours plus de monde, de tout âge et de tout horizon ? 

Cette interrogation de Claude Tasserit à la fin de son récit A l’essai exprime la grande énigme qui le traverse de part en part.

Tout commence, si tant est qu’il y ait ici un tout à entrevoir, par un interminable voyage en train puis en car dans une campagne aux paysages indéfinis, dont les noms des villages sont quasiment effacés sur les panneaux indicateurs.

Une telle imprécision du décor, existe-t-il seulement, fait de Clément Richaume un personnage imprécis. La seule chose que l’on puisse affirmer est qu’il réside dans un centre de formation et d’insertion.

Au terme de son voyage, un accompagnateur taiseux le conduit à une maison près d’un cimetière et lui dit d’attendre dans la cour cependant qu’il s’entretient avec la personne qui est peut-être le maître des lieux. Cela fait, il enjoint à Clément  de s’installer dans une remise près d’une grange et s’en retourne sans la moindre explication.

 

Claude Tasserit, A l’essai, Cheyne éditeur, collection Grands fonds, 23 €.

 

Voilà un début de stage, (en supposant que le mot stage convienne exactement), qui ne manquera pas d’intriguer le lecteur d’autant que, explorant l’endroit où il va vivre, Clément découvre une espèce de tunnel à l’intérieur d’un mur et qu’un incendie embrase la grange d’un seul coup.

Puis il rencontre un certain Damien presque surgi de nulle part et l’aide à des travaux de nettoyage. Mais le mystère s’épaissit quand apparaissent un étrange médecin et une cuisinière très évasive. Les deux semblent en savoir plus sur Clément que Clément lui-même car ils ont lu son dossier…

Au gré des éléments délivrés au compte-goutte sur l’organisation de la maison et la vie au café-épicerie du village, le lecteur comprend qu’il met le pied dans un univers kafkaïen au sens rigoureux du terme. Le stagiaire apercevra-t-il seulement son employeur qui vit reclus à l’étage ? Pourquoi la lettre qu’il reçoit enfin de lui, avec des instructions précises pourtant, ne dissout-elle pas totalement son malaise ? C’est que, peut-être, l’existence même de Clément est un malaise. Un malaise mal entendu.

Les souvenirs de sa vie au centre de formation, très clairs quant aux menus travers du quotidien, ne disent rien des circonstances qui l’y ont mené. Si au moins, Clément pouvait consulter son dossier ! Tout est dedans probablement ! Mais de quel tout, encore, s’agit-il ? Oh ! bien sûr, doivent y figurer des rapports de médecins, de psychiatres, d’ergothérapeutes, d’infirmiers même, et le directeur aura aussi griffonné quelques mots. Qui ne diront pas plus qui est Clément et ce qu’il a fait (ou pas fait) pour être envoyé dans ce centre.

« Il paraît que la génération qui nous a précédés était autrement plus débrouillarde, et d’une résistance que nous aurions peine à imaginer. D’ailleurs, les stages d’insertion n’étaient pas fréquents, peut-être même n’existaient-ils pas. Ils se sont développés à cause de notre incompétence, de notre mollesse, de tous nos défauts. », écrit Claude Tasserit.

Clément fait son autocritique à la façon d’un prisonnier dans un camp de travail en Chine. Il pourrait devenir paranoïaque car, comme dans Le procès de Kafka, il courbe l’échine sous le joug d’un « atermoiement illimité ». Ni coupable, ni innocent donc ! Comment accomplir une peine, si c’en est une, dont on ne sait pas quand elle a commencé ni quand elle finira ? Quels défauts d’incompétence sont vraiment reprochés aux stagiaires ?

Une chose est certaine cependant. En faisant de Clément un individu condamné à l’essai perpétuel, Claude Tasserit nous offre un livre politique et philosophique. On pense au travailleur enchaîné à ses contrats courts pour nourrir un système économique absurde et totalitaire. Plus largement, cette écriture tout en retenue sans être sèche nous signifie que la vie n’est  jamais rien d’autre qu’un essai. On s’y appartient mal. On bricole dans les espaces qui nous sont assignés comme dans les souvenirs déjà gagnés par le flou. De toute façon, comme dit Clément à la fin de son expérience : « cela ne me gêne pas d’attendre. Je ne suis pas pressé. »

Il y a encore beaucoup de casernes à remplir. Il y a encore beaucoup d’humains inadaptés à occuper. Et leur résignation est sans limite.




Franco Costantini, Contretemps, extraits

Un cimetière
comme lieu de rencontre
pour satyres et naufragées.
Nous pourrions y voir animaux d’autres
temps
comme oursins, abeilles et lucioles.

Du lac s’élèvent
les cloches qui appellent à la guerre
les chiens le savent
et hurlent de terreur
mais vaches et lézards nocturnes
ne sourcillent même pas,
il leur suffit d’une lumière
pour pouvoir se regarder,
ils savent attendre,
le silence n’est qu’une obscurité acoustique,
l’attente une obscurité du temps;

           comme les poissons insomniaques,
me trahissent les cercles concentriques
que peut-être tu seule peux voir
du haut lointain où tu te trouves,
allongée sur la ligne directrice d’un été
qui se perpétue ultime.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Mourir et puis renaître
et puis mourir encore
et ne renaître plus.
Aller d’îlot en îlot
sans se soucier du vent et de l’essence
sans se gâcher le corps
s’endormir dans les rochers;
si j’étais femme ou herbe au moins
mais au fond
être homme n’est qu’une intermittence,
je vais me coucher avec les héros
et le temps ne me servira.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Aujourd’hui aussi ne finira jamais,
il devra bien continuer quelque part,
le travail des instants ne peut pas
le détromper.
La terreur des rues boisées
carrefour et phénotype de l’attente,
perdure pendant la nuit,
inaperçue.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

J’ai rêvé une fois
que la forêt de Nara brûlait;
il faudra que j’en écrive un jour.
Le silence du feu
la nuit
ne creusait dans le ciel
plus d’espace qu’il ne lui fallût.
Les temples étaient vides.

                      Les daims fuyaient les flammes,
sans trop de conviction et l’herbe
n’était pas touchée.
C’était un feu qui bouillait;
l’oxygène brûlait
gaiement, sans réserves
et l’obscurité
cherchant à étouffer l’incendie
ne laissait à l’enthousiasme de la lumière
que des fuites horizontales.
Le pacte conclu,
l’homme était absent.

                     Sans propagation, créé et inextinguible,
l’élément du feu
occupait la place
entre le toit étanche de la nuit
et la terre noire.
Seuls les arbres,
ayant abandonné leur traditionnelle pudeur,
semblaient avoir compris la situation.
Changés en lanternes
ils assumaient l’office des verbes.
A l’horreur des bêtes ils opposaient
le sens ultime de leur résignation.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

La stratégie attentiste
a massacré nos rêves.
Mais l’accélération
suit des rythmes non humains.
Ne dépaysons les oiseaux plus que ça
déjà ils ne savent pas
où dépenser l’été qui nous reste.
Les pirates dégainent leur sabre du regard,
par leurs yeux nous sommes poussés
à parcourir la passerelle
et dans le bleu
les essaims des squales n’attendent que nous.

 

 

 




Mots d’Ils, entretien avec Gérard Duchêne

 

On peut passer une vie à parler ou à se taire ;
je me tais en écrivant
G.D. 1988

En janvier 1989 l’occasion s’est enfin présentée. Restaient à définir les orientations et le cadre... Travail sur les oeuvres, lente imprégnation raisonnée de l’historique du travail, contacts divers avec Gérard Duchêne, rapport avec sa terrible écriture critique : Gérard Duchêne est un redoutable analyste de son propre travail... En fin de compte une position est prise en commun qui m’agrée complètement, parce qu’elle me paraît aussi bien "coller" à la démarche de Duchêne qu’au type de relation que j’ai pu tisser avec elle et... avec Il.

Gérard Duchêne me parle d’un texte qu’il vient d’écrire et qui se présente comme réponses à une série de questions de lui-même, à lui-même. Je lui propose aussitôt de me poser les mêmes questions auxquelles je répondrais moi-même, en signant de mon nom, mais en écrivant à la troisième personne, comme si j’étais lui, mais étant entendu qu’il ne s’agirait aucunement pour moi d’adopter son point de vue. Il nous serait loisible par la suite, si nous y voyions intérêt, de comparer les deux séries de réponses.

Ainsi a été fait... Le texte qui suit est écrit à la première personne, mais souviens-toi, lecteur, que c’est le critique qui écrit.... Ça me paraît tout à fait conforme à la démarche du "Journal d’Il". Une dernière chose dans l’organisation de cette singulière interview : toutes les questions ont été écrites par Duchêne à la suite l’une de l’autre sans attendre mes réponses. Mais j’ai donné les réponses sans prendre une connaissance préalable de la totalité des questions... C’est un autre élément de la règle du jeu.

Au seuil de dire pourquoi, peu à peu, cette œuvre a pris pour moi une telle importance telle que je la situe parmi les plus grandes, ma réticence n'est du coup doute qu’au doute que je fais peser sur ma capacité à la présenter à la hauteur de sa valeur.

 

Portrait de Gérard Dufrêne

Questions (IL): Gérard Duchêne
Réponses (JE) : Raphaël Monticelli
1989

 

 

J’ai choisi de peindre avec le texte comme matière première GD

Il : Ecrire ou peindre ? Sous quelle étiquette peut-on te placer ?
Je : Indubitablement, je peins:  j’utilise de l’écriture comme Cézanne utilisait la sainte Victoire, ou Monet les nénuphars ou la cathédrale de Rouen... Je suis un paysagiste de l’écriture... Voilà. En première approche, je dirai que l’écriture, c’est la réalité que je représente. A ce point de la discussion j’ai deux choses à préciser qui tiennent au statut particulier que j’accorde à l’écriture dans mon travail.
Tu sais que ce n’est pas n’importe quelle écriture qui me sert de "modèle". Je dis modèle pour reprendre l’idée des peintres de la figure que j’utilisais plus haut... Je me sers de ma propre écriture, de mes propres gestes et, en gros, de mes propres textes. Je crois que la précision est d’importance : je ne figure ni l’écriture, ni une écriture... pas même mon écriture, c’est mon "écrire" que je représente, comme acte et comme sens. Dire que je le représente n’est d’ailleurs pas très juste. Ma première approche était meilleure : mon modèle, c’est mon écrire, acte et sens. Ce qui t’est certainement aussi clairement apparu, c’est que je ne me pose aucunement en esthète de la lettre ou du texte ni en écrivain (mon problème ce n’est pas même le calligramme), ni calligraphe.
Ce qui est important, c’est que, dans chaque cas, s’exprime, comme l’on dit, s’esthétise, un certain type de rapport au réel qui, chaque fois, vient faire varier le statut initial de l’objet concerné aussi bien dans le champ artistique que dans la réalité sociale.
Ainsi, quand je me sers de mon écrire (acte et sens), j’ouvre la peinture à un type nouveau de « modèle ». Ce faisant, s’exprime un rapport inédit à l’écrire qui me paraît être particulier à notre époque ; j’oeuvre -j’opère - dans le statut de l’écrire. Mon modèle, c’est notre acte intime, massif et douloureux d’écrire. C’est cet objet, perdu parce qu’inutile ou incommunicable à autrui : l’expression de nous-même... notre identité ?
Mon apport, c’est d’introduire comme modèle non l’écriture mais mon rapport à elle : mon écrire dont le sens perdu (en fait je n’écris pas, je... désécris) figure chacun de nous, incertain de sa propre identité, à tout le moins incertain de la validité de l’expression de sa propre intimité.

Détournements, 1975

Tressages, 1973

 

Je ne peins pas avec quoi, mais avec comment.
J’inscris pour  me taire…
G.D.

 

Il : Que signifient ces rapports que tu établis, dans ton travail, avec l’identité ? S’agit-il de ton identité ou d’une idée globale d’asservissement par le fait de normes ?
Je : Je disais que la figure de l’écrire renvoyait à ce qui est en chacun de nous incertitude de sa propre identité ou de la validité de l’expression de son intimité. Peut-être d’ailleurs qu’en faisant de la sorte je propose, je revendique, ou je cherche un autre statut et de l’intimité et de l’identité, qui ne soit pas fondé sur une norme impérative ou sur des faux-semblants.
« Le journal d’Il » pose -comme tel- le problème de ma présence à une identité. C’est bien "Je" qui écris, et ce "Je" qui écrit fait le journal d’"Il", d’autant plus absent que ma technique d’écriture à la fois permet de reconnaître qu’il y a texte, et le rend en même temps tout à fait impossible à lire. En ce sens se pose le problème de l’identité.
Saisir la réalité dans son mouvement, les objets et les êtres en construction constante de leur identité. C’est exactement ce que je travaille avec mes O.C.N.I., mes Objets Codés Non Identifiés. la mise en doute, ou en cause, du caractère immédiatement identifiable est du même ordre que dans le "Journal d’Il", et dans l’ensemble de mon travail de peinture. Le problème tourne autour de l’idée QU’IDENTIFIER CE N’EST JAMAIS QUE RE-CONNAÎTRE DES CODES OU DES NORMES OU DES NOMS… QUE L’ON CROIT - À TORT- INVARIABLES.
En même temps, ce qui est perdu comme sens -ce qui est désécrit- s’affirme d’autant plus violemment comme réalité plastique. Le peintre est peut-être isolé et absent de la communication, mal identifié ou non identifiable, identité incertaine, perdue ou douteuse, mais la pièce est bien là fondant une identité nouvelle... "énormité devenant norme »…

Livre trempé dans la peinture, 1975

Livre reconstitué, 1975

 
Il : Cette position à cheval peinture-écriture n’est-elle pas inconfortable. Te considère-t-on comme peintre ? Te considère-t-on comme écrivain ?
Je : C’est un peu la question n°1 sous l’aspect du confort et du regard des autres.
Il n’existe pas de situation créatrice confortable. L’inconfort c’est au jour le jour, c’est au quotidien, c’est l’esprit qui veille tandis que la main agit, c’est l’opposition entre ce que l’on est en train de faire et le spectacle que l’on se donne en le faisant, c’est la pression de la norme tandis que l’on travaille.
En même temps je ne m’accroche, je ne m’arrête qu’à ces pratiques de l’art qui détournent des techniques, prennent à contre-pied les modèles habituels, hésitent, et font hésiter sur le statut des objets et des outils, travaillent en aveugle. C’est-à-dire travaillent en acceptant de se masquer une partie des procédures, comme s’il s’agissait de la figure d’autres aveuglements quand on oeuvre comme quand on regarde.
 

*

C’est la distance entre l’oeuvre et le produit -entre la production et la consommation qui crée le champ de rupture. Non la volonté idéologique qui détermine le geste.

Cette "rupture" tient à une fantaisie -hors convoitise de faire. Une façon de faire qui se situe déjà en dehors de soi-même -comme si "l’autre" peignait son autoportrait. Comment alors "se reconnaître" dans le miroir où heureusement ne figurait plus qu’un inconnu -le portrait de soi miraculeusement ailleurs. Mais où ?

G.D.

 

Il : Tu écris tes matrices de façon autobiographique. Pourquoi ? A une certaine époque il s’agissait de récupération de textes imprimés. Pourquoi ce glissement ?
Je : Il fallait bien que cette question de l’autobiographie arrive. J’ai déjà eu à parler de mon écriture des matrices, j’ai parlé de mon rapport à l’intimité et à l’écriture intime à propos de la question sur l’identité.
C’est vrai du journal d’Il, comme d’un certain nombre de mes livres (je pense notamment à "Adieu ma jolie" écrit à la suite de mon divorce). Comme l’écriture, ma vie, ma biographie me servent de matière première, et j’adopte face à cette matière, une attitude de distance qui conduit à une forme d’autodérision.
Tout cela s’appelle souffrance. Cela s’appelle quelquefois désespoir. Ma seule autobiographie, c’est celle qui s’écrit dans mon travail de peintre.
J’ajoute que si, du point de vue textuel, mon travail a glissé, pour ces raisons, du texte imprimé à mon journal écrit, je conserve largement le rapport à l’imprimé : par les OCNI, comme par tout mon travail d’oblitération des affiches publicitaires.

*

L’art n’existe que par la pratique et -pourrait-on dire-
presque uniquement grâce au lieu où il se fabrique : l’atelier.
((Celui-ci devenant peu à peu le cerveau du peintre,
l’espace de son devenir
G.D.

Il : Qui est "Il" dans le "Journal d’Il" ?
Je : J’ai déjà répondu à cette question... "IL" est un "je" qui s’absente, ou qui s’absentéise, un emblème de l’isolement. Une mise à distance de soi qui serait définitive si la question n’était aussi insistante. Pour citer Duchêne: « il faudrait mettre la plus grande distance entre soi-même tel qu’on se conçoit et l’autre: l’inconcevable. Il faudrait chercher celui-là en perdant ses propres références. »

*

Le fait de peindre engage le corps comme outil mais surtout
la totalité de l’individu comme acteur de sa propre perte.
Pas de transformation en vue d’un  « meilleur » mais au moins
la perte des principes même qui nous déterminent. Approche d’une
disponibilité impertinente et amorale …
G.D.

 

 

Il : Tu es devenu un peintre "mûr". Que signifie ce terme au niveau des problèmes de la peinture. Le mur est aussi l’apparence visuelle des pavés de textes.
Je : La matrice fait pavé en se défaisant comme sens. Le mur des pavés de textes se fait de mon ouverture -peut-être la fait-il-, du travail des humidités et de leur perte.
Pour le deuxième aspect de la question : le problème de ma maturité de peintre renvoie à celui des incertitudes et du confort. Je crois que la maturité tient, dans la peinture, au fait de savoir que, somme toute, sans prétention aucune, on fait la seule chose que l’on puisse faire : c’est assumer sa pratique, et, le cas échéant, l’assumer comme erreur, en tout cas comme errance.
Je crois en suite que mon apprentissage est achevé..: Je suis plein de quelque chose qui ne m’appartient pas. La maturité, c’est savoir à quels courants historiques on se rattache, de quelles solidarités on est tissu dans ses rapports aux autres artistes, comme aux autres pratiques sociales. De ce point de vue-là aussi, je suis entré dans ma maturité de fait.
C’est un autre tic de Monticelli de rappeler à ce propos l’exemple d’Okusai qui disait à 70 ans qu’il commençait à savoir peindre, alors... Mais je crois que le savoir du peintre dépasse dépasse « le « savoir peindre » et que cet oubli détermine peut-être sa seule présence. Il est devenu une machine sans nom qui fonctionne – c'est tout!

*

 

 

Mon travail est une façon d’effacer les traces au fur et à mesure de
l’avance. Niveler -supprimer les alibis- les fausses raison de se
croire plein de quelque chose.
G.D.

Mon travail est une façon d’enterrer une existence.
G.D.

 

 

 Le mot feuille s'inscrit sur l'arbre, 1996

Il : Tes activités de détournements du sens concernent la peinture, le livre, l’objet. Une sorte de position de refus. Comment, et à partir de quoi se situe ce refus, comment produit-il ?
Je : Plus que d’un refus, il s’agit d’un détournement, comme le suggère la première partie de la question.
Deuxième approche : s’il s’agit d’un refus, c’est celui du statut prédéfini de la peinture, du livre, de l’objet ; c’est alors la proposition d’un statut différent et, par conséquent, par rapport à l’attendu, l’apparence d’un détournement.
La place et le rôle assignés à la peinture, à l’objet, et à ce type particulier d’objet qu’est le livre, ne me conviennent pas. C’est à partir du statut social, historique et culturel que je me situe. Je m’explique : aujourd’hui le fonctionnement de la peinture et du livre (le type de fonction et la façon dont elle est assumée) tend à les tirer vers l’objet, et l’objet, massivement, vers la marchandise, et la marchandise vers un prix de plus en plus déconnecté de la valeur, c’est à dire oublieux de la réalité du travail fourni. C’est en gros ce que l’on observe aussi bien dans la spéculation boursière et dans cette espèce de reflet spéculatif que constitue le marché de l’art, que dans la masse des objets visuels -les images- et écrits -les livres- dont la production est de plus en plus énorme au point qu’on ne se pose plus la question de la gestion des stocks : l’invendu d’une production écrite passe systématiquement au pilon dans des délais de l’ordre du trimestre.
Si j’exprime un refus ou un détournement, ça passe aussi par là. En outre, il y a bien sûr aussi ce que je disais plus haut concernant mon refus de l’institution, de l’académisme, de la norme, du faux-semblant. Je crois que ça répondait aussi à la question de savoir comment ce refus, à mon sens, PRODUIT.

*

 

Le travail fini est toujours un fragment donc un déchet du travail en cours
G.D.

 

 Il : Ce suicide "prétendu", est-il réel ou simulé ? S’il est simulé il peut présenter de l’intérêt par rapport au parcours vers cette fin, qui est peut-être fin du corps formulé.
Je : Rien n’est moins suicidaire que de s’accoutumer à la mort. Rien n’est plus garant de notre dignité que de saisir au jour le jour la mort en actes dans la vie.

Brouiller les cartes, 1975

Vivre, ça n’est peut-être que ça : savoir se perdre. Et toute trace que nous laissons, justement parce ce que ce n’est pas simple indice, qu’il y va des jalons de notre présence, c’et cette mémoire au présent que nous savons produire, dont nous nous savons producteurs. La mort est là, dans la conscience d’une histoire, dans les jeux de la mémoire formée de notre vie d’absence, qui nous apprend à vivre l’absence et à nous vivre comme absents virtuels.
Et l’oeuvre d’art c’est, entre autres, la forme concrète que prend cette virtuelle absence et dans cette série intitulée « enterrement d’un jour » qui mettait en regard matrices et stèles en béton, que pourrait être les variations de formule sur la stèle d’IL?

Sans cornes ou cent regards, 1996

*

Ce va et vient entre l’orgueil et la connerie devrait conduire à une humilité ou à une forme de lucidité d’un jeu conscient et accepté.
G.D.

Il : Les techniques diverses que tu emploies à partir du lieu primordial de la matrice te permettent de varier tes "séries". Pourquoi ne pas privilégier uniquement le travail conceptuel de l’écriture sur matrice ?
Je : Si je ne développais pas mes séries dans la diversité des traitements plastiques que permettent les plaques, elles n’apparaîtraient que comme stèles gravées, comme texte se perdant dans les creux produits par sa propre écriture, et non comme matrices. Dans ce cas le travail d’écriture, d’écrivain, serait premier, et chaque plaque serait un objet : l’objet d’un rapport au texte et à son illisibilité.

 

 

Mon problème n’est donc pas de produire, sur cette plaque, ce simple objet, mais quelque chose d’autre. En même temps, j’en fais l’outil d’un certain nombre de procédures purement plastiques qui seules me permettent de faire accéder le texte au statut de MODÈLE de peinture : non comme simple sens perdu, mais comme matière, motif, modèle du peintre. En bref : si la plaque ne devient pas matrice, si elle ne passe pas d’objet à outil, l’écrire ne remplit pas son rôle figuratif: figurant-figuré.
Pour en revenir à la question de la perte, le texte déjà perdu dans le travail sur la plaque- se perd à nouveau -et autrement- au moment du report. C’est aussi le rôle de la pigmentation : dans le cas du travail sur la plaque, la différenciation des traces est produite par l’action de l’acide creusant la surface et c’est en ces creux où est la lettre que se focalisent les regards : le texte fait image par disparition de matière. Au moment du report, la couleur marque, évidemment, les reliefs de la plaque, c’est-à-dire que l’image du texte apparaît encore comme manque, comme matière non déposée. En même temps, les différenciations de traces, les lieux de focalisations du regard, sont transférés de la lettre au texte, et du texte à la toile.

*

L’œuvre vit son dernier sommeil sans lanterne pour la veiller sinon la
grâce du critique ou de l'écrivain qui perdure sa trace dans l'infini de
son propre sommeil 

G.D.

 

 

 3 pages froissées collées, 1973

Il : Si tu me posais une question quelle serait-elle ?
Je : de but en blanc, je n'en vois qu'une : comment ton écriture fonctionne-t-elle? Sert-elle à transcrire ce que tu sais la peinture ? Où est-elle moyen de chercher à en savoir plus ?

*

L’art c'est la mort de la lettre.
L’être à partir duquel on transmet la mort
La mort du présent pour une présence de l'éternité
éternité de l'absence de l'œuvre
au profit de la présence du peintre
qui
trouverait dans ce présent l'éternel que lui confère ce refuge dans
l’histoire.
G.D.

 

Présentation de l’auteur




Hans Faverey

Hans Faverey (1933-1990), presque inconnu dans la sphère francophone, est, selon moi, un des tout grands poètes du 20è siècle - qui serait peut-être un des tout grands siècles de la poésie : une poésie alors de plus en plus refoulée par la culture dominante, mais qui, en raison de ce refoulement, sut explorer les palpitations énigmatiques et cependant intimes de l'inconscient.

"Le réel, c'est quand ça cogne", disait, parait-il Jacques Lacan. Citons une géante : Emily Dickinson et un géant Zbigniew Herbert (mais, je pourrais citer aussi Alejandra Pizarnik ou Janos Pilinski, et d'autres encore). Ces géants cognent : pas par vindicte ou ressentiment, mais parce que le réel impossible cogne en eux. Cela les rend névrosés, fragiles, minuscules, mais ce sont des géants parce qu'ils disent ce qui ne se dit pas. Ils murmurent les cailloux du dedans.

Il y a déjà de nombreuses années, Pierre-Yves Soucy avait attiré mon attention sur Faverey, qui était très peu traduit en français. Qui s'intéresserait, en France, à un poète amstellodamois, né au Surinam ? Il s’agit néanmoins de rendre justice à François Rannou, et à sa revue La rivière échappée, qui donna, en son temps, des traductions de Faverey dues à son ami Du Bouchet.

Voici donc qu’un éditeur bruxellois ose enfin une traduction des Poésies publiées par Faverey. C’est un fort volume, magnifiquement édité, et dont la préface (c’est un exploit) éclaire intelligemment et brièvement l’œuvre entière.

 

Hans FAVEREY, POESIES, traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Kim Adringa, Erik Lindner (qui signe aussi la préface) et Éric Suchère. Bruxelles, Vies Parallèles, 2019. 672 pages Renseignements : librairie Ptyx (www.librairie-ptyx.be)

Je vais m'y plonger un peu chaque matin. Cela prendra du temps. On lit lentement ces poèmes ; on y revient sans cesse ; on surnage dans un remuement dont la structure jaillit soudain.

Il n'est pas anodin, pour les recevoir (car on n'en finira jamais de les "comprendre"), de savoir que Faverey était un solide claveciniste amateur, et psychologue de profession. Tout ici est en effet composé par bribes et fragments. Fragments d'inconscient qui mordent la conscience, composition quasi musicale de ces fragments… On lit bien Faverey, mais c'est nous qui faisons le livre, et qui le referons sans cesse, à chaque lecture. Voilà peut-être la leçon de la poésie la plus haute.

∗∗∗∗∗∗

 

À NINGAL1

Le sang est-il ignominie ;
ou les hiboux sont-ils vraiment feignants.

Sans honte le soleil se lève,
la lune pâlit ; le soleil se
couche – et la voilà : Ningal.

Un seul mot qui s’expectore

et en la mort aussi se transmeurt,

transpercé par des yeux si ronds.
Comment saurais-je comment ça vient. Que
sais-je de ce qui est. Son sang
est rouge ; son nom se perpétue.

 

*

Hans Faverey lit De Schildpad, 2000.

 

 

Ce qui lui resta du vent d’ouest.
Comment elle recueille ce qui l’a
Rattrapée. À l’aide

de son miroir elle casse
un carreau. En l’oubliant
je ne découvre rien d’autre.

Je frappe deux silex ensemble :
ça heurte. Une fois arrivé dans la rue
je m’arrête . M’aime-t-elle ?

 

*

 

La façon dont le est se néantifie
m’échappe complètement.

Le ciel si clair et tout aussi noir,

a jeté l’ancre dans sa mer ;
itère une chose qui est restée
encore échappée. Le vide à cheval :
la limace sur le rasoir.

Un à un je m’annule, et je deviens
ce qui de moi prend possession : m’appelle,
et par moi fut appelé.

 

*

 

En remontant le long du fleuve.
de nombreux saules, de nombreuses pierres ; bruissement
des rapides. Et des roseaux,
qui dans la langue locale
sonnent comme ils sont : roseaux
par brise légère.

Une vieille femme chantant tout haut :

pour elle-même, au milieu
de ce qui environne.

Un bref salut, un toussotement. Puis
le chant reprend, plus fort
maintenant, semble-t-il. Un peu plus loin seulement
je les vois : ses deux vaches,
au bord de l’eau.

 

*

 

Hans Faverey.

Note

1. Les poèmes de Faverey se répondent au sein de séries plus ou moins longues. Il est donc malaisé de les isoler…

Présentation de l’auteur




Bonnes feuilles PO&PSY : Lucian Blaga, Apirana Taylor, Rutger Kopland

Lucian Blaga, La lumière d’hier

 

Lucian Blaga est né le 9 mai 1895 à Lancrăm, dans le Sud de la Transylvanie. Il a été philosophe, théologien, diplomate de 1926 à 1938 (successivement en poste à Varsovie, Prague, Vienne, Berne et Lisbonne), puis professeur à l’université de Cluj de 1940 à 1948. À partir de ce moment-là, marginalisé en tant que philosophe, il devient journaliste et bibliothécaire.

Limogé en 1959 et persécuté par le nouveau régime, il meurt le 6 mai 1961, des suites des traitements subis en incarcération. Auteur d’une œuvre philosophique impressionnante, dramaturge, poète, traducteur, il fut membre de l’Académie roumaine dès 1937.

Après avoir soutenu, en 1920, sa thèse de doctorat à l’université de Vienne, il élabore au cours des années 30 une philosophie de la culture qui est aussi une métaphysique de l’inconscient. Dans ses cinq Trilogies philosophiques, il s’emploie à « mettre en lumière non seulement les structures de l’être humain (ses structures mentales conscientes – un patrimoine relativement invariable de l’humanité) mais aussi ses modes existentiels : les spécificités ethniques et culturelles de l’homme, sa créativité et son mode ontologique d’existence – ce qu’il appellera les « catégories stylistiques de l’inconscient », éminemment variables dans le temps historique et dans l’espace géographique, car elles changent d’une collectivité à l’autre, d’un individu à l’autre.

Lucian Blaga, La lumière d’hier, traduit du roumain par Andreea-Maria Lemnaru, avec des pastels de Sophie Curtil, 84 pages – 12 €.

Il élabore une « noologie abyssale », une étude des catégories de l’inconscient créateur – créateur d’ordre, d’organisation, à l’opposé du chaos animique – qui alimente le phénomène dominant de la culture, le « style », milieu permanent impliquant les divers horizons, accents, attitudes des peuples, tous les domaines de leur activité. Plus spécifiquement, il crée le concept d’« espace mioritique »1 qui va lui permettre de définir l’identité culturelle roumaine. Pour Lucian Blaga, les coordonnées spatio-temporelles – les « horizons », qu’il faut aussi entendre dans un sens métaphorique – jouent un rôle essentiel. Le village roumain, en osmose avec une nature omniprésente est considéré comme le lieu névralgique de la prise de conscience de soi. La place fondamentale qu’il donne à l’enracinement et à la transcendance mythologique a sans doute à voir avec ses origines familiales (il est le neuvième fils d’un pope) et avec son profond attachement pour sa Transylvanie natale.

Marquée par le dor2, une conscience aiguë de la nécessité, et par la religion populaire roumaine riche en rituels pré-chrétiens, l’œuvre poétique de Lucian Blaga répond à son système philosophique. Puisant dans le fond primitif de la culture et l’expérience primordiale de la nature, sa poésie est un horizon cosmique où se côtoient l’âme et le néant à la lueur des âges qui reposent sous terre.

Écrivant dans une langue archaïque, proche des incantations et des conjurations populaires de la tradition orale, le poète de Lancrăm connaît intimement l’esprit chtonien des campagnes.

Entre expressionnisme et néoromantisme, l’œuvre poétique de Lucian Blaga exprime une mystique de la terre qui se dit en mots de l’esprit.

 

 

Extraits

 

La fille de la terre danse

Je ris de tes aubes, ancien soleil, nouveau soleil.
Des oiseaux embrasés s’ébattent dans l’éther.
Qui m’appelle ? Qui me chasse ? Ah là là ! Eh là là !
Sous la glèbe des tombes, il est une église.
À présent, mille ans ont sombré dans la terre.
Sept prêtres aujourd’hui encore
y officient pour le diable.
Eh là là ! Pour le diable.
Géants mortels, nains mortels, j’époussète mes talons sur les croix
plantées dans vos maisons. Qu’on sonne les cloches royales.
Que personne ne me défie. Ah là là ! Eh là là !
Maintenant je danse. La fille de la terre couronne ses seins d’épines
Anéantis par cette vision, ils tombent en poussière
les prêtres de la lumière, les prêtres de l’abîme.

*

L’esprit du village

Chère enfant, pose tes mains sur mes genoux.
Moi, je crois que l’éternité est née au village.
Ici, toute pensée est plus lente
et le cœur bat plus doucement,
comme s’il ne battait pas dans la poitrine
mais quelque part dans les profondeurs de la terre.
Ici guérit la soif de salut
et si tes pieds saignent
tu peux t’asseoir sur une motte d’argile.
Regarde, c’est le soir.
L’esprit du village flotte près de nous,
comme un timide parfum d’herbe fauchée,
comme le ruisseau de fumée d’un toit de chaume,
comme un jeu de chevreaux sur les hautes tombes.

*

 

Lucian Blaga lit Trezire.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Apirana Taylor, Pepetuna

 

Apirana Taylor, né en 1955 à Wellington (Nouvelle-Zélande), est un écrivain māori (tribus Ngāti Porou, Te Whānau a Apanui, Ngāti Ruanui iwi), et pākehā (européen).

Poète, scénariste, romancier, nouvelliste, conteur, acteur, peintre et musicien, il a publié plusieurs recueils de poésie (dont He Rangi Mokopuna, publié en version française par les éditions de la Tortue en 2017), des nouvelles et deux romans. Il est présent dans toutes les anthologies majeures de Nouvelle-Zélande. Ses écrits sont traduits dans plusieurs langues. Il a obtenu de nombreux prix et résidences.

Apirana Taylor écrit également pour les enfants et pour le théâtre. Comédien, enseignant, il est membre du Māori Theater Group Te Ohu Whakaari. Il a également travaillé avec la New-Zealand Drama School et la Whitireia Polytechnic en qualité de dramaturge et d’animateur d’ateliers d’écriture.

Apirana voyage sur le territoire néo-zélandais et au-delà en qualité de poète et de conteur. Il a été invité par deux fois en Inde en tant que poète, il a parcouru l’Europe (Autriche, Suisse, Italie et Allemagne) durant trois mois de tournée poétique dans le cadre de World from the Edge, en 2000 et 2006, et il a participé au Festival de poésie de Medellin (Colombie) en 2012.

Apirana Taylor, Pepetuna, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) et du maori par Manuel van Thienen et Sonia Protti, avec une peinture de Germain Roesz, 96 pages – 12 €.

 

Il est venu pour la première fois en France pour une tournée organisée par Sur le Dos de la Tortue en collaboration avec l’université d’Udine (Italie), en mai 2017.

 

Extraits

 

calme

souffle douce brise
laisse le ciel respirer
en paix

 

*

 

pūkana3

la fleur rouge
explose
et fait la grimace
avec sa
langue de
nectar

 

*

 

tout

cœur dans poitrine
poitrine dans corps
corps dans ciel
ciel dans univers
univers dans cosmos
cosmos en moi

tout en un

 

*

 

dans la pulsation

petit canari
tu
as brisé
les barreaux
de
la cage de la vie

la beauté réside
aussi dans la
pulsation
de la mort

 

*

 

compréhension

 la compréhension vient de la guérison
a guérison vient de la vie
la vie vient de la douleur
la douleur vient de ce que l’on ressent
la peur vient de ce que l’on ne connaît pas
la lumière vient de ce que l’on connaît
la guérison vient de ce que l’on comprend
l’amour

 

*

 

stupéfaction

 

te Mangaroa
est le grand requin
connu sous le nom de Voie lactée

Patiki est le flet4
une autre constellation d’étoiles

je suis stupéfait d’admiration et de joie
quand je vois ces merveilles

car voilà des millions d’années
que le grand requin nage
à travers la galaxie

alors que Patiki le flet
attend à jamais dans les estuaires à marée basse de la nuit

 

*

 

Apirana Taylor accompagné par Manuel Van Thienen, à l'église de Sigale, dans la vallée de l'Estéron, le 7 mai 2017, à l'occasion de la tournée organisée par Sur le Dos de la Tortue en collaboration avec l’université d’Udine (Italie).

 

 

∗∗∗∗∗∗

Rutger Kopland

 

Rutger Kopland est le nom de plume de Rutger Hendrik van den Hoofdakker, né le 4 août 1934 à Goor, dans la province d’Overijssel, aux Pays-Bas, et mort à Glimmen le 11 juillet 2012.

Professeur en psychiatrie biologique, il enseigne à l’université de Groningen à partir de 1983. Il est l’auteur de deux études combattant la « morale conservatrice » de la caste des médecins.

En ce qui concerne son œuvre poétique, la critique distingue trois périodes : une première, anecdotique, inaugurée par Onder het vee (« Parmi le bétail »),1966 ; une  deuxième, nue et austère, à partir de Een lege plek om te blijven (« Un endroit vide où rester ») 1975 ; une troisième, philosophique, dans ses derniers recueils Over het verlangen naar een sigaret (« Sur le désir d’une cigarette ») 2001 ; et Wat water achterliet (« Ce que l’eau a laissé ») 2004.         

Il a reçu le Prix P.C. Hooft en 1988. En 1999 ont paru ses Gedichten (« Poèmes »), réunissant les onze recueils publiés jusque-là. Deux choix de poèmes ont été publiés chez Gallimard dans la traduction de Paul Gellings : Songer à partir(1986) et Souvenirs de l’inconnu (1998).           

Rutger Kopland, traduit du néerlandais par Jan Mysjkin et Pierre Gallissaires, dessins de Jean-Pierre Dupont, 64 pages – 12 €.

 

 

Extraits                    

 

Drentsche Aa

 

I

Matins au bord de la rivière, matins où
elle semble encore se demander
où elle ira encore
ce jour-là,

si elle fera comme toujours
les mêmes mouvements vifs,
ou non,

ou si ces oscillations sans fin
sont les gestes vides de quelqu’un
qui déjà n’existe plus,

et s’est résigné

à ce qu’il est, entre ses rives,
dans le vain sillon
qu’il a creusé.

 

II

Comme si elle voulait recommencer,
tant ses mouvements semblent agités,
comme si elle pouvait retourner

à son pays d’origine,
à son passé brumeux,

puis venir ici se reposer à nouveau,

mais elle est calme entre
ses rives, et aussi
ses rives sont calmes.

 

III

Comme si elle voulait aller plus loin
qu’ici, comme s’il y avait une destination,
quelque part un lieu où elle
n’a jamais été

et qu’elle pouvait l’atteindre,

mais là-bas, au loin
elle est déjà – la même
qu’ici.

 

IV

Matin au bord de la rivière,
matin où enfin
elle ne sera rien de plus
que la rivière.

 

Rutger Kopland lit Leets 'Aan het grensland.

Notes

 

1. Mioritique : de miorița, « agnelle », titre d’une célèbre ballade populaire due à un auteur anonyme et considérée comme une des plus importantes expressions du folklore roumain, tant au plan artistique que mythologique.

2. Dor (du latin dolus – un dérivé de dolor – douleur) exprime un sentiment complexe qui mêle la nostalgie et la mélancolie, la douleur et la joie. Proche de la notion portugaise de saudade, il traduit le souhait irrépressible et persistant de revoir quelque chose ou quelqu’un de cher, ou de revivre des situations plaisantes. 

3. pūkana : « grimace » pratiquée au cours du haka (danse chantée rituelle pratiquée lors de conflits, de manifestations de protestation, de     cérémonies ou de compétitions amicales, pour impressionner l’adversaire).

4. flet : poisson plat en forme de losange de la famille des pleuronectidés.

 

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Claude Minière, Un coup de dés

Ce bref essai consacré à Blaise Pascal est l’occasion, pour l’auteur, de mesurer son rapport à l’écriture — une manière de mourir dans l’Art. Meurt-on par hasard ? Minière joue un coup de dés dans le dos de Mallarmé.

Claude Minière est un traducteur d’Ezra Pound. Il lui a consacré un essai, Pound caractère chinois (l’Infini, Gallimard), qui explore les Cantos, ce texte de feu que Sollers, comme bien d’autres, dont Hemingway, Pleynet, etc., place au centre de ce qui n’a pas de dimension. Ezra Pound est le premier à lire Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé à Londres en 1897 : son Cantos est dans la continuité de cette lecture. La filiation est documentée. Et Minière s’invite à la table de jeu.

En effet, « chacune des Pensées émet un coup de dés » écrit Minière à propos de Pascal, reprenant ainsi le dernier vers du poème de Mallarmé, toute pensée émet un coup de dé. Le livre de Minière est bien calé dans ce jeu. Mais il conclut son ouvrage par : « Une main vient se poser doucement sur le front brûlant de Blaise. Ce n’est pas un hasard. » Ainsi la fin ne serait pas un hasard ? Et si la fin n’était pas une fin ? Et si l’œuvre d’art, pour l’écrivain l’écriture élevée dans l’écriture, sauvait de la fin et précipitait la mort dans la vie, brouillant ainsi le jeu ?

Claude Minière, Un coup de dés, Tinbad, Paris, 2019, 58 pages, 11,50 euros.

L’acte d’écrire est une figure géométrique. Blaise Pascal trace ces figures au charbon sur le carrelage de son cabinet de travail et cherche, cherche le point invisible qui est le véritable lieu, le point où tomberont toutes les figures. Les représentations. Comment rendre compte, comment ? En écrivant. En écrivant caché.

Ce que rappelle Minière regardant Pascal, c’est que l’acte d’écrire ne se peut sans dissimulation, qu’il faut tenter l’expérience de la pensée, aux contradictions qu’elle met en jeu (en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées, rappelle Minière citant Pascal), pour faire advenir ce qui est perdu, insensé. Page blanche, la page 28 du livre : poésie pure, instant pur, vérité comme concept de la seule pensée. Pascal écrit par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. Ainsi il faut écrire sous le manteau, de peur que l’écrit séduisant la pensée échappe : ce que fait Pascal cousant des bouts de papiers dans la doublure de son vêtement, pour s’habiller de la pensée trouvée (sauvée ?). Les fragments, fragments de pensée brassés entre cœur et laine par Pascal, offrent la possibilité de fuir la ligne droite, figure de l’impossible, d’inventer une géométrie du hasard. De refonder l’espérance. Probablement l’espérance… Le point.

On ne peut manquer de VOIR chez Minière, littéralement, l’approche spatiale posée par Pascal, par Mallarmé ensuite, de l’objet littéraire : la page blanche, les espacements différenciés : « Les pensées se suivent et sautent », écrit Minière. De même la pensée écrite. Mallarmé dans Un coup de dés jamais n’abolira le hasard renvoie lui aussi la métrique classique — qu’il aime mais que la réalité brouille —, et fonde une nouvelle métrique faite d’espaces conjugués, d’une nouvelle syntaxe, d’une enflure typographique. Minière note que « l’écrivain préfère répéter dans une variation, que Pascal pratique une méthode de digression sur chaque point qui a rapport à la fin pour la montrer toujours ». Lorsque Pascal écrit sa pensée, il pense son écriture, et si la pensée fuit, il ne tient qu’à connaître son néant. Point de maquillage, « écrire sa pensée est courir légèrement au-dessus du néant ». Mais le silence des espaces infinis est effrayant, et l’écriture sauve en sonnant.

L’ouvrage de Claude Minière brasse récit, biographie, histoire, réflexion personnelle autour de Blaise Pascal, son œuvre ; il porte la marque de feu de l’acte d’écrire. Il s’articule autour d’un bref chapitre qui fixe le prix d’une course au tarif unique (une idée de Pascal pour un transport en commun à Paris au XVIIe siècle), métaphore du prix à payer, identique pour chacun, du passage de la ligne au point (de l’écriture convenue à l’Art pour l’écrivain) ; c’est une bascule dont l’issue est dans un coup de dés. Retenons notre souffle. Le hasard est maître (mètre), le dé roule et découvre le nombre. Si le hasard appartient à la certitude, Claude Minière suggère qu’une main providentielle le guide.




Richard Taillefer, Nous avons fait semblant et autres poèmes

 

Nous avons fait semblant d'être vivants. Nous nous sommes levés chaque matin avant l’aube. Toujours la même usine, par le même chemin. La porte de service, avant qu'elle ne se ferme.

À peine quelques mots. Le café a bon goût pour nous donner du jus. Parfois on souffre de savoir que la vie se poursuit. Cette angoisse qui vous prend à la gorge.

 Pouvoir en rire effrontément.

On s'évade alors dans des rêves que l'on sait impossibles. Singapour au petit jour. La couleur vert émeraude, de l'eau glacée des gorges du Verdon. On n'ose le corail des Maldives, ni Zanzibar au soleil en plein mois de juillet.

Ce soir, nous retrouverons notre pavillon de banlieue
et le jardin clos.

 Une parcelle de nous de toi et de moi !
En jachère d'horizon et de lumière

Richard Taillefer. Nous avons fait semblant.

 

∗∗∗∗∗∗

Marche à vue

Tu marches à vue depuis trop longtemps, le long de cette voie de chemin de fer, entre Charenton et Laroche-Migennes. Isolé dans la cabine de ta Loc. BB 8100 années 60.
Tu fais front avec les éléments extérieurs. En manque de puissance pour tirer le fardeau d'un patachon bien trop lourd. Surcharge inopinée qui dévaste ton crâne en rupture de toutes ces petites choses qui partent à la dérive.

Ce train-train de la vie
Qui te poursuit sans relâche.
Instants de solitude, à broyer du noir.

Ta main arrimée au manche d'un H7A foudroyant, rythmé par les échappements d'air comprimé à te crever les tympans.

Tu refoules en aveugle, manœuvres à contre-sens sur des aiguillages imaginaires, de gare en gare, de faisceaux en faisceaux improbables.

Tu finiras bien au bout de la nuit cet itinéraire sans horaire programmé par acheminer ton MA 80 au port de tes intempéries

 Parfois je pense à toi que je retrouverai à mon retour.
Un soir ou un matin comme tous les autres
Le café encore chaud sur la table de la cuisine.
Un post-it collé sur la porte du frigidaire.

 À demain peut-être !

Richard Taillefer. Marche à vue.

 

∗∗∗∗∗∗

 

Tu seras là

Tu seras toujours là. J’attendrai en vain ton retour qui ne viendra pas. Les armes se tairont. Demain naîtra un jour nouveau.

 Maintenant mon sac est léger.
J’emporte avec-moi ton visage
Qui jamais ne s’efface.

Je vous ai tant aimées, Ô Lili, Ô Marlène, Ô Lydia Lova, ma mère, toi la belle polonaise. Trop tôt disparue. Toi la résistante, capturée et envoyée au camp de Ravensbrück, brisée par la folie des hommes, de cet homme, "Le docteur Hans Gerhart", ce médecin boucher, ce clinicien de la mort programmée.

 « We will create a world for two ».

Je me souviens de cette loge des Folies Bergères où gamin pas plus haut que trois pommes, je gambadais au milieu des filles magiques au corps nu et toi tu dansais, dansais sur la scène de la rue Richer.
La vieille lanterne s’allume encore et m’accompagne par tous les chemins de galère. Le mur qui nous séparait les uns des autres est tombé.
Oubliés « la femme des ruines », l’enfant orphelin livré à lui-même, la faim sur les os, abandonné comme un chien.

Dans le brouhaha de Berlin
S’élève un impossible rêve.

Blücherplatz, de jeunes gens colorés, défilent tout le long d'un immense carnaval des Cultures underground.
Entends-tu, depuis ton drôle de vélocipède, cette musique Pop/Techno parade et cette folle clameur des marteaux piqueurs, bramer un air fragile de liberté ?

« Notre part de nuit nous égare parfois. »
La mémoire n’est pas qu’un détail.

Richard Taillefer. Tu seras là.

 

∗∗∗∗∗∗

Que vienne la pluie

Que vienne la pluie cogner aux carreaux de nos silences ! La nuit contre le jour dans la prophétie des ombres.

La sale poussière grise a recouvert les siècles de ses drames. De blancs ossements parsèment encore les camps de la mémoire.

On dit : « Voilà le printemps » ! Souviens-toi, nous étions hier de jeunes gens, les yeux ouverts sur les autres. Jeunesse, retrouvez vos couleurs. Fuyez le matin les tigresses féroces, fuyez le soir les énormes serpents.

Ils aiguisent leurs dents
Pour vous sucer le sang.

 Document officiel en main, ils crient " il faut les rejeter à la mer". A cette pensée, la honte me monte au front.

Plus je les sens forts, plus mes poings se serrent. Le sentier aux monstres simples et triomphants est recouvert de mousse brune.

Où sont ces papillons
Qui habitaient nos rêves ?

 

Richard Taillefer. Que vienne la pluie.

 

 

 

 

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

Il y avait bien une gare.

Il y avait bien une gare. Une femme, seule au milieu de nulle part. Sans rien dire, sans penser, dans le silence de la nuit, elle erre poussant un caddie rempli du peu de chose qu’il lui reste. Un survêt usagé, rouge et noir, une paire de baskets Adidas trouvée dans une décharge de la rue de Charenton.

Les trains, elle les voit partir et s’éloigner emportant ses rêves d’autrefois. Elle était venue d’Afrique pour découvrir Paris et ressentir un air de liberté. Comme toutes les mères du monde, elle a versé toutes ses larmes quand son enfant dans un trou fut jeté comme un chien.

Vers deux heures du matin, les agents de surveillance de la SNCF fermeront les grilles d’accès de la gare, comme tous les jours, elle échangera quelques mots plein de gentillesse avec les vigiles au corps taillé dans le marbre. Sa nuit, elle la passera par un allez retour, d’un terminus à l’autre, sur le siège d’un bus, sous le regard protecteur du conducteur de la RATP.

Ainsi va sa vie, dès l’aube vers les 5 heures elle retrouvera le hall de la gare de l’Est. Son petit univers à elle, comme elle dit.

 Avec ce sourire qui ne la quitte jamais et qui vous traverse de part en part, ce qui nous reste d’humanité.

 

 Richard Taillefer. Il y avait bien une gare.

 

Présentation de l’auteur




La série PO&PSY dans Recours au poème




Articles à propos de la revue Traversées




Écrire vers le bas : réflexions sur le prosaïsme de la poésie québécoise actuelle

Je ne sais pas quelles facultés on prête encore aux poètes. Depuis deux cent ans, mon poète intérieur (j’imagine que nous avons tous un peu le même) a du mal à supporter sa propre image, et maintenant, c’est l’évidence, personne n’oserait revendiquer (à haute voix) les pouvoirs qui en faisaient autrefois un être magique, voyant.

Les romanciers sont plus facilement en accord avec leur ascendance, surtout quand ils réveillent Don Quichotte, sans doute parce que Don Quichotte ne représente aucune autorité dont on pourrait se réclamer, sinon justement celle de son déclin, de sa caricature, alors que les poètes ont besoin encore (on en reviendra peut-être un jour) de se cacher l’auréole, comme si une image leur collait à la peau dans laquelle ils ne veulent pas, ne peuvent pas se reconnaître. Des exemples ? Pourquoi pas le poème d’un poète assumé, un géant discret, Pierre Morency :

 

Pierre Morency, à la Nuit de la poésie, en 1970.

Je n’ai jamais non jamais
Marché d’ahan
Jusqu’à ton ciel
Mais voudrais bien le voudrai toujours
Pisser debout
Jusqu’au bout
De mes jours.1

J’y lis une déclaration d’amour à la pesanteur, l’orgueil assez rare d’être un simple Terrien, qui choisit d’être mortel (et de pisser fièrement) comme certains héros de l’ancien temps préféraient un repas chaud à une promotion chez les dieux.

Ce vieux serment, la conversion des mages à la mortalité, l’engagement à ne pas nier la condition terrestre, j’ai cru le retrouver chez Michaël Trahan, quelque part dans La raison des fleurs : « je n’appelle pas l’énigme ou la figuration d’un monde obscur », ainsi commence une sorte de déclaration d’humilité, un parti pris pour le multiple, les choses périssables que personne ne remarque : « un train, un morceau de vitre ramassé par terre, une feuille, un bloc d’émeraude ou de lumière, un regard, une rencontre, un désir inassouvi », et l’inventaire continue, il pourrait continuer sans fin. Mais voilà une fleur dans laquelle tout cela se résume :

 

La blessure jetée au feu, jetée
dans la terre – la fleur,
l'histoire d’une fleur,
l’histoire d’une fleur qui dort
l’histoire d’une fleur dans le miroir,
l’histoire d’une fleur morte
et enterrée.2

 

 

UN POÈME POUR TA VOIX est constitué d'une série de sept capsules vidéos mettant en vedette huit jeunes du Collège Jean-Eudes en concentration théâtre au 3e secondaire. Ces huit jeunes ont prêté leur voix et leur talent au choix de poèmes de l'écrivaine Annie Lafleur, avec la complicité de leur professeur et metteur en scène, Hugo Turgeon. Les capsules vidéos ont été filmées par le photographe et vidéaste Alain Lefort au Parc du Portugal et à la Librairie Paulines à l'hiver 2017. Ici Guillaume Legault lit un extrait de Nœud coulant de Michaël Trahan.

Rien qu’une fleur, mais en même temps une histoire qui cherche un dénouement, le symbole d’une blessure prête à retrouver la terre. Je me souviens que, quand Geneviève Amyot lisait ses poèmes, sa voix nous creusait jusqu’à la blessure première, on devenait automatiquement plus vrais d’entendre une aussi grande faiblesse en partage, et je ressens cela maintenant dans cette fleur qui désarçonne. Qui me dit : je suis la beauté mortelle, la beauté jetable, et toi aussi.

Oui, mais remarquons aussi à quel point le poème est en contradiction avec lui-même. Alors qu’il renonce dès le début à nommer l’énigme et le monde obscur, il nous laisse au bout du compte avec un secret dans la main, un élément qui détient tout, dirait-on, sans qu’on puisse dire ce qui fait justement la raison des fleurs, ce monde ou cette logique obscure dont la fleur est le fruit. Alors qu’il semble opposer l’énigme et la blessure, renoncer à l’une pour mieux épouser l’autre, j’ai impression qu’il m’invite ensuite à les voir l’une dans l’autre, pas seulement parce que la blessure est elle aussi une énigme qui nous attire dans l’obscurité, mais parce qu’elle ne peut qu’être liée à la perte. La perte de quoi ? Mystère. Quand le regard se tourne vers la blessure (car nous sommes des êtres blessés), on dirait qu’on s’enfonce et c’est vrai, mais on est aussi en train de remonter le courant. Trahan écrit d’ailleurs, un peu en amont : « La raison des fleurs est leur secret. Le secret est lié aux pierres. C’est le blanc du cœur.3 » Plus on descend dans le multiple, dans une fleur, plus on remonte à la raison des fleurs, plus on creuse l’énigme, la source (il faudrait ici un adjectif, mais c’est une sorte de Protée qui m’échappe) du réel. La légende veut qu’on s’apprête ainsi à voir d’où sortent les atomes de fleurs et de montres brisées. C’est cela qui peut, qui veut devenir conscient.

 

 

Ce n’est qu’un exemple, un beau. Il est clair que la poésie contemporaine peut descendre encore plus bas. Je ne dis pas cela péjorativement. Je pense que personne ne prétendra le contraire : depuis quelques années (ou depuis Baudelaire, William Carlos Williams, Francis Ponge, Patrice Desbiens…) le bas a un coefficient poétique nettement plus élevé que le haut. La poésie se donne probablement l’impression d’être plus véridique en tournant le dos aux alibis, à la grandeur illusoire, aux refuges. Le dernier rôle qu’elle voudrait incarner est le corbeau Moïse, dans La ferme des animaux, qui croasse l’oubli de nos malheurs en faisant miroiter un endroit magique au-delà des nuées, Sucrecandi.

Et pourtant, je ne sais pas pour la résolution de tous les conflits sur Terre, mais la paix, la joie existent, et ne sont pas moins illusoires ou passagères que les tourments. En réalité, ce n’est ni la joie ni les tourments qui nous attirent par en bas – peut-être simplement qu’on nous a menti sur le haut, qu’il nous a déçu, qu’il ne reste plus maintenant que la direction inverse, l’entrée volontaire dans le dépérissement qu’on redoutait. C’est une citation que j’ai égarée (j’ai même lancé un appel sur Facebook…) mais je me souviens d’une jeune poète qui parlait d’un ciel qui n’a pas à descendre dans la main, qui peut bien rester là-haut. Elle n’est pas la première à tourner le dos au ciel, même les mystiques ont souvent trouvé plus sage, pour monter au ciel, de renoncer à son idée, à son fantasme. À même son incertitude, le bas semble en effet plus sûr, c’est la voie du concret, le refus des mirages, ce n’est pas un endroit où partir, c’est l’endroit où l’on est. La poésie, du moins celle qui s’écrit vers le bas, ne veut pas foncièrement être heureuse. Elle veut ne pas mentir. Elle veut vivre, et vivre d’abord par le sentir. Elle veut toucher quelque chose dans un grand flou.

Je crois qu’elle aspire au fond à cette chose proche et imprenable : la vie tout court. On peut imaginer l’aventure de l’imaginaire québécois comme la concrétisation inachevée d’un esprit dans le temps, une très lente entrée dans la matière. Il fut un temps, à la fin des années 1950, où le journal Le Devoir invitait les écrivains à se prononcer sur des questions essentielles, et chaque fois on revenait au diagnostic d’Anne Hébert : « Quand il est question de nommer la vie tout court, nous ne pouvons que balbutier.4 » C’est un vieux thème, au Québec et en Occident, l’irréalité. Ce qui m’étonne, dans cette tradition que  Pierre Vadeboncœur appellait « le lieu de notre irréalisme5 », c’est qu’elle a concerné d’abord les choses ordinaires. Les vieux monseigneurs n’étaient peut-être pas les plus dégelés de la boîte, mais eux aussi avaient remarqué un décalage au premier degré. Au début du 20e siècle, Camille Roy lui-même partageait déjà l’impression d’Hébert : « Le poète et le romancier restent trop souvent à la surface des choses ; ils ne savent peut-être pas assez voir avec leurs propres yeux ; ils ne touchent et ne palpent pas assez eux-mêmes les êtres et la nature qui les entourent.6 » Évidemment, le régionalisme ne fera pas mieux qu’Émile Nelligan, l’aîné tragique, il fera pire, et toute une tradition de lecture s’efforcera ensuite de découvrir le vrai visage de cette ascendance glorieuse et/ou fantomatique. Dans Il fait un temps de bête bridée, Mathieu Simoneau revient sur cette lignée silencieuse et tristement bouffonne :

 

 

le silence est un vieux hit
que nos ancêtres
dansaient jusqu’à la mort7

 

 

Queen Ka lit un extrait de Là où fuit la lumière du jour de Rose Eliceiry.

L’image fait sourire, mais ici, le sarcasme est attendrissant. Il nous rattache à « l’héritage de la tristesse » dont parlait Miron, la « tristesse atavique8 » dira Hugo Beauchemin-Lachapelle. Visiblement, nous sommes toujours équipés pour la ressentir. On la découvre encore en soi, comme Rose Eliceiry :

nous sommes d’une race sans figure
n’avons pour héritage que la fuite du monde
peu importe maintenant si nous ne bougeons plus
si nous ne pleurons plus
nous avons rattrapé le silence des ancêtres9

 

Ces quelques lignes n’ont pas d’époque, pas de nationalité, elles auraient pu être écrites dans les années 1960 ou en 2012, à Montréal ou Wapekeka. Mais comment ne pas y reconnaître aussi l’âge du silence canadien-français, l’héritage de la fuite, de l’illusion grandiose et de l’immobilisme ? Ce n’est pas pour rien si la modernité québécoise se fondera sur la nécessité de percer à jour les subterfuges, de rejoindre la réalité concrète, de prendre voix. Car Hébert, avant d’inviter ses contemporains au Réel absolu, parlait simplement d’ouvrir une porte, de nommer la honte, l’hiver, la vie qui va là... Poète mystique, Fernand Ouellette disait un peu la même chose : « N’étions-nous pas que des ombres ayant perdu tout contact avec le réel ?10 » En fait, sans refuser l’énigme et les mondes obscurs, ces écrivains pensaient que la recherche des fondements exigeait de se détourner du haut, de consentir au poids du corps et au multiple, de passer par les chemins qui mènent au parc, à l’ouvrage. Toutes les quêtes d’absolu des personnages de roman d’Après-guerre étaient là pour en témoigner : le risque était de se désengager plus encore de soi-même et du monde.

C’était du moins le pari des modernes, leur promesse : affronter délibérément l’irréalité finirait par nous réaliser, nous mettre au monde. La question n’est pas de voir si la promesse a été tenue (je ne pense pas qu’elle finira jamais de l’être), mais simplement de nous demander si nous y croyons encore. Je doute que nos contemporains soient engagés avec autant de ferveur sur une voie libératrice, ça dépend des démarches, mais il est absolument certain que la poésie s’écrit plus que jamais dans la direction du moindre. Au début du siècle, un poète sur le motif, Albert Lozeau, appelait ça « une prédilection pour le fini11 ».

C’est pourquoi cette poésie demeure très désinvolte (parfois un peu ostensiblement) avec les images de la consécration – la pureté, le sublime, l’éternité… – comme si on risquait encore de sombrer dans le séraphisme. Les immortels comme Villon ou Rimbaud, on les invite à prendre un drink, on imagine Nelligan dans son premier char (en général, les poètes d’aujourd’hui préfèrent René Char à Vincent Voiture...), on avoue sans problème que « chaque matin prend une éternité / à s’écrire / comme du monde12», qu’on a « jamais su écrire comme il faut13 », qu’on fait « semblant d’écrire un bon livre14 », qu’il vaudrait peut-être mieux « scrapper tous [s]es poèmes15 » au lieu de publier des inepties : « si tous mes poèmes ressemblent à des statuts facebook / c’est sûrement parce que c’est tout ce que je fais de mes journées16 ». Difficile de critiquer une poésie qui n’a aucun mal à se ridiculiser elle-même. Ça se veut évidemment tout sauf une convention socialement acceptable, mais ça représente assez bien ce qu’on aime entendre dans les soirées de lecture depuis quelques années. Et quand je lis : « oh non / j’ai écrit estie / je n’aurai pas le prix émile-nelligan17 », je souris, la provocation sonne plutôt bien. Ce serait déjà une bonne raison de rêver à un prix, si (comme je le répétais aux étudiants en création littéraire, pour ne pas les décourager) les prix servent à récompenser les œuvres qui correspondent puissamment au goût de l’époque. Moi qui observe le regain d’engouement pour la poésie, de mon village dévitalisé des Appalaches (on a les poses qu’on peut), je me dis que l’institution se porte bien, si elle engendre des effets de mode à contre-courant, une mondanité off. Les normes ont bien changé… « Il est fini le temps des poèmes étincelants18 », écrit Simoneau, ce « beau poème blanc / pacifié de nos déchirures19 » que l’on récitait à voix profonde.

 

 

Gaston Miron, Le Temps de toi.

Or, même avec toute l’autodérision, tout le détachement du monde, la poésie répond d’une vieille exigence. Elle est plus que jamais soumise à un principe d’authenticité. Elle doit s’enraciner dans son contraire, aller vers ce qui la tue. Simoneau évoque d’ailleurs le « non-poème20 » de Miron, qui désignait ainsi les conditions de l’inachèvement collectif, tout ce qui avait fait de nous (je parle du Québec, mais c’est aussi l’humanité qui parle) des spectres agités :

 

Le non-poème
c’est ma langue que je ne sais plus reconnaître
des marécages de mon esprit brumeux
à ceux des signes aliénés de mon irréalité21

 

L’errance, le mal parler, l’incoïncidence à soi, au monde, la confusion, je nous reconnais là encore, je n’ai pas de mal à sentir la fatigue du « non-poème » un peu partout. On dirait même que les forces négatrices se sont multipliées ; elles viennent de plus loin que l’horizon du pays. Mais là où Miron se braque, clamant que « le poème ne peut se faire que contre le non-poème », je nous trouve moins dans l’insurrection. La poésie guerrière n’est pas morte, elle rebondit chez François Guerette, Daria Colonna ou Annie Lafleur, mais dans bien des cas, je ne sens pas qu’on pourrait dire : « Le poème ne peut se faire qu’en dehors du non-poème.22 » En fait, on nous propose exactement le contraire – écrire à partir du non-poème, peut-être même le fertiliser. On se croirait installé dans le désoeuvrement, la prose des jours. La voie mironnienne était une voie héroïque, elle plongeait dans l’abîme pour nous en déprendre ; la voie prosaïque est moins une voie qu’un aménagement, une manière assumée d’habiter dans la brume. L’humiliation est revendiquée avec une sorte d’indolence, comme une chose assez normalisée, dilatée dans le temps :

 

J’oublie
ma tête
j’oublie
de grandes choses
ma tête est encore en vacances sur une plage
je ne la trouve plus
je suis revenu
mais je ne la trouve plus
mourir demande du temps
je déboule les escaliers
depuis mes 12 ans23

 

Gaston Miron, Les Années de déréliction.

Jean-Christophe Réhel a inauguré pour moi une nouvelle catégorie d’écrivains, les rois de rien, les chiens dans les jeux de quilles, j’ai même lu, dans une critique : on a juste envie de le prendre dans nos bras. Pas de doute, c’est bien l’autodénigrement mironnien, la tête de vie qui fait défaut, mais un humour pathétique aussi généralisé est beaucoup plus proche de L’hiver de force de Réjean Ducharme : « la moindre des choses est de m’engager dans la fatigue24», écrit Réhel. On retrouve le même détachement chez Frédéric Dumont :

 

cette journée est beaucoup trop universelle pour moi
cette histoire de nuage me rend modeste
je ne peux pas sortir du lit dans ces conditions25

 

Frédéric Dumont, Volière (Hochelag).

Et le même empêtrement qui ne finit plus, le même refus ou l’incapacité de participer aux soulèvements, la même dérision généralisée, la même tendresse. L’irréalité a ici quelque chose de réalisée, c’est un habitat naturel, on l’épouse comme on prend un logement dans le gris, là où la beauté est plus rare, moins reconnue, moins vendable.

Écrire vers le bas, avec le sentiment subtil de ne pas exister vraiment, avec un pied dans les limbes, une moitié de soi qui n’est pas matérialisée, restée dans une abstraction normalisée, dans une présence absente ordinaire, réduite à la simple expression… J’allais faire un lien avec le Mauvais pauvre de Saint-Denys Garneau, mais ces poètes-là sont plus risibles, plus proches du narrateur du poème « Un bon coup de guillotine » (le dernier de Garneau) avec sa « tête de fou » posée sur le rebord de la cheminée. Non pas une colonne dépouillée, irréductible, plutôt un être nébuleux, désaxé, un nuage rempli d’écairs de chaleurs, coupé de son propre corps : « je me plie tout croche / dans n’importe quel tiroir26 », écrit Mathieu K. Blais. Il passe devant le miroir pour s’assurer d’être là. Même les repères les plus sûrs (ceux qu’on voit dans le miroir) ne tiennent pas le coup :  c’est « comme si nous étions des fantômes / au milieu de cet espace vidé de nous27 », écrit Beauchemin-Lachapelle, et Geneviève Boutin : « Serais-je / un fantôme / une fixité ?28 » L’irréalité frappe les plus expérimentés d’entre nous, toujours au premier pas de la grande inconnaissance : « Je ne sais plus ce que signifie avoir un visage, avoir une histoire, et je me penche vers l’herbe glacée pour y chercher mon ombre.29» C’est presque la voix (pourtant très personnifiée) d’une absence au monde. Et aussi l’expression d’un désir d’être, qui n’est pas nécessairement en contradiction avec cette absence, qui s’écrit à partir d’elle.

Car il ne s’agit pas d’être plus, d’accumuler de la puissance, mais d’être enfin là où l’on est. L’existence devient alors une aventure assez discrète, la recherche quotidienne de points de contact :

j’aimerais écrire doucement
avoir du vocabulaire sans me sentir traître
m’incarner
le plus que je peux donner
ici
je veux trouver le réel30

 

Maud Veilleux, This is the present in drag.

Mais voilà : quelque chose dans cet acheminement vers le réel nous porte instinctivement vers un saisissement limite, la rencontre avec une « altérité totale31 », comme l’appelle Maude Veilleux. Elle parle ici d’une flaque de sang sur le plancher d’une usine, elle voudrait se télécharger dans la tête de l’employé qui doit nettoyer les restes après un accident. Et l’on s’aperçoit des avantages de n’être pas grand chose, de pouvoir se glisser comme un fantôme dans les consciences et les situations, un peu comme Mathieu Arsenault accoudé au bar avec son téléphone, dans Le guide des bars et pubs de Saguenay. Là encore, on sent l’attrait d’une altérité totale, l’attrait des bords du représentable, et c’est justement là (dans une sorte de virginité brutale) que l’art au sens large cherche à « entrer en relation avec le réel ordinaire.32 » Le téléphone portable devient la nouvelle technologie de la poésie directe, rendrait possible une captation pure. La difficulté est bien sûr d’observer les formes de la beauté locale dans leur habitat naturel, autrement dit de laisser le monde à son être. Artiste in situ dans un bar de Chicoutimi, créature dissonnante, Arsenault sait très bien qu’il va devoir passer inaperçu, et l’écriture téléphonique apparaît comme un moyen idéal pour voir sans être vu, pour entrer dans la vie sans soi.

« Pour entrer dans l’intimité des choses, écrivait Roland Giguère, se faire infiniment petit.33 » Je reconnais la même humilité chez Réhel, dans sa volonté de s’enfouir dans le moins du monde. C’est comme si le retour à la vie n’était possible que par un exercice de miniaturisation :

 

 

je veux vivre dans le bruit des feuilles
vivre dans tes courbes
vivre dans les reflets
vivre dans chaque reflet34

 

 

Jean-Christophe Réhel, extrait tiré du recueil La Douleur du verre d'eau.

La contradiction est de parler sans cesse de soi-même (ce que je veux, moi, pour vivre) tout en voulant réduire ses propres dimensions. Et c’est pourquoi l’autodérision est si précieuse. Plus l’image de soi rapetisse en effet, plus la réalité se met à exister plus fort, plus on est confronté à des banalités qui en mènent large, les « petites choses mondiales35 » dont parle Handke. Et comme elles n’ont rien de trop sublime, on peut s’étendre dans cette intimité des choses, la déplier dans toutes les directions, la développer comme une journée très longue. Alors, c’est presque le temps du roman, le temps de la prose. Le temps qui ne finit pas des canicules :

 

j’aime la peau visqueuse cette langueur c’est
comme vivre dans un hammam ou
se trouver tout entier dans un vagin qui t’aime36

 

C’est beau, ça frôle le ridicule, mais les gens ridicules (et qui le montrent) nous libèrent de nous-mêmes souvent plus en profondeur que ceux qui ont le couteau entre les dents. Il y a des moments où, comme au temps de Lozeau, on peut dire simplement j’aime sans chercher à vendre, sans vraiment croire à la force d’une image, et dans ce détachement donner la sensation du monde et d’en être.

Nous touchons là au moment où la perspective « hyperréaliste37 » se fait prendre en délit d’enchantement. C’était sans doute inévitable ; le mouvement ne s’est jamais contredit ; il s’agissait encore de descendre, de s’amoindrir, et la saleté s’est mise à briller. Même dans l’existence ultraprogrammée du narrateur « propre et fatigué38 » de La main invisible, l’ébahissement d’une certaine lumière est un accident possible :

 

j’attends l’autobus la lumière
est d’une beauté bouleversante le savent-ils
voient-ils sont-ils capables de mesurer leur chance
le monde est un spectacle gratuit et éternel39

 

On n’est pas loin de l’effet haïku. Mais les haïku apparaissent ici dans une trame prosaïque distendue, nonchalente, et haletante à la fois. Ils marquent un temps mort dans une anxiété générale, un point d’eau, le déclic de la réalité touchante, le croisement parfait du déclin vers le sol (ou le sofa, ou la mort) et d’un influx de grâce.

Il n’y a donc pas de contradiction entre une invocation très humble, du genre : « je ne demande presque rien / un chat éternel / une journée, bb » et, dans le vers suivant : « l’infini / tout40 ». Mais chez Veilleux, ces moments-là sont presque inexistants, et cette anémie est créatrice, elle enchaîne les « petits poèmes sur mon incapacité / à entrer en relation avec le monde41 ». L’explication pourrait tenir en deux lignes : « hier, j’ai trouvé un bout de papier collant dans mon vagin / le flow est un état mental que les anxieux ne vivent pas full42 ». Voilà un beau détail troublant, une sorte d’écharde oubliée, une poussière dans l’œil, un corps étranger qui me fait étranger à moi-même. On est ici dans le solipsisme, on s’épuise à répondre aux besoins d’une instance intérieure qui veut sans cesse, on aboutit toujours au même tête-à-tête étouffant entre soi-même et soi. On comprend le désir d’une altérité totale.

Comment sortir du rabattement quotidien, ce fond normalisé de désespoir, assez répandu ? J’ignore comment on peut nous en divertir aussi efficacement par tous ces dispositifs, tous ces rituels qui n’apportent finalement que du confort et l’illusion momentanée d’offrir une maison à son âme. Heureusement, la poésie qui s’écrit vers le bas est attirée par l’absence éclatante de la poésie. Charles Dionne la rencontre dans les appartements sécurisés, les sites de rencontre, une anxiété de l’ordre et de la propreté, Judy Quinn dans les banlieues américaines du Québec moderne retro :

Ce que nous appelons la matière morte
est aussi doué
de représentation soutenait Leibniz
qui pourtant n’est jamais allé
au 626 rue Hector-Fabre
pour coller des fausses feuilles
sur des couronnes de plastique43

 

Tombeaux pour les lieux, Rémy Bélanger de Beauport, violoncelle, Judy Quinn, textes.

La couronne de plastique est sans doute moins percutante qu’une flaque de sang dans une usine, mais on saisit bien la même altérité, le monde vide de sens, la déréalisation banale, en même temps qu’une intrusion de la matérialité du monde dans le poème. Une sorte de fausseté ou de mirage civilisationnel apparaît d’un coup, mais cette reconnaissance a quelque chose de lucide, de libérateur, elle nous fait un peu plus conscients de l’irréalité ambiante. C’est bien la solastalgie dont parle Antoine Boisclair, le sentiment que « tout se transforme, s’uniformise, s’appauvrit », cette « conscience malheureuse » que les lieux nous imposent tranquillement, et qui rend les Starbuck si mélancoliques :

 

C’était potentiellement partout simultanément
quelque part dans l’univers interconnecté.
Des êtres sans visage accoudés au comptoir
consultaient leur écran avec un air de qui sait tout.

Dans quel Starbuck de quelle ville a lieu cette scène ?44

 

Comme chez Quinn, on est frappé ici par un décalage entre les premiers vers et les suivants, entre une perspective élargie, fondamentale, et l’abstraction du réel immédiat. Et toujours cette routine étrangement mêlée d’indifférence et de petites obsessions qu’on reconnaît un peu partout dans les recueils et autour de nous. Elle n’est pas sans évoquer la répétition soporifique du Samsara, ou carrément l’Enfer, qui veut simplement dire « en dessous » :

l’enfer
en quelques mots

y
vendent 
des 
bagues
de
mariage
chez Costco45

 

Comment nier, d’un poème à l’autre, le constat d’une forme de désacralisation ? La poésie doit aller là aussi, c’est clair. Dans la conformité ambiante, elle ne peut faire autrement que pratiquer ces « trous de voyeurs pour regarder l’enfer » dont parlait Josée Yvon – qui ne pensait sûrement pas devenir la « grand-mère poétique46 » d’une trâlée aussi vaillante –, ces trous qui permettent à « la défection du minuscule quotidien47 », au « beau désespoir étalé presque correct », à la « commotion monstrueuse des franges de l’intimité » d’être vues, peut-être même aimées. Quand ces écrivaines-là parlent de ce qu’on trouve dans leur vagin, de la grâce des garces, de « l’art de boire sans soif », d’une « quenouille qui s’agite habituée d’écrire à la noirceur », de « l’eau bénite moisie », j’ai l’impression d’entendre un jardinier présenter amoureusement ses fleurs toxiques. Dans La dévoration des fées de Catherine Lalonde, après avoir quitté sa famille pour vivre la grande vie à Montréal, la « petite » retrouve Ginette et les autres ( les filles-missiles d’Yvon, devenues ici des « princesses métal » accotées avec des Black, des crackés, tout un « bataillon mirifique de caboches de kids et de chaos ») dans un éloge absolument lyrique de la parenté profonde qui relie tous les inadaptés du système d’exploitation : « car nous sommes tous splendeur dans le silence soudain, dans le taire de cette chorale à mille bouches nous sommes splendeur […], dans le silence avalant nous sommes une asonie rare.48 »

Rendu au tréfond du manque et de la défonce, il est quand même étonnant de rencontrer cette ouverture sans condition. On croit redécouvrir que l’amour peut vraiment tout inclure. Est-on si loin de la grande étendue qu’on l’imagine ? N’oublions pas qu’au fond de l’Enfer de Dante, pour remonter en surface, inutile de remontrer les cercles un après l’autre : c’était sans doute plus commode du point de vue narratif, mais entre les jambes de Satan, une petite porte est découpée, qui mène directement sous les étoiles. Patrice Desbiens en parle dans un poème d’En temps et lieux :

 

On l’a trouvée
étendue
sur la frontière
entre le Ciel
et l’Enfer.

On n’a jamais su 
si elle essayait
d’entrer
ou de
sortir.49

 

 

Patrice Desbiens, Casse tête, extrait de Sudbury.

Cette ombre à la fin inexpliquée, elle me fait penser aux ombres de Josée Yvon, de Denis Vanier. Ce qu’il y a de beau dans leurs poèmes, c’est précisément cette frontière à laquelle on est sans cesse ramené, le point d’indistinction du haut et du bas, l’envie soudaine « d’embrasser les bouches haineuses de la quiétude », de s’enfermer « dans la grande poubelle qui mène au ciel50 ». On est constamment devant une ambivalence oxymorique, on se demande s’il faut échapper au Ciel ou à l’Enfer, on arrive à « la plus pure horreur zen51 », à « l’illumination par déchéance52 ». L’abjection apparaît comme une aumône, la commotion réveille.

Dans une entrevue avec Dominic Tardif, Jean-Sébastien Larouche, l’éditeur de l’Écrou (depuis quelques années délégué aux cercles du sous-sol), a parlé aussi du fond lumineux du baril : « Il y a quand même une lumière quand t’es au fond, tu la vois tout le temps, c’est juste que t’as aucune idée comment faire pour réussir à grimper pis à sortir.53 » C’est presque trop beau, n’est-ce pas, c’est comme ouvrir son cœur ou lâcher prise, mais avec les années, les oiseaux de malheur ont le don de nous humilier, on devient soudain moins arrogant avec les pensées du jour, on découvre que les moins que rien (que nous sommes) sont aussi des êtres de légende. Ce ne sont pas seulement des clichés, ce sont des implants mythiques, et la beauté de celui-ci est de reposer sur une proposition apparemment illogique, inversionniste. Elle nous dit que la lumière vient d’en dessous : « Elle est là, hypercachée en dessous d’un paquet d’affaires.54 » C’est donc l’Enfer qui est continuellement au-dessus, dans l’anxiété qui nous agite, désynchronisés du flow qui correspond au premier étage de l’existence.

J’imagine que tous les êtres humains ressentent un jour ou l’autre l’appel du plancher, l’abandon total aux forces du sol. Les premières pages, on les noircit au sol, couchés n’importe où. L’avantage de la désillusion, de ne plus savoir où aller, c’est qu’elle nous force à toucher terre. Ce n’est pas très divertissant, on se divertit pour ne pas se retrouver là, mais l’écriture vers le bas semble nous inviter à fixer le mur. Elle n’entrevoit pas d’allègement autrement qu’au milieu du séisme et de la platitude, elle nous libère dans le noir et non du noir. C’est à « Sainte-Amère-de-Laurentie, au cœur même de la hargne familiale et de ce qui l’a faite » que la petite effrontée retrouve une félicité ancienne : « Elle retombe en cet état où l’air et tous les tissus étaient mains caressantes et où tout autour était aimant ; l’autour de soie, simplement d’être, d’être en vie.55 » Elle « retombe », oui. Elle touche au fond du moi, au fond du réel. Le réalisme a débouché sur un idéal immanent, la réactivation d’une confluence.

Même dans l’urgence, dans la plus complète absurdité, même si tout est mis en œuvre pour nous déconnecter du Grand Tout, l’erreur serait de penser que l’insignifiance doit être comblée par du sens. Non, lisez Desbiens, vous verrez qu’elle a sa propre façon de rayonner :

 

Parfois on regarde
personne

on regarde dans
le vide

le vide nous
regarde

et

soudainement

un camion de

Hector Larivée
traverse notre
regard.56

 

C’est bien cela, le flow, n’est-ce pas, c’est comme une entrée dans l’atmosphère… Pas vraiment d’abjection ici (à moins de considérer le camion du spécialiste des fruits et légumes comme une abjection), la bassesse est ailleurs, on a l’impression que les portes de l’ascenseur viennent de s’ouvrir au degré zéro de la réalité. Nous voilà dans une épiphanie courante, on aurait envie de dire un bref moment de plénitude, mais non, c’est l’inverse, c’est la sensation intime que tout survient en pleine éternité.

Jacques Brault, Patience.

Mais que vient faire le camion d’Hector Larivée là-dedans ? Scrapper le poème ? Je n’ai pourtant pas l’impression d’une brisure irrévocable. Rien là de tragique, c’est même un peu drôle, c’est même l’élément qui vient nous éveiller au monde comme il va. L’altérité refait surface dans mon regard, la vue d’ensemble est focalisée soudainement sur un détail à contre-courant, l’asonie, un papier collant qui n’aurait pas dû être là, une couronne de plastique, mais l’espace du monde est toujours celui du regard, toujours un espace intérieur qui me regarde.

À ce niveau-là, c’est la « présence sûre57 » dont parle Pierre Nepveu, le point mort étrangement vivant, le dénominateur commun, le plancher universel. Je ne pense pas qu’on puisse descendre plus bas.

On pourrait l’oublier : Miron opposait au non-poème le poème comme « unité refaite du dedans et du dehors58 ». Il ne formulait pas autrement la fin de l’irréalité traditionnelle, le retour en soi du sentiment d’être « flush avec la réalité ». À le relire, cependant, j’ai l’impression de pousser avec lui la pierre qui me rendra libre, j’ai envie de lutter aussi contre l’isolement de tout un chacun, mais j’hésite à mettre des conditions aussi lourdes (l’indépendance du Québec, la fin du capitalisme, etc.) à la liberté conquise. Je vois là une contradiction, je refuse de refuser à la liberté son autonomie première. Si la liberté existe, elle ne peut que résister à tous les conditionnements, le nombre et la profondeur des blessures n’y changent rien. Ce qu’elle nous découvre est latent, inconscient, mais toujours déjà-là, comme tous les coups de fusils, toutes les télévisions allumées en même temps laissent quand même, à la fin, le silence intact. Elle invite à ne pas chercher de réalisation plus haut que le niveau des pieds, dans cela même dont on voudrait se libérer. « Je préfère que la liberté nous vienne d’en bas59 », écrivait Brault, et Miron encore, dans une lettre à Claude Haeffely : « Je crois que nous commençons à être une réalité et une présence. Et ça vient des pieds.60 » Une fois que le flow commence à monter des pieds à la tête, j’imagine qu’il est difficile de faire la différence entre les deux : la présence du réel est ma présence. Je suis là où je suis. Flush.

Ce n’est pas rien que « simplement d’être, d’être en vie », c’est fade au début, peut-être même insoutenable. Pascal aussi est passé par là : « Mais, ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui ; ils sentent alors leur néant sans le connaître ; car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable aussitôt qu’on est réduit à se considérer et à n’être point diverti.61 » Quand je relaxe un peu avec mes collégiens avant les cours, je les oblige à se sentir exister, à regarder dehors sans vouloir quoi que ce soit, je leur donne, comme instruction au tableau, deux vers de Louis-Jean Thibault :

 

Le seul feu à maintenir
Est celui de ton attention62

 

et beaucoup trouvent ça lourd. Je leur dis : oui, c’est drôle, nous avons du mal à supporter longtemps le fait d’être là, nous ressentons d’abord de l’insipidité, nous sentons notre néant sans le connaître, nous touchons probablement à cette blessure première qui nous donne envie de mourir, dans le poème de Trahan. Je ne parle pas du désarroi d’être au monde, mais de sembler coupé de lui, dès qu’on descend à son niveau, englué dans les états mentaux. Mais regardons la blessures, disent les poèmes, regardons la distance. Restons encore au premier étage, dans la bassesse originelle de la présence (j’imagine que nous avons tous un peu la même). Ce n’est pas comme si nous avions le choix. C’est forcément là que tout se fait, que tout arrive en même temps, la source des fleurs et des camions de légumes. Je ne sais pas dans quelle autre direction nous pourrions regarder si nous voulons voir dans quelle merveille nous sommes tombés.

 

 

 

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Illustration : Le Devoir - Y a-t-il un reboom de la poésie québécoise.

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Notes

[1] Pierre Morency, Grand fanal, Montréal, Boréal, 2018, p. 59.

[2] Michaël Trahan, La raison des fleurs, Montréal, Le Quartanier, 2017, p. 194.

[3] Ibid., p. 149.

[4] Anne Hébert, « Quand il est question de nommer la vie tout court, nous ne pouvons que balbutier », Le Devoir, 22 octobre 1960, p. 9.

[5] Pierre Vadeboncœur, « L’irréalisme de notre culture » [1951], dans Une tradition d’emportement. Écrits (1945-1965), choix des textes et présentations d’Yvan Lamonde et Jonathan Livernois, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Cultures québécoises», 2007, p. 41.

[6] Camille Roy, Essais sur la littérature canadienne, Québec, Librairie Garneau, 1907, p. 368.

[7] Mathieu Simoneau, Il fait un temps de bête bridée, Montréal, Le Noroît, 2016, p. 45.

[8] Hugo Beauchemin-Lachapelle, Stainless, Montréal, l’Hexagone, 2017, p. 70.

[9] Rose Eliceiry, Là où fuit le monde en lumière, Montréal, l’Écrou, 201

[10] Fernand Ouellette, Journal dénoué, Montréal, Typo, 1988, p. 34.

[11] Albert Lozeau, « Les Poésies d’Alfred Garneau », La Revue canadienne, vol. 53, no 1, 1er fév. 1907, p. 174.

[12] Mathieu K. Blais, Tabloïd, Montréal, Le Quartanier, 2015, p. 54.

[13] Charles Quimper, Tout explose, Montréal, Le Lézard amoureux, 2018, p. 75.

[14] Jean-Christophe Réhel, La douleur du verre d’eau, Montréal, l’Écrou, 2018, p. 11.

[15] Maude Veilleux, Last call les murènes, Montréal, l’Écrou, 2016, p. 68.

[16] Ibid., p. 54.

[17] Jean-Christophe Réhel, op. cit., p. 73.

[18] Mathieu Simoneau, op. cit., p. 39.

[19] Ibid., p. 49.

[20] Ibid., p. 43.

[21] Gaston Miron, L’homme rapaillé, préface de Pierre Nepveu, Montréal, Typo, 1996, p. 126.

[22] Ibid., p. 136.

[23] Jean-Christophe Réhel, op. cit., p. 102.

[24] Jean-Christophe Réhel, op. cit., p. 57.  

[25] Frédéric Dumont, Je suis célèbre dans le noir, Montréal, l’Écrou, 2018, p. 58.

[26] Mathieu K. Blais, op. cit., p. 34. Chez Réhel, je note la même image : « je range mon âme / dans le premier tiroir ».

[27] Hugo Beauchemin-Lachapelle, op. cit., p. 33.

[28] Geneviève Boutin, Figures restantes, Montréal, Le Noroît, 2018, p. 14.

[29] Pierre Nepveu, La dureté des matières et de l’eau, Montréal, Le Noroît, 2015, p. 31.

[30] Maude Veilleux, Une sorte de lumière spéciale, Montréal, l’Écrou, 2019, p. 21.

[31] Ibid., p. 46.

[32] Mathieu Arsenault, Le guide des bars et pubs de Saguenay, Montréal, Le Quartanier, 2018, p. 26.

[33] Roland Giguère, Forêt vierge folle, Montréal, l’Hexagone, 1978, p. 80.

[34] Jean-Christophe Réhel, op. cit., p. 74.

[35] Dans Encore une fois pour Thucydide, je crois.

[36] François Rioux, L’Empire familier, Montréal, Le Quartanier, 2017, p. 58.

[37] Charles Dionne, La main invisible, Montréal, Le Quartanier, 2016, p. 26.

[38] Ibid., p. 33.

[39] Ibid., p. 88.

[40] Maude Veilleux, op. cit, p. 80.

[41] Ibid., p. 31.

[42] Maude Veilleux, Last call les murènes, p. 51.

[43] Judy Quinn, Pas de tombeau pour les lieux, Montréal, Le Noroît, 2017, p. 19. La rue Hector-Fabre du poème, ce n’est pas celle de Montréal, mais d’un secteur de Lévis, l’Auberivière (à côté de la Golden Eagle…).

[44] Antoine Boisclair, Solastalgie, Montréal, Le Noroît, 2019, p. 47.

[45] Charlotte Aubin, Paquet de trouble, Montréal, Del Busso, 2018, p. 36.

[46] Catherine Lalonde, « Mission impossible », Liberté, no 303, printemps 2014, p. 79. Josée Yvon fait des apparitions dans les derniers livres de Chloé Savoie-Bernard, Frédéric Dumont, Catherine Lalonde, Maggie Roussel, Émilie Turmel, Daria Colonna…

[47] Les citations qui suivent sont tirées d’un rassemblement de recueils de Josée Yvon, Pages intimes de ma peau, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2017.

[48] Catherine Lalonde, La dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, 2017, p. 100.

[49] Patrice Desbiens, En temps et lieux. Les cahiers complets, Montréal, l’Oie de Cravan, 2017, p. 34.

[50] Ces passages sont tirés d’un film sur Denis Vanier, Le fond du désir, extraits et autres textes, Espace Global Galerie, 1994.

[51] Denis Vanier, La castration d’Elvis, Montréal, Les Herbes rouges, 1997, p. 23.

[52] Merci à Mélissa Charron de m’avoir signalé le bel oxymore. Bien hâte de lire son portrait de Vanier en mystique de fond de ruelle…

[53] Dominic Tardif, « Des longueurs dans le Styx. La noyade chaque jour évitée », Le Devoir, 24 nov. 2018, consulté en ligne.

[54] Ibid.

[55] Catherine Lalonde, op. cit., p. 112.

[56] Patrice Desbiens, op. cit., p. 116.

[57] Ibid., p. 45.

[58] Gaston Miron, op. cit., p. 127.

[59] Jacques Brault, « Un pays à mettre au monde », Parti pris, vol. 2, nos 10-11, 1965, p. 22.

[60] Gaston Miron, Lettres, 1949-1965, Montréal, l’Hexagone, 2016, p. 165.

[61] Pascal, cité par Guillaume Corbeil, Le meilleur des mondes, d’après Aldous Huxley, Montréal, Le Quartanier, 2019, p. 7.

[62] Louis-Jean Thibault, Le cœur prend lentement mesure du soleil, Montréal, Le Noroît, 2017, p. 40.

 

 

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Recours au poème a publié des poètes québécois pendant une année, dans sa chronique Poésie du Québec. Les poèmes confiés par nos amis québécois ont été regroupés dans l'anthologie publiée par notre revue et les éditions PVST. Pour accéder au bon de commande Chant de plein ciel – Voix du Québec