Éliane Catoni, dans l’ombre d’Yves Bonnefoy

« Nous sommes une photographie qu’on déchire » (Le Désordre)

 

Éliane Catoni. J’aimerais parler d’Éliane Catoni… et pourtant je ne sais rien d’elle. Ou si peu de chose. Des bribes. Il faudrait reconstituer. Retrouver des documents. Interroger les archives. Le nom de Catoni m’est cependant familier. Je le connais depuis l’enfance. Surgit toute une galaxie de noms et de visages. Le seul nom d’Éliane Catoni ravive en moi tant de souvenirs. Liés à l’été de mes dix ans. Le clan Catoni est celui d’une importante famille du Cap Corse. Côte orientale.  Une famille ancienne et nantie, comme il en existe de nombreuses sur l’île. Elle occupe le hameau adamique1 d’un village haut perché dans le maquis, invisible depuis la côte. Ce qui est visible et accessible, c’est la marine du village.

On l’aborde par la route qui longe la mer. Porticciolo. Un petit port, jadis florissant.

Cap Corse ouest.

Aujourd’hui, à peine quelques maisons de pêcheurs, à fleur d’eau, flanquées d’une tour génoise. L’ensemble des biens – demeures, moulins, maquis, oliviers et vignes –  est « Terra di Catoni. »

D’Éliane Catoni, je connais quelques photos. Je les ai eues entre les mains. Des photos de la fratrie. Trois jeunes filles et un jeune garçon. Parmi les filles, Éliane. Jolie, souriante et simple. De bonne famille. Une jeune fille rangée, selon les apparences. Autre photo de famille : un intérieur cossu. Un homme imposant en costume cravate et lunettes d’écaille. Les mains croisées sur les genoux. 

 

Capraia en bateau.

C’est Ange-Jean Catoni, le grand-père d’Éliane. Assis un peu plus loin, un jeune couple. Tout entier absorbé par le plus âgé des enfants en barboteuse. Elle, c’est Éliane. Mais lui, qui est-il ? Je triche un peu, parce que je le sais. Je ne l’aurais certes pas identifié de moi-même, du moins pas spontanément ; mais le maître de maison l’a identifié pour moi. C’est lui que je suis venue chercher ce jour-là, dans le casone au-dessus de la mer.  Lui, mais surtout Éliane. Éliane et lui. De la terrasse en surplomb où je me trouve, je scrute l’horizon. Et se dessinent, tout en lignes douces, les contours mystérieux de l’île de Capraia.

Alors ? Qui est-il ce jeune homme à la chevelure de lion et au visage si fin ? C’est un tout jeune poète. Il faudra attendre quelques années pour qu’il atteigne la notoriété qui est la sienne aujourd’hui. Mais enfin, c’est un talent prometteur. Un peu endimanché ce jour-là, tout comme le patriarche, costume et cravate nouée dans un col blanc. Sont-ils déjà mariés ? Peut-être. Ils se sont mariés en décembre 1947. Éliane a alors 26 ans. Mais elle et lui vivent en couple depuis 1943.

Lorsqu’ils se rencontrent, Éliane est étudiante en lettres. Lui en mathématiques. De deux ans son aînée, elle est âgée de 22 ans.

Capraia et quais de Porticciolo.

Autour d’eux gravitent des sympathisants du surréalisme : l’helléniste corse Yves Battistini, les peintres Victor Brauner et Raoul Ubac, le poète Gilbert Lely.

 

Le jeune homme assis aux côtés d’Éliane Catoni dans la demeure de Porticciolo n’est autre que le poète Yves Bonnefoy. Éliane Catoni est sa première épouse. Elle le restera jusqu’en 1961. Période où la présence de Lucy Vines s’impose de manière inéluctable et définitive auprès du poète. J’ignorais jusqu’à il y a peu encore - en tout cas cela m’avait échappé et je n’en avais gardé aucun souvenir -, qu’Yves Bonnefoy avait été l’époux d’une jeune Corse ; qu’il avait effectué de nombreux séjours au nord de Bastia, dans le village de sa compagne. Il se peut qu’au cours de l’été de mes dix ans je les aie croisés l’un et l’autre, ignorante de leur histoire commune, ignorante de l’un et de l’autre.

Cette pensée me les rend à la fois plus proches et plus énigmatiques. Désormais je ne peux dissocier Yves Bonnefoy d’Éliane Catoni. Je ne peux oublier qu’ils ont hanté ces lieux qui sont aussi les miens. Avec en arrière-plan, Capraia, dont je redécouvre la présence dans les premières pages de L’Arrière-Pays.

Et Capraia, si longtemps l’objet de mes vœux ! Sa forme  – une longue modulation de cimes et de plateaux – me semblait parfaite, et je ne pouvais en détacher mes yeux pour des minutes entières, surtout le soir, depuis qu’elle avait surgi de la brume le second jour du premier été, et tellement plus haut que je n’avais cru que se trouvait l’horizon.2

 

Capraia vue de Santa Severa.

Cela aussi, je l’avais oublié. J’avais pourtant lu ces lignes et j’avais traversé des yeux ces paysages sans garder la moindre trace de ces mots. Je ne m’étais pas non plus interrogée sur la présence du poète dans le Cap Corse. Tout cela s’était effacé au fil de la lecture.

Pour tenter de rattraper le temps, pour tenter d’en savoir davantage sur ce couple dont l’histoire littéraire n’a gardé que peu de souvenirs, pour tenter de débusquer la présence d’Éliane Catoni derrière l’omniprésence du poète, je consulte les ouvrages que je tiens à portée de main. Dont le numéro d’Europe consacré à Yves Bonnefoy et à son œuvre. Seul Patrick Labarthe, dans l’article intitulé « l’Archéologie du "Désordre" » évoque par deux fois la présence d’Éliane Catoni dans la vie du poète à partir de vers extraits de L’Heure présente et autres textes :

Et en haut ce n’est que noir,
Au-dessous c’est vert émeraude, comme la mer.
Quelle énigme, quel rien, ce jour, cette nuit,
Comme nous entrons tous les deux dans notre première chambre. 3

Ou encore :

Te souviens-tu / de notre première chambre !  4

 

 

ciel noir sur les Agriates.

Selon le critique, ce vers renvoie « au petit logement de Fontenay-sous-Bois » que Bonnefoy partageait à l’époque avec Éliane Catoni. Il ne faudrait pas cependant réduire ces vers à « la simple remémoration de la vie commune avec Éliane Catoni, première épouse du poète ». Yves Bonnefoy « allégorise en ce partage du noir et d’un vert "intense comme la mer" la dialectique d’un destin et d’une poétique… ».

 

Mais revenons à Éliane Catoni. Ce qui me fascine dans les lectures que je peux effectuer autour de l’histoire du poète à l’époque de sa première épouse, c’est que le nom d’Éliane Catoni y soit à ce point absent. Comme si son existence avec le poète, plus de quinze années durant, se soldait à quasiment rien. Il s’avère pourtant qu’Éliane Catoni avait une vie intellectuelle intense. Et que ses activités étaient au diapason de celles d’Yves Bonnefoy.

 

Pour en savoir plus, il faut plonger dans la Correspondance d’Yves Bonnefoy, dont je possède le tome I. L’édition de cette correspondance a été « établie, introduite et annotée par Odile Bombarde » (également présente dans le numéro d’Europe) « et Patrick Labarthe ».

C’est dans ce volume imposant que je puise toutes les informations qui concernent Éliane Catoni. Tout ce que la recherche universitaire sait d’elle à ce jour est rassemblé dans cet opus. Peut-être le tome II de cette correspondance (actuellement en préparation) apportera-t-il d’autres révélations sur l’importance et sur l’originalité du travail d’Éliane Catoni ainsi que sur le rôle qu’Éliane Catoni a joué auprès d’Yves Bonnefoy ? J’attends donc la sortie de cet ouvrage avec impatience.

Mais revenons à Paris. Un an avant le mariage, en 1946, du jeune couple, tous deux collaborent à différents projets et réalisations. Ensemble ils publient La Révolution la nuit. Le tract – titre éponyme d’une œuvre de Max Ernst peinte en 1926 –   a été rédigé anonymement par quatre artistes : le peintre praguois Iaroslav Serpan et Claude Tarnaud, peintre et poète ; mais aussi Éliane Catoni et Yves Bonnefoy.

Lisant et relisant ce tract surréaliste qui reprend la formule provocatrice d’André Breton, « Dieu est un porc », je m’interroge. Au cours des repas dominicaux de Porticciolo, Éliane Catoni et Yves Bonnefoy évoquaient-ils leurs activités estudiantines subversives ? Comment un tract aussi contestataire et anticlérical que celui qu’ils avaient rédigé et distribué à 500 exemplaires pouvait-il être reçu par le grand-père Ange-Jean Catoni, une forte personnalité ancrée dans la tradition corse et un homme très marqué à droite ? Je souris par-devers moi  à l’idée des discussions houleuses qui ont très certainement accompagné le sauté de veau arrosé d’un vin du Cap !

Je regarde les photos d’Éliane Catoni en jeune fille rangée. J’essaie de dénicher le lien qui court secrètement entre cette jeune fille sage et l’étudiante anarchiste, engagée dans la rédaction de tracts surréalistes virulents : La Révolution la nuit Liberté est un mot vietnamien (avril 1947) ; « Dieu est-il français ? ».  Quand et comment la jeune femme a-t-elle pu basculer de la brillante helléniste qu’elle est, auteure d’une Épiphanie chez Homère, à la contestataire, cosignataire avec le poète d’aphorismes comme celui de La Nouvelle Objectivité ? 

Je n’ai pas de réponse. Sauf à me remettre en tête qu’Éliane Catoni était une Parisienne. Et que ses fréquentations ne se bornaient pas à la seule université. Les milieux intellectuels et artistiques ne lui étaient pas étrangers. Pas plus à elle qu’à son frère Jean Catoni, étudiant en droit et artiste, qui travaillait parfois pour le peintre Hans Bellmer. En atteste cette déclaration que le peintre adresse à Yves Bonnefoy dans une lettre d’octobre 1949 :  

 Je suis très content que le frère d’Éliane Catoni se charge du coloriage d’une série de photos. Dans dix jours, tout sera colorié.5

Si je parcours la liste des cosignataires du tract Liberté est un mot vietnamien, force est de constater que le nom d’Éliane Catoni émerge de ce tract. Avec celui de la peintre Nô Pin (N. Seigle). Elles sont d’ailleurs les deux seules femmes à tenir leur rang dans cet aréopage :

 

Porticciolo et Capraia.

Adolphe Acker, Yves Bonnefoy, Joë Bousquet, Francis Bouvet, André Breton, Jean Brun, J.B. Brunius, Éliane Catoni, Jean Ferry, Guy Gillequin, Jacques Halpern, Arthur Harfaux, Maurice Henry, Marcel Jean, Pierre Mabille, Jehan Mayoux, Francis Meunier, Maurice Nadeau,  Henri Parisot, Henri Pastoureau,  Benjamin Péret,  N. et H. Seigle, Iaroslav Serpan, Yves Tanguy.6 (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet Archives Yves Bonnefoy).

Correctrice aux Archives Nationales, Éliane Catoni travaille alors sur les épreuves du volume de la Pléiade consacré au marquis de Sade.  En témoigne une lettre que Gilbert Lely7 –  « auteur de la monumentale Vie du marquis de Sade » et « éditeur des Œuvres complètes de Sade » –  adresse à la jeune femme le 2 janvier 1952 :

« Chère Éliane, quels qu’ils soient, je respecte vos scrupules. Je viens de rayer la petite note de ma Vie de Sade qui exprimait ma gratitude à votre égard. Mais dans cet ordre de deleatur, dois-je, Éliane, également supprimer la mention de votre travail au bas du conte de Seide8 que je viens d’adresser à Monsieur de Sacy, pour sa revue ? J’avais inscrit :

"Transcription d’Éliane Cattoni révisée par G.L." Et en effet, je m’étais rendu à l’Arsenal où j’avais collationné votre leçon sur une nouvelle lecture. (Je dois dire que votre transcription était remarquable de fidélité… ».

Enfin, Éliane Catoni est aussi poète. Elle est l’auteure d’un poème intitulé « Dans le lacis de tes rires ».  Poème que le traducteur et éditeur Henri Parisot, ami des surréalistes, avait proposé de publier dans sa revue Les Quatre Vents. Mais qu’est devenu ce poème ? Où peut-on aujourd’hui le trouver ?  En existe-t-il d’autres ? Autant de questions que je me pose, et que la modestie et la discrétion de la jeune femme ont laissées sans réponses.

Ce qui frappe en elle, outre sa discrétion, c’est sa beauté, au sein de ses amis de l’époque. Naïm Kattan voyait en elle « une orientale française » et Salah Stétié n’hésitait pas quant à lui à faire un rapprochement poétique entre elle et « Douve » : « douve elle-même par on ne sait quel éclat sombre en elle. »

 

Entre les années marquées par le surréalisme – Traité du pianisteLa Révolution la nuit, 1946 – et la publication au Mercure de France, en 1953, du premier recueil poétique important de Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, a eu lieu pour Yves Bonnefoy la découverte de l’Italie. Et cette découverte s’est faite depuis la Corse. Et en compagnie d’Éliane. Avec l’île de Capraia comme point d’ancrage onirique. C’était au printemps 1950. Le couple venait de quitter Paris pour plusieurs semaines pour se rendre en Corse et assister aux obsèques d’un membre de la famille Catoni. Probablement l’aïeul d’Éliane Catoni. Avant d’embarquer à Bastia pour Livourne. Début mai. De ce premier voyage et des réflexions qui l’accompagnent, naîtra L’Arrière-Pays, davantage rêvé que vécu, « défendu par l’ampleur de ses montagnes, scellé comme l’inconscient. »9

Lorsqu’en 1972 L’Arrière-Pays paraît aux éditions Albert Skira, le visage d’Éliane Catoni s’est depuis longtemps estompé. Un autre visage a fait irruption dans la vie du poète : celui de sa fille Mathilde. Dont la mère est Lucy Vines, la seconde épouse du poète.

Comme dans un rêve, l’image qui revient, qui perdure et qui m’habite, est celle d’Éliane Catoni. Une seule image. Qui flotte autour de moi et m’accompagne, indistincte et discrète. Ces quelques pages que je viens  d’écrire vont-elles m’encourager à poursuivre la quête que j’ai entreprise ? Cette quête, c’est à Odile Bombarde que je la dois. Et je l’en remercie.

Tollare.

Notes :

1 : Adjectif que j’ai forgé à partir du toponyme du hameau Adamo.
2 : Yves Bonnefoy, L’Arrière-Pays, Éditions Gallimard, collection Poésie/Gallimard, 2003 (pour L’Arrière-Pays) ; 2005 (pour la postface), page 15.
3 et 4 : Yves Bonnefoy, L’Heure présente et autres textes in Patrick Labarthe, L’Archéologie du "Désordre", Europe, mars 2018, pp. 141 et 150.
5 : « Hans Bellmer » in Yves Bonnefoy, Correspondance, tome 1, édition établie, introduite et annotée par Odile Bombarde et Patrick Labarthe, Paris, Les Belles
Lettres, 2018, p. 940.
6 : « André Breton » in Yves Bonnefoy, Correspondance, tome 1, édition établie, introduite et annotée par Odile Bombarde et Patrick Labarthe, Paris, Les Belles Lettres, 2018, p. 29.
7 : « Gilbert Lely » in Yves Bonnefoy, Correspondance, tome 1, édition établie, introduite et annotée par Odile Bombarde et Patrick Labarthe, Paris, Les Belles Lettres, 2018, p. 75.
8 : Marquis de Sade, Seide, conte moral et philosophique, présentation de Gilbert Lely, Mercure de France, 1er octobre 1952, in « Gilbert Lely » (Yves Bonnefoy, Correspondance, tome 1, édition établie, introduite et annotée par Odile Bombarde et Patrick Labarthe, Paris, Les Belles Lettres 2018, p. 75).
9 : Yves Bonnefoy, L’Arrière-Pays, éditions Gallimard, collection Poésie/Gallimard, 2003 (pour L’Arrière-Pays) ; 2005 (pour la postface), p. 17.

 

Photos : Angèle Paoli




PEDRO CASARIEGO CÓRDOBA (1955–1993)

INTRODUCTION ET TRADUCTION : Marceau Vasseur et Miguel Ángel Real

 

PEDRO CASARIEGO CÓRDOBA est né à Madrid en 1955. Il se consacre à l’écriture entre 1975 et 1986. En 1989 il commence à peindre et il réalisera une centaine de tableaux. Il se suicide en 1993.

La plupart de son œuvre poétique a été réunie dans Poemas encadenados, 1977-1987 (Seix-Barral, 2003). Le grand poète espagnol Ángel González écrit dans le prologue de cette œuvre que Casariego est un artiste « intrigant et mystérieux », d’une grande singularité. Son style inclassable et déconcertant ne s’inscrit dans aucun courant de la poésie espagnole contemporaine. Casariego lui-même affirme que sa façon d’écrire est « l’imitation d’un torrent » et qu’elle consiste simplement « à ouvrir un robinet et à en laisser jaillir tous les liquides et tous les chants chimiques possibles ».  Son lyrisme surgit d'une écriture à l'apparence automatique, mais méditée et au service d'un besoin d'infini, et son caractère avant-gardiste n'est qu'un cheminement de très grande exigence artistique. Son ambition créative se mêle à une déception permanente et à un non conformisme qui prête une attention obsédante au « je », figure centrale de son œuvre. Mais l'oeuvre de Casariego n'est nullement nombriliste : Francisco Umbral signale en effet la « timidité et la sagesse qui se trouvent dans sa façon de ne pas parler de lui sans parler d'autre chose ». Esther Ramón indique, dans l'avant-propos de Poemas encadenados, que Pedro Casariego Córdoba, ou Pe Cas Cor, comme il aimait signer ses travaux, était « porteur d'une douleur inépuisable », mais qu'il était également doué d'un grand « sens de l'humour, mêlé de tendresse, ». Il s'agissait d'un poète dont la vision « inflexible et pénétrante des choses » mérite une attention particulière dans la poésie espagnole du XXe siècle

Autres publications : La vida puede ser una lata (1988), traduit en français par Marceau Vasseur et Loreto Casado : « C'est peut être du toc, la vie «  (Le nouveau commerce, 1996). En prose : Shahn (1984), Qué más da (1986). Certains de ses poèmes sont parus dans des anthologies telles que Después de la modernidad (1987), Ocho poetas raros (1992) et Poesia espanhola de agora (Lisboa), 1997

Site internet officiel : http://www.pedrocasariego.com/

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Poèmes extraits de Poemas encadenados (1977-1987), Seix Barral 2003

Barnízate

1980

barnízate
                    te quiero
                                    genio del can-can
                                                                docena de flores.

Eres toda la tierra
docena de flores
música ciega,
                         eres todos los templos
                        todos los tigres
                        todos los días,
                                   eres el número de teléfono de Dios.

Tus ojos azules azor de los ojos
tus manos cerradas y el campo abierto y amarillo,
sólo te echo de menos
cuando estás conmigo

cuando estás conmigo
cuando buscas agua en el desierto de mi boca

sólo te echo de menos
cuando estás conmigo,
entonces trago más humo
tengo más miedo
veo más luces.

Van Gogh quiere pintarte los labios antes de morir.

Eres un bosque de un solo árbol,
                                               cuando me miras
                                               estoy quieto y soy quietud
                                               pero cuando no me miras
                                               bailo tan salvajemente
                                               clavo tantas navajas
                                               pienso tan poco en ti

                                    te echo de menos cuando estás conmigo
                                    no existo cuando no estás,
                                    te vas y me convierto en baile
                                    te vas y me convierto en ala.

Si quemas mi tristeza con tu risa
te enamorarás de mí
y dejaré de subir
tantos montes de amargura.

Te escribo para decirte
que eres un almendro de fuego

te escribo para decirte
que no quiero decirte nada
que sólo quiero abrazarte
buscar el calor de tu vida.

 

 

Vernis-toi

 

vernis-toi

                        je t'aime

                                               génie du can-can

                                                                                   douzaine de fleurs.

 

Tu es toute la terre

douzaine de fleurs

musique aveugle,

                                   tu es tous les temples

                                   tous les tigres

                                   tous les jours

                                               tu es le numéro de téléphone de Dieu.

 

Tes yeux bleus épervier des yeux

tes mains fermées et le champ ouvert et jaune,

tu ne me manques

que quand tu es avec moi

 

quand tu es avec moi

quand tu cherches de l'eau dans le désert de ma bouche

 

tu ne me manques

que quand tu es avec moi,

alors j'avale plus de fumée

j'ai encore plus peur

je vois plus de lumières.

 

Van Gogh veut peindre tes lèvres avant de mourir.

 

Tu es une forêt d'un seul arbre,

                                                   quand tu me regardes

                                                   je suis calme et je suis le calme

                                                   mais quand tu ne me regardes pas

                                                   je danse si sauvagement

                                                   j'enfonce tellement de couteaux

                                                   je pense tellement peu à toi

 

                                   tu me manques quand tu es avec moi

                                   je n'existe pas quand tu n'es pas là,

                                   tu t'en vas et je deviens danse

                                   tu t'en vas et je deviens aile.

 

Si tu brûles ma tristesse avec ton rire

tu tomberas amoureuse de moi

et je cesserai de gravir

tant de montagnes d'amertume.

 

Je t'écris pour te dire

que tu es un amandier en feu

 

je t'écris pour te dire

que je ne veux rien te dire

que je veux juste t'enlacer

chercher la chaleur de ta vie.

 

 

Pedro Casariego Córdoba - Falsearé la leyenda

 

 

Te quiero porque tu corazón es barato

                                                                                   1980

Te quiero.
Te quiero
porque tu corazón es barato.

Yo soy un actor secundario
que se siente muy débil
porque no come lo suficiente.
Estoy ahí sentado,
sentado en una silla amarilla;
el suelo es amarillo,
está hecho de hojas muertas.
He olvidado mi papel.
Algún pájaro ha escrito en mi silla
el nombre de un actor importante.
El público está formado por miles de pájaros muy cultos
y espera ver algo grande.
Yo he olvidado mi papel
y mi piel de actor está llena de hongos;
estar plagado de hongos
y no comprar un tubo de pomada en la farmacia
hace que me sienta como un salvaje.

Pienso en la película
«Sangre sabia» de John Huston.
Pensar es muy trabajoso,
pensar es muy trabajoso.
Se me ocurre una frase bonita:
«La primera letra de tu nombre
es la letra de una canción,
y tus ojos son la música de esa canción;
tú estás muy guapa cantando la canción,
ni siquiera necesitas mis aplausos.»
Quisiera que mi sangre fuera sabia.
Mi sangre, todos los veranos,
busca heridas para salir a tomar
el sol.
Entonces, cuando las encuentra,
se seca,
como se secan las hojas de los
árboles y de los libros.

Tengo 25 años.
Si te revelo
este secreto de calendario
    es para que comprendas
      que estoy doblando una curva
      y que tú puedes estar después de la curva
      haciendo auto-stop.

Soy un hombre puro y huraño,
pero no soy amigo de Dios.
Reconozco, sin embargo,
que me gustaría hacerme una foto con Él,
aunque sólo fuera para salir en el periódico
y dejarte boquiabierta a ti.
Mírame:
debería estar fundando un hogar
                                                y quiero ser atracador de bancos.
                                                Tápame con una manta
                                                y rompe el termómetro:
                                               tengo fiebre
                                               y tengo frío.

Soy puro y soy huraño,
pero no soy amigo de Dios:

Sus barbas me parecen demasiado
blancas, como si hubieran robado
a la nieve toda su belleza sin
dejar nada a cambio;
Dios es un jugador de ventaja,
un jugador muy importante,
un jugador
imprevisible.
Dios castiga y perdona porque sí:
puede que me ame
más que a los que Le aman.

Alguien ha grabado en mi espalda una boca azul.
Una risa que se derrumba cae desde la boca azul.
Pagaré una fortuna a quien borre el tatuaje.
Hoy prefiero una boca roja de mujer prohibida.

Estoy lleno de tatuajes:
mis recuerdos son tatuajes,
hasta mi pasado es un tatuaje,
cada mano en la mía es un tatuaje.

Me aparto cuando alguien se
acerca a mí.
A veces quiero que se acerquen los
A veces quiero que mi madriguera esté
                                                            vacía
                                                            porque mi corazón está vacío:
yo la vacio personalmente todas las mañanas.

Yo ya no tengo esperanza,
yo ya soy desesperación.
Veo cómo llegan los borrachos;
me asusto y me oculto
entre las botellas vacías, entre
los bares y sus luces perdidas  para siempre.
Que olviden, que olviden:
yo no olvido;
que perdonen, que perdonen:
yo no puedo perdonar
la muerte agria de mis días.

Tengo miedo:
todos los bomberos llevan chistera
en este planeta de locura.
Aquí nadie puede escribir la palabra «flor»
sin querer cortarla.

Estoy sentado
y soy un actor mediocre.
El público es un cielo
que llama a las nubes
para dejar de ser azul.
Miro. Aquella papelera vacía
corrompida por su tristeza
quiere hablar con alguien.
Centenares de papeles rotos
hablan con el suelo amarillo.

Soy huraño. No soy puro.
No soy puro.
Odio.
Estoy harto de pasear entre ladridos,
de paseos entre ladridos
y semen en el pijama.
Confieso que soy
soledad sola.

Ella era una prostituta negra vestida con el peor de los gustos, era
grande como un hotel.
Reía con fuerza.
Yo no la había alquilado para que riera.
Ella estaba llena de salud.
Yo no estuve a su altura.
Me fui
humillado
con las manos en los bolsillos
fumando y jurando un poco
                                           (quería parecer un héroe moderno):
cada esquina de la calle me dolía.

Las estrellas iluminan pero no ven;
su tragedia es dar luz y ser ciegas;
yo no sé si ilumino;
creo que a mi lado
todo se oscurece.
Espero que la noche que yo hago
sea una noche clara,
con una pareja de hogueras
y con un leopardo.
Estoy milagrosamente.
Estoy milagrosamente.
Estoy entre mis llagas.

Mi sangre no es sabia;
yo busco un manantial de sangre sabia:
ríos de sangre sabia
para regar mi cuerpo.

No creo en los ovnis:
he gastado mi fe
viviendo como una serpiente.
Mi pantalón es azul;
soy extraño y
siento desprecio;
me desprecio a mí mismo
cuando hablo tanto de mí,
porque yo desprecio a los que se desnudan.

Lucharé contra todos los que digan
lo que yo digo.

Mujeres gratis, mujeres que se pagan con un beso.
Existen. Las he perseguido;
                        son estrellas fugaces
                            son faroles
                                son tímpanos
                                      ¡valen su peso en oro!
                                   son lápices
                                        son tigres
                                            son las mujeres de los tigres
                                               son sombras de agua
                                                     ¿qué son?

                         porque yo soy sangre

 

 

Je t'aime parce que ton cœur est bon marché

 

Je t'aime.

Je t'aime

parce que ton cœur est bon marché.

 

Je suis un acteur dans un second rôle

qui se sent très faible

parce qu'il ne mange pas assez.

Je suis là assis,

assis sur une chaise jaune ;

le sol est jaune,

il est fait de feuilles mortes.
J'ai oublié mon rôle.

Un oiseau quelconque a écrit sur ma chaise

le nom d'un acteur important.
Le public est formé par des milliers d'oiseaux très cultivés

et il attend de voir quelque chose de grand.

J'ai oublié mon rôle

et ma peau d'acteur est pleine de champignons ;

être infecté par les champignons

et ne pas acheter un tube de crème à la pharmacie

me fait sentir comme un sauvage.

 

Je pense au film

« Le Malin » de John Huston.
Penser est très laborieux,

penser est trop laborieux.

Une belle phrase me vient à l'esprit :

« La première lettre de ton prénom

est les paroles d'une chanson,

et tes yeux sont la musique de cette chanson ;

tu n'as même pas besoin de mes applaudissements. »

Je voudrais que mon sang fut sage.

Mon sang, chaque été,

cherche des blessures pour aller prendre

le soleil.

Alors, quand il les trouve, 

il se dessèche,

comme se dessèchent les feuilles

des arbres et des livres.

 

J'ai 25 ans.
Si je révèle

ce secret du calendrier

            c'est pour que tu comprennes

            que je négocie un virage

            et que tu peux être après le virage

            à faire de l'auto-stop.

 

Je suis un homme pur et farouche,

mais je ne suis pas l'ami de Dieu.
J'avoue, par contre,

que j'aimerais prendre une photo avec Lui,

même si ce n'est que pour paraître dans le journal

et te laisser bouche-bée.

Regarde-moi :

je devrai être en train de fonder un foyer

                                                                       et je veux devenir braqueur de banques.
                                                                      Mets sur moi une couverture

                                                                      et brise le thermomètre :

                                                                       j'ai de la fièvre

                                                                       et j'ai froid.

 

Je suis pur et je suis farouche,

mais je ne suis pas l'ami de Dieu :

 

sa barbe me semble trop

blanche, comme si elles avaient volé

à la neige toute sa beauté sans

rien laisser en échange ;

Dieu est un joueur avantagé,

un joueur très important,

un joueur

imprévisible.
Dieu punit et pardonne comme ça :

il se peut qu'il m'aime

plus que ceux qui L'aiment.

 

Quelqu'un a gravé sur mon dos une bouche bleue.

Un rire qui s'écroule tombe depuis la bouche bleue.
Je paierai une fortune à celui qui effacera le tatouage.
Aujourd'hui je préfère une bouche rouge de femme interdite.

 

Je suis plein de tatouages :

mes souvenirs sont des tatouages,

même mon passé est un tatouage,

chaque main dans la mienne est un tatouage.

 

Je m'écarte quand quelqu'un se

rapproche de moi.

Parfois je veux que se rapprochent les

Parfois je veux que ma tanière soit

                                                           vide

                                                           parce que mon cœur est vide :

je le vide personnellement chaque matin.

 

Je n'ai plus d'espoir,

je suis déjà le désespoir.
Je vois comment les ivrognes arrivent :

j'ai peur et je me cache

entre les bouteilles vides, entre

les bars et leurs lumières perdues à jamais.

Qu'ils oublient, qu'ils oublient :

je n'oublie pas ;

qu'ils pardonnent, qu'ils pardonnent :

je ne peux pas pardonner

la mort aigre de mes jours.

 

J'ai peur :

tous les pompiers portent un haut-de-forme

sur cette planète de folie.

Ici personne ne peut écrire le mot « fleur »

sans vouloir la couper.

 

Je suis assis

et je suis un acteur médiocre.
Le public est un ciel

qui appelle les nuages

pour cesser d'être bleu.
Je regarde. Cette poubelle vide

corrompue par sa tristesse

veut parler à quelqu'un.

Des centaines de papiers déchirés

parlent avec le sol jaune.

 

Je suis farouche. Je ne suis pas pur.
Je ne suis pas pur.
Je hais.

J'en ai assez de me promener parmi des aboiements,

de promenades parmi des aboiements

et de sperme dans le pyjama.

J'avoue que je suis

solitude seule.

 

Elle était une prostituée noire habillée avec un goût exécrable, elle était

grande comme un hôtel.
Elle riait avec force.

Je ne l'avais pas louée pour qu'elle rie.

Elle regorgeait de santé.
Je n'avais pas été à la hauteur.
Je suis parti

humilié

les mains dans les poches

en fumant et en jurant un peu

                                               (je voulais ressembler à un héros moderne) :

chaque coin de la rue me faisait mal.

 

Les étoiles éclairent mais ne voient pas ;

leur tragédie est de donner de la lumière en étant aveugles ;

je ne sais pas si j'éclaire ;

je crois qu'à côté de moi

tout s'assombrit.

J'espère que la nuit que je fais

sera une nuit claire,

avec une paire de feux de camp

et avec un léopard.

Je suis miraculeusement.

Je suis miraculeusement.

Je suis entre mes plaies.

 

Mon sang n'est pas sage ;

je cherche une source de sang sage :

des fleuves de sang sage

pour arroser mon corps.

 

Je ne crois pas aux ovnis :

j'ai dépensé ma foi

en vivant comme un serpent.
Mon pantalon est bleu ;

je suis étrange et

je sens du mépris ;

je me méprise moi-même

quand je parle autant de moi,

parce que je méprise ceux qui se déshabillent.

 

Je combattrai tous ceux qui diront

ce que je dis.

 

Femmes gratis, femmes que l'on paye d'un baiser.
Elles existent. Je les ai poursuivies ;

                                   elles sont des étoiles filantes

                                       des lampadaires

                                               des tympans

                                                    elles valent leur pesant d'or !

                                                           elles sont des crayons

                                                                des tigres

                                                                       elles sont les femmes des tigres

                                                                                   des ombres d'eau

                                                                                              que sont-elles ?

 

                                   parce que je suis du sang.

 

 

 

Te quiero porque tu corazón es barato.

 

Volver a mirarte ha sido

 

1 de junio de 1985

 

Juana volver a mirarte ha sido.

Una enfermedad desconocida lame la tierra.

En el sembrado muchos volcanes que nunca se inflamaron.

Un milagro cuando los colores se convierten en hijos.

Sombras nítidas si es posible en los campanarios.

Cantos claros acallados por el rayo del instinto.

Brotan piedras amarillas de la sangre extraviada.

Algo estremece la edad definitiva de aquel tiempo en los cristales.

Un alivio de flores se subleva como una tormenta.

Quizá ojos y acueductos fundidos por la memoria.

En valles de savia la frialdad terrible de la fatiga.

Una vejez torpemente nueva irrumpe en los canales del espacio.

 Los días del suicidio son días de un azul derramado.

 Antes una plaga de horas tristes ha labrado el alma.

La pregunta de una llama y en el fuego una llamada.

Es vuelo de pájaros tibios lo que repite el aire.

Destierros sagrados que curan sin descanso.

Cirujanos y pena más altos que el trigo y los muros.

Lentamente protegen tejados de escarcha.

Amenazan las promesas sinceras de la nada.

Sobrevive lo contiguo y luchan los balcones a lo lejos.

Juana volver a mirarte ha sido.

 

 

 

 

 

 

 

 

Te regarder à nouveau c'était

 

1er juin 1985

 

Juana te regarder à nouveau c'était.

Une maladie inconnue lèche la terre.

Sur le semis beaucoup de volcans qui jamais ne s'enflammèrent.

Un miracle quand les couleurs deviennent des enfants.

Ombres nettes si possible sur les clochers.

Chants clairs apaisés par la foudre de l'instinct.

Des pierres jaunes jaillissent du sang égaré.

Quelque chose bouleverse l'âge définitif de ce temps-là sur les fenêtres.

Un soulagement de fleurs se soulève comme un orage.

Peut-être des yeux et des aqueducs fondus par la mémoire.

Dans des vallées de sève la froideur terrible de la fatigue.

Une vieillesse maladroitement nouvelle fait irruption sur les canaux de l'espace.

Les jours du suicide sont des jours d'un bleu renversé.

Avant une plaie d'heures tristes a labouré l'âme.

La question d'une flamme et dans le feu un appel.

C'est un vol d'oiseaux tièdes ce que l'air répète.

Exils sacrés qui guérissent inlassablement.

Chirurgiens et chagrin plus grands que le blé et les murs.

Lentement protègent les toitures de givre.

Les promesses sincères du néant menacent.

Ce qui est contigu survit et les balcons se battent au loin.

Juana te regarder à nouveau c'était.

 

 

 

Pernambuco, l'éléphant blanc, publié en 2017,
Casimiro Parker, collection Pequeña Nariz.

 

Biografía

                        si

                                   alguna

                                               vez

                                                           muero

            quiero azaleas encima de mí

                        quiero una ausencia de cruces

                                   azaleas encima de mí

 

                        si

                                   alguna

                                               vez

                                                           vivo

            quiero azaleas para mis brazos

                        quiero agua para las flores

                                   estrellas encima de mí

 

 

 

Biographie

 

                        si

                                   un 

                                               jour

                                                           je meurs

            je veux des azalées sur moi

                        je veux une absence de croix

                                   des azalées sur moi

 

                        si

                                   un

                                               jour

                                                           je vis

            je veux des azalées pour mes bras

                        je veux de l'eau pour les fleurs

                                   des étoiles sur moi

 

 

 

Anuncio por palabras

para mi madre

octubre de 1983

 

Necesito chica que sepa planchar

mis labios con los suyos y tende

r su ropa eternamente junto a la

mía y quitar las manchas de mi c

orazón con su mirada yo pondré

la mesa y la caricia en su ramo

de lunas y trataré de andar muy

                                               despacio

                                                           cuando

                                                                       ella

                                                                           no

                                                                                   tenga

                                                                                              prisa

 

 

Petite annonce

 

            pour ma mère

            octobre 1983

 

Cherche jeune fille sachant repasser

mes lèvres avec les siennes et étendr

e le linge éternellement près de la

mienne et nettoyer les taches de mon c

oeur de son regard je mettrai

le couvert et la caresse dans son bouquet

de lunes et j'essaierai de marcher tout

                                                           doucement

                                                                       quand

                                                                                   elle

                                                                                              ne

                                                                                                          sera

                                                                                                                      pas

 

Présentation de l’auteur




Entre les lignes entre les mots

Un blog orchestré par Didier Epsztajn Entre les lignes entre les mots, sous titré "Notes de lecture, débats et quelques notes de musique" annoncé par un mail qui invite le lecteur à se rendre sur des pages claires et agréables qui proposent pléthore d’articles.

Entre les lignes entre les mots met en exergue bien des questions qui sont généralement passées sous silence, attire notre attention sur des points précis de l'actualité, ou sur des phénomènes sociaux, et  propose de nombreux articles servis par des intervenants qui analysent les problématiques concernant les domaines dont il est question. Divers angles de vue, car les rédacteurs appartiennent à de nombreux domaines d'activité, font de cette revue une somme riche et salvatrice, car elle préserve un regard critique  qui ne manque pas de soulever des interrogations.

 

Entre les lignes entre les mots,
n°10, mars 2020.

On peut parmi ces sujets trouver des chroniques sur des livres quel que soit leur genre, aussi bien que sur des expositions ou des manifestations artistiques dont les thématiques n’hésitent pas à prendre un point d’ancrage dans des éléments sociaux, à évoquer des événements, internationaux ou bien qui concernent le quotidien des lecteurs qui vivent en France métropolitaine.

Pour ce numéro 10, de mars, quatre nouveaux articles nous sont proposés, dont une note à propos d'un livre de D'Oya Baydar, Dialogues sous les remparts, que Didier Epsztajn nous présente :

Ce texte relate la rencontre et la dispute entre une Turque de l’Ouest et une Kurde de Diyarbakur. Il en découle un examen de conscience, un règlement de comptes intérieur de la part de cette intellectuelle stambouliote, lucide sur l’inévitable tragédie en train de se nouer : la tragédie des divisions et des conflits ethniques qui se poursuivent aux quatre coins du monde.

C'est cette littérature qui prend sa matière dans une réalité particulièrement horrible, inhumaine, qui est souvent mise en avant par l'auteur de ce blog. 

Les entrées sont révélatrices de cet engagement politique et social, ligne directrice de Didier Epsztajn : "Réalités imaginaires", "Toutes les femmes sont discriminées sauf la mienne", "Coup de cœur", "Ce qui paraît le plus noir, c'est ce qui est éclairé par l'espoir le plus vif"... Sous les nouveautés, sur la page d'accueil, nous trouvons un florilège des articles les plus consultés. 

Incontournable parce que rare, tant il est vrai qu’il est primordial de se faire l’écho des dérives et des problèmes rencontrés par nombre de nos semblables dont il faut relayer la parole… Je me souviens de cette devise qui m'a fait choisir Villiers de l'Isle Adam comme sujet d'étude, "Faire penser"... Je me dis qu'il serait certainement un lecteur assidu d'Entre les lignes entre les mots. 

 

Entreleslignesentrelesmots




Narki Nal, Une femme

Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur




Les Chroniques du Çà et là n°16 : Poèmes au féminin

Le numéro d’automne des Chroniques du Çà et là nous propose un dossier thématique, comme à son habitude, cette fois-ci consacré aux écritures féminines. Un panel impressionnant de poétesses, accompagnées par des plasticiennes ou bien elles-mêmes illustratrices...

Un tour d'horizon qui n'est pas cette fois-ci dessiné d'après une topographie physique. Je pense à certains numéros de la revue consacrés aux littératures d'un pays en particulier, comme le numéro 11 qui invitait le lecteur à découvrir le Japon à travers un état des lieux des productions artistiques, ou au numéro 12, de l'automne 2017, intitulé « Le Long du Mékong », qui proposait au lecteur une immersion dans la production littéraire contemporaine « De Luang Prabang à Phnom Penh et Hô Chi Minh-ville », en mettant l’accent sur la découverte de « La littérature aujourd’hui au Laos, Cambodge et Vietnam ».

La facture est toujours aussi agréable et le format livresque, 180 pages pour ce numéro-ci, regroupées sous une couverture blanche, promet un tour d'horizon enrichissant. Le volume est soutenu par une typographie dont la modernité ne cède pas à une fantaisie quelconque, mais signale au lecteur que c'est un regard contemporain qui guidera le traitement du dossier dont la thématique est annoncée sous nom de la revue.

Chroniques du çà et là. N° 16 : Poèmes
au féminin
, 180 p. 14€.

L’argument de Philippe Barrot en manière de discours liminaire explique au lecteur le choix de la thématique abordée et introduit des productions dont le genre est très varié... Poèmes, poèmes en prose, prose, accompagnés par un support iconographique mis an valeur grâce à la qualité du papier et de l'impression. 

Parmi les auteures et poétesses qui composent ce dossier, Claude Ber côtoie Marilyne Bertoncini, Delphine Durand, Marie Gossart, et Tristan Felix, pour ne citer qu'elles. Et le directeur de la publication ne renonce pas à l'internationalisme auquel il nous a habitués, car le lecteur aura le plaisir de découvrir ou de retrouver Pauline Michel pour le Canada (publiée en France notamment dans Recours au poème), pour la Lettonie Madara Gruntmane, pour la poésie féminine du  Tadjikistan  Gulrukhor, et trois poétesses danoises, parmi lesquelles d’Ursula Andkjaer Olsen et Naja Marie Aidt avec des textes publiés en 2012 dans la revue Décharge.

On ne peut que féliciter une fois de plus Philippe Barrot qui depuis tant d’années mène les Chroniques du Çà et Là en haut lieu. Après nous avoir présenté des littératures et des auteurs de tous horizons, et produit un numéro précédent dont la thématique, Le geste d'écrire, offre un sommaire impressionnant, ce numéro dédié aux femmes est dans la continuité du travail commencé il y a tant, et poursuivi sans faille quant au souci de qualité et d'éclectisme. 




Maria Luisa Vezzali, Versi di esperienza e di amnesia, Vers d’expérience et d’amnésie

 

                                                                                                        Traduction de Chantal Bizzini

 

del mondo

chini la testa per passare la porta e al di là della soglia il mondo respira
di visione, un’onda impaziente che trasporta gli odori delle case, umidità
ruggine, cenere, benzina, età che turbinano verso il bruno
gli occhi passano in volo le teste chine sui tavoli, la mano sul telefono
la sosta al bar a metà mattino, il freddo che canta, la pelle
che riflette l’assenza di un gesto
grumi di luce che tornano cose di luce in un sorriso mite
sotterraneo

 

du monde

tu penches la tête et passes la porte : au-delà du seuil, le monde respire
de visions, une onde impatiente qui charrie les odeurs des maisons, humidité
rouille, cendre, essence, âges qui tournent au brun
les yeux survolent les têtes penchées sur les tables, la main sur le téléphone
on s’arrête au bar dans la matinée, le froid chante, la peau
reflète l’absence de geste
des caillots de lumière deviennent formes de lumière d’un doux sourire
enfoui 

 

 

 

 

delle fondamenta

tutto cade nell’imbuto al suono disperso del gallo
diventa la misura della propria caduta
il meccanismo della propria struttura
giù verso l’alto
la macchina che gira nel labirinto
ha fondamenta di sudario
rotazione ciclopica su cardini di stelle
mantici che pompano costanza
dell’espansione e implosione che
custodisce
che lava

 

 

des fondations

 

tout tombe dans l’entonnoir au chant perdu du coq
devient la mesure de sa chute
le mécanisme de sa structure
du bas en haut
la machine qui tourne dans le labyrinthe
a des fondations de linceul
elle pivote, titanesque, sur les charnières des étoiles
ses soufflets pompent la constante
expansion et l’implosion
qui soutient
et qui lave

 

 

 

 

 

dello splendore

 

la luce procede verticale
ma nell’impatto irradia dalle mani
ti plasma sul palmo teso
nella nudità silenziosa
inghiotti dalla tua ebbrezza
la lezione della meraviglia
 

 

 

 

 

de la splendeur

 

la lumière tombe verticalement 
mais dans l’impact irradie des mains
te façonne sur la paume tendue
dans la nudité silencieuse
tu engloutis dans ton ivresse 
la leçon de la merveille

 

 

della vittoria

 

l’ultimo pasto lo consumi sul campo di battaglia
pesante di vite
nella mandorla del destino
la carne innocente si consuma
all’olio della fiaccola
quello che conquisti
lo porti inchiodato sul fianco
come una rosa nella cintura

 

 

de la victoire

 

l’ultime repas, tu le consommes sur le champ de bataille
lourd de vies
dans la mandorle du destin
la chair innocente se consomme
à l’huile du flambeau
ce que tu conquiers, 
tu le portes rivé au flanc
comme une rose à la ceinture

 

 

 

 

della bellezza

 

bellezza è quell’armonia dolcemente
crocefissa nel rilievo dell’onda
che riconosci come un luogo
frequentato a lungo in un passato
che non è nel tempo
ma sul tetto della piramide
sfinge scava senza fine nel petto
il pozzo del dono che non fa rumore

 

 

de la beauté

 

la beauté est cette harmonie crucifiée
doucement dans le relief de l’onde
que tu reconnais comme le lieu
longtemps fréquenté d’un passé
qui n’est pas dans le temps
mais sur le toit de la pyramide
le sphinx creuse sans fin dans la poitrine
le puits du don qui ne fait pas de bruit

 

 

della violenza

 

vieni, taglia il ramo che il germoglio non brucia
taglia la maniglia della porta, il raggio
della ruota che non gira, taglia
la strada che non sfiora le lontananze
vieni, taglia il vento che tossisce al buio, accendi
il sangue che s’imbarca  fischiando verso il danno
quello che può succedere succederà  per te
nelle cose vicine come nelle cose nascoste
e tu non saprai neppure quando, cosa
non saprai minimamente fino a dove, saprai solo
allo sportello della banca radicale
il valore di cambio del timore

 

 

 

de la violence

 

viens, coupe le rameau que le bourgeon ne brûle pas
coupe la poignée de la porte, le rayon
de la roue qui ne tourne pas, coupe
la route qui ne touche pas les lointains
viens, coupe le vent qui tousse dans le noir, enflamme
le sang qui s’embarque en sifflant contre la perte
celui qui peut arriver arrivera par toi
dans ce qui est proche comme dans ce qui est caché
et tu ne sauras ni quand, ni quoi
tu ne sauras pas jusqu’où, tu sauras seulement
au guichet de la banque radicale
la valeur d’échange de la peur

 

 

 

dell’amore

 

cadi qui
nel peso che non si può portare soli
nella sete che ti percorre la schiena
lasciandole in pegno due binari d’ustione
nel ventre che s’incurva
quando l’audio dell’esterno si spegne
e nel cerchio di caldo  è apparecchiato il letto
l’obbedienza stolida delle cellule
segue l’odore scuro che comanda sulla pelle
e tu non vedi che il tuo stordimento nel viso di fronte
sotto le palpebre la grana scarlatta
che è la coesione del sangue

 

 

de l’amour

 

tu tombes ici
sous le poids qui ne se peut porter seul
dans la soif qui te parcourt l’échine
laissant ce signe : deux rails de brûlure
sur ton ventre qui s’incurve
quand le son du dehors s’arrête
et que dans le cercle de chaleur est préparé le lit
l’obéissance vulnérable des cellules
suit l’odeur noire impérieuse sur la peau
et tu ne vois pas que ton vertige dans le visage en face
que sous les paupières le grain écarlate
est la coagulation du sang

 

 

 

 

della comprensione

 

alle domande non ti neghi
rispondi con il gesto
notturno delle spalle
con la piega degli occhi, il collo chino
la mano sul capo
poggi i piedi sull’orlo
di una rampa erta e dura
da cui salgono strisciando a labbra aperte
incisi dai giorni e dalle spine
sei la saliva nutriente che li bagna
sei la coppa di terra che li accoglie
prometti quel che c’è da piangere
sai che frutterà

 

de la compréhension

 

les questions, tu ne les refuses pas,
et réponds du geste
nocturne des épaules
du pli des yeux, le cou incliné
la main sur la tête,
tu poses les pieds sur le bord
d’une rampe raide et dure
de là, ils montent en rampant bouche ouverte
gravés des jours et des épines
tu es la salive nourricière qui les baigne,
la coupe de terre qui les accueille
et promets ce qu’il faudra pleurer,
sais ce qui fructifiera

 

 

 

 

 

della sapienza

torre fiorita nel deserto
preparami a
spegnimi
sembravi così in fondo, così
lontana
eppure, più vicino di me a me stessa, un respiro
si diffonde, produce la voce percepibile formata
di fuoco, acqua e respiro
che sono anche nord, sud ed oriente
sabato di pane, sono
calma
sono senza gola
esplosa d’alba
sono
la linea
della tua
ombra

 

de la sagesse

 

tour fleurie dans le désert
prépare-moi pour
éteins-moi
tu semblais si au fond, si
lointaine
et pourtant, plus proche de moi que moi-même, un souffle
se diffuse, produit la voix perceptible, formée
de feu, eau et souffle
qui sont aussi nord, sud et orient
samedi du pain, je suis
calme
je suis sans voix
explosée d’aube
je suis
le contour
de ton
ombre

 

 

 

 

 

 




Thomas Vinau, C’est un beau jour pour ne pas mourir

365 arts de vivre, 365 manières d'être, 365 éclats de poésie dans cette éphéméride de Thomas Vinau composée de « 365 poèmes sous la main » à travers lesquels le quotidien se fait l'écrin de ces véritables pierres précieuses, dans la capacité de l'écriture à sublimer le réel, moments d'épreuve ou instants de joie arrachée, pour en faire le matériau de ces joyaux du langage, autant d'épures de l'expression, une ressource de mots semés sur la page en élixir pour nous sauver, au jour le jour, de nos maux, et laisser grandir dans nos cœurs, ces Fleurs du Bien...

Ce fleuve de parole réparatrice, l'auteur le conçoit comme un cours d'eau ou d'encre fertile : « Une rivière qui creuse son lit entre les arbres et les roches, les cadavres et les fleurs, avec ce que la nuit et le jour veulent bien lui laisser. Suivant les endroits, elle sera plus ou moins fraîche, accueillante, aride. Vous pourrez y tremper les pieds chaque matin. Au besoin ou à l'envie. Si tout se passe comme prévu, vous y verrez une vie défiler comme dans un éclat de miroir trouble et glacé. Une langue, des amours, des manques, des enfants, des rires, des colères, des copains, du temps, des questions sans réponses et des réponses sans questions. »

Grands malheurs ou petits bonheurs, sa poésie déployée au fil de vers libres se veut appel à ne pas renoncer, à rester vivant et debout, à narguer encore un peu la faucheuse en goûtant à la beauté du jour !

Thomas Vinau, C'est un beau jour pour ne pas mourir,
Le Castor Astral, 2019, 418 pages, 17 euros.

Ainsi son exhortation à vivre, à vivre encore, il la fait « Plutôt deux fois qu'une », pour reprendre le titre d'un de ses poèmes qui décline le manuel de conjugaison pour un emploi intensif de ce verbe et de ses dérivés : « Numéro 76/du Bescherelle/rouge/j'ai vérifié la conjugaison/du verbe Vivre/ce matin/c'est toujours intéressant/de savoir utiliser le verbe Vivre/Tout en bas de la page est écrit :/Ainsi se conjuguent Revivre et Survivre. »

C'est ce combat perpétuel avec ses défis de l'aurore, entre la tristesse d'être extrait à la nuit originelle et l'espérance du matin rosi à l'horizon, entre « La grisaille et l'or » pour filer la métaphore de l'incessant commencement de la journée, pari à relever avec ardeur, à l'image du soleil qui se lève, dans ce tutoiement de la voix conseillère où le lecteur semble l'écho de l'intimité du poète : « Tu te lèves/il faut bien se lever/t'es réveillé/et t'es pas mieux couché/tu te lèves donc/dehors le vent /défrise les arbres/le beau petit saccage/a déjà commencé/ton chien se cache/sous l'évier/ton fils saute/sur ses pieds/ta femme/enfonce sa tête/dans l'oreiller/les volets claquent/et c'est parti/pourtant la nuit/n'a pas transformé/la douleur/en diamant/ou la méchanceté/en sourires/pourtant ceux/qui meurent/continuent/de mourir/mais la chaleur/a faim/et le jour/est levé/dans le ciel/déchiré/se mélange/la grisaille/et l'or/d'une journée »

Des scènes croquées avec des portraits choisis, des rencontres haletantes comme des coups de foudre, des quintessences de temps vécu dépassant la douleur ou l'allégresse, au tamis des mots, la plume saisit l'éternité de l'instant, prélude à un hymne à l'amour déchirant, entonné dans des passages en acmés, entre souffrance de la passion et extase de l'union, variations de l'art d'aimer, de l'ode à l’ensorcelante inconnue à l'élégie sur la durée éloignant les êtres, entre les deux titres significatifs que seuls quelques feuillets séparent : « Ça ne se voit pas mais je saigne » et « Au bout de moi il y a toi » s'ouvrant de l'abandon de la rupture à la paix du retour de l'aimée : « j'abandonnerai un peu des remugles/de ce gouffre sombre/qui grandit entre toi et moi/je vais marcher/jusqu'au sommet/du sommet/de mon silence/quand tu reviendra/ je serai là »

De la magie des états de grâce à l'usure de l'existence, sans perdre le rythme palpitant du cœur qui bat, c'est la trame même de cette dernière, vécue par chacun, dans ce qu'elle a à la fois de concret et d'original, de cette tension entre le singulier et l'universel, que le sens de la formule propre à Thomas Vinau magnifie, et l'on a alors envie de se plonger encore dans ce journal comme on converse avec un ami : un livre compagnon de cheminement, dont on goûterait les pages comme les conseils d'une voix avisée et réconfortante, véritable proposition au partage d'une poésie comme « Un bout de pain » en toute camaraderie : « La poésie doit être partagée/sinon elle ne sert à rien/pas comme une prière/mais comme un bout de pain/pas comme un butin/mais comme une clope/qui passe de bouche en bouche/en attendant le bus/un petit lundi de semaine/pas comme une formule secrète/mais comme une pizza/posée entre quatre culs serrés/à l'arrière d'une voiture/à trois heures du matin/ou comme le sourire dépeigné/entre deux femmes fatiguées/perdues dans la queue du pôle emploi/la poésie tient sur ses pieds/debout/mais pas/tout à fait droit »

Mots de travers d'une réalité duraille ou chants exaltés de cette part de merveilleux que l'on retrouve nichée dans cet ordinaire tour à tour savoureux ou cruel, au bout de ces 365 poèmes, c'est un an de vie, celle de l'auteur comme celle que vient y chercher le lecteur, la sienne, la tienne, la mienne, la nôtre enfin, en invitation à tenter de vivre, dignement et intensément, mais toujours à hauteur d'homme...

Présentation de l’auteur




Autour de Christine Girard, Louis Dubost et Jean-François Mathé

 Christine Girard, Ruines

 

« ardoises brisées cassées fracturées, » ; jamais un titre n’a aussi bien évoqué le contenu du recueil… Lecture achevée, il s’agit d’un immeuble tombé en ruines. D’ailleurs, il faut attendre la page 39 pour apprendre que ce travail fut exposé à Albi en 2012 (sans doute sous forme de photographies ???). 

Et c’est parti pour une quarantaine de pages descriptives qui ne disent pas que ces ruines sont consécutives à un incendie : les murs couverts de suie et l’odeur du feu sont parmi les indices.  Maison d’habitation, hôtel, théâtre (mais n’est-ce pas le mot théâtre qui m’amène à penser que ?)… rien de certain ; nul ne sait avec certitude, surtout pas le lecteur !

Christine Girard procède par redites, par répétitions : l’oiseau aux longues ailes, dédales d’eaux, miroirs livides, murs couverts de suie, crissement de câbles, balançoire, plumes ou duvet, grue métallique (sans que l’on sache avec  certitude qu’il s’agit d’un jouet ou d’un outil réel) ; jamais les ruines ne sont parues aussi obsédantes  ! Le long travail du temps vient compléter l’accident ou la folie des hommes : « ça se fissure, se fendille, l’informe gagne défigure les lignes, l’amnésie creuse les sillons, ruine les formes » (pp 32-33). Christine Girard rappelle au lecteur que les ruines vivent :  « …  les cailloux parlent prennent figure deviennent tête, une simple forme l’expression d’une pierre noire … » (p 10). Ce qui contribue aux visions, aux hallucinations…

Christine Girard, Ruines, Editions Faï fioc,
48 pages, 8 euros. En librairie ou sur commande :
15 Rue Haute. 54200 Boucq. (Sur catalogue,
commande en ligne : prévoir le port).

Dans le verbe « s’égarer » (qui termine cette plaquette), il y a comme le résumé de ce qui précède, c’est-à-dire l’impossibilité de distinguer la différence entre une description de ruines et une description d’un vrai paysage, bien vivant.

∗∗∗∗∗∗

Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux

 

Manger, c’est philosopher… Non pas parce que Louis Dubost fut professeur de philosophie dans le civil… Mais parce qu’il l’est aussi ! J’en trouve les raisons dans les comparaisons avec l’œuvre de Botero (p 20) ! Parce que l’art est un domaine éminemment philosophique : rendre visible  ce qui s’énonce par des idées… Ou à cause de l’arrosoir voltairien.  

Ou tout simplement et j’aime, cet art de ce qu’il faut bien désigner comme un abécédaire, à savoir (p 9) : cette attaque qui prend modèle sur le Banquet de Platon. Mais ce livre est aussi l’occasion de portraits du grand-père qui valent leur pesant de cacahuètes. Tout comme de recettes pas piquées des hannetons car le jardinier est aussi amateur de bonne chère mais aussi de sagesse : ainsi dans Carotte on trouve cette citation que j’extrais : « Désormais, je récolterai chaque année la graine de mes carottes ouzbèkes  pour retrouver autour de la table ces merveilles de notre histoire commune et cultiver un peu plus d’humanité, tout simplement »  (p 29). De façon générale, Louis Dubost désigne par je ce qu’il faut se résigner à appeler l’auteur. 

Tout le reste est dans la même tonalité, humoristique et distanciée. Ainsi, page 30 à l’article « Cerise », merles et autres choucas bouffent les cerises : « Cependant le merle a eu sa part, et pas la plus mince ». 

Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux, 
La Mèche lente éditeur, 118 pages, 16 euros. En librairie.

Si le philosophe Jean-Paul Sartre fait voisiner chou-fleur avec mousse et pourriture dans L’Existentialisme est un humanisme, Louis Dubost ajoute : «  Peut-être le philosophe (…)  garde-t-il un souvenir désagréable de la cantine de la Rue d’Ulm  » (p 33). Au texte « Chenille », Louis Dubost est coquin : « Les chenilles du chou ne supportent pas la foulée d’une jeune femme nue au temps de ses règles » (p 31), mais il attribue la citation à un philosophe démocritéen ! Tout y passe ; la mécréance du jardinier (p 37),  les fantasmes (p 38), même la phrase finale de l’épilogue que je ne résiste pas au plaisir de citer : « Dans la journée, le jardinier prendra  en mains l’outil adapté aux réponses possibles » (p 113) ce qui est un signe de sagesse. 

Les termes métaphysique, existentialiste, philosophe ; l’expression  impératif catégorique indiquent la philosophie. Mais Louis Dubost ne se borne pas à cela : il se réfère aux politiciens (et aux politiciennes), Ségolène Royal et Jean-Marc Ayrault, ça date un peu les textes ! Seul le latin d’opérette (de botanique ou d’entomologie) fait encore sourire : les deux Pyrrhocoris apterus soudés l’un à l’autre font rigoler l’auteur (p 57) : Louis Dubost ne manque pas d’humour ! Ce qui n’empêche pas les grandes questions du style « Les limaces ont-elles une âme ? » (p 67). Et je ne dirai rien des comparaisons avec des chanteurs, des poètes ou des cinéastes (p 81). J’aime cette citation : « La pauvreté partage des richesses que les riches ignorent » (p 90).

Cet abécédaire est placé sous le signe de l’humour. Qui est Diogène qui donne son titre au livre , c’est un philosophe de la Grèce antique, l’un des élèves les plus célèbres de l’école cynique d’Antisthène. Nous passerons allègrement sur le cynisme de Diogène ; disons simplement que Louis Dubost retient le côté provocateur de Diogène de dénonciation des conventions sociales. C’est pourquoi le jardinier ne peut trouver le bonheur que dans l’accord profond avec la nature, revue et corrigée par le jardin…

∗∗∗∗∗∗

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé 

 

Recueil-Bilan : je me prends à songer que ce ne soit pas le dernier  (cela n’est pas le dernier, car quand on est tombé dans la poésie, c’est pour la vie). 

Et cela commence par une brève pièce de vers où la vie est comparée à un  fruit  : « comme si je voulais / que ma vie / soit un fruit / tout entier entré / dans son noyau » (p 7). Mais ce vers « jusqu’à à ton consentement à mourir » (p 14), m’amène à penser que c’est peut-être le dernier ! Ce qui serait dommage car Jean-François Mathé sait écrire les variations du temps qui passe… 

  Me viennent à l’esprit ces mots de Marie-Hélène  Prouteau : « Il s’agit d’apprendre à vivre  légèrement appuyé à la mort » puis  « Le sentiment de la perte inéluctable qui nous attend est présent mais tenu à distance » (in TERRES  de FEMMES, à propos du précédent recueil de Jean-François Mathé, Prendre et Perdre). Tout est dit ; tout est en cette mise à distance  qui traverse ces vers ou ces proses qui composent le recueil. J’oubliais : « J’avance dans les mots / comme dans les herbes qui s’écartent » (p 20) puis « ces mots qui voudraient crier » (p 22), je les prononcerai… 

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé, 
Le Silence qui roule éditions, 48 pages, 12 euros.
Sur commande (Editions le Silence qui roule ;
26 Rue du chat qui dort. 45190 BEAUGENCY).

Si les verbes descriptifs abondent, ceux qui traduisent les relations avec la femme aimée sont nombreux ; mais, les verbes qui traduisent la vision ou ceux qui traduisent l’acceptation sont plus rares. Ceci n’enlève rien à l’aspect bilan du recueil… Je suis particulièrement sensible à la beauté de ce tercet (p 16) : « Tu dors ? C’est un mensonge : / ton sommeil n’est qu’un fard / sur de la mort posé » ; il dit bien, à mots couverts, ce qu’il entend proclamer…




Conceição Evaristo, poète afro-brésilienne

 

Conceição Evaristo, est une écrivaine afro-brésilienne, née le 29 novembre 1946, dans une favela de Belo Horizonte, dans le Minas Gerais. Issue d'une fratrie de 9 enfants, elle aide sa mère à la maison, et travaille comme domestique dès l'âge de 8 ans, mais a la chance d'aller à l'école et de vivre dans un milieu qui l'aime et nourrit son amour des contes :

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photo : Pablo Saborido/CLAUDIA

Je ne suis pas née entourée de livres, j'insiste. C'est dans le temps et l'espace que j'ai appris depuis l'enfance à cueillir les mots. Notre maison était dénuée de biens matériels mais habitée par les mots. Ma mère et ma tante étaient de grandes conteuses, mon vieil oncle était un grand conteur, nos voisins et amis contaient et racontaient des histoires. Chez nous, tout était raconté, tout était motif de prose-poésie .

En 1973,  elle réussit à passer un concours pour devenir enseignante : elle enseignera à Rio de Janeiro, dans des écoles primaires publiques, avant de reprendre des études de lettres, à 40 ans, avec une belle ténacité. Elle est la seule de sa famille à faire des études universitaires - elle accède même à un doctorat de littérature comparée en 2011.

Autodidacte,Conceição Evaristo écrit poèmes, nouvelles et romans, et lit énormément, également en français, les oeuvres d'Aimé Césaire, Léopold Senghor, Edouard Glissant, Maryse Condé, Michel de Certeau et Frants Fanon.

Figure emblématique de la littérature afro-brésilienne, qui cherche à réhabiliter les mémoires issues de l'esclavage, elle écrit pour les minorités – les pauvres vivant dans les quartiers défavorisés, les noirs issus d'esclaves, en butte au racisme, les femmes soumise à la violence, les exclus d'une société blanche encore empreinte des habitudes et des préjugés du colonialisme :

 En tant que femme noire, on attend de moi que je sois bonne au lit, bonne cuisinière, bonne danseuse mais sûrement pas écrivain, intellectuelle et productrice de savoirs.

Dans ses ouvrages, elle mélange régulièrement fiction et réel, et réinvente les histoires oubliées. Le roman Banzo, mémoires de la favela, largement inspiré de l'expérience personnelle de Conceição Evaristo, est un bon exemple de ce qu’elle appelle « l'écrit-vie » : la transformation et l'intégration des souvenirs individuels des gens qu’elle a connus en une seule et même mémoire collective.((Les premiers écrits de Conceição Evaristo ont été publiés en 1990 dans le recueil d'œuvres littéraires afro-brésiliennes Cadernos Negros.

Une sélection de sa poésie a été publiée en français en 2019, dans une traduction de Rose Mary Osorio et de Pierre Grouix, en édition bilingue chez des femmes / Antoinette Fouque, sous le titre Poèmes de la mémoire et autres mouvements.))

*

Choix de poèmes extraits de Poèmes de la mémoire et autres mouvements, traduit du portugais (Brésil) par Rose Mary Osorio et Pierre Grouix, édition bilingue, des femmes- Antoinette Fouque, 2019 - avec l'aimable autorisation de l'éditrice.

Il faut se souvenir (p.16)

 

La mer vagabonde houleuse sous mes pensées

La mémoire féroce lance son gouvernail :

il faut se souvenir.

Le mouvement de va-et-vient dans les eaux-souvenirs

de mes yeux baignés de larmes me submerge de vie,

salant mon visage et mon goût.

Je suis une éternelle naufragée,

mais les profondeurs des océans ne m'effraient

ni ne m'immobilisent.

Une passion profonde est la bouée qui me tient hors de l'eau.

Je sais que le mystrère subsiste au-delà des eaux.

 

Recorda é preciso

 

O mar vagueia onduloso sob os meus pensamentos

A memòria bravia lança o leme :

Recordar é preciso.

O movimento vaivém nas águas-lembranças

dos meus marjados olhos transborda-me a vida,

salgando-me o rosto e o gosto.

Sou eternamente náufraga,

mas os fundos oceanos nâo me amedrontam

e nem me imobilizam.

Uma paixâo profunda é a bóia que me emerge.

Sei que o mistério subsiste além das águas.

 

*

 

Certificat de décès (p. 29)

 

Les os de nos ancêtres

cueillent nos larmes pérennes

pour les morts d'à présent.

Les yeux de nos ancêtres,

étoiles noires teintées de sang,

s'élèvent des profondeurs du temps

prenant soin de notre mémoire meurtrie.

La terre est couverte de fosses

et à la moindre inattention de la vie

la mort est certaine.

La balle ne manque pas sa cible, dans le noir

un corps noir chancelle et danse.

Ce certificat de décès, les anciens le savent,

a été gravé depuis le temps des négriers.

 

*

 

Moi-Femme (p 37)

 

Une goutte de lait

coule entre mes seins.

Une tache de sang

orne mon entrejambe.

Un demi-mot mordu

s'échappe de ma bouche.

De vagues désirs insinuent des espoirs.

Moi-femme toute en rivières rouges

j'inaugure la vie.

A voix basse

je violente les tympans du monde.

Je prévois.

Je prédis.

Je pré-vis.

Avant – maintenant – tout ce qui arrivera.

Moi femme-matrice.

Moi force-motrice.

Moi-femme

abri de semence

mouvement perpétuel

du monde.

 

*

 

Voix-femmes (p. 39)

 

La voix de mon arrière-grand-mère

a fait écho à une enfance

dans les cales du navire.

A fait écho aux lamentations

d'une enfance perdue.

La voix de mon aïeule

a fait écho à l'obéissance

aux Blancs-maîtres de tout.

La voix de ma mère

a fait écho tout bas à la révolte

au fond des cuisines des autres

en-dessous des piles

de linge sale des Blancs

par le chemin poussiéreux

menant à la favela.

Ma voix fait encore

écho aux vers perplexes

avec des rimes de sang

et

de faim

La voix de ma fille

emprunte toutes nos voix,

recueille en elle

les voix muettes tues

étouffées dans nos gorges.

La voix de ma fille

recueille en elle

la parole et l'acte.

Le passé – l'aujourd'hui – le présent.

La résonance se fera entendre

dans la voix de ma fille

L'écho de la vie-liberté.

 

*

 

La Nuit ne ferme pas les yeux dans les yeux des femmes (p.43)

 

en mémoire de Beatriz Nascimento

La nuit ne ferme pas les yeux

dans les yeux des femmes,

la lune femelle, notre semblable,

telle une vigie attentive, surveille

notre mémoire.

La nuit ne ferme pas les yeux

dans les yeux des femmes,

il y a plus d'yeux que de sommeil

où les larmes suspendues

virgulent le laps de temps

de nos souvenirs humides.

La nuit ne ferme pas les yeux

dans les yeux des femmes

des vagins ouverts

retiennent et expulsent la vie

où les Ainás, Nzingas, Ngambeles

et autres petites filles lunes

éloignent d'elles et de nous

nos calices de larmes.

La nuit ne fermera jamais les yeux

dans les yeux des femelles

puisque dans notre sang-femme

dans notre liquide mémoire

en chaque goutte qui jaillit

se trouve un fil invisible et fort

cousant patiemment le filet

de notre résistance millénaire.

 

Entretien avec Conceição Evaristo chez Fanchette Bourblanc du collectif Brésil-Rennes.
En collaboration avec Marie-Anne Divet de Histoires Ordinaires.

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 Poèmes de la mémoire et autres mouvements,  traduction de Rose Mary Osorio et de Pierre Grouix, en édition bilingue chez des femmes / Antoinette Fouque, 2019




Maria Pia Quintavalla, Parmigiana, I et autres poèmes

                                                                                 Traduit de l’italien par Viviane Ciampi

Parmigiana, I

 

Tutti gli amori ti furono infelici perché ci credevi,
tutta vi aderivi, alle promess
dell’essere - al suo centro
ti innamoravi della vita del paradiso
dalle palme lente e dolci dell’amore
improvviso nelle dita degli amanti napoletani
della forza che ti travolgeva
ma di messi astrali, bianche
dita di una stella carnale

 antiche passeggiate e dolci mani,
della vita sentivi lì la forza intatta infrangersi
stupita appartenente a corse, statue di gaggie
erano tonfi al cuore, desiderio e copule del mare.
Forti le braccia i baci le lusinghe,
per amore della vita che perdevi
e lenta nell’amore ti perdeva.

 

                                                       II

 

 

Rivorrei la mia infanzia una triste
prigione del cuore - dissi
a lei che più non capiva da dove
tutto questo avesse inizio, così
mi mandò a dire, Vattene un po’
all’inferno vattene, sì vai via,
la tua finestra più non ci appartiene
né mai lo fece, Esci di scena.
Stanca sconsolata lei assentì, ma l’altra
da lì stette fuori tappata,
bocche e orecchie spaventata la guardava,
né poteva più rispondere.

Rivorrei la mia infanzia con le finestrelle
chiuse ottuse, lì nascosta poco di sotto
al cuore - ritornava ritornello infelice

 

 

 

De Parme, I

 

Tous tes amours te furent misérables car tu y croyais,
toute entière tu y adhérais, aux promesses
de l’être – en son milieu
tu t’éprenais de la vie de l’Eden
des paumes lentes et douces de l’amour
soudain dans les doigts des amants de Naples
de la force qui te submergeait
mais de moissons astrales, doigts
diaphanes d’une étoile charnelle

anciennes balades et douces mains,
de la vie tu percevais la force intacte à sa brisure
étonnée appartenant à des courses, des statues d’acacias
comme des coups au cœur, désir et étreinte de la mer.
Puissance des bras des baisers des flatteries,
par amour de la vie que tu perdais
et lente dans l’amour elle te perdait.

                                                     

                                                              II

 

                                                                               

Je voudrais retrouver mon enfance une accablante
prison du cœur – dis-je
à celle  qui ne comprenait pas par où
tout cela commençait, ainsi
elle me dit, Va-t’en donc
aux enfers va-t’en oui, va
ta fenêtre ne nous appartient plus 
ni jamais ne nous appartint, sors d’ici.
Fatiguée attristée elle acquiesça, mais l’autre 
resta dehors protégeant,
bouche et oreilles apeurée la regardant,
sans pouvoir répondre.

Je voudrais retrouver mon enfance avec les fenêtres
fermées butées, là, à peine cachée au-dessous
du cœur – revenait un refrain malheureux

 

****

China era prodigio di canzone

 

Quando di China si vedette il volto salire in aura,
in benvoluta gloria, China
già più non era là seduta, ma distante
volgersi e dire in addio serena
le ultime care frasi della notte:
quelle che di cantari, gesta e sacripanti
donzelle e mostri, essa mostrava
sé capace a recitare:
modeste cupole, già case per la mente,
di una speranza che la villa di Castiglia
più non udiva.

 

*

 

Morì. Tradì, scoppiò, dissolse sé, disparve

 

non fu mai dato di sapere, ma servì a capire
che China era prodigio di canzon
meravigliosa creatura in luogo chiaro,
corso di virtù serena -
gioia nel corpo cibo della mente - angelo
al tocco dei bambini salvi nel fiume
corso della sua esistenza,
frumento pane di virtù mai sorte,  

sentimento del mondo, sua dizione.

 

*

 

 

 

 

China était prodige de chanson

Quand de China on vit le visage élever son aura,
en gloire appréciée, China
n’était déjà plus assise ici, mais lointaine
se tournant pour dire en un adieu paisible
les dernières phrases de la nuit :
celles de trouvères, conteurs et chenapans
demoiselles et  monstres, elle se montrait
capable de réciter :
modeste coupoles, déjà maison de l’esprit,
d’un espoir que la ville de Castille
n’entendait plus.

 

*

 

 Elle mourut, trahit, éclata, se défit, disparut

on ne put jamais savoir, mais cela fit comprendre
que China était prodige en chanson
ravissante créature dans la clarté,
un fleuve de sereine vertu -
joie du corps nourriture de l’esprit - ange
à la caresse des enfants sauvés dans la rivière
au cours de son existence,
froment pain de vertus jamais écloses, 

conscience du monde, son récit.

 

 

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Mater : Due sono una

 

È forse questo il tremito
in occhi sconosciuti i m
ei, già conosciuti -
è forse vero il verso che dice il tocco,
i salti della voce. Lei è cresciuta
non parla la tua voce.
Presa per mano ti guardava tornare, e poi andare,
mi seguitava il corpo, ne assecondavo
il suo respiro, due sono una
ora è uno e uno. Ora
i suoi occhi luccicano con una margherita
appesa al lobo ma di luce propria
senza infingimenti e lei là, un gran andare
per una corsa sua segreta,
tra fili d'erba e treni, caramente
d'oro il suo sorriso.

 

      

 

 

 Mater : Deux je suis une

 

C’est sans doute ce frémissement
dans des yeux inconnus les miens, déjà connus -
c’est vrai sans doute le vers qui dit le doigté,
les écarts de la voix. Elle a grandi
ne parle pas ta voix.

Tenue par la main elle te voyait revenir, et puis t’en aller
le corps me suivait, j’en soutenais
le souffle, deux sont une
maintenant c’est un et un. Maintenant
ses yeux brillent avec une marguerite
suspendue au lobe mais de lumière propre
sans imposture et elle là-bas, un départ infini 
pour une course secrète et bien à elle, 
parmi des fils d’herbe et des trains, oh d’or
si précieux son sourire.

 

 

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