Giovanna Iorio et la magie des voix

ACQUA PIOVANA

 

Oggi non avevo voglia
di essere me
allora ho camminato
a lungo dietro a
ombrelli aperti
ho cercato un tetto
un canale rotto
oggi sono stata
un secchio
d’acqua piovana. 

EAU DE PLUIE

 

Aujourd’hui je ne souhaitais pas
être moi-même
alors j’ai longtemps
marché derrière des
parapluies déployés
j’ai cherché un toit
une gouttière brisée
aujourd’hui j’ai été
un seau
d’eau de pluie.

 

Traduction Marilyne Bertoncini

                        1.

Ti guardo mentre ti spogli 
E il vuoto si riempie di foglie
Te ne stai silenzioso in mezzo alla luce
Osservi il mio stupore muto.

Je te regarde quand tu te dépouilles
Et le vide se remplit de feuilles
Tu te tiens en silence dans la lumière
Tu observes ma muette stupeur.

                        2.

Oggi curo i tuoi rami
Anche quello spezzato
Che ha dentro ancora la linfa.
Lo avvolgo in una benda
Come un arto malato
Ecco la tua mano, nell'aria, ferita.

Aujourd'hui je soigne tes branches
Même la cassée
Où coule encore la sève.
Je l'entoure d'un bandage
Comme un bras malade
Voici ta main, dans l'air, blessée.

 

 

                        3.

Oggi abbraccio un albero
E il sole  sulla  corteccia
Tra pochi istanti il nero
Scomparirà. La luce farà breccia.

 

Aujourd'hui, j'embrasse un arbre
Et le soleil sur l'écorce
Sous peu le noir
Disparaîtra. La lumière gagnera.

                        4.

Eri sveglio anche tu.
Ti ho sentito respirare.
Avevi la luna  tra i rami
Come una lanterna accesa
E nidi vuoti da cullare
Per tutta la notte.

Tu étais toi aussi réveillé.
Je t'ai entendu respirer.
Tu portais la lune entre tes branches
Comme une lanterne allumée
Et des nids vides à bercer
Pour toute la nuit.

                        5.

Sogniamolo insieme il mare.
Se vuoi salgo in cima al tuo ramo
Più alto. Si vede da lassù
In fondo brillare? E se ancora
Fosse lontano, scenderò
Proverò a darti la mano.
A camminare nella tua ombra.
Avanzare.

 

Nous rêvons ensemble de mer.
Si tu veux je monte au sommet de tes branches
tout en haut. De là-haut, est-ce qu'on voit
briller le fond ? Et si c'était encore
loin, je descendrai
J'essaierai de te serrer la main.
De marcher dans ton ombre.
D'avancer.

                       

                        6.

Somiglia alla meraviglia del cielo
Il tuo intreccio complicato
Di rami storti e nidi vuoti
Il silenzio è tornato
Si sente in alto solo un respiro
Il tuo pensiero alato.

On dirait la merveille du ciel
L'entrelacement complexe
De branches tortes et de nids vides
Le silence est revenu
On n'entend en haut qu'un souffle
Ta pensée ailée.

 

                    7.

Tra varchi di foglie secche
Si vede un cielo malato
E una nuvola bianca come la neve
S'appoggia già lieve
A un ramo piegato
L'inverno passa ogni giorno
A farti un saluto
Un vecchio amico.

A travers les brèches de feuilles sèches
On voit un ciel malade
Et un nuage blanc comme neige
S'appuie déjà doucement
A une branche pliée
L'hiver passe chaque jour
Te saluer comme
Un vieil ami.

    

                        8.

Voglio abitare una casa che ti somigli
Le stanze verticali le foglie
Il letto nel ramo più cavo
Una coperta che sussurri parole
Felici di giovani tigli

E voglio ospitare creature
Anche quelle randagie e raminghe
I rapaci e le fiere
Tenerle tutte con me per un poco
Giocare prima di andare a dormire
Osare qualche fiamma
Accendere perfino un piccolo fuoco
Che non bruci. Solo un fuoco che brilli.

Je veux habiter une maison qui te ressemble
Les pièces verticales le feuilles
Le lit dans la branche la plus creuse
Une couverture murmurant des mots
Heureux de jeunes tilleuls

Et  je veux abriter des créatures
Même errantes et perdues
Les rapaces les bêtes sauvages
Les garder un peu avec moi
Jouer avant de dormir
Oser quelque flamme
Allumer même un petit feu
Qui ne brûle pas. Qui brille seulement.

                        9.

Vorrei che mi raccontassi qualcosa
Provo a poggiare l'orecchio sul tronco
questo nodo che hai in gola
ti tiene legata la voce?

Tu che hai visto ogni alba e tramonto
Cosa ti ha lasciato la luce che muore?
Un suono? Un colore?
Posso trasformare la luce
in parole?

Ma sento ribollire la linfa.
Ridi, rispondi, t'adire?
Né l'uno né l'altro
Un ramo in diniego nel vento.
Nel tuo silenzio nascondi
i segreti più veri.

Je voudrais que tu me dises quelque chose
Je tente de poser l'oreille sur le tronc
Ce noeud que tu as dans la gorge
Te noue la voix ?

Toi qui as vu toutes les aubes et les couchants
Que t'as laissé la lumière qui meurt ?
Un son ? Une couleur ?
Je peux transformer la lumière
en parole ?

Mais je sens bouillonner la sève.
Tu ris, tu réponds, tu te fâches
Ni l'un ni l'autre
Une branche le nie dans le vent.
Dans ton silence tu caches
Les secrets les plus vrais.

                        10.

Guardo le tue venature
Le macchie porpora pronte a brillare
Quando il sole ti viene a sfiorare.
Non c'è dolore nelle foglie cadute
Solo una leggera rassegnazione
Che resta a fluttuare nell'aria
Per ore, o forse per tutta la vita.

Lasciano un segno lieve
sono sull'asfalto una forma
appena intuita.
Come la storia sulla nostra pelle
Che il tempo traccia a matita.

 

J'observe tes veines
Les taches pourpres prêtes à briller
Quand t'effleure le soleil.
Pas de douleur dans les feuilles tombées
Seule une légère résignation
Qui fluctue et reste dans l'air
Pendant des heures, ou peut-être toute la vie.

Elles laissent un signe léger.
Sur l’asphalte c’est une forme
qu’on devine à peine.
Comme l’histoire sur notre peau
tracée au crayon par le temps.

 

Présentation de l’auteur

Giovanna Iorio

Giovanna Iorio vive a Londra. Ha pubblicato diverse raccolte di poesia; le più recenti "Ora rischiara" (EscaMontage, 2019) e Poesie d’amore per un albero (Albeggi,2017), Succede nei paesi  (Fara 2017) La neve è altrove (Fara, 2017)  rosa opere finaliste al Premio Camaiore 2017), Haiku dell’Inquietudine (Fusibilia,2016), Frammenti di un profilo (Pellicano, 2015, Premio Sassari e Premio Civetta-Minerva ). Molte delle sue poesie si trovano in antologia: Cuore di preda (CFR),  SignorNò (SEAM), Ifigenia siamo noi (L’Arca Felice). Ha scritto una raccolta di racconti (Dormiveglia, Fara, 2018) e sempre con Fara ha pubblicato Succede nei paesi (ottobre 2017).

Altre pubblicazioni includono storie per bambini (Cento storie per quando è troppo tardi, Feltrinelli 2013, Cento storie per quando è veramente troppo tardi, Feltrinelli 2014, Le storie invisibili -Radiolibriamoci web). Per il Cantiere di Rai 3 e Radiolibriamoci web ha scritto radiodrammi (Con le musiche originali del Notturno Concertante e la voce di Dario Albertini. Collabora con le riviste: Roma&RomaDiarioRomanoErodoto 108 e L’EstroVerso.  

Tra le attività la creazione di Little Free Library Italia e Poetry Sound Library.

 

∗∗∗

 

Giovanna Iorio vit à Londres. Elle a publié plusieurs recueils de poésie; les plus récents "Ora rischiara" (EscaMontage, 2019) et Poèmes d'amour pour un arbre (Albeggi, 2017), Succede nei paesi (Fara 2017), La neve è altrove (Fara, 2017) finaliste au Camaiore Award 2017 ), Haiku dell'Inquietudine (Fusibilia, 2016), Frammenti di un profilo (Pellicano, 2015, Sassari Award et Civetta-Minerva Award). Beaucoup de ses poèmes se trouvent dans l'anthologie: Cuore di preda (CFR), SignorNò (SEAM), Iphigenia siamo noi (The Happy Ark). Elle a écrit un recueil de nouvelles (Dormiveglia, Fara, 2018) et toujours avec Fara  a publié Succede in paese (octobre 2017).

D'autres publications incluent des histoires pour enfants (Cent histoires pour quand il est trop tard, Feltrinelli 2013, Cent histoires pour quand il est vraiment trop tard, Feltrinelli 2014, Les histoires invisibles -Radiolibriamoci web). Pour Cantiere di Rai 3 et Radiolibriamoci web, elle  a écrit des pièces radiophoniques (Avec la musique originale de Notturno Concertante et la voix de Dario Albertini.  Elle collabore également avec les magazines: Roma & Roma, DiarioRomano, Erodoto 108 et L’EstroVerso.

 

Parmi ses activités, on compte la création de Little Free Library Italy et de Poetry Sound Library.

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Marc Tison, L’Affolement des courbes

Si écrire est encore possible, c’est une voix comme celle de ces pages-ci qui est souhaitable.  Une voix présente mais qui évince un lyrisme pesant et gluant comme les mauvaises chansons, une voix qui à travers cette lecture personnelle du réel en restitue la matière, sans jugement mais sans concession.

Marc Tison est depuis toujours un auteur engagé. Sans grandiloquence ni axiomes alambiqués, c’est dans le discours de la terre, d’une humanité qu’il aime et qu’il regarde avec acuité et bienveillance qu’il prend la matière de ses poèmes. Une langue pure et simple, un lexique usuel, et un ensemble qui restitue la présence du poète dans le quotidien et en dévoile parfois les affres, parfois les évidences, sans les accepter, mais sans les condamner. Il énonce, et il aime. Du nord il a gardé ceci, cette dignité des briques feu des maisons aujourd’hui abandonnées à un passé sanglant, et à un présent non moins terrible. Cette région si splendide est ignorée, abandonnée, lâchée par les pouvoirs politiques. Sans le dire jamais, dans la modestie d’une posture toujours discrète mais efficace, auprès des autres, Marc Tison parle droit et fort comme les paysages de là-bas qui ont bercé son enfance et façonné son âme.

Marc Tison, L'Affolement des courbes, Lacheinne
Edith, collection Nonosse, 2020, 122 pages.

Ce second recueil est mis en page  une nouvelle fois par Jean-Jacques Tachdjian, graphiste et éditeur qui explore et invente,  renouvèle sans jamais ressembler à quiconque, ni à lui-même, ce qui me semble encore le plus important, avec ce carnet de route permanent de demeurer irréductible aux exigences du nombre. Travail d’orfèvrerie graphique disais-je, pour des  mises en page qui délient le carcan du quadrilatère blanc pour offrir mille reliefs et un horizon infini aux textes, variant les typographies, étendant le poème sur la double page du livre, les enchâssant dans des lignes fines et dont la géométrie déploie métaphoriquement toutes les potentialités des poèmes. Des dispositifs ni exubérants ni austères, ni intempestifs ni insipides, tout est juste, tout ouvre vers une liberté absolue. Attention, l'évasion des textes ainsi produite pourrait nuire aux certitudes de certains, et susciter un questionnement qui bien que salvateur pourrait déranger celles et ceux qui ne souhaiteraient pas réfléchir...

Les thématiques abordées par Marc Tison sont celles de nos vies, celles de tous nos jours. Il y a cet étonnement, celui de l’enfant, celui de l’homme resté dans le regard de cet enfant et dans la vie, l’amour, mais pas n’importe comment, magnifiés ou interrogés toujours pour en révéler les incohérences, les absurdités, mais la beauté profonde de ceci, qui est sûrement le fait de ce regard conscient posé sur des éléments anecdotiques que le poète mène à la source de toute humanité.

Mais peut-on encore écrire, peut-on encore évoquer la littérature comme avant ? Peut-on faire comme si, alors, rien n'était arrivé de ce basculement vers on ne sait quoi ? Ecrire, c'est là, dans L'Affolement des courbes, s'enraciner dans le territoire mouvement du monde, y planter un arbre de paroles, pour qu'il pousse et essaie de s'élever. Ecrire c'est dire, c'est agir comme le poète sur scène offre sa voix aux textes pour qu'ils vivent, qu'ils soient ce dont ils sont fabriqués, cette énergie vive et humaine, qui se recrée à chaque fois différemment. Ecrire c'est communier, c'est cette unique instance d'une voix  qui devient celle du nombre. C'est un don, un cadeau, une puissance partagée, et c'est dans cette dynamique qu'il sera possible d'aller vers un monde nouveau. Désormais, rien ne sert plus à celles et ceux qui offrent leur figure à des lauriers que seule la littérature choisirait d'offrir s'ils existaient vraiment, car aucune gloire autre que celle du partage n'existe, qui fait pousser des fleurs cosmiques dans le jardin des effacements : la poésie, assurément.

 

En prélude symphonique
Dans un élan obstiné
Une chorale de miséreux
Féconde une rébellion 

Ça crie dans les trouées
Ça crie des langues de baisers
Sur des lèvres nues
Grandes offertes aux souffles de connivences
Orgasmes déposés colorant les talvères

Il germe de l'espoir dans les musiques qui traversent
Nous sourds aux flonflons du temps
Violents
Nous rudes
Puis les murs
Trouant des fenêtres de suie

Présentation de l’auteur

Marc Tison

  1. Né entre les usines et les terrils, à Denain dans le nord de la France. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières.

Lit un premier poème de Ginsberg. Electrisé à l’écoute des Stooges et de John Coltrane.

Premiers écrits.

1975 s’installe à Lille. L’engagement esthétique est politique. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications dans des revues. 

Il écrira et chantera plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes.

Décide de ne plus envoyer de textes aux revues pendant presque 20 ans, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phrases sans fin puis il jette tout et s’interroge sur l’effondrement du « moi ».

Déménage en 2000 dans le sud ouest. Reprend l’écriture et la publication de poésie.

Engagé tôt dans le monde du travail. A pratiqué dans un premier temps de multiples jobs : de chauffeur poids-lourd à rédacteur de pages culturelles, en passant par la régie d’exposition (notamment H. Cartier Bresson) et la position du chanteur de rock. Puis il s’est dédié à la production musicale pour, depuis 25 ans, se spécialiser dans la gestion et l’accompagnement de structures et projets culturels.

 

 

 

 

 

 

Poésie

1977 - 1981 : Publié dans plusieurs revues (dont « Poètes de la lutte et du quotidien »)

2000- 2019 : Publié dans plusieurs revues (« Traction Brabant, Nouveaux Délits, Verso, Diérèse,…).

2008 : Recueil collectif « Numéro 8 », éditions « Carambolage ».

2010 : Recueil « Manutentions d’humanités », éditions « Arcane 17 ».

2012 : Recueil « Topologie d’une diaclase », éditions « Contre poésie ».

Texte « Désindustrialisation », éditions « Contre poésie ».

2013 : Recueil « L’équilibre est précaire », éditions « Contre poésie ».

                  Trois affiches poèmes, éditions « Contre poésie ».

2015 : Recueil « les paradoxes du lampadaire » + « à NY ». « Editions Contre poésie ». 

2017 : Recueil « Des Abribus pour l’exode » (accompagné de 7 images / peintures de Raymond Majchrzak)  Editions « Le Citron Gare ».

2018 : Recueil « Des nuits au mixer ». (Mise en page J.J. Tachdjian). Editions « La chienne » collection « Nonosse »

 

 

 

Autres 

Depuis 2010 : Lectures / Performances / installations poésie (solo, duo avec Eric Cartier et collectif).

2014 : Publications de quinze textes et une nouvelle dans le livre d’artiste « Regards » du photographe Francis Martinal.

A publié plusieurs nouvelles sur des sites en ligne.

 

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Le haïku face au changement climatique

Le haïku est un genre poétique particulièrement « exposé » au changement climatique puisqu’il est axé par définition sur la nature et le passage des saisons. Dans un essai original, l’auteur brestois Alain Kervern  nous révèle  comment le poète peut aujourd’hui devenir un véritable lanceur d’alerte.

Dans le haïku classique ou néo-classique (poème bref de trois vers, concret, saisissant une émotion fugitive), ce que l’on appelle les « mots de saison » sont primordiaux. Le poète japonais les puise dans un Almanach qui répertorie les mots accolés à telle ou telle saison (à titre d’exemple : le cerisier pour le printemps, le coucou pour l’été, la lune pour l’automne, la neige pour l’hiver). Il serait inconvenant ou incongru d’utiliser un mot qui ne correspond pas à une saison précise.

Mais aujourd’hui, avec le dérèglement climatique en cours et avec les menaces qui pèsent sur la biodiversité (liés notamment à la pollution, à l’urbanisation effrénée ou aux industries), certains « mots de saison » ne trouvent plus leur place dans les saisons qui les concernent. On assiste à un « écart entre le contenu de l’Almanach et la situation réelle », note Alain Kervern.

Alain Kervern, Haïkus et changement
climatique.Le regard des poètes japonais

Géorama, 98 pages, 12 euros.

« Les repères anciens peuvent être brouillés ». Il cite le cas du repiquage du riz avancé ou retardé en fonction de l’arrivée de hausses de température. Le réchauffement climatique provoque aussi le déplacement de certaines espèces animales. Le cas, par exemple, de la « cigale des ours », originaire du sud de l’archipel nippon, qui aime les températures élevées mais tend désormais à investir des espaces urbains plus au nord.

Autant dire que l’auteur de haïku, parce qu’il est sensible par définition aux phénomènes naturels et météorologiques, devient en quelque sorte la vigie ou le guetteur de tous les dérèglements en cours (et cela dépasse donc la seule question des « mots de saison »)

  

      Les yeux tournés vers l’île
où se déchaînent les cigales
le bébé apeuré

                                 Kurita Setsuko

 

      Tant de produits chimiques
se dissolvent en nous
vaporeux nuages des cerisiers en fleurs 

                                    Motomiya Tetsurô

 

      Au fond de la nuit
s’éteignent l’une après l’autre
les lucioles pour toujours 

                                Hosomi Ayako

 

 

Car les lucioles ont tendance à disparaître à cause de la prolifération d’éclairages artificiels.

 Ce rôle d’avant-garde du poète justifie-t-il pour autant que l’écriture de haïkus devienne en quelque sorte un acte militant. Pas certain, estime le haijin japonais Yasushi Nozu que Alain Kervern a sondé sur le sujet. Selon lui, « il est difficile et même contradictoire de s’inspirer en poésie » du thème du dérèglement climatique. Pourquoi ? « Parce que composer des haïkus sur ce thème, c’est exhaler une douleur plus qu’exprimer une émotion littéraire ». Yasushi Nozu note aussi que dans le haïku on transmet une émotion au lecteur « de façon indirecte ». Il rappelle qu’un bon haïku fonctionne « de façon allusive » (en contradiction avec un affirmation tranchée).

Alain Kervern tranche un peu lui-même le débat en prônant une forme de nouvel humanisme. « La menace de bouleversements à venir, écrit-il, nous apprend à vivre chaque instant avec une ferveur parfois oubliée » et « avec une attention plus vive à la fragilité et l’impermanence de ce qui nous entoure ». Parole de sage (breton) qui connaît sur le bout des doigts le rapport subtil que les poètes japonais entretiennent avec la nature.

Présentation de l’auteur

Alain Kervern

TextesAlain Kervern est né à Saïgon le 14 janvier 1945. Diplômé de l’École nationale des langues orientales vivantes, et de l’université Paris-VII, il revient définitivement en Bretagne en 1973. Il vit à Brest où il enseigne le japonais. Il a traduit plusieurs poètes des traditions classique et moderne du haïku.

© Crédits photos Franck Betermin

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Rémi Checchetto, Laissez-moi seul

Ce trente-deuxième ouvrage de l'auteur de  Puisement dévide un traité de solitude à l'usage de celles et de ceux qui voient encore dans la poésie une manière de baume, expressif, où les mots, les vers, les rythmes jouent le rôle, avec les questionnements continus, les adresses à soi, qui puissent faire sens et offrir quelque consolation.

Il est un ressassement qui fore plus loin encore le constat, l'effroi, les lentes et précises descriptions d'un monde qui ne s'apprivoise plus.

 

il y aura que la ville ne sera plus blottie ni endormie sous les guirlandes et les flonflons 

 

Le poète, « plein de larmes », sait, tout en sachant son contraire. Ce monologue acide, lucide déroule une pensée vive, toujours aux aguets de ce qu'alimente son soi pesant, décortiquant les fragilités, les angoisses, et ses voeux (« laissez, laissez revenir ma mémoire, laisse reverdir ma mémoire, laissez-la me revêtir ») .

Le monde est  injuste , « où les bombes pleuvent, où « l'on s'enferme en soi » pour ne pas trop pâtir de l'extérieur immonde auquel on expose tant de « victimes ».

Rémi Checchetto, Laissez-moi seul, Lanskine, 2018, 40p., 12€.

Dans une langue qui pétarade, use des répétitions, questionne et vrille les réalités, Checchetto fait de ce long poème, si peu ponctué, un manifeste de liberté, une flambée de cris quand l'insupportable s'impose à nous.

La force des mots, des images, du mouvement qui porte l'auteur à creuser plus loin, emporte la lecture et la hisse à la bannière des grandes revendications morales. « Pour remettre sa pensée en mouvement », quasi mot de la fin.

 

Présentation de l’auteur

Rémi Checchetto

Textes

Rémi Checchetto est un écrivain français, dramaturge et poète né en 1962. Il écrit depuis plus de quinze ans en compagnie avec des metteurs en scènes, des comédiens, des musiciens, des photographes, des danseurs, des plasticiens , des éditeurs...

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Albertine Benedetto, Vider les lieux

Sur la couverture l’aquarelle d’Hélène Baumel, un chemin d’automne d’une tristesse envoûtante, incite à la lecture de ce recueil ponctué d’autres lavis. Leurs ombres au brun subtil se glissent, s’étalent et se diffusent en taches d’un orange ambré.

Vider les lieux est un titre rude et imprévu. Une injonction qui aurait pu se terminer par un point d’exclamation (!)? Un constat qui aurait pu se terminer par des points de suspension (…)? Une métaphore qui aurait pu…Mystère. Recevoir l’ouvrage le jour même du décès d’une amie d’adolescence1 lui a donné une portée imprévue : il s’est fait l’écho d’une évocation libre et autre de la mort.

Pour Albertine Benedetto, cette mort est si proche qu’elle harcèle jusqu’à nos propres mots : « Le monde est habité par les mots – il suffit d’enlever le R de mort ». Nous devenons des survivants, dont «  les mots » désormais prioritaires jonglent, fabriquent et rappellent l’histoire des absents2.

Albertine Benedetto, Vider les
lieux
, Ed. Al Manar, 2019, 16€

Il nous faut « conduire le deuil / en procession de mots », à « nos aimés ».  Que devient ce chagrin a posteriori, « toutes ces vies / en forme de récits / sur des carnets / illisibles » ? A décrypter donc. Les objets posthumes – cad sans propriétaire - devenus porteurs d’un sens libéré, proposent alors « un labyrinthe de signes / où s’égarer ». L’histoire de ces « meubles déchus » se continuera sans eux en ce « tombeau léger / des mots arrangés d’un poème ».  Les animaux domestiques rescapés deviennent aussi la proie de nos expressions et de notre vocabulaire. Même  « le mot cheval souffle doucement sur un pré / à la saison incertaine », en quelque sorte évadé du vrai corps de l’animal. Autant de termes qui sont « comme des cailloux / pour retrouver le chemin / de la chambre où dormaient les parents ». Des cailloux - repères et souvenirs - que suit la Petite Poucette poétesse. Pour preuve, son ouvrage à la poésie délicate est rythmé selon le découpage tripartite de sa pensée en deuil : « Lieux, Reliques, Je suis là ». Un découpage rassurant sans doute car il est un itinéraire possible à travers la mort, à travers l’expérience de la disparition, donc à travers le ou la défunt.e.  Un voyage dans le langage que l’autrice propose pourtant sans la moindre ponctuation, comme une lente coulée de sentiments et d’observations.

Il faut bien commencer quelque part ce voyage si particulier. Albertine Benedetto s’ancre d’abord en ce « lieu » où vécut et/où mourut le disparu. Qu’en reste-t-il ?  L’acte de se perdre ensuite dans une « ville des morts », ces catacombes, lieu collectif de deuils individuels. Là, les vivants cherchent sous la terre « comme un avant-goût des ténèbres / comme un mode d’emploi / ou quoi ?».

Les habitations sont également des lieux dans le lieu où se cherchent des traces infimes : Les « maisons / à l’heure du tri / saturées de choses / des petits riens ». Elles sont d’une banalité exemplaire : « La maison aux yeux clos/ que rien ne distingue d’une autre ».  Néanmoins des vestiges demeurent à l’intérieur, « des pacotilles de souvenirs / ces nids à poussière ». Elles capturent les vécus enfantins de ce temps d’avant : « Toujours l’enfance bondit / de pierre en pierre dans le lit du torrent ». Un vécu de nostalgie qui conduit à l’avenir de séparation d’avec sa propre enfance: « les draps enveloppent les restes / de l’enfance qui finira ». La disparition engendrera le départ de la maison après un grand ménage : « Bien enclos dans leurs chambres, les morts s’étonnent en novembre ».

Avec la présence des « reliques », un autre temps poétique survient. Tous les objets prennent un autre sens. Ils ont d’abord été une protection rassurante : « Etre dans ses meubles /comme être dans sa peau ». Ils sont ensuite engloutis dans le tourbillon de la mort. Ainsi les « meubles déchus/en bout de succession/ désossés / plus que morceaux de bois ». Laissés en tas sur le trottoir, ils participent au « tombeau ». Il conviendra ensuite de reconnaître la présence de l’être endeuillé (partie Je suis là), porteur de ces « mots tombés du tricot de la vie ».

Au fil de ces pages, partout, des « ombres » se glissent, composant secrètement un certain monde parallèle, fluctuant et fugace. Parfois réelles, parfois figurées. Nées en tout cas de la lumière qui éclaire l’opacité du défunt et du décès. Des choses d’abord : objet, arbre, nuage…  Ainsi « l’ombre d’un rabot / sur la planche équarrie », qui va se « fondre dans une autre ombre / un autre silence ». Ainsi  «  la lumière échappée de l’ombre d’un tilleul » qui laisse apercevoir les balançoires du jardin. Ainsi « on ne voit que des ombres / passantes sur le pré / des nuages flottent » : elles renvoient  aux ombrelles de couleur vive dont les « silhouettes » sont « découpées dans l’ombre des murs ».

Ombre des souvenirs personnels ensuite …Ainsi l’« ombre sur le drap »  où git la mémoire de jeux d’enfance avant de se transformer en linceul. Ainsi  « avec l’ombre de nos mains /nous nous toucherons encore ». Ombres de soi-même et du vivant, « avant de revenir /errer  dans nos ombres pâles/ ignorant de quelle déchirure nous sommes faits ». Mais toutes conduisent à l’ombre des morts et de leurs traces fantomatiques : « leurs ombres s’étirent se remuent / flottent en vapeur douce/au-dessus des marbres luisants ». D’évidence toutes ces ombres ont « un cœur », un seul, celui de la poétesse.

Les mots effleurent les moments du deuil qui, reconnaissons-le, sont  ici séparés par commodité, juste pour parvenir à penser la mort impensable. S’ils conduisent tous à ce « Je » qui récapitule le vécu de la séparation, un tel vécu est déjà présent dans le lieu et dans les reliques. Cette poétesse vit en outre sur  deux niveaux, lors de voyages bien réels qui rappellent aussi la mort. Une superposition qui fait ressurgir ça et là la mémoire du deuil et de la mort en d’autres lieux  (Catacombes San Callisto, Villa Adriana, Via Appia en Italie). Une superposition qui renvoie aussi à un poète contemporain, James Sacré. Autant de strates de soi qui coulent et s’écoulent vers l’affirmation de la vie, vers le Je suis là. Autre façon d’annoncer que nous sommes là aussi !

Notes

(1) Catherine Grupper qui défendit tant de causes justes du MRAP à la libération de Mumia.

(2) Le peintre Michel Julliard m’écrira en écho à cette disparition : « Les ami(e)s ne partent jamais tout à fait, tant que leurs ami(e)s pensent à eux, ils sont juste un peu absents ».




Cécile Coulon, Noir volcan

Suite à l’événement littéraire que fut l'édition de son premier recueil de poésie, Les Ronces, Cécile Coulon prolonge l'aventure avec la publication de son second ouvrage chez Le Castor Astral, Noir volcan, dont l'image énigmatique s'avère le vœu de l'auteur que chacun vive au pied de son propre volcan, dans la douce puissance d’un chez soi : « J'ai écrit ces poèmes pour que chaque lecteur puisse trouver son noir volcan, et s'y sentir chez lui. »

Les textes qu'elle y a rassemblés sont autant de notes prises sur les routes, « dans les wagons, les chambres d'hôtel, au comptoir des buffets des gares, partout où le besoin, et l'envie, de revenir chez soi surgit. » Dès lors, dans l'écrin du quotidien se niche la merveille de l'instant saisi, entre vers libres méditatifs et trame de la narration, dont la pensée se fait tour à tour contemplative et instigatrice d'une quête de sens au fil des départs et des ruptures, des liaisons et des affinités, des habitudes et des événements...

L'une des formules les plus incisives, en aphorisme ou haïku, résume toute l'humilité et toute la portée de ce geste de l'écriture qu'elle renouvelle au fur et à mesure des périples et des épreuves de l'existence : « Je me cache derrière mes poèmes / parce qu'ils sont plus forts / que moi. »

Cécile Coulon, Noir volcan, 
Le Castor Astral.

Cette force retrouvée dans les traces laissées par de tels mots, ne dévie jamais en violence, et se révèle toujours éloge de la douceur, un des thèmes principaux de ce livre, dont le poème « Abîmer la douceur » résume le propos dans une question ouverte : « Comment faire pour cesser, une bonne fois pour toutes, d'abîmer la douceur ? »

Dès lors, son intention d'écrivain demeure celle de garder ce regard bienveillant sur les êtres et les choses, sur le cours de la vie tout simplement, en les nimbant de tendresse, jusque dans la brièveté du passage de la narratrice auprès des autres, pour que sa présence se fasse toujours éclat fugace d’un moment de bonheur généreux, avant de se replier enfin dans la solitude réparatrice de sa nuit : « Je ne reste pas longtemps / pour que vous gardiez de moi une image agréable, / pour que chaque parole prononcée ne soit pas perdue, / pour que vous n'ayez pas la possibilité / de trouver sur mon visage une expression de douleur ou d'agacement, / votre présence ne me fait pas mal et j'aime les gestes tendres / simplement il m'arrive d'avoir besoin d'une nuit / sans étoiles et d'un jour sans déclarations. »

Cette délicatesse de la volonté, toujours ouverte sur les siens, les amours, les amis, les lecteurs, dans cette juste distance trouvée entre absence et présence, ce juste milieu atteint entre élan des gestes et réception du visage de l'autre, l'image du « noir volcan » en figure le lieu-axiome, endroit emblématique d'un espace protecteur rendu possible, ici et maintenant, pour chacun... Ainsi, la personnalité du poète se fait sismographe des éruptions envisageables de la montagne endormie, le plus souvent contenues mais qui signifient une émotion partagée, une colère souveraine pour les nobles causes de l'humanité commune : « Tandis que tu siffles tes souvenirs comme des chiens fidèles, / les rassemblant dans ta mémoire pour battre / une dernière campagne, / tandis que tu fais la liste des moyens à ta portée / pour me trouer les ailes le plus rapidement possible / et ainsi laisser une trace de ta déception, de ta profonde / et brûlante / déception, / tandis que tu bats les cartes pour une ultime partie, / je gronde. »

L'image de la fournaise d'un tel volcan devient alors à la fois colère salutaire et puissance suave, toute à la faveur des humbles, des fragiles, des démunis, dont il convient de préserver cette dignité, cette bonté, cette « gentillesse » constitutives qui ne doivent pas rester des termes galvaudés mais les signes d'une éthique qui nous dépasse : « Nous devrions cesser de penser que cette gentillesse / – ce n'est pas un gros mot, « gentil » - / n'est pas une tare contemporaine. / Ce n'est pas forcément pour être accepté, / pour qu'on vous invite à dîner, à danser, pour ne pas être seul. / Cette gentillesse est un jouet qu'on peut lancer / contre les murs, / qu'on peut tordre dans tous les sens, / qu'on peut faire et défaire, et brutalement jeter par terre, / pour voir par magie les morceaux éparpillés / se rassembler d'eux-mêmes. »

Vigueur d'une morale pourtant vouée à notre fragilité fondatrice, dont le locus amoenus réinventé, ce lieu agréable, comme la région de Clermont-Ferrand dont est originaire Cécile Coulon, s'éprouve comme l'endroit tout de force et d’affection mêlées que la beauté du mont révélé magnifie : « Naître ici c'est venir au monde / avec un autre monde dans la poitrine : / chacun porte en lui son volcan, / chacun se couche la nuit dans un cratère, / chacun jette un œil sur la reine noire / au milieu de cette île où la mer fragmentée en lacs bleus de nuit / fait des guirlandes d'eau magique aux branches des vieux puys. » Géographie de l'intime dont le sésame reste ce trait affirmatif de la phrase ultime : « Ce qui compte, c'est la douceur. »

Présentation de l’auteur

Cécile Coulon

Cécile Coulon est une romancière et poète française.

Poèmes choisis

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Murielle Compère-Demarcy, Dans les landes de Hurle-Lyre

Une mer incendiée, retournée : c’est en compagnie de Blaise Cendrars, Antonin Artaud et des indiens du Montana, que Murielle Compère-Demarcy nous emmène, morts ou vifs, dans un voyage-dédale à travers les mots qui surgissent comme autant de gouttelettes qu’en compte l’océan.

 

 

Entrer dans le monde de Murielle Compère-Demarcy, c’est renverser le paysage, le mettre tête en bas ; et l’eau des étangs, des mers, des fleuves grossis des eaux de pluie, forment alors une planète fluide à marée montante et descendante, fluide qui expulse ses poissons rouges/hors du bocal intérieur/et la rage rentre dedans/et le clair de terre rentre dedans/et el ciel rentre dedans/et le monde-poème rentre dedans.

Ce premier objet nageant bien identifié – le poème comme manière liquide de dire le dedans –, Murielle Compère-Demarcy le dédie à Blaise Cendrars, qui n’aime pas le genre « poète », dans son ouvrage récent, « Dans la lande de Hurle-Lyre », paru chez Daniel Ziv (Z4 éditions) en fin 2019. 

Sortir de l’enfermement qu’est la vie, une vie, à travers le poème qui lui-même sort de l’eau déguisé en poisson rouge, poisson qui est le vin (rouge) de l’écriture, tel est l’exercice risqué, tête en bas, à sang renversé, que tente l’autrice.

Murielle Compère-Demarcy, Dans
les landes de Hurle-Lyre
, Z4 éditions,
illustrations Jacques Cauda, 2019, 138 p., 14 €.

Ce périlleux voyage, tête en bas, la répétition n’est pas superflue, mort en bas, est armé du revolver à deux balles déjà présent dans un précédent ouvrage de Murielle Compère-Demarcy1, « Alchimiste du soleil pulvérisé – poème pour Antonin Artaud», également édité par la maison Ziv en janvier 2019. Il faut sortir armé en effet lorsqu’on fréquente les totems Blaise Cendrars et Antonin Artaud. Et tirer, tirer sur les silhouettes habillées en doigts rouges du cœur (qui) dégouttent des mains. Nous sommes au centre, au plein de l’écriture qui rend lucide donc malheureux, dans le vin de l’écriture. Ivresse obligatoire et répétée par le vin ensorcelant du soleil.

C’est cela, sortir de là, sortir de cette poésie géante qui tue l’ordinaire des vies et fait mal, mal ; comment grandir sans se faire mal ? Hein, comment ? Questionnement sous-jacent : si la vie est un attentat permanent, comment faire danser la mort sans se donner à elle corps et âme ? La mort comme seule vie possible. Comment ?

Coupez mes mains, demande alors Murielle Compère-Demarcy aux lecteurs. Car c’est bien à eux qu’elle s’en remet. La vie est une maladie mentale non reconnue. Antienne.  Alors, lecteurs, si vous vouliez bien tuer les mains de cette Murielle-là, au moins ces mains qui retiennent le cri, peut-être ce cri tuera enfin, armé du revolver à deux-balles, et Cendrars, et Artaud ; ces douloureux passeurs du temps éparpillé. Se retrouver en morceaux, voilà l’apport de la lucidité. Comment guérir de la vie ?

Un autre voyage peut-être pour reformer, réformer, le corps-poème qui protégerait de la grandeur dévastatrice d’un Cendrars, d’un Artaud ? Murielle Compère-Demarcy le tente, posant son sac au Montana, ce pays de montagnes, de neige, d’isolement. La symphonie du nouveau monde, écrit-elle. Le tout sacré des nations indiennes. À poésie renversée, essorée de l’écriture, au royaume de Wakan-Tanka. Elle rencontre le peuple de l’eau du milieu, celui de l’eau renversée : Montana nuage rouge, poisson rouge sorti de son bocal.

Un poème renversant : Un autre monde se dévoile,/une autre réalité se lève/et nous sommes toi et moi dans le paysage/et non plus devant. Au cœur des quatre directions…

L’indien est l’eau, l’indien est un ciel ; il est la lenteur de la longue seconde qui égrène la seconde. Murielle Compère-Demarcy devenue indienne, herbe courbée par le vent.

Faut-il poursuivre, nager encore dans l’océan renversé dans lequel Cendrars, Artaud, deviennent baleines ? Juste un poème encore, définitif, indien, pour sûr : Ralentir l’action/Défense parfaite/Le poème est là.

Mais encore, rebondir… et puis, non.

 

Note

  1. Murielle Compère-Demarcy, Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 éditions, la diagonale de l’écrivain, illustrations Jacques Cauda, 2019, 136 p., 11,50 €.

 




Bruno Doucey, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti

La poésie féminine en Haïti, une anthologie qui suit le fil séculaire du genre sur cette île où il ne doit pas être évident d’être poète, encore moins femme.

Un gros volume de belle couleur scindé en cinq parties qui suivent un ordre chronologique, trente-cinq poétesses, présentées aussi en fin de volume grâce à une biographie, et une préface de l’éditeur Bruno Doucey. Un supplément non négligeable complète ce volume  : un CD qui nous offre “33 voix de la poésie féminine haïtienne”.

Haïti c’est d’abord une histoire complexe et sanglante. Cette île qu’on appelle  "Perle des Antilles", est aujourd'hui un état indépendant. La colonisation en a fait le seul pays francophone indépendant des Caraïbes. Son histoire, de colonisation en dictatures, et les catastrophes naturelles qui s’abattent régulièrement sur elle, ont encore récemment, marqué ses habitants. Le séisme de 2010 pour mémoire, survenu le 12 janvier,  tremblement de terre d'une magnitude de 7,0 à 7,3, a fait plus de 230 000 morts et 220 000 blessés. Un pays pauvre désormais à reconstruire, une fois de plus.

Bruno Doucey, Terre de femmes, 150 ans de poésie
féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey, collection
Tissages, 2019,296 pages, 19€50.

Les poètes de langue créole ou/et francophones sont très nombreux à Haïti. Parmi les plus connus ayant écrit directement en français au moins une partie de leurs textes, on peut citer  Jean Metellus. Et les femmes ? Bruno Doucey nous montre justement qu’il existe une poésie féminine foisonnante et d’une extrême beauté. La table des matières nous interpelle. On remarque que nous avons peu de traces des poétesses de la première moitié du 20 ème siècle... Pas de traces ou pas de possibilité pour les femmes de laisser émerger leurs écrits ? 

La première partie de cette anthologie “Avant 1915” témoigne de la rareté de la survivance des écrits poétiques féminins de ce début de siècle. De Virginie Sampeur, une des deux poétesses (avec Ida Faubert), nous pouvons lire ce si beau poème "L'Abandonnée", qui ouvre l'anthologie.

 

Virgine Sampeur, L'Abandonnée, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

"De 1915 à 1934",  seconde partie sous-titrée "S'il me fallait, au monde présenter mon pays", nous présente plus de noms, huit, et ce poème de Marie-Thérèse Colimon, « Mon pays », qui contient les quelques mots qui sont repris en présentation de cette partie.

 

Marie-Thérèse Colimon, Mon pays, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

La troisième partie, "De 1935 à 1956, Non, je ne me tairai pas…",  nous offre la toujours si magnifique poésie d’Evelyne Trouillot. Mais tous les textes proposés sont des morceaux choisis parmi certainement les plus beaux de ce que peux proposer la poésie féminine haïtienne… Pour exemple, ce poème de Marie-Célie Agnan…

Marie-Célie Agnan, Poème de ma mère, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey

Il y a aussi ce poème, "La Fidélité non plus” qui introduit cette troisième partie, avec Yanick Jean, poétesse, romancière et peintre décédée en 2010, que les éditions canadiennes Mémoire d’encrier contribuent aujourd'hui à sortir de l’oubli.

 

Yanick Jean, La Fidélité non plus, Terre de femmes, 150 de poésie féminine en Haïti, Bruno Doucey.

La quatrième partie, "1957 – 1986, Nous nous appliquons à dessiner une porte de sortie”, propose des voix qui sont arrivées jusqu’à nous plus facilement, grâce à la proximité temporelle, certainement. Savannah Savary, Marie-Marcelle Ferjuste, Judith Pointejour, Elvire Maurouard, Maggy De Coster, et Stéphane Martelly y figurent, avec des textes extraits de différents recueils.

Stéphane Martelly, Départs, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey.

Kerline Devise, Ma Nudité, Terre de femmes, 150 ans de poésie féminine en Haïti, éditions Bruno Doucey.

La dernière partie, "Après 1986, La langue de ma mère se tord en ma bouche", ne propose que deux noms, peut-être ceux qui émergent d’un période relativement proche, qui n’a pas laissé le temps nous révéler d’autres figures emblématiques. Nedjmhartine Vincent et Murielle Jassinthe clôturent donc cette somme dense et riche qui constitue cette anthologie.

Nous le voyons, le parti pris n’est pas linguistique, les versions proposées le sont en français, pas en créole. Le tour d’horizon n’est est pas moins complet et hétéroclite, et laisse toute latitude au lecteur de s’immerger dans la culture haïtienne. Cette anthologie nous permet une plongée dans la poésie de cette île qui a une histoire tourmentée perceptible dans le choix des textes. La place des femmes apparaît aussi implicitement ici. Car les pépites offertes témoignent de ce que ces voix de femmes ont majoritairement échappé au public. Ne l’oublions pas les anthologies sont habituellement la tribune d’une poésie masculine qui occulte bien souvent les œuvres de poétesses que Bruno Doucey met ici un point d’honneur à soutenir, rendre perceptibles, et même parfois réhabiliter. Une belle somme agrémentée par les lectures des 33 textes présents sur le CD qui accompagne cette belle publication.




Yvon Le Men et Simone Massi, Les mains de ma mère

Les poèmes racontent-ils des histoires ? Oui, à coup sûr, sous la plume d’Yvon Le Men. Surtout quand ces poèmes parlent de l’enfance et racontent des aventures familières. Le poète breton s’associe pour le dire au grand dessinateur italien Simone Massi.

  Courir à perdre haleine sur la plage, jeter des bouteilles à la mer (avec, de préférence, un message d’amour à l’intérieur), s’approcher des oiseaux, regarder la lumière des phares clignoter la nuit sur la mer… Autant de petites « aventures » que tant d’enfants (surtout autrefois et plus particulièrement en Bretagne) ont bien connues. Ces aventures avaient déjà été publiées dans deux des trois tomes de l’autobiographie poétique d’Yvon Le Men (Une île en terre en 2016 et Le poids d’un nuage en 2017, aux éditions Bruno Doucey). Les voici réunies en forme de best-off dans la collection Poes’histoires chez le même éditeur. Ne boudons surtout pas notre plaisir de lire ou relire ces textes poétiques (destinés à tout public)  dont le dénominateur commun est l’enfance.

 

Yvon Le Men, Les mains de ma mère, Simone Massi,
éditions Bruno Doucey, collection Poes’histoires, 63
pages, 12 euros.

 

Si les mains d’une mère donnent le titre à ce livre, c’est parce qu’elles renvoient à une mère dont le poète a pris les mains « le jour où ses yeux se sont ouverts/une dernière fois ». Amour filial, retour sur « l’île » de parents aimés et aimants« quand les voyelles/pas si nombreuses/poussaient les consonnes/jusqu’au bout de leurs phrases/ de leurs chants ». Et puis, le temps passant, la famille s’élargit jusqu’à ces « inconnus mais pas étrangers » que le poète rencontrera en Castille, en Finlande, au Danemark « le jour de Noël », à Bamako « le jour de l’Aïd », et dans tant d’autres pays.

Qu’il soit en Bretagne ou au bout du monde, Le Men conserve le regard émerveillé de l’enfance. « Nous avons regardé/à travers le vitrail/passer la mer et le ciel », écrit-il à propos d’une chapelle qu’il a visitée. « Et comme les enfants/écoutant chanter la mer/dans un coquillage// nous avons écouté/chanter les images/qui trempaient leurs couleurs/dans l’eau profonde du ciel ».

Les très beaux dessins de Simone Massi, célèbre dans le monde du cinéma d’animation, apportent une touche particulière à ce recueil. On voit un enfant sous le regard des adultes, tenant ici la main d’un père, absorbé ailleurs par la lecture d’un livre ou levant des yeux vers le ciel… Dessins en noir et blanc ponctués, à l’occasion, d’une petite touche de couleur : l’orange d’une orange dans la main, le rouge d’un rouge-gorge posé sur la tête. Magnifique !

 

Présentation de l’auteur

Yvon Le Men

Textes

Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poétique importante, de quatre récits et deux romans. A Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a publié une chronique hebdomadaire dans le journal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou anthologies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il travaille aussi depuis de nombreuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française pour son recueil "A louer chambre vide pour personne seul" (Rougerie).

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Georges Rose, Jeunesse de l’instant

L'œuvre déjà volumineuse de Georges Rose approfondit, recueil après recueil, la percée du présent, la saisie de l'instant dans la puissance de l'évidence : « La mer est ce gris là-bas / qui devance le paysage1 », « La pluie qui se délivre / la cascade si lente / qu'elle semble immobile contre le roc».

L'œil y donne à accueillir le lumineux sourire de l'éveil : « Voici la lumière / assise dans la neige / avec un seul oiseau noir3 ». On s'y fait accueil d'un monde où se met en mouvement l'universelle unité entrelaçant ses magies : « L'univers a ses culbutes / la longue gestation des ciels / l'éclat qui à son tour commence l'arbre4 » ou encore : « La rue nous accompagne / jusqu'à cette fenêtre qui n'est pas le visible5 »

À l'image du haïku duquel il nous semble si proche, ces poèmes chantent l'étrangeté de l'évidence, le rafraîchissement du regard. La totalité du monde au sein duquel tout n'est qu'enchâssement est soudain montrée sans les limites que notre entendement limité nous forcent à apposer.

Georges Rose, Jeunesse de l'instant, Éditions
Alcyone, Collection Surya, 3e trimestre 2019.

 

Georges Rose est le poète pour lequel s'arrêter pour contempler est déjà, par lui-même, résistance à toutes les formes d'aliénation de notre modernité.

 

Notes

1      P. 5.
2     P. 18.
3      P. 9
4      P. 27.
5      P. 36.

Présentation de l’auteur

Georges Rose

Georges Rose est né en 1955, à Paris. Poète, dramaturge, auteur de récits et artiste plasticien, il est aussi docteur en ethnologie. Depuis des années, il pratique et enseigne le Tai Chi Chuan, art interne et poétique du geste. 

© Crédits photos Babelio

Les invités de l'Arche, Henry, 2009. Des mots parmi les abeilles, Éditions de la Licorne (2009). Détroits, Éditions du Douayeu, 2007. Des mots parmi les abeilles, éd. La licorne, 2009. Noir de lumière, Les écrits du Nord/ Éditions Henry, 2007. Détroits, éd. du Douayel, 2007. Les fées, Les écrits du Nord, Éditions Henry, 2005. Saline, Éd. Souffles, Grand prix des écrivains méditerranéens, 2003. Les évènements, récit, Éd. Henry, 2003. Visite par le silence, Écrit(s) du Nord, 2002. Les demeures du réel, An Amzer, Brest, 2002. Le portique de Naxos, Écrit(s) du Nord, 2000, Prix de poésie de la ville de Béziers. Le grand voyage (récits), Infocompo, 1999. Le désert sensible, Éditinter, 1999, Prix du val de seine. Moments, Cahiers Froissart, Valenciennes, 1998. L'usage du ciel, Souffles, 1997, Grand prix de la compagnie des écrivains méditerranéens. Rivages, Le Dé bleu, 1997, Prix de poésie de la ville d'Angers. Le pèlerinage d'Embrun au Mont Guillaume, Société d'études des Hautes-Alpes, Gap, 1992. Dans les parages du corps, Cahiers Froissart, Valenciennes, 1991, Prix R.L Geeraert. Journal, Ardence, Orléans, prix Claude-Ardent. Écologie et tradition, Maisonneuve et Larose, Paris, 1981. Passages, Millas-Martin, Paris, 1978, prix François-Villon. Voix, Caractères, Paris, 1975. Formes, Chambelland, Paris, 1976, Prix Louise Labé. Espace, Ouvrage catalogue Schaan Liechtenstein, 1974. Poèmes, Caractères, Paris, 1973.

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