Maïakovski, Un nuage en pantalon

Figure emblématique du modernisme russe dont la créativité croise la révolution de 1917, Vladimir Vladimirovitch Maïakovski mourut à 37 ans le 14 avril 1930, en se tirant une balle dans la poitrine. 

Son introduction à un poème des derniers mois de sa vie, « À pleine voix », se veut une adresse directe à la postérité semblant boucler la portée de son écrit initial de 1914 à l'occasion d'une tournée du mouvement futuriste à Odessa intitulé « Un nuage en pantalon » : « Honorés / camarades de demain ! / Grouillant / dans la m... fossile / de notre temps, / étudiant les ténèbres de nos jours, / peut-être / chercherez-vous / qui je fus. »

Ce souci de s'exposer dans sa vérité, en porteur du verbe jusqu'à son incandescence, travaille déjà l'écriture de sa tétralogie alors qu'il rencontre Maria Denissova. Prescience de son propre malheur, tragédie futuriste, par son expérience des maux traversés et sa profusion des mots jetés en pâture, dans une recherche avant-gardiste des formes nouvelles, tournant le dos tant aux clichés du poétique qu'à un lyrisme trop conventionnel, ce poème premier témoigne d'un monde intérieur tourmenté, accouchant ses monstres et ses chimères, et habité par la ferme volonté de rénover le langage poétique...

Maïakovski, Un nuage en pantalon, traduit par Elena Bagno et Valentina Chepiga, Vibration Éditions.

Comme le suggère Elena Truuts, dans sa préface à la nouvelle traduction de ce texte majeur par Elena Bagno et Valentina Chepiga, c'est à se demander si derrière quelques vers  visionnaires ne se cache l'intuition de la fin tragique de leur créateur ? « Et quand le nombre de mes années / aura achevé son ère - / des millions de gouttes de sang joncheront l'allée / vers la maison de mon père. » Mais si la destinée demeure funeste quel éclat avait le feu poétique qui embrasait son cœur ! Avec un goût prononcé pour la provocation, l'ardent jeune homme s'y dépeint en Christ moderne ou en « treizième apôtre », titre alors envisagé, prompt à bousculer les facilités de pensée et l'avachissement des habitudes de ses contemporains, pour mieux leur opposer son chemin, mêlant dans une même écriture agit-prop et mysticisme, ce qui décloisonne le regard rétrospectif porté sur cette œuvre singulière du XX ème siècle qui ne saurait se réduire à un simple endoctrinement communiste...

Vladimir Maïakovsky, Un nuage en pantalon, prologue.

Dès les premiers vers, le choix des traductrices de donner une forme versifiée restitue par son art de la rime la vigueur de la musicalité et l'audace du ton adoptés par le jeune chantre d'une Marie, figure où l'on retrouve tant la rencontre amoureuse de Maria  Denissova que la divine Vierge ou la sensuelle Marie Madeleine, et reproduit avec justesse le choc du regard de l'écrivain avec le conformisme de son temps, ainsi du « cerveau ramolli » exprimant un « cœur démoli » à l'image de celui, desséché, de certains hommes de son époque, ainsi que de l'objectivité bourgeoise et clinquante du « canapé luisant » à laquelle répond son rire « insolent » : « Votre pensée / qui rêvasse sur un cerveau ramolli, / comme un laquais aux chairs flasques sur son canapé luisant, / je la taquinerai avec un lambeau de cœur démoli ; / à satiété je me moquerai, caustique et insolent. »

Vladimir Maïakovski, Adolescent.

Par le mordant de son trait d'esprit, le jeune insurgé paraît ainsi répondre d'emblée à la question-reproche que la censure adressa à ce dernier en 1915, après avoir supprimé six pages et rejeté le titre premier « Le treizième apôtre » : « Comment avez-vous pu unir le lyrisme à la grossièreté ? » Par son goût des contrastes, par sa manière provocatrice, le poète russe a su donner à entendre un lyrisme nouveau, celui de la dissonance aux extravagances déroutantes...  C'est cette dimension essentielle de sa poésie que Valentina Chepiga et Elena Bagno ont rendu avec brio par leur travail minutieux ! En effet, la longueur des vers, le choix des assonances et autres échos sonores illustrent à merveille la poétique de cet auteur « à pleine voix » ! Et qui se livre à l'exercice de déclamer à voix haute la traduction nouvelle, retrouvera, pour reprendre les formules de l'avant-propos de Florian Voutev, à la fois « résonance harmonieuse » et « entrechoquement brutal »...

Vladimir Maïakovski, Ecoutez, lecture du poème en russe et en français, par Anna Gichkina.

Ainsi en est-il, par exemple, de l'avant-dernier couplet du prologue, qui explicite le titre de cette déchirante et néanmoins revigorante tétralogie, charge critique avec la docilité désormais attendue de tout un chacun astreint au miroir des apparences et des convenances : « Voulez-vous / que je sois de viande fou - / et comme un ciel qui change de tons - / voulez-vous / que je sois impeccablement doux, / pas un homme, mais – un nuage en pantalon ! ».

Vladimir Maïakovski, Le Poète est un ouvrier.

Présentation de l’auteur




Sonnet Modal, poète indien

Bengali, fondateur des Chair Poetry Evenings et de The Enchanting Verses Literary Review, Sonnet Mondal (1990-) promène ses poèmes sur le net, sur le papier et physiquement, de la Macédoine à la Turquie, de la Suède au Nicaragua et dans de nombreuses universités américaines.

Pour lui, la poésie, plus que le roman, est le fer de lance de la littérature indienne contemporaine. Il milite pour le renouveau de la poésie bengalie et la perpétuation de la poésie indienne, entre autres en anglais, mais pas seulement ; à l’instar de nombre de poètes indiens d’aujourd’hui, il considère que c’est au niveau des traductions entre langues indiennes que se passent les échanges les plus significatifs. Sa poésie, qui peut être intimiste, se révèle très engagée à d’autres moments. Positive et enthousiaste à son heure, il lui arrive d’adopter un autre ton lorsque son auteur tacle la guerre, notre époque et ses travers : Sonnet s’implique dans le monde ​actuel, littéraire ou pas, et, comme certains de ses condisciples et compatriotes, mène de front un militantisme poétique acharné et un militantisme politique désabusé.  

La poésie indienne anglophone, qui n’a pas en France le rayonnement qu’elle mérite, se targue de ses propres traditions et qualités lyriques, de ses propres approche et style.

Art bouddhique, Hevajra Mandala, -500 avant Jésus Christ, Arpoma.com.

Depuis l’Anglo-Indien d’origine portugaise Henry Louis Vivian Derozio (1809-1831), premier représentant de cette tradition, jusqu’aux contemporains comme Sonnet Mondal, en passant par Toru Dutt (1856-1877), une Bengalie qui écrivait en anglais et en français, Nissim Ezekiel (1924-2004), issu de la communauté des Bene Israel à Bombay, A.K. Ramanujan (1929-1993), fervent défenseur des dialectes, et Jayanta Mahapatra (1928-), qui en 2015 a refusé sa Padma Shri en signe de protestation contre la montée de l’intolérance en République indienne, elle s’est imposée partout.

Toutefois, dans la mesure où la confrontation entre l’anglais censément officiel et l’anglais indien (ou hinglish), directement perceptible par le lecteur britannique ou américain, ne l’est pas par le francophone, le passage en français est délicat, tant il est mal vu à Paris de “déformer” notre langue. Qu’à cela ne tienne, voici des poèmes de Sonnet Mondal présentés ici sans insister sur leurs idiosyncrasies passagères ; à un avenir incertain (quand la francophonie sera moins métropolocentrée) reviendra de mieux souligner en quoi l’hinglish diffère du brexitien, lui apporte un charme et une force qui l’enrichissent.

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POEMS/POÈMES

Traduit de l’anglais (Inde) par Bernard Turle

 

Strange Meetings

 

Sometimes we run into someone
just for once in our lives

and our bones refuse 
to fit inside the skin

the same way.

Plans proceed as waves
and recede as doubts.

 A  fleeting joy.  
with gnawing pangs
of apprehension

 the stretch between 
experience and fear

seems like the time taken by a  fish
to reveal and conceal itself

in front of a  fish hook.

 

 

 

 

 

Singulières rencontres

 

Parfois nous croisons quelqu’un
une seule fois dans notre vie

et nos os rechignent
à se remettre en place

dans notre chair.

Des projets fusent en houles
et refluent en doutes.

Joie passagère,
tourment pétri
d’appréhension,

l’abîme entre 
expérience et peur

est tel l’instant où le poisson
se montre puis se défile

confronté à l’hameçon.

 

Locked

 

Sometimes 
the iron in a lock 
must be thinking
why was I moulded
into something as such!

 A life that came
with boldness
got swept into
isolation — by the tongue
of a melancholic rust

hanging like a slave
to the will of the key
and fingers.

 

Verrouillé

 

Parfois 
le fer d’un cadenas
doit se demander :
pourquoi m’a-t-on
modelé ainsi ?

Une vie pleine
d’allant
fut recluse
par la languette
d’une rouille taciturne,

soumise, esclave
du bon vouloir d’une clé
et de doigts.

 

 

 

The Ragpicker

 

It was amazing how
the little girl came
to me and asked 
for a coin.

The world is 
throwing less wastes,
it seems.

Earlier ragpickers
were reticent 
or perhaps I am
a dustbin 
of riches now.

 

 

 

 

 

La petite chiffonnière

 

Étonnante, la façon
qu’eut la fillette
de venir à moi,
réclamant une pièce.

Le monde
rejette moins de détritus,
semblerait-il.

Les chiffonniers d’avant
étaient plus réservés
ou suis-je devenu
une poubelle 
de riche ?

 

From Tushar’s Apartment [Malabar Hills, Mumbai]

 

A stable flute pushes me
and a drunken gale retaliates.

My life drifts     like a stranded kite
between the melodious and the mysterious.

Nature gazes like a winsome stranger 
strolling     dancing     jumping
like the Bauls of Bengal.

Chirrups of mystic birds 
ride on the chariot of the sea
pulled to the shore by its horses.

Thoughts     in an intercourse
with naked wave
scream of a world lost in lust.

Hypnotism of the inconclusive
charms me into the grey
of pregnant clouds and pensive waves.

In front of paradoxical nature-sounds.         
                       I realize
My mind is heavier than my soul.
      What seemed impossible 
               was always possible.

Dear Nature — I am thinking
if to marry you 
or, keep you as an escort!

 

 

La vue depuis l’appartement de Tushar [Malabar Hills, Mumbai]

 

Une flûte étale me pousse de l’avant
puis un coup de vent ivre riposte.

Ma vie louvoie   cerf-volant ballotté
de mélodies en mystères.

Séduisante inconnue   la nature observe
flâne   danse   saute
tels les Bâuls du Bengale.

Des oiseaux mystiques pépient
montés sur le chariot marin
tiré par ses hongres jusqu’à la grève.

Mes pensées    accouplées
à des vagues nues
entonnent un univers plongé dans la luxure.

L’hypnose du non-concluant
me happe dans la grisaille
de nuées enceintes et de flots songeurs.

Face aux sons contradictoires de la nature
                          je comprends
que mon esprit pèse plus que mon âme.
      Ce qui semblait impossible 
                a toujours été possible.

Nature chérie — je m’interroge :
Dois-je t’épouser
ou te garder comme escort ?

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉFÉRENCES

 

Sonnet Mondal | Site personnel
www.sonnetmondal.com

Directeur| Chair Poetry Evenings, Kolkata
www.chairpoetryevenings.org

Rédacteur en chef | The Enchanting Verses Literary Review
www.theenchantingverses.org

Rédacteur Inde | Lyrikline Poetry Archive, Berlin (Haus für Poesie)
https://www.lyrikline.org/
https://www.lyrikline.org/en/partner/ 

 

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Les contributions de Bernard Turle

Présentation de l’auteur




Réification du voyage : Vanda Mikšić, Jean de Breyne, Des transports

Devant la vie compliquée de notre siècle, qui réclame de l’intensité et de l’énergie, la poétisation reste un refuge contre notre modernité mécanique – voyages en TGV, en Airbus, en véhicule personnel ou collectif… - et devient un lieu et un lien de densité. 

De ce fait, même si l’aujourd’hui et ses contingences, la nécessité d’occuper l’espace que crée le voyage, cette modernité des transports mécaniques exige ici, dans ce recueil de poèmes, une espèce de réification, le voyage et le poème étant aussi en quelque sorte, une lutte contre le temps compris comme durée, durée du voyage qui s’abolit pour un temps poétique.

Il faut donc accueillir ce recueil des deux poètes Vanda Mikšić et Jean de Breyne, comme une phaléristique, une étude de médaille, dont l’avers et le revers peu distincts au début, s’individualisent au fur et à mesure, s’autonomisent l’un de l’autre. Et c’est un plaisir supplémentaire de parcourir ces textes où l’écriture de chacun fait contrepoids à celle de l’autre. On pourrait dire qu’il s’agit de deux masques, ou d’une tête de Janus où vaquent les deux écrivains. Et vaquer va bien puisqu’il s’agit de parler de tribulations dans un wagon, un siège, une cabine, un habitacle, où les autres voyageurs sont des acteurs et les paysages des toiles de fond théâtrales.

Vanda Mikšić, Jean de Breyne, Des transports, éd. Lanskine, 2019, 14€.

L’ici et le maintenant du voyage, qui s’oppose en un sens à une immobilité impossible et cependant obligée du voyageur, la translation d’un mouvement, le récit du transport nous conduisent dans un flux, dans un allant. Celui des véhicules tout autant que celui du poème, prosodie qui avance depuis la nuit intérieure de tout créateur, jusqu’à l’attente, la suspension du maintenant, de la lettre à écrire, à faire parvenir et à recevoir ; car ces poèmes sont des lettres de voyage.

 

détachée du rythme monotone
des roues je ne suis plus
les lignes grises et blanches
continues et saccadées
balisant notre trajectoire
je suis ailleurs dans une chambre
d’hôtel à tokyo j’assiste en voyeuse
aux derniers ébats amoureux
à un rite d’adieu je ne suis pas là
mais il y a mon double assis à l’autre
bout de la rangée je mords dans un sandwich
[…]

 

Peut-être est-ce cette dramaturgie du périple qui tend vers un but et procède d’une sorte de dialectique du récit, isole les deux poètes, et autorise à écrire le poème, la lettre, le chapitre de l’histoire, la scène de ce théâtre poétique comme une réponse dans le dialogue d’une pièce ? Voyage en solitaire seulement pour aider à décrire ce qu’est un théâtre humain, l’effet dramatique d’une relation, d’un échange épistolaire. Les poètes sont vacants, rendus vacant dans l’attente de la fin du voyage, désœuvrés, qui sait ? seulement ouverts au texte à écrire alors que la réalité se chosifie, se réifie, dans cette lettre formée d’un poème qui saisit et épingle une réalité qui passe et se met en scène.

Du reste, cette conversation est en suspens souvent dans le big data de l’informatique et participe du gigantesque texte mondial et presque infini des messages électroniques. Ces poèmes permettent une lecture contemplative, mais non méditative, attachée à la réification de la connaissance du monde, de chosifier le flux latent de notre lecture, qui s’associe ainsi à l’itinéraire du poème qui se déroule.

 

Je te lis tu sais

Doucement le train part
Le poème pense et
S’adresse
Balancement du ballast
Je traverse une grande part
                             de mon histoire :
Le fleuve large
Les histoires se déplacent
Et demain

 

Syntaxe, temps, voyage, écriture, lettres, adresses à autrui, regard du lecteur, tout cela permet de traverser par exemple l’hiver, l’hiver à l’Ouest, l’hiver à l’Est. Car en arrivant à la fin du livre, on garde l’impression de deux univers, de deux tons qui se distinguent et qui s’appuient l’un sur l’autre, dans un espace devenu dramatique. Le poème est devenu le monde.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Un poète géorgien : Temour Chkhetiani

  Temour Chkhetiani  est un poète  géorgien contemporain,  il est aussi traducteur et  compositeur de problèmes d'échecs. Il est né en 1955 à Telavi, belle petite ville deGéorgie.

Temour Chkhetiani est l’ auteur de huit  recueils poétiques : les poèmes présentés sont extraits du plus  récent intitulé ,,La hauteur de l’ herbe ». Ses poèmes sont traduits et publiés en français, en anglais, en  allemand, en suédois, en russe.  On peut le lire dans des anthologies ou dans différentes revues.
Temour Chkhetiani a traduit   en géorgien des poèmes de Guillaume Apollinaire, d’ Arthur Rimbaud, de Michel Houellebecq, de Rainer Maria Rilke, de Marina Tsvetaeva  etc.
P
oète réflexif. Il a un  mode de vie  un peu marginal et il habite seul  dans un petit village d’ où il voit le monde. Maintenant que les performances  poétiques sont à la mode, Temour Chkhetiani  tient une scène large ouverte : sa cour,  devant la maison ou dans sa chambre, sans  spectateurs.
Il écrit autant des longs poèmes  que de très brefs, des poèmes conventionnels et des vers libre...  On signalera  surtout ses haïkus,  qui naissent dans le silence de sa chambre et dans  sa solitude : il est  évident que la tradition orientale—chinoise et japonaise est bien connue du  poète.

უადრესატოდ, Poetry, Diogene Publishing, 2010, 70 pages.

La poésie de Temour Chkhetiani n’ est pas une  poésie facile, il faut la lire et la relire pour peu à peu, ressentir ce que le poète veut exprimer et ce qu’ il pense. Parfois  le vocabulaire est très simple, mais quand il saisit un lieu et un moment précis, les mots prennent tout leur sens. Temour Chkhetiani sait faire du moment le plus banal un véritable poème, sous ses apparences triviales, il peut révéler autant des sensations très fortes que des événements  exceptionnels.
Cette
poésie est caractéristique postmoderne se tressant à des passages intertextuels,  offre au lecteur un monde poétique original.

 

∗∗∗∗∗∗

 

Hauteur d'herbe, extraits

 

 

Traduit du géorgien par Ketevan Kokozashvili

 

 

LA CABANE

Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.
Avant cela, nous marchions ensemble dans la forêt;
Nous regardions, écoutions tout avec joie.
Regardions les arbres et les fleurs,
écoutions le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles,
nous étions si heureux de l'air frais, de l'eau claire et  l'un de l'autre…

Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.
La pluie nous a suivis pas à pas et nous a  mouillés,
Mais elle est restée à la porte
Et n'est pas entrée
Avec nous
Où notre rire battait
Contre les murs.

Puis nous nous essuyions
les cheveux, les yeux, les visages avec une seule serviettes.
Il  pleuvait encore et la pluie faisait du bruit sur le toit de notre cabane
Et  claquait à la porte.
Après cela, la nuit tombait mais nous pouvions toujours nous voir l'un  l'autre…  
Mais enfin  en pleine  obscurité
Tes épaules, tes seins, tes hanches éclairaient les ténèbres.
Il faisait frais, mais tes bras étaient chauds
Et tes lèvres étaient brûlantes,
Et dans la cabane le lit  étroit en bois
Était large et doux…

Peu à peu, la pluie s'est tue.
La pluie nous a quittés et s’ en est allée.
Et  nous nous écoutions nous respirer dans ce silence.
Et  nous sentions battre nos cœurs 
Et ensuite, peu à peu, il a commencé à  s’éclaircir,
A travers une petite fenêtre de notre cabane, la lune baissa les yeux
Et chuchotant elle a partagé avec nous ce secret:
“-Il n'y a rien de mieux ni de plus important
Sur la terre"…

Maintenant nous nous réveillons dans des villes différentes,
Eloignées  par des centaines de kilomètres,
Dans deux villes différentes.
.
Nous nous  réveillons au même moment, mais seuls:
Nous ouvrons les yeux sans joie.
Nous levons nos têtes d'un oreiller sans joie,
nous nous levons sans joie.
Et nous nous habillons.

Dans le même temps mais loin l'un de l'autre
Nous ouvrons nos fenêtres dans des villes différentes.
C’est une journée ensoleillée dans les deux.
Nous regardons par la fenêtre
Et voyons de différentes images
Dans deux villes éloignées  par des centaines de kilomètres,
Nous voyons  différentes choses,
Mais nous  pensons à la même chose,
Nous nous sentons les mêmes,
Et nous nous rappelons les mêmes choses :
Nous nous sommes cachés de la pluie dans une cabane.

 

 

∗∗∗

 

UNE IMAGE  D’ UN JOUR

En attendant quelqu’ un ou quelque chose
Nous étions assis, deux poètes, devant le théâtre, sur les marches de l’escalier,
Nous causions et fumions.

Nous causions et regardions
Les voitures, traversant la place devant le théâtre;
Nous regardions aussi les bâtiments:
La maison, l’ école musicale et la banque.

Nous suivions du regard les pigeons, qui
De temps en temps s’ envolaient de la place,
S’ envolaient et se dispersaient.

Nous causions et regardions
La haute muraille d’  un vieux palais,
Très mystérieuse et si patiente
Dans toute cette ville, petite et jolie.
Nous étions assis, deux poètes, devant le théatre, sur les marches de l’ escalier
Non loin de nous, à gauche,
Un chien de couleur et de race inconnue
Dormait.

 

 

∗∗∗

 

UN PETIT PONT

Pas vers moi,
Mais en passant sur moi - vers un autre !..
Combien de fois on a passé,
On a passé justement sur ma poitrine
Et la voix de mon cœur s’est perdue
Dans le bruissement  sourd de mes pas.
Moi, je reste immobile et sans mot dire
Et sur ma douleur
Pas de baume
Ou la caresse de la main soigneuse  de quelqu’un,
Mais seulement une feuille morte,
Comme le mot usé — ADIEU.

 

 

 

∗∗∗

 

LA CHAISE

1.

J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.

Je n’ai pas d’âme.
Je ne peux pas courir librement
Dans les forêts de nuit,
Je ne suis pas assis triste
Derrière les barreaux
Je ne suis pas  laissée devant les maisons
Dans l’ ombre.

J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.

2.

On s’assied sur moi,
On s’adosse à moi,
On me fait bruire
Et comme je ne peux pas
Dire quelque chose
Je supporte sans mot dire leur lourdeur
Et leur légèreté.

Je n’ai pas d’âme
Mon cœur ne bat pas comme les leurs
Je ne peux pas me réjouir
Ou avoir mal
Et je dois compter
Avec un silence habituel
Les minutes monotones et tranquilles
De ma vie
Mais de temps en temps
On vient ainsi :
On touche mon corps las
Avec leurs velours tendre,
On me caresse,
Mais seulement afin que
Je ne dessine pas
La carte grise de la poussière
A leurs larges culs
Et à leurs larges dos.

J’ai quatre pieds,
J’ai bien sûr le siège
Et encore le dossier
Et me tenant ainsi
Dans les chambres
Sur mes quatre pieds
Près des tables,
Près des murs,
Près des lits,
Je défends des règles déterminées pour moi.
Je n’ai pas d’âme.
Je n’ai qu’un seul ami
Au monde -
Le livre renversé

 

∗∗∗

 

MANHATTAN  DANS  LA  COUR
À Irakli Tskhvediani

Il est très facile d’appeler Manhattan
Ici, dans un village oublié de ce pays perdu,
Voilà dans cette cour,
Quand la fin de l’automne
Est si pleine de soleil et si chaude.
Emporte la chaise dans la cour, assieds-toi,
Ouvre la revue et lis,
Lis les poèmes de quelque Hans Promwell,
Oui, Promwell, il était aussi Cromwell,
Mais il écrivait  autrement
Et maintenant nous ne nous intéressons pas vraiment à lui.
Lis les poèmes de Promwell
Et tu sentiras comment le grand et bruyant Manhattan
Entre dans ta cour silencieuse
Et comment tu passes toi aussi et te perds
Dans l’agitation et dans la solitude de Manhattan.
Oui, tu comprendras
Quelle petite distance est
De ta maison sale
Aux splendeurs  de Manhattan ;
Et comme librement se place
L’agitation, l’effort,
La déception de là-bas
Et la solitude si énorme
Dans ta petite cour devant la maison…
" Il est ennuyeux l’automne à Manhattan,
Quand tu n’aimes personne".
Pas seulement à Manhattan…
Mais ici il y a du soleil et il fait chaud
Et l’ennui a disparu momentanément
Et avant qu’il revienne
Je me promène souriant dans mon Manhattan.
C’est l’automne -
Le soleil brille et il fait chaud…
Hans, qu’est-ce qui se passe là-bas ?
Quel temps fait-il à Manhattan ? ...

 

 

Présentation de l’auteur




Mokhtar El Amraoui, Nos morts et autres poèmes

Nos morts aussi ont leurs caprices,
Quand ils explosent les miroirs
Et circulent dans les veines
De nos eaux et feux !
Leur air emprunte sa musique
A la composition d’un ciel porté
Par leurs épaules qui tracent encore
Une géométrie d’herbes et de rencontres.
A certaines heures calcinées,
La mémoire sait aussi taire
Ses inutiles clameurs pour leur ouvrir,
En douce discrétion, d’autres portes.
Et débute, à rebours, le cri des pas
Dansant le feu et les coeurs
De leurs photos offertes à nos soirées !

 

 

∗∗∗∗∗∗

II/ Ailes de fantômes

Comment encore la dire, elle,
L’absente  lettre
Ou danse des lèvres
Des mots suspendus
A tes yeux sonores ?
Ils culbutent ma transe.

Un silex, oui, de déroute,
C’est-à-dire de retrouvailles !
Je n’attendais de toi
Que cette main tendue
Regardée en nos éveils !
Ton hier, quand tu étais vêtue d’étoiles vertes.
Tes yeux me rêvaient, dans mon silence,
Comme des feuilles de citronnier
L’or d’un ciel visage
Te disant sur le rivage d’autres quais.
Cri de précipices !

Tu rends hommage à l’hirondelle
Qui t’a poinçonnée le sein en masques d’adieux.

Prendre juste un mot
Puis descendre, avec, dans le puits
De chaque lettre et venir
A l’ombre de ses fugues, tes fulgurances !

Les sourires de ton regard,
Quand tu m’aimes, mort bleue !
Comme le rire de cette  impossibilité,
Note distance calculée en caresses
Chaussée de souvenirs
Et ailes de fantômes !

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

III/  Images sans contes

Le pollen électrique
Charme la musique stellaire de mon sang.
Il offre ses portées
Aux artères mortes de la ville.
Le cadavre du chat
Et les deux bras de la poupée
Pourrissent dans la canicule du port.
Les plus vieux des pêcheurs
N’ont plus rien à raconter.
Ils regardent la télé.

 

∗∗∗∗∗∗

IV/  Sur le parchemin d’une route 

J’irai, au zénith, 
Redonner mes cendres aux mots, 
Lorsque la fleur sautera 
Sur la fosse aux cris morts. 
J’irai déplier le ciel de ma voix, 
Pour la faire trembler
A l’étendard encore glissant 
De la lumière assoiffée, 
Sur le parchemin d’une route 
S’ouvrant en épines 
Brûlant de questions, 
Entre naissances et agonies, 
Entre regards et déroutes. 
J’irai, sur la rive, 
Regarder ma tombée 
Qui t’a effleurée de mes nuits, 
Qui m’a dit en attentes 
Baignant dans les yeux d’encres 
De mes rêves déchirés !

 

∗∗∗∗∗∗

V/ Aux mâts des silences

Assourdissants cris de la feuille
comme un aboiement d’errance
dans les veines de l’oubli

Rives d’échos et d’appels vains

Le géomètre a la soif de l’arbre
son sein
et des jours d’attentes trompeuses

Le phare gris rêvera encore
le salut d’un retour
ou le rire d’un éclair suspendu
aux mâts des silences

 

Mokhtar El Amraoui lisant son poème Sur le parchemin d'une route.

Présentation de l’auteur




Margaret Noodin : un regard sur la poésie native américaine

Vivre en fonction du nom qui vous est attribué.  

 

Les ancêtres nous disent : « vis en fonction du nom que tu as reçu . / Nous percevons la vérité dans nos os / si nous écoutons. » Extrait du poème Listening, dans Weweni de Margaret Noodin)

Fait rare pour être mis en avant dès la première phrase de l’article, Margaret Noodin écrit sa poésie dans sa langue tribale : il s’agit de l’Anishinaabemowin, qui est la langue des Indiens Odawa, Potawatomi, Ojibwa, tous peuples cousins originaires des Grand Lacs, en Amérique du nord. Cette langue est parlée par plus de deux cents communautés au Québec, en Ontario, dans le Manitoba, le Saskatchewan et en Alberta pour ce qui concerne le Canada mais aussi dans le Dakota du nord, le Michigan, Wisconsin et Minnesota pour ce qui est des USA. Sa vitalité regagne des forces mais sa survie est encore précaire. Et dans cette période de l’histoire de la planète où la diversité culturelle, comme la biodiversité sont en danger, il y a lieu de noter les efforts pour y échapper ! Bilingue donc, ses livres nous ouvrent sur une façon de penser et de regarder le monde avec des yeux d’Anishinaabe, une façon de percevoir et de décrire le monde avec une sensibilité qui porte attention à certains détails qui échappent aux langues occidentales n’ayant pas été conçues et polies dans le même environnement ; elles restent des langues « exportées », les langues Indiennes étant plus à même de dire le territoire qui fut le leur pendant des millénaires.

Margaret Noodin, Weweni, Wayne State University Press; Bilingual edition, 2015, 112 pages, 16,99 €.

Margaret Noodin est née en 1965, elle est membre de la nation Anishinaabe (Chippewa, descendante de la bande « grand portage » qui vivait sur les bords du lac Supérieur), née dans le Minnesota aux Etats Unis, elle enseigne actuellement à l’université de Milwaukee dans l’état du Wisconsin. Elle fait également vivre un site www.ojibwe.net dédié à l’apprentissage de la langue Anishinaabemowin avec en plus des leçons, des histoires et des chants traditionnels Anishinaabe et des informations sur des événements ou des personnes ayant un lien avec la vie tribale indienne. Margaret est aussi directrice de l’institut Electa Quinney situé à Milwaukee, Wisconsin, qui s’occupe d’éducation pour les Indiens d’Amérique originaires de cette région sud-ouest du lac Michigan (Michigami), lac appartenant au grand bassin d’eaux venues des grands lacs et où les rivières Milwaukee, Menominee et Kinnickinnic se rencontrent, là-où les nations souveraines Anishinaabe, Ho-Chunk, Menominee, Oneida et Mohican restent, discrètement certes, présentes. Avec ses deux filles, Margaret fait partie d’un groupe de chanteuses : les Miskwaasining Nagamojig (les chanteuses des marais) qui s’accompagnent aux percussions traditionnelles Indiennes, elles chantent des chants Ojibwa (Anishinaabe).

 

 

La langue Anishinaabemowin est une langue agglutinante dont la grammaire peut sembler fort complexe à nos esprits façonnés par les origines latines de notre français. Mais chacun des préfixes, suffixes et personnes employées (14 au lieu des 3 que nous reconnaissons) nous indiquent la façon de comprendre les relations entre l’animé et l’inanimé, le proche et le lointain, le singulier et le pluriel …). Une façon fine donc d’analyser les phénomènes.

 

 

 Les versions des poèmes en Anishinaabemowin sont deux à trois fois plus longues que leurs versions anglaises, ce qui donne une multiplicité de sons pour sentir et faire percevoir la réalité Anishinaabe. Précision poétique contre brièveté tournée vers une « efficacité » matérialiste : ainsi se confrontent et se complètent les cultures ! J’ajouterai que cette langue agglutinante est comme la manifestation du savoir tribal : tout est lié. Les mots s’allongent à l’envi et la parole tisse ses filets qui attrapent tout de la réalité ainsi que vue par des yeux Indiens. L’anglais ou le français ne sauraient rendre visible, ni à l’oreille ni écrits sur le papier, cette philosophie de l’interdépendance !

Margaret Noodin, Université du Michigan, groupe d'étude du langage Ojibwe. Tony Ding/AP Photo.

Margaret Noodin parle de sa poésie comme d’un mélange qui essaie à la fois d’imiter, de respecter la tradition des ancêtres, mais aussi d’amener la langue vers une poésie moderne qui lui permette de changer et de s’adapter à l’époque actuelle. Margaret est l’auteure à ce jour d’essais, d’une thèse, et de plusieurs livres, dont certains « pour enfants », dont voici les titres :

  • Bizhiw Miinawaa Miinan : Lynx and the Blueberries with Cecelia Rose LaPointe and Dolly Peltier. Waub Ajijaak Press, 2019.
  • Ajijaak: Crane with Cecelia Rose LaPointe and Dolly Peltier. Waub Ajijaak Press, 2018.
  • Learning Ojibwe: Anishinaabemowin maajaamigad. With Kimewon, Howard. Owen Sound, Ont.: Ningwakwe Learning Press. 2009. ISBN 9781896832975.
  • Bawaajimo: A Dialect of Dreams in Anishinaabe Language and Literature. American Indian Studies. Michigan State University Press. 2014. ISBN 978-1611861051.
  • Weweni: Poems in Anishinaabemowin and English. Made in Michigan Writers Series. Wayne State University Press. 2015. ISBN 978-0814340387.

 

 

Elle en prépare d’autres, dont un ouvrage intitulé ce que la mésange sait d’où sont tirés tous les poèmes sauf un, que j’ai traduits. Son premier livre de poèmes, Weweni, utilise pour titre la formule rituelle qui souhaite à l’autre de bien prendre soin de soi, qui lui veut du bien, quelque chose entre notre « bon voyage dans la vie » et notre « porte-toi bien », ou bien un mélange des deux. Margaret Noodin y évoque les sujets contrastés de l’actualité planétaire mais évoque aussi les histoires de fantômes, nous parle du message que délivrent les arbres. Les poèmes parlent de l’intime, des moments de difficultés et de joie, de rêves et d’inquiétude pour le futur.  Elle y évoque aussi les blessures et les traumatismes que la triste histoire de la colonisation a infligés aux peuples amérindiens. En voici un exemple :

Les prometteurs 

Parfois
la pluie tombait deux fois
et c’est quand ils mentaient.

Les hommes vieillis ont tordu
les promesses poussiéreuses
que jeunes amants ils avaient une fois faites

Les femmes vieillies au four ont cuit
les récits jusqu’à ce qu’ils lèvent
au-delà de la vraisemblance

Les petits enfants les adoraient
pour cette capacité
à re-imaginer leurs vies.

Leurs propres enfants étaient effrayés
à l’idée de ce qu’ils diraient
eux-mêmes un jour.

 

 

Margaret Noodin, Bawaajimo': A Dialect of Dreams in Anishinaabe Language and Literature, Michigan State University Press, 2014, 37,91 €.

Dans son recueil en préparation, intitulé ce que la mésange sait, Margaret construit son travail en deux parties. Une première illustre la façon dont le langage, donc la pensée Anishinaabe, mélange philosophie, science et psychologie. La seconde rétablit la « vérité historique » trop souvent effacée ou maquillée dans les journaux ou institutions dirigés par la société dominante blanche. Ainsi ce poème :

 

Portrayed in the Newberry

 

Someone has carefully hung them in the half light
facing a declaration
which tells all the world the facts of
“the merciless Indian savages”
. . . but only the month is wrong.

We remember you Simon, wearing your brown shirt
you are son of Elizabeth and Leopold
you are grandson of Chief Topinabee
you are great-grandson of Chief Naniquiba
. . . but you are not a “chief” they say.

Nearby if we follow a different road
a wall-card remembers one                        
who called for human extermination
four days before Wounded Knee
. . . but he wrote stories for children.

Here where there are old pages and portraits
we wonder how to understand
discovery and being discovered
clarification and collusion
. . . but maybe it is time instead to discover one another.

 

Dépeints à la Newberry                      

 Quelqu’un les a soigneusement pendus dans la pénombre 
faisant face à une déclaration
qui annonce au monde les méfaits des 
“impitoyables sauvages Indiens”
. . . seulement le mois est faux.

 Nous nous souvenons de toi Simon, tu portais ta chemise brune 
tu es le fils d’ Elizabeth et de Leopold
tu es le petit fils du chef Topinabee
tu es l’arrière petit fils du chef Naniquiba 
. . . mais tu n’es pas un “chef” disent-ils. 

 Tout près, si nous suivons un trajet différent 
une plaque murale commémore quelqu’u
ayant prescrit l’extermination humaine 
quatre jours avant le massacre de Wounded Knee
. . . mais il écrivait des histoires pour enfants. 

Là où nous trouvons vieilles pages et portraits
nous nous demandons comment comprendre
découverte et être découvert
clarification et collusion
… mais peut-être est-il simplement temps de se découvrir l’un l’autre.

 

  • La Newberry Library ou bibliothèque Newberry, aussi appelée Newberry Research Library, est une bibliothèque publique de recherche de la ville de Chicago (Illinois). Elle est plus particulièrement orientée vers les sciences humaines.
  • Simon Pokagon (1830-1899), leader tribal des Indiens Potawatomi, écrivain prolifique, avocat de la cause indienne. Ses écrits se font abordables pour les populations blanches et disent sa fierté d’être Indien, il présente une image positive des Indiens qui alors devaient faire face à des défis jamais rencontrés. Topinabee et surtout son père Naniquiba étaient eux aussi des leaders, grands guerriers ayant adopté la cause de Tecumseh. (N.d.T.)

J’aimerais maintenant vous faire voir et lire des poèmes courts, pris dans la première partie de ce recueil ce que la mésange dit, qui expriment et montrent bien l’attitude et le regard qu’ont les Indiens en général sur les phénomènes de la nature et plus particulièrement leur relation entretenue avec les animaux. La version en Anishinaabemowin pour aiguiser votre curiosité ! Et rendre hommage à cette langue et à ses locuteurs.

∗∗∗∗∗∗

Bangan Zoogipoog

 

Epiichi bangan zoogipoog
biinijichaagigewaad 
biidaazhegaamewaad
endazhi maaminonendamang
ezhi-oshkibaakadawaabiyang waaseyaabang

 

Silent Snowfall

While silently the snow falls
souls are washed new
arriving along the shore
where we pause to consider
the way each dawnlight opens our eyes again.

 

Chute de neige chuuut  

Quand silencieusement la neige tombe
les âmes sont lavées de neuf
qui atteignent la berge
où nous nous arrêtons pour contempler comment
la lumière de chaque aube ouvre nos yeux

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Gijigijigaaneshiinh

Ningii-ozhibii’amawaag gijigijigaaneshiinyag onzaam gaawiin maajaasiiwaad miinawaa Linda LeGarde Grover gii-ozhibii’aad Azhegiiwe Wiingashk.

Aanikoobijiganag aanikoobidoowaad
wiingashk wiindamawiyangidwa
gashkibijigeg gegashk-akiing.

Gijigijigaaneshiinh ayaa gawaandag
noondaagozid noondenimiyangidwa
manidookeyaang manidoowiyaang.

 

Chickadee

For the chickadees who never leave, and Linda LeGarde Grover who wrote about them in The Road Back to Sweetgrass.

The ancestors tied and extended it
the sweetgrass, telling us
make bundles, the world is not yet ripe.

The marsh chickadee is there in the white pine
calling out wanting to be with us
it’s a ceremony, a way to be alive.

 

Mésange

 pour les mésanges qui ne partent jamais, et pour Linda LeGarde qui a écrit à leur sujet dans The Road Back to Sweetgrass (la route du retour vers Sweetgrass)

 Les ancêtres l’avaient etendue et nouée
la sweetgrass, ils nous disaient
fais des paquets, le monde n’est pas encore mûr

 La mésange des marais se trouve dans le pin blanc
elle appelle veut participer avec nous
c’est une cérémonie, une façon d’être vivante.

 

 

  • Sweetgrass est une ville au nord de l’état du Montana, mais c’est aussi une herbe que les Indiens d’Amérique du nord récoltent et rassemblent en “bouquets”ou bien en tresses pour les faire sécher et les faire brûler, ce qui degage une odeur particulière, comme le ferait l’encens, avec des vertus purificatrices. (N.d.T.)

∗∗∗∗∗∗

 

Bi Booniig

Boonipon apii biboong miidash dakaanimad odishiwe daashkikwaading
Boonitamaang madwezigoshkaag miinawaa bizindaamangidwaa wewenjiganoozhiinhyag
Boonigidetaadiwag mii maajii-aamiwaad epiichi makwamiiwaagamaag
Booniiwag enaazhi-zhingobiiwaadikwanan nanegaaj waaboozwaagonagaag
Boonam gegapii miidash boonendang aki biinish bookoshkaag

 

Landing Here

When it stops snowing in winter and deep cold arrives to crack the ice
We stop hearing the freezing then listen for the great horned owls
They forgive one another and begin to mate while the world is frozen
Landing on pine branches as snow falls gently in large flakes
Eventually she lays an egg then ignores the world until it breaks

 

Atterrir ici

 En hiver quand il cesse de neiger que le grand froid arrive et fait craquer la glace
Nous cessons d’entendre le gel alors nous écoutons les grands-duc
Ils se pardonnent les uns les autres et s’accouplent pendant que le monde est glacé
Se posant sur des branches de pin ils font tomber délicatement la neige en larges flocons 
Finalement elle pond un œuf alors elle ignore le monde jusqu’à ce qu’il éclose

 

 

 

Pour conclure, dire aussi que Margaret n’écrit pas « seule », dans le sens où elle reconnaît avoir des alliés objectifs et des soutiens en les personnes de Kim Blaeser, Heid E Erdrich, poètes Anishinaabe comme elle, entre autres amitiés. Je ne sais pas quel nom a été donné à Margaret Noodin, poète si attachante, mais si je devais lui en donner un, après ce que j’ai lu d’elle et sur elle, cela pourrait bien être « la-courageuse-survivante-qui-enseigne-inlassablement ». Et elle le fait dans le respect, dans la compassion ; pas de traces de colère chez elle comme il peut s’en trouver chez d’autres auteurs amérindiens même si elle dénonce le sort fait aux Indiens d’Amérique du nord, aujourd’hui comme par le passé. Quelque chose de pacifique dans son œuvre qui pourrait laisser entendre comme un appel à la réconciliation. Et comme le disait souvent John Trudell, leader et poète Sioux en direction d’un auditoire occidental : « n’oubliez pas que vous êtes les prochains Indiens » ! En ce monde perturbé où des espèces végétales, animales, disparaissent chaque jour, une vague d’extinction de l’espèce humaine n’est pas inenvisageable qui rappelle et évoque la vague d’extermination génocidaire subie par les Indiens d’Amérique du nord et les peuples indigènes de la planète, depuis le seizième siècle jusqu’à nos jours.

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Ar Guens, En guise de biographie et Décor d’intérieur

En guise de biographie

 

Île ivre de lucidité, je suis des nuits d’alcool avec des yeux qui flottent dans un bain d’acide. 
Quand je ne suis pas en cause, je suis en crise…Voilà mon âge qui prend la forme d’un cri archivé dans la cendre quand j’allume une ride flambant neuve. En moi demeurent des larmes incisées par des pluies de météores. Mouillé jusqu’aux trous de mes cratères, mes yeux sans semelle préfèrent marcher dans nuits brisées à chaque orteil. Je n’ai pas de lieu de naissance de résidence mais de dissidence. Plaies des autres, chaque jour est une lutte sans merci et je contemple les étoiles qui tombent dans des puits d’histoires par quête d’anonymat.
Chaque jour, l’océan s’approche de mes villes bleutées endormies au milieu de deux  vils naufrages qui se frottent les yeux au fond des mers. Esclave de cette beauté-là, seules les chaînes témoignent de notre liberté quand on les a brisées. 

 

Décor d’intérieur

 

chemise de nuit
criblée de boutons d’étoiles
regard
assis sur un lit de solitude
cœur
dans de beaux draps

mes os
grains de beauté sur le visage de la terre
semés dans la laideur des fissures

souvenirs
tas de tôle froissée
passés à la casse de l’enfance

du dedans
mourir pour revenir sur ses pas
ainsi mon souffle prend forme
dans l’argile môle d’inattendue
sculpté
à l’effigie des tourments

 

 

Présentation de l’auteur




Bluma Finkelstein, La dame de bonheur

Bluma Finkelstein demeure un poète encore méconnu. On peut  pourtant dire d’elle qu’il s’agit d’une voix majeure de la littérature israélienne francophone contemporaine. Son livre La petite fille au fond du jardin (Diabase, 2000) a profondément touché de nombreux lecteurs et elle a été, en 2019, lauréate du prix international Benjamin Fondane. Avec sa Dame de bonheur, elle continue à nous enchanter.

Mais qui est donc cette « Dame de bonheur » sur les pas de laquelle Bluma Finkelstein nous entraîne sans répit ? Quelle est cette fée qui semble l’envelopper et la protéger ? S’agit-il d’une sainte patronne ? D’un ange gardien ? S’agit-il de sa mère, cette dame à la « chevelure noire enroulée en nattes autour de sa tête » ? Ne s’agit-il pas, plutôt, de Bluma Finkelstein elle-même sous les traits d’une enfant radieuse quand « tout brillait » et que « les rosiers changeaient leurs épines en épices d’Orient » ? Oui, nous dit le poète, l’enfance est cette « divine escale sur le versant éclairé de l’existence » à une époque de la vie où l’on croit « presque à l’immortalité ».

 Vert paradis de l’enfance, donc, ce « temps des mythes et des histoires heureuses où tout finit bien », avec ses « printemps embaumés » et ses « orangers en fleurs, ses « rayons du soleil plus sucrés que le vin de Cana ». Mais plus dur, on le sait, sera la chute. « Pourquoi après le ciel radieux, cette « avalanche de neiges grises »  et ces routes « inondées du sang des innocents » ?

Bluma Finkelstein, La dame de bonheur, éditions Diabase, 80 pages, 10 euros.

Alors pour faire face, Bluma Finkelstein sort sa « grammaire de survie ». Elle s’arc-boute sur un mot-clé : la connaissance. « Le bonheur est l’effet de la connaissance, écrit-elle, c’est là que Dieu respire ». Ailleurs, elle dit : « Ne te dépêche pas d’arriver, apprends » ou encore ceci : « cherche au lieu de courir ». Autant d’injonctions dans un monde qu’elle sent marquée par la montée des périls, par toute cette « chair brûlée/sur la terre des promesses ».

Le poète est là, à l’heure où l’on parle plutôt de murs et de frontières, de « routes vaines qui s’enfoncent dans les souterrains », le poète est là pour « créer des ponts ». C’est sans doute à cette condition que la dame de bonheur pourra retrouver, un jour, droit de cité.

 

Illusions, poème de Blulma Finkelstein, musique D. W. Solomons, guitare et alto.

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet

 Jacques Robinet a publié plusieurs livres de poèmes aux éditions La Tête à l’envers. En 2018, les éditions La Coopérative ont fait paraître son récit autobiographique, Un si grand silence, bouleversante évocation de la figure maternelle et du parcours d’existence de ce prêtre psychanalyste, ami de Julien Green.

Les qualités de son écriture, sensible et très maîtrisée à la fois, éclataient dans ces pages de prose, d’une exigence bien rare en notre époque. Sans aucune complaisance, sans autre ligne directrice que la recherche inlassablement reprise de la vérité de l’être.

La monnaie des jours, qui vient de paraître, me semble réunir en un volume toutes ces remarquables qualités. « Un passé en forme de traces » offre d’abord, en une première partie, un ensemble de poèmes en prose, précédés d’une « lettre à mon dernier analyste ». Ce sont des rencontres, des ambiances, des songeries, qui font penser au promeneur ou au rêveur des crépuscules baudelairiens.

La partie centrale, la plus importante, rassemble des pages de journal des années 2012 à 2019. Le poète dialogue avec lui-même, le croyant s’interroge sur sa foi, sur Dieu et sur la mort. L’écriture du diariste atteint là des sommets, où le feu de l’introspection se confond avec les rougeoiements et les brûlures d’une parole  souvent confrontée au silence.

Ecrire ces choses, remâchées depuis toujours, non pour me convaincre, mais pour atteindre le silence où Son appel me convoque.

Jacques Robinet, Un si grand silence, Editions de la Coopérative, 2018, 148 pages, 18 €.

N’être plus à la fin que cette brebis pantelante qui se rend au berger qui la poursuit. Oh ! les mots, les phrases, l’enchaînement des images, tout cela usé jusqu’à la corde, cet épuisement du langage qui se hâte, honteux, vers sa source, sans jamais la reconnaître, ni renoncer pour autant à sa quête.

Si Dieu vient, que ce soit malgré cette hémorragie du langage qui est maladie humaine. Il faudrait être, à son exemple, un enfant sans paroles pour l’accueillir. Tous nos mots bafouillent, couvrent sa voix qui est silence.

 

Comment ne pas ressentir ici, profondément, cette fièvre, cette lutte avec et contre les mots, pour tâcher d’avancer sur le chemin de lumière ? Jacques Robinet aime ces mots, il avoue : « Je me grise de mots, je le sais. J’ai besoin de mots comme l’oiseau a besoin de graines. Je les rêve, les brode, les charge de mission impossible : dire à ceux que j’aime, morts ou vivants, combien ma vie est riche grâce à eux. » Mais il sait aussi, et il le prouve à chaque page, que la « source endormie » peut jaillir « au détour d’un mot ». La vie de l’âme, suivie en ses doutes, ses contradictions, ses météorologies intérieures, ne cesse d’alimenter ce journal.

 

Jacques Robinet, La Monnaie des jours, Editions de la Coopérative, 2019, 233 pages, 21 €.

Si on devait penser à l’avenir de nos pauvres écrits, nous aurions tôt fait de ramasser nos pelles et nos seaux, avant la prochaine marée. Il faut écrire comme l’enfant joue à capturer la mer, sans  y croire. Si vivre pouvait être occupation ludique, le monde serait moins sinistre. Inutile de rêver ! On écrit le plus souvent pour tenir en respect la crainte et la douleur. Toute création s’efforce de guérir la vie.

 

Le psychanalyste le sait, mais tout aussi bien le chrétien qui veut vivre dans l’amour : parler, écrire, peuvent aider, à condition que tout reste ouvert, que l’on puisse faire confiance au plus simple,  qui est souvent aussi le plus silencieux.

 

L’Inconnaissable nous frôle sans se dévoiler. Il suffit de maintenir la possibilité d’une promesse qui ne se trahit pas. Trop de discours se referment. Comment garder l’ouvert ? Dehors, le silence des arbres qui ruminent la lumière. Ne pas faire procès à Dieu de ses extravagances qui sont l’expression de ce qui déborde nos limites. Revenir à la goutte d’eau qui se perd dans la mer.

 

La dernière partie du livre, « Clartés d’avenir », tente par une autre voie, celle de l’aphorisme, d’atteindre cet « Inconnaissable », et ce sont  alors de fraîches gouttes qui semblent couler de source :

 

                  Ne retiens pas l’oiseau ou la fleur : goûte son chant et son parfum

                                                              *

                 Neige : coup d’archet du silence

                                                              *

                 Ecrire comme on plante des arbres : pour retenir la terre auprès des eaux

 

Cette belle et riche « monnaie des jours », que Jacques Robinet grappille pour nous dans l’espérance, malgré sa hantise de la mort qui vient, malgré toute la cruauté tragique de la vie, nous la recevons comme un véritable trésor, de beauté et d’humanité.




Encres vives n°492, Claire Légat : Poésie des limites et limites de la poésie

Encres vives, revue ou fascicule, livre ou recueil ? Peu importe, parce que ce que ce format A4 de facture simple et brute est un support poétique qui achemine le poème en le donnant à voir dans l'immédiateté de sa présence sur des pages elles-mêmes d'une facture éminemment poétique.

Chaque numéro est consacré à une ou un poète et reste fidèle à la ligne graphique qui est celle des recueils publiés par la maison d’édition du même nom, le tout orchestré par Michel Cosem. Ce numéro 492 offre ses pages à la poésie de Claire Légat. Une couverture sobre, monochrome, dont la couleur change selon les numéros, et une typographie patchwork, qui mélange plusieurs polices de caractère, et n’est pas sans évoquer les publications d’autrefois, où se juxtaposaient une pluralité de signes de diverses factures. Le titre lui est toujours écrit dans la police de caractères Mistral, et place le tout sous l’égide d’une  volonté affichée de se tenir proche de l’écriture manuscrite, du geste, de la respiration, de l’authenticité du poème, et du moment où la trace scripturale apparaît. Cette mise en forme tutélaire est accompagnée d'un florilège de polices, de tailles diverses, et est servi par un jeu avec l'espace scriptural qui est l’objet de toutes les audaces, de tous les moyens pour mettre en valeur l’écrit. La mise en page devient un acte signifiant, un support sémantique.

Encres vives, 12 numéros 34 €.

De ce numéro à couverture rouge dont l’agencement place juste là où ils doivent figurer les éléments qui annoncent le sommaire, je garde cette sensation de toucher l’essence d’une poésie qui de facto grâce à la scénographie éditoriale est placée dans le sillage direct des voix portées par ces pages depuis sa création, voix qui honorent le travail de Michel Cosem. Claire Légat ne gâte rien à cette qualité de la publication. « Poète sans âge, poésie des limites et limites de la poésie » chapeaute les titres qui annoncent le contenu : « Nous nous sommes trompés de monde, extraits », « D’outre moi-même, recueil en cours d’écriture », et « Murmuration du vide, inédit »… Un tour d’horizon de l’œuvre de la poète, qui nous offre des textes magnifiques. La mise en œuvre de Michel Cosem permet de créer un dialogisme, d’un texte à l’autre, d’un recueil à l’autre, et avec quelques articles, qui mènent le lecteur vers un discours sur et pour le poème, le langage dans le poème. Grâce là encore au jeu des textes sur l'espace scriptural, le silence donne épaisseur  aux blancs de la page et devient lui aussi un espace de réflexion. La dernière page propose une brève bio/bibliographie de Claire Légat, et des annonces, dont la création du mouvement « Poésie des limites et limites de la poésie », dont celle-ci assure la direction littéraire.

La quatrième de couverture est un espace offert à la mention d'extraits de correspondances ou d'articles consacrés à Claire légat, avec entre autre des propos de Géo Libbrecht, "Ici, rien de gratuit" dit-il à propos de de l'écriture de la poète dont Laurence Amaury nous rappelle le long retrait, mais également le retour, avec son poème Murmuration du vide, un inédit publié par Encres vives, autant dire un trésor...!

 

Je ne cherche pas à t'habiter : ton visage
                                  devient mon espace.
Je veux demeurer toute à l'univers qui me retient
et si étroit encore
que nos vies s'accordent mal au rite du sablier...
Eau minuscule bue à l'envers des miroirs :
l'ombre a cette douceur fauve.

Nous sommes la même plage visitée par la même mer :
l'attente nous unit, l'instant nous divise

 

Entre notre peau et les Encres vives du poème il ne reste plus que le regard, vous l’aurez compris, tant cette revue poétique est poème qui porte le poème. Sa matière brute et dense, atemporelle et de toutes les époques, tient comme une offrande des pages qui ne dorment jamais, tant est vivace et dynamique la danse des mots habillés de lettres follement différentes et libres d’aller où il faut qu’elle disent juste, qu'elles se taisent, qu'elles murmurent. Rien à ajouter, si ce n’est qu’il faut tenir Encres vives dans sa main.