Les dessous du Festival Voix Vives en Méditerranée

Recueilli par Christine Durif-Bruckert cet entretien avec Sébastien Charles, coordinateur du festival Voix vives de Méditerranée en Méditerranée  a été réalisé durant le Festival , dont les dates correspondent à une période estivale fertile en manifestations. Une sorte de vitalité retrouvée, une « trêve » emportée de haute lutte par la directrice, Maïthé Valles-Bled, et son équipe.

Ce rassemblement  annuel d’une grande richesse offre au public des rencontres et des échanges avec des poètes, des éditeurs, et des voix, vives s’il en est, de celles qui font avancer la poésie, qui la portent, qui la lisent, et l’offrent aux visiteurs venus nombreux malgré les circonstances. A côté de cette programmation officielle se sont déroulées d’autres manifestations, ainsi celles de La Matrice de Thau, association menée de maîtresse-main par deux femmes engagées, qui organise expositions et spectacles, fruits d’une année durant laquelle sont proposés des ateliers d’écriture, de musique, et une présence physique, aux jeunes défavorisés. L’Art comme outil de remédiation a été l’occasion de nouer des liens souvent salvateurs. Témoin de cet engagement auprès des jeunes, la série de manifestations organisées par La Matrice de Thau est le résultat de ce travail quotidien.

Des actions « périphériques » ont enrichi la palette des propositions de cette manifestation singulière dans son déroulement comme l'installation off de l'artiste anglo-italienne Giovanna Iorio, qui a permis aux promeneurs d'écouter des voix de poètes associées aux arbres de la place ou du jardin Simone Weil, quand se reposaient les voix des artistes, et les inédites « soirées au Patio » des éditions Pourquoi viens-tu si tard ? qui ont permis d'entendre poètes en off et poètes invités, mêlant leurs voix dans la belle communion des échanges.

Que souhaiter, si ce n’est que se poursuive ce foisonnement créatif, et que se rencontrent ces univers générationnelles et culturels, au sein d’un Festival augmenté ouvert plus encore sur cette diversité ? Que souhaiter ? Eh bien, que nous puissions encore lire de la poésie, nous rencontrer et vivre dans cette fraternité que seule la présence de chacun autour du poème comme d’un totem, d’un feu incandescent, permet.

 

CDB : Bonjour Sébastien. Le but de cet entretien :  connaître et honorer ton travail sur le festival des Voix vives de Sète et comprendre comment les choses se sont déroulées cette année. Depuis combien de temps es-tu en poste sur ce festival et comment es-tu es arrivé là …. ?
Je suis arrivé un peu par hasard, recruté par Maïté, mais dans un cadre complètement différent. Elle est conservatrice des musées de la Ville et j’avais postulé pour un poste au musée Paul Valéry. De là, en 2010, je suis arrivé sur le Festival qui, à cette époque, n’accueillait qu’une petite trentaine d’éditeurs. Les choses ont grandi petit à petit, et je peux considérer que je suis à plein temps sur le festival à partir de juin. Cette année je suis technicien, ce que je ne suis pas nécessairement les autres années.
Je suis beaucoup en déplacement avec Maïté sur les éditions à l’étranger : El Jadida au Maroc est la première à laquelle j’ai assisté. On a fait quelques éditions à Sidi Bou Saïd en Tunisie, et une collaboration régulière à Gênes sur un festival organisé par Claudio Pozzani, se tient tous les ans au mois de juin. En octobre, il y aura un festival Voix Vives à Tolède avec la directrice, Alicia Martinez qui a été une poète invitée du festival. Il y a aussi une autre édition qui n’a eu lieu qu’une fois mais qui reprendra certainement à d’autres occasions :  l’édition à Ramallah.
Nous avons cette volonté de faire voyager le concept du festival et de l’ouvrir justement à toute la Méditerranée. C’est un festival qui a vocation à se déplacer sur d’autres rives de la Méditerranée. D’autres pays aimeraient l’organiser, comme la Grèce ou le Portugal. Après bien sûr c’est une question de budget :’est extrêmement difficile maintenant, on trouve des partenaires privés, mai peu de subventions.
De plus, cette année, on n’a pas pu avoir de technicien, ce qui nous oblige nous, tous les membres de l’équipe, à assurer des tâches différentes. Les affiches, les panneaux, toute la signalétique c’est moi qui les réalise. Il y a aussi tout un travail de petites mains extrêmement important sur le festival et qui nous prend énormément de temps – et que des jeunes de Tolède assuraient en partie les autres années.
Comment avez-vous réussi à le maintenir cette année alors que tous les festivals de Sète et d’ailleurs ont été annulés ?
Ah ça a été un vrai combat de Maïté. Elle suivait l’évolution de la situation par rapport au Covid. Il a fallu évidemment attendre les autorisations de la préfecture, et de fait on a peu communiqué ou un peu tard. Bien sûr, ça a eu un impact sur le public. Il y a eu une autre particularité aussi, c’est qu’on avait les élections municipales et certains candidats n’auraient certainement pas soutenu le festival. Quand on a eu la confirmation qu'il aurait lieu, c'était aussi sous une forme plus restreinte en ce qui concerne l’occupation de l’espace public.
Et vous avez eu beaucoup de déperdition sur les éditeurs ? Comment fonctionnez-vous ?
Paradoxalement non, parce que maintenant on fonctionne avec des stands payants. J’ai eu des désistements de la part de nombreux éditeurs, de façon tout à fait justifiée : Ils ne se sentaient pas suffisamment en sécurité ou avaient des malades autour deux, ou encore parce qu’en terme de trésorerie, ça leur était difficile d’assurer un hébergement. Mais d’autres éditeurs qui souhaitaient venir depuis très longtemps en ont profité puisqu’il y avait des espaces disponibles. Il y a toujours eu un turn-over : de plus en plus d’éditeurs maintenant connaissent le festival et veulent venir. J’ai toujours une certaine flexibilité sur la place pour pouvoir accueillir des gens, mais effectivement c’est une place qu’on pourrait presque agrandir. Ce serait une expansion relativement limitée pour que je puisse continuer à me déplacer et venir voir les gens. Je ne suis pas là pour aligner des noms sur un programme ou pour placer les gens sous leurs tentes. Ce n’est pas du tout ma façon de voir les choses.
Il m’arrive d’accueillir des maisons d’éditions très peu connues au moment où je les accueille, qui sont en devenir, qui cherchent encore leur identité et qui grandissent avec le festival aussi. C’est intéressant d’avoir ce panel-là.
Un poète n'est jamais invité deux années de suite. Maïté s’appuie sur un comité international où chacun, selon sa spécialité, son pays aussi, sa langue, découvre de nouveaux auteurs qui n’ont jamais été traduits en français. Beaucoup d’auteurs sont traduits en français pour la première fois  à l’occasion du festival.
Les animateurs du festival aussi font des propositions parce qu’eux-mêmes sont poètes et qu’ils font des rencontres. Ce qui nous permet d’avoir des auteurs qui n’ont jamais été invités.
On s’appuie aussi sur les propositions des éditeurs. Certains nous envoient leurs propositions dans l’année. On tient compte évidemment de la qualité du poète, et en général on n'invite que des poètes qui ont déjà été publiés, qui ont déjà un parcours ou une œuvre, et là aussi les propositions d’éditeurs sont bienvenues. De toute façon, ça passe toujours par eux.
Et toi qu’est-ce qui te mobilise le plus sur ce festival.  Qu’est-ce qui te fait vibrer ? enfin si tu vibres…
 Je vibre un peu oui (sourire). J’ai un rapport très particulier aux livres. J’aime les livres. Je suis issu des Beaux-Arts. J’ai fait un peu d’illustration et je connaissais un peu l’édition, pas nécessairement l’édition de poésie. J’ai une tendresse particulière pour les éditeurs. C’est vraiment un métier que je respecte énormément et il y a presque un rapport affectif qui s’est créé d’années en années avec ceux que je connais déjà. J’aime l’idée de bien accueillir les gens
Après, je suis d’un milieu populaire. Mon papa était routier. J’ai tendance à dire que si quelqu’un comme lui passait sur la place, j’aimerai qu’il puisse ouvrir un livre, qu’il ait envie d’ouvrir un livre.
Les festivaliers qui viennent, c’est important qu’ils puissent acheter des livres suite aux lectures. Mais j’aime qu’il y ait des gens justes de passage qui ne s’intéressent pas nécessairement à la poésie, et qui se mettent à ouvrir des livres, et parfois à en acheter. C’est presque une politique de la goutte d’eau. C’est une idée qui me parle vraiment, le fait que tout le monde puisse venir ici à la rencontre des livres, des éditeurs. Il y a beaucoup de gens qui n’osent pas toucher les livres. Ils pensent que ce n’est pas pour eux.
 
On a une particularité aussi sur ce festival, c’est que la poésie en France, ne fournit évidemment pas les plus grosses ventes de livres en France, contrairement à ce qui peut se passer à l'étranger. En France, les gens se disent « ah c'est de la poésie, ce n’est pas pour moi. » Alors qu’on est dans la ville de Brassens, qu’on appelle pourtant « le poète ». Mais quand on parle de poésie, ça devient quelque chose d’inaccessible, d’intellectuel. La poésie a un peu une image de quelque chose de confiné, d’entre soi etc. Alors que c’est tout l’inverse. Si on organisait un festival de rock, de cinéma, les partenaires, on les trouverait demain. La poésie c’est une bulle culturelle. On a du mal à amener les gens vers elle.
Vous développez peu le off. La scène ouverte reste un peu confidentielle malgré tout.  Ça c’est très dommage parce que c’est important cette notion de off.
La scène ouverte  a été un peu plus développée que les autres années. C’est certainement une scène qui doit être mise en valeur. Je suis entièrement d’accord.
Vous avez des projets précis par rapport au festival pour faire évoluer les choses en général ? Tu voudrais faire bouger des choses particulières sur ce festival ? 
Il y a toujours des idées nouvelles, on a aussi le web radio. Il y a plein de choses qui se font autour du festival.
Sur la capacité d’accueil des éditeurs, je pense à l’évolution du confort lié aux stands, à l’ombre en particulier. Ça c’est très logistique. J’aimerai revenir à la gratuité des stands.  Ce serait presque une priorité si on avait le budget. Je pense aussi à une évolution un peu plus forte vers des jeunes poètes du monde hip-hop, du monde urbain, parce qu’on est dans la rue. Effectivement dans le festival, on vit avec le bruit de la ville et il y a toute une jeune génération. Et là je ne parle pas d’âge, mais d’une jeune génération qui, entre guillemets, écrit pour le micro. Il y a des poètes à lire et des poètes à entendre, et il y en a qui savent très bien faire les deux. On a peut-être des scènes à découvrir à ce niveau-là, ce qui permettrait aussi de créer quelque chose de transversal avec une autre génération, avec des jeunes issus d’autres environnements. Je pense à des jeunes de quartiers, mais pas seulement. Peut-être s’ouvrir à la culture gitane, très présente à Sète et à la culture maghrébine. Peut-être avoir des choses qui s’ouvrent vers ces gens qui vivent là et qui sont méditerranéens sans l’être. Mais ils le sont malgré tout et il y a des ouvertures à créer là-dessus. 

 

En périphérie du Festival

 

 

Chaque année le Festival des Voix Vives en Méditerranée s'élargit et d'autres événements sont proposés au public, en périphérie des nombreuses manifestations proposées par les exposants, les participants et les organisateurs de ce qui représente le noyau central du Festival. 

 

 

La Matrice de Thau

Le mini festival de Sète c'est l'idée de Fatima Ouhada. Fatima Ouhada, est présidente fondatrice de l’association de la  Matrice de Thau. Avec toute son équipe de militants bénévoles profondément motivée, l’association veut promouvoir l’accès à la culture des personnes qui en sont  exclues.  Les pratiques artistiques ouvertes aux différentes formes de création, théâtrales, picturales, musicales, qu’elle développe tout au long de l’année, sont de véritables supports de communication entre des population qui s’ignorent, se méconnaissent et s’isolent.  « La culture est une force nous dit Fatima Ouhada. Plus que jamais aujourd’hui, ce droit doit être au cœur de nos préoccupations ». Notre collaboration avec l'association a commencée l'an dernier en juillet 2019, salle du quartier haut de Sète, autour des arbres et du vent, au moment du festival des voix Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée.

 Nous avions improvisé une exposition, des soirées de lectures poétique  et musicale, et chemin faisant s’est instaurée la première édition du  mini festival  de la Matrice de Thau, comme l'a nommé Fatima Ouhada.

Une deuxième édition ne faisait aucun doute, toujours soutenue par la Ville, Sète agglopôle et son président, le maire de la Ville, les élus, la DRAC et les services de la préfecture de l’Hérault. Le programme 2020 s’est ainsi construit, in extremis, sur le thème très à-propos de l’évasion : Evasion Culture, Evasion Lecture, autour de la magnifique exposition de photographies de Jeanne Davy, une artiste locale, et de ses portraits de  chanteuses de Jazz, les Elles du Jazz.

Du 23 au 26 Juillet, poètes, chanteurs, musiciens et performeurs ont occupé pour trois soirées le parvis de l’Église Saint Louis, un lieu enchanteur sur les hauteurs de Sète. L’une des plus belles vues de la ville en ces soirées d’été. Des soirées denses, rythmées par les morceaux de rap et les intermèdes musicaux de deux talentueux musiciens du conservatoire de la ville de Sète.

Repas et apéritifs dînatoires préparés avec talent par les bénévoles de l’association ont largement contribué à l’enthousiasme, à l’amitié et au partage de ces instants d’évasion tellement attendus après les temps de confinement. Plus de 300 personnes, habitants du quartier, passants et auteurs du Festival, se sont mobilisées et croisées sur ces trois journées, entre exposition et lectures poétiques.

De nombreuses improvisations ont prolongé ce programme déjà copieux. Les auteurs présents sur le Festival des Voix Vives ont participé à la lecture des poèmes de l’anthologie Le courage des vivants, coordonné par Christine Durif-Bruckert et Alain Crozier (Jacques André Éditeur) : Luc Vidal et Eva -Maria Bergue, Stephan Causse, Alain Marc…et Alain Snyers  qui nous a fait participer à sa performance.

En attendant la 3ème Edition 2021…

Un article de Christine Durif-Bruckert

 

Les soirées au Patio

 

Les soirées "Poètes au Patio" ont été organisées par Marilyne Bertoncini et Franck Berthoux qui dirige les éditions Pourquoi viens-tu si tard ? (PVST ?). Ces moments de partage ont été l'occasion de retrouver des poètes tels qu'Eva-Maria Berg, Laurent Grison, Henri Artfeux, Alain Marc, et bien d'autres qui sont venus enrichir ces instants de partage. 

Lambert Savigneux, les "Poètes au patio", une  lecture aux soirées organisées par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard ?".

Pascal Ricard et Alain Marc parlent du livre Les Yeux n'usent toujours pas le papier, Soirées au Patio organisées par les éditions "Pourquoi viens-tu si tard?", à Sète, en juillet 2020.

 

Le public a été au rendez-vous, et cette première édition est une réussite. Les poètes présents ont pu échanger avec les visiteurs venus nombreux. Ces moments ont été l'occasion de constater combien la poésie est vivante, fertile et vectrice de fraternité et de liberté, car la convivialité a permis à tous de vivre des moments précieux autour du poème. 

Sabine Venaruzzo au "Poètes du patio", juillet 2020.

Dany Hurpin présente les éditions La Cartonera, aux Poètes du patio, en juillet 2020.

 

L'installation "La Voix des arbres" 

 

Après la carte des poètes du monde, le  projet international « Voix des arbres » de Giovanna Iorio a été présenté lors des soirées des « Poètes au patio » et au cours de la soirée du 23 juillet sur le parvis de l’église Saint-Louis. 

Les poèmes de Giovanna Iorio lus par Marilyne Bertoncini  sur la musique de Lucio  Lazzaruolo, ont, le temps du festival, été écoutés sur le téléphone portable de chaque personne qui le souhaitait en scannant le QR code correspondant auprès des platanes de la place du Pouffre, auprès de l’église Saint-Louis et au parc du Château d’eau. La poésie était aussi présente dans le vent de Sète !

 




Sylvain Jamet, Orage et autres poèmes

je n’attendais pas un si
  grand orage de ta part

dit-il,

ses mains remontant sur
  et dessous son corps
    appelant la pluie

 

Années

 

les vagues — les années
l’humeur change par glissement
de matière compacte  —
                    la débâcle

as-tu déjà tenté
de diviser le temps
en blocs de jour
                   / blocs de nuit

temps liquide —
j’aime que la nuit se boive
que le jour brûle
années
années 
                par glissements

les vagues

 

 

 

 

 

 

Là où

tu cherches le Lieu
c’est toujours

un pays que tu trouves

chaîne côtière à vif
comme un os

la route
le fil que l’on suit

dessous

sur le damier en bas
la ville

une concrétion de
lumière vertébrale

 

 

Perspectives

peupliers comme des flèches
sur de larges avenues
rectilignes

alignés comme des feux
indéchiffrables

les différentes
propositions du réel

l’invention des points chauds

comme eux nous sommes
à la lisière c’est-à-dire
à la frontière

toujours au bord
incandescent de quelque chose

 

 

 

 

 

 

Des voix

 

il

s      appelle

   nt      disen

t                       quoi

            l

                        e

vent     em

porte               le

            sens

                                   .

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Givi Alkhazichvili, Le dernier poète métaphysicien

Présenté par Lexo Doreouli et traduit par Nana Gogolachvili.

Umberto Eco en parlant de la poésie de Mallarmé a offert au public un jeu impressionnant syntagmatique : « Tout sa vie Mallarmé rêvait à l’expression de l’indicible, mais a été vaincu. Dante considérait l’échec inévitable à ce propos, comme il croyait que l’expression des formes infinies avec les formes finies est une arrogance Luciférienne et préférait la poésie de l’échec à l’échec de la poésie. C’est-à-dire non pas la poésie de l’inexprimé, mais la poésie de l’impossible à dire ».

En effet est-il possible de saisir et d’arrêter de quelque façon que ce soit une véritable réalité ou de la restituer dans un phénomène relativiste, tel qu’est la langue où les mots commencent à parler des sujets de langue seulement dans les moments particuliers ? Par exemple, quand les gens sont confrontés à des décès (« Devant la mort nous parlons français » – Montaigne).

Le langage de notre temps qui est transformé en chaîne continue de citations, a un usage purement pragmatique qui ne rend plus compte des choses et la liaison entre les mots et leur âme sacrée disparait. Mais malgré cela, partager le pathos agnostique des paroles d’Eco à mon avis est encore impossible. Au moins, jusqu’à ce qu’il existe non pas la tradition d’une sorte de poésie métapsychique, mais le cas rare et unique comme les textes de Tomas Tranströmere ou de l’auteur de ce livre, le poète moderne classique géorgien Givi Alkhazichvili

Le signe ontologique de la poésie de Givi Alkhazichvili est justement l’éveil et la libération de la langue, qui ,selon Foucault, s’enfermant en soi, autrement dit dans son interprétation, a commencé à écrire non pas l’histoire de l’histoire, mais l’histoire de la langue.

 

Je ne sais pas, si l’auteur Givi Alkhazichvili restera l’un de derniers poètes métaphysiciens, mais à chacune de mes tentatives de comprendre ses poèmes, il me prend un si fort sentiment heideggerien qu’à l’avenir il me sera impossible d'évoquer la présence de quiconque avec une telle ampleur. Givi Alkhazichvili réussit à forger des mots vivifiants, qui ne sont pas liés par les règles grammaticales et à gagner le droit de créer le silence, la langue du silence. Dans ses poèmes les mots d’après le contexte ont leur signification initiale et présentent aussi les choses de façon archétypale. C’est juste la langue de la poésie qui ouvre l’archéologie inconsciente.

 

Givi Alkhazishvili.

Il est évident que cela ne concerne pas l’état « Adequatio rei et intellectus » ou un projet de religion esthétique dont le but serait de répondre aux questions de la philosophie de diagnostic. Une telle chose serait vraiment « une arrogance Luciférienne ».

Givi Alkhazichvili établlit le fondement de la conscience poétique, qui d’une part essaie de dépeindre quelque chose sans le dire ou en cachant le mot, et d’autre part appelle à la réduction radicale poétique, pour que le symbole poétique ne se déforme pas à travers l’Univers réel.

 La poésie de cet auteur est vraiment phénoménologique. D’après Derrida, entre le monde réel et le monde matériel il n’existe pas de différence. C’est seulement dans la langue qu’elle existe par son anxiété transcendantale. La différence ne se voit pas là, où le poète parvient à s’exprimer sans entrer dans le monde linguistique. Ceci contribue au développement d’une immunité contre les suicides en séries de la langue constamment menacé de disparition.

L’hermétisme de la poésie de Givi Alkhazichvili est à la fois la raison de son état herméneutique et la formation d’une conception esthétique et stylistique qui a influencé sa position civile et existentielle contre le régime soviétique. Il faut dire audacieusement que non seulement G.A., mais aussi sa poésie étaient les dissidents de l’époque soviétique. Dans ses textes autobiographiques il rappelle souvent comment le directeur de l’école a enfermé dans son cabinet un petit garçon de sixième avec la cravate rouge de pionnier au cou. Dans un espace fermé, debout devant un squelette anatomique, le pauvre garçon ne quittera pas le cabinet avant qu’il n’écrive un poème sur Lénine. Le son et le ton de l’idéologie brûlent ses oreilles : « Voulez – vous rentrer à la maison ? Écris un poème sur Lénine ! ». Il est évident que cet ordre n’a pas fonctionné et cela a défini son avenir antisoviétique et perturbé son invention littéraire. L’initiateur de Rebelliones sans aucune base légale était envoyé dans l’Armée Soviétique, où il a tenté de se suicider à plusieurs reprises. De cela et du reste encore Givi Alkhazichvili a produit des merveilles artistiques dans ses romans : « Futur passé » et « De part et d’autre de la porte de fer ».

 Après l’auto-apprentissage de la littérature européenne, il se rend compte rapidement qu’il peut séparer artistiquement le citoyen et le poète et ses idées « sociales-réactionnaires » cèdent la place à la poésie méditative.

Depuis lors, Givi Alkhazichvili écrit des recueils poétiques importants tels que : Sorti de l’intemporalité  (1998) ; Le désir de retrait (2005) ; Khoronikoni (système de chronologie)(2006-2007) ; Livre d’épîtres (2012) Soleil inconnu (2014) et le livre récemment publié La terre de mes jours (2015). C’est avec des poèmes de ces livres que les lecteurs francophones pourront découvrir la créativité de dernier poète métaphysicien géorgien Givi Alkhazichvili.

G.Alkhazichvili a traduit du russe en géorgien la poésie d'Afanasy Fet, d'Andrei Bely et d'Aleksandr Block. En 1998 il a reçu le Prix d` État d'Akaki Tsereteli pour son livre Sorti de l’intemporalité.  En 2011 il s'est vu décerner le prix littéraire le plus important du pays, « Saba ».

 

 

Le Duo

 

Tout involontairement

Je me souviens de ta caresse,

Du soleil

Et du rythme de ta respiration,

l’écho de l’écho

Et nous tout seuls...

 

Comme je t’aimais alors, infiniment,

Toi, l’anonyme coauteur de ces poèmes.

 

           * * *

 

Je ne suis pas préoccupé,

Que tu ne puisses plus me voir,

Mais que tu m’appelles seulement

Et que tu essaies de me faire souvenir

Comme nous brûlions alors,

Avec notre cheminée brûlante...

Et je comprends que notre coexistence

Était une fumée

Gagnant le ciel...

Une fumée montante.

 

           * * *

 

Dans mon enfance, ayant ma part de ciel,

j’étais toujours à apprendre à voler.

Maintenant, je ne peux plus voler même dans mes rêves

Et mon ciel s’appuie sur la terre.

 

Mais, quand tu ouvres les yeux de mon ậme,

Tu me présentes tout l’Univers, je perds mon corps

Et je sens ma respiration devenir légère.

 

Parfois je quitte la terre et je sens mon cœur tellement serré,

Que la tristesse d’un orphelin sans mère

Remplit mon silence.

 

Inexpliquables les moments, quand Jésus écrivait sur le sable.

Écrivait et effaçait, et, ce qu’il effaçait

Demeurait en nous éternellement.

 

 

 

Une pomme rouge a roulé...

 

(Épître du mois de mars)

 

Le temps n’ est jamais ni peu,

Ni beaucoup,

Il est toujours assez.

C’est le vouloir, qui est toujours insuffisant...

 

L’instant est profond,comme le puits –

Quand on aime il frémit tellement...

Nous parlons de l’avenir,

Comme si nous allions rester ici encore mille ans

Et discutons du passé qui est toujours présent,

Car nous sommes ici

Et nous tenons le temps avec les dents

Et c’est seulement l’ậme qui nous suffit pour supporter le mal...

Et c’est tout... c’est tout... toujours tout...

Les oiseaux noirs comme il te semblait

Sont toujours des sacs à ordures volant vers le lac Lici

Portés depuis les cours de l’hôpital oncologique

Traversant les entrepôts et les morgues,

Et tes yeux spectatrice et le vent froid faisant les adieux

 Les accompagnent vers nulle part.

 

Le temps n’est jamais ni peu, ni beaucoup,

Il est toujours assez pour la vie et la mort,

 Et que de choses voit l’œil

Dès sa profondeur perplexe ?!

 

Tu es transparente comme l’air

Et ne peux cacher même la Télé devant les enfants,

Ni miroir, ni fenêtre...

En voyant tes épaules fines j’ai peur

 Que la brise ne t’emporte comme un papillon

Et que tu ne disparaisses comme une ombre.

 

Même la colère ne te prend plus quand tu remarques les yeux fixés des gens

Même si tu vois tout de part en part...

Les murs, le placard et tes mains légères comme des ailes

Et les pauvres cancaniers chuchotant de toi.

Tu écoutes ta propre respiration

Et involontairment répètes le motif obsessionnel et simple

De la voix de ta grand-mère

...Une pomme rouge a roulé...

Et tu vois la pomme, comme une nature morte.

 

Ici le temps passe, ne s’enfuit pas comme d’habitude,

Et le matin on peut voir les dauphins solaires,

Les chambres couvrent leurs yeux de leurs mains

Et tu te donnes à la somnolence en respirant de bonheur.

 

Elle est étonnamment affreuse la profondeur de l’instant,

Qui regarde toujours ailleurs...

 

On peut voir les marchands avec leurs gros sacs

Dans les couloirs sombres de l’hôpital,

Se glissant de chambre en chambre,

Jetant un œil vagabond et pậle.

Ils nous regardent en passant.

Nous sommes à table, nous deux.

On nous a offert de la confiture de framboise – un goût maternel

Nous diluons le thé et la framboise dans le temps

En sirotant les jours restants...

Et quelque chose disparaît comme une vapeur de thé...

Et sa légèreté se précipite dans des mots parlés,

Dans le chuchotement jailli de ta bouche

Frédonnant toujours les mêmes paroles

La tête baissée...

...Une pomme rouge a roulé...

 

           * * *

 

Te souviens-tu de nos fuites,

nos journées passées dans les champs,

Cueillant les fleurs jusqu’au soir ?!

Oui, c’est moi,

L’herbier de ces jours.

 

           * * *

 

Combien de nuits dois-je blanchir

Pour forger un jour,

Un tel jour,

Que nous avions passé ensemble.

 

           * * *

 

Pourquoi tu l’éteins ?

Laisse-le briller,

La luciole pense qu’elle éclaire le sombre.

 

 

 

Présentation de l’auteur




Jacques Merceron, Proof of Love

Elle est là

Tête aiguë       nez aigu
Un bandeau bleu sombre sur le front retient rehaussés ses cheveux
Blouse d’un bleu sombre à manche courtes
Visage de fouine ni laid ni beau mais insolite

Ses bras sont couverts de tatouages
Personnages de culture pop sans doute
Araignée, aspic, etc.
Toute la quincaillerie du bazar

Dans l’échancrure de la blouse
Je peux lire : « Proof of Love » et quelques signes
En-dessous que je ne peux identifier

L’aiguille biseautée entre dans
Ma peau souple qui résiste une fraction de seconde
Sensation presque douce de pénétration
Le sang coule dans le fil en plastique souple
Hésite un peu serpent rouge jusqu’à la canule

« Hold it for me ! »

Le petit tampon de gaze s’applique
Sur le creux de mon bras
Sparadrap

La tatouée repart avec mon sang

Sur la nuque d’autres signes cabalistiques
Me font indéniablement la nique.

15 août 2019

 

 

 

 

Les dames en rouge

 

— Do you have a religious preference ?
—  ??
Euh…, non… (Bon, cela commence bien…)

Bagué par les dames en rouge, intubé,
Réduit à un seul œil sur le lit mouvant

— Surtout placez-vous bien à gauche.

C’est parti
comme un dé qui roule

Couloirs en colon désorienté vers la salle des opérations
Vision de quasi borgne
À travers les barreaux de lit
On entre dans une salle
Non
ce n’est pas la bonne !
Rigolade de la pousseuse en rouge

Nous y voilà
Consignes       jargon technique
Bavardages
Petits rires des petites mains
Qui en ont vu d’autres
Gestes rapides précis

Déjà les tubes sont en place
Voilà c’est fourré dans le nez
Les dames en rouge s’affairent encore
Rien de décisif

L’écran grisâtre est encore vierge
De ce qui sera moi
         dedans

Mais le spectacle m’est interdit
De toute façon la scène se passe ailleurs (comme toujours)

La vraie opératrice vue à peine du coin
De l’œil droit en arrière
Ajuste un casque en plexiglas
Tube en main
Abaisse la visière :
La joute est prête

Et déjà dans l’entretemps aboli
C’est la brume du réveil
On me dira ce que j’ai dit

Mais qui parlait alors ?
Était-ce moi plus léger
De quelques grammes de chair ?

2-13 octobre 2019

 

 

 

 

Blues de vie et de mort

 

Ce soir
Sous la lumière crue
Tu regardes ce ballet improvisé ou réglé
De blouses blanches et multicolores

On roule des écrans où s’agrippent
Des pieuvres de plastique
Des brassards à velcro
Des pastilles collantes
Pour sonder le pouls de ce blues
De vie et de mort

Les blouses passent et repassent
Dans les couloirs où la vie
Se débat
Malades vieillards éclopés intubés
Vivants déjà engagés dans le bouche-à-bouche avec la mort
Fusion du premier vagissement
Et du dernier râle

Dans ces corps où s’égare encore
Un restant de densité
Sous la peau plissée
Presque translucide
C’est déjà la rectitude en saillie des os
Qui transparaît
Et voudrait imposer sa présence ruinée

Une tête enneigée
Lèvres pincées
Balaie comme de lents essuie-glaces
Son regard inquiet soupçonneux
Nuque redressée qui refuse l’abandon

Ce blues de vie et de mort
Qui scande sa partition
L’infirmier qui sifflote et rit en passant
Près des lits
Le connaît bien
(il en a vu d’autres
et sait où ce rire le conduira)

Il n’est pas seul d’ailleurs
Ricaneurs les os frêles
Jouent déjà de la batterie ou des castagnettes
Blues ou flamenco des ossuaires

*

À des milliers de kilomètres
Mais si proches pourtant
Les phrases non terminées
Les mots qui s’effilochent
Le langage qui déquenouille en charpie
« — Ah ! Mon dieu qu’est-ce qui m’arrive ? »
« Je ne peux pas… »

*

Ce soir
Sous la lumière crue
Tu regardes ce ballet
De la vie qui vire de bord
Ce ballet sans cesse en répétition
Avec de nouveaux acteurs
Sur la scène de l’irréversible

Et des taches sombres
Comme des ludions
Flottent
Dans tes yeux dépolis
Qui pourtant se dessillent
Malgré tout devant ce miracle de la vie
Depuis toujours dansée
À bouche que veux-tu avec la mort.

1er-10 déc. 2019

 

 

 

 

Mon jumeau

 

Depuis notre naissance nous étions en belle et bonne entente
Comme deux pois dans une gousse d’eau
Jamais à hue et à dia
Jamais à tort et à travers

Mais depuis peu mon jumeau me tire dans les pattes
Et n’en fait qu’à sa tête
Plus moyen de s’accorder

Boulet au pied
Il a toujours un temps de retard à l’allumage
Il me laisse claudiquant
Déchiré
Canard boiteux sur le bitume
Traîne-savate sur le pavé

Mon cher jumeau
Qui était mollet comme un œuf
Est devenu tellement bouffi d’orgueil
Qu’il a pris la grosse tête
Au point de se piquer de gréco-latin
Et de vouloir s’appeler           — Écoutez bien !

 Gastrocnémius

Malgré tout
Impossible de se séparer
Nous sommes soudés pour le meilleur et pour le pire
Comme frères siamois par chaque fibre de notre être

Même déchiré en moi-même
Je n’ai plus qu’à prendre en patience ses frasques
Et ses velléités d’indépendance

Et même si cela lui fait une belle jambe
Je dois lui passer de la pommade
Le lisser dans le sens du poil
Pour éviter de devenir chèvre.

7-8 novembre 2019

 

 

 

 

Un et multiple

 

Du feu des étoiles aux flammes orange violacé qui voltigent
Un instant au-dessus de ma crêpe-lune
En cette crêperie bretonne de la rue du Montparnasse

Un et multiple est le feu
Un et multiples ses naissances et ses morts

Par-delà le Mur des invisibilités        la Brèche
Lézarde           chas d’aiguille ou écluse entrebâillée

Émergeant de la Brèche,
Main chaude au poing crispé
Qui se déploie lentement dans le noir primordial  
(aile géante du Corbeau)

Pour nous inaugurant l’Espace-Temps

L’irrépressible poussée de la matière granulaire
Pulvérisée en ses pétillances
Et la lumière qui écorche l’aube cosmique
Les premiers traits de feu giclé
Visibles dans le fond diffus

C’est grande pulsation au cœur de l’Unitérus
Agrégeant des grumeaux dans le plasma interstellaire
Carrousel cosmique et sublime des formes et des couleurs
Géantes rouges et blanches naines
Pulsars des supernovas aux cœurs effondrés
Quasars galactiques dévorés de trous noirs

À ce point                   vertige sidéral de la pensée
Qui s’effondre en son centre dans son propre trou noir
Sans horizon de secours

Un et multiple est le feu
Un et multiples ses naissances et ses morts

À distance d’homme pourtant
Comètes chevelues et caudées
Devenues feu des larmes calcinées de saint Laurent
Feu torride du Lion embrasant le ciel et parcheminant la terre

Feu
Être follet que je me risque à tutoyer

Tu sautilles au-dessus des étangs et des mares pestilentielles
Les flammes sont tes habits de noce
Dieu enfant tu gis et ris au fond des fontaines bouillonnantes
Tu niches aussi discret attendant ton heure au cœur de la pyrite et de la marcassite
Revenu au ciel tu verses une pluie d’étoiles filantes sur les nuits enchantées des Perséides et des Léonides

 Un et multiple est le feu
Un et multiples ses naissances et ses morts

Feu des hommes
Feu des cierges offerts en prières à un Dieu dit d’amour
Et feu des chiens enragés de saint Dominique
Feu des bûchers crépitant de la chair des sorcières et des hérétiques
Feu mensonger de la géhenne

Feu coquelicot des révoltes sporadiques
Feu des incendies qui brisent sans trêve rêves et vies réelles
Feu qui fait feu de tout bois
Feu joyeux des campingaz jailli en bleuets champêtres
Feu des écorchés vifs et des morts vivants
Feu des cracheurs et des passeurs de feu

Un et multiple est le feu
Un et multiples ses naissances et ses morts

Voltigeuse est la flamme-funambule qui glisse ses pieds agiles tout au long du fil 
Tendu entre deux crêtes de coqs turgescentes

Danseuse est la flamme au flanc d’écureuil crépitant sous le fouet du dompteur
Nourrie elle monte au créneau et jette au ciel ses navires incendiés
Tantôt flamme douce comme la chaude caresse ou tantôt atroce
Comme les cadavres éventrés des hommes et des chevaux
Dans les tranchées en feu

Un et multiple est le feu
Un et multiples tes naissances et renaissances

Feu
Être follet que je me risque à interpeler

Sinistre et joyeux décepteur
Tu calcines les forêts et les âmes
Tu calcines les os des morts sur les rives du Gange
Tu marques et remarques au fer rouge la brûlure des anciens chagrins

Feu
Être follet que je me risque à éventer

Feu des étreintes qui irradie d’éclairs
Les corps enlacés des amants
Et qui dépose des braises sur leurs sexes enchâssés

Entre tes mains
Les pointes des seins sont
Deux roses enflammées

Feu cosmique et feu intime

En fermant les yeux j’aperçois encore
En contre-ciel le puits d’enfance et son seau sur la margelle
Où venaient se mirer des soleils vagissants
Tournesols miroitants
Encore tout chargés des premières aubes pyrotechniques

En-deçà pourtant se dresse encore et encore
Le Mur des invisibilités
Là où le brûlot des mots bégaie et cloque sur ma langue.

2-8 novembre 2019

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Des liens de liens : Poésie à la une

Poésie à la une est une « revue des revues du net » est « Une sélection de l’actualité des poètes, des poèmes et de la poésie proposée par l’Union des Poètes & Cie, « l’union de tous ceux qui – forcenés des mots écrivent, promeuvent ou défendent des textes inclassables »».

 

Cette association ainsi que les publications de l’Union des Poètes & Cie  sont présidées par Paul de Brancion. Le numéro spécial du 21 octobre « Les maux et les mots de la crise » rappelle les nombreuses annulations subies par les éditeurs, poètes, organisateurs, revuistes, auteurs… qui se sont vu interdire toute possibilité d’organiser les événements prévus pour la promotion de la Littérature. 

Une attention particulière est portée à la suppression pure et simple du Marché de la Poésie de Paris. Les liens vers des articles et les différents courriers envoyés par Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons, au Préfet de police de Paris et à Madame la Ministre de la Culture, permettent de prendre connaissance des étapes qui ont ponctué la bataille de ces deux organisateurs dont les courriers sont à ce jour encore sans réponse.

Diverses actualités suivent ensuite pour cette édition spéciale. Notamment l’évocation des « subventions du CNL aux (grosses) maisons d’édition ». L’équipe de Poésie à la une rappelle tout de même que « Si la situation actuelle de la poésie peut inviter à un certain pessimisme, un retour en arrière permet un optimisme certain ». Suivent des citations d’Yves Charnet, d’Anne Waldman, et de l’immense Tahar Ben Jelloun : « La poésie sauvera le monde » !

,Alors, si le numéro suivant met l’accent sur la fermeture des librairies, décision qui enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de la Poésie (ce qui n’est pas sans rappeler le sort de la Culture dans les régimes totalitaires)  c’est sans compter les forces vives et limpides qui portent ces mails, ni les articles vers lesquels ils mènent, ni ceux qui les lisent, les écrivent, encore moins avec ces organisateurs et éditeurs qui se battent et ne comptent ni leur temps ni leurs deniers, sans oublier les poètes qui connaissent pour l’avoir entrevue cette porte vers la liberté suprême, celle de créer avec cet outil libératoire du langage, la poésie.  

C’est rouge, comme la colère, la une de Poésie à la une !

 

 

Au micro d’Anne Roumanoff, sur Europe 1, Tahar Ben Jelloun explique pourquoi la poésie est ce dont a le plus besoin la société.




Stephan causse, Boire le temps

La Collection Poésie XXI de Jacques André Éditeur nous fait découvrir dans la continuité de Caresser la mer un nouveau et magnifique recueil de Stephan Causse, Boire le temps. Une musique fluide mélancolique coule le long des quelques 80 pages de ce recueil, au gré des dernières vagues voraces du temps.

Le poète nous emmène sur les chemins disparus. Les mers où scintillent toutes les promesses finissent par rejeter les secrets enfouis, les corps portés disparus :  Aujourd’hui, il me reste le souvenir / le reste du soleil / le reste des vagues. Une écriture nostalgique sur la fuite du temps et des jours radieux figés par un ange sévère. Les choses filent, pire encore s’oublient : Avant c’était avant… Tout ce qui a été s’est évanoui / mémoire morte de feuilles…

 

 

….la vie n’est plus la vie
l’homme seul le sait
ces dures collines ont façonné ton corps 

réalité qui vit devant tes yeux
des saisons oubliées
plus profondes que l’ombre du crépuscule 

et qui te sont chères
mes sens sans souvenir

 

Le poète s’égare face à ce qui n’advient plus, face au vide et à la désillusion : on espère un instant / une apparition / une ride / mais rien / juste la cécité. Les buées du souvenir luisent sur la chair offensée des cœurs et, partout la douleur dans la lumière. Comment vivre dans ces ruines ? sans la parole des anciens dieux / ceux-là même qui disparaissent / sans laisser de traces.

 

Apprivoiser les ombres sombres, agenouillé sur les tombes du soir.  Attendre les éclats de lune, les papillons de nuit, l’aube où tout peut arriver. S’envelopper de Volupté. Descendre vers l’aurore sacrée. Vivre la vie brève / des vagues / au bord de toi, aimer ta voix douce et rauque. Mais plus encore, boire le temps, avant qu’il ne nous tue, avant le retour du crépuscule. Il faut boire jusqu’à l’ivresse, boire du feu / sentir sa gorge luire

Oui Le temps presse. Alors Il faut aller vite / payer sa joie au comptant. Seule, La mer n’aurait pas de fin / puisque les vagues sans / cesse recommencent, me disais-je.

 

Stephan causse, Boire le temps, Jacques André Éditeur, Coll POESIE XXI, 2020.

Vivons ! chante le poète. Vivons beaucoup. Éclairons tous les feux avant de retrouver le berceau anonyme de notre vie, avant d’être emporté, et de sombrer dans les froides noirceurs de l’oubli.

Continuons à créer avec la conscience du vaincu / afin de remettre le monde à l’endroit, de créer de l’espace, du temps, de la respiration, pour franchir les crises, revenir à l’existence. L’écriture est une tentative de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment, comme l’exprimait Yves Bonnefoy : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie quand on les perçoit dans leur immédiateté... La poésie est faite pour rendre aux mots cette capacité de susciter des présences que la signification et la pensée abolissent.1

Y a-t-il autre chose qui vaille ?        

Sont-ils perdus définitivement ces chemins dans les ressacs d’une vérité si peu fiable. A vrai dire les hommes travaillent / à restaurer leurs vérités qui / défaillent

 

…par ma fenêtre
un morceau de ciel bleu bouche 
l’invisible noirceur …..

 …déjà la chaleur dessine 
son air trembleur
inverse l’indécis
pour l’amour pour la mélodie … 

 

Quelle est-elle cette vérité, qui a le goût entêtant de la terre gorgée de rosée. Le poète sait combien elle est changeante, passant de la suie à la soie / des noirs de lumière. Il sait son infidélité de nuage en nuage.  Pourtant il la rêve, en cherche quelques indices dans le ciel qu’on épie. Mais il ne voit que l’oiseau qui s’envole au loin au ras des prairies lorsque le jour se lève en majesté. Quelque chose en masque le fond. Elle est pourtant ce qui rend l’eau à sa transparence, l’air à son insouciance. Peut-être est-elle cette faille originelle, inaltérable, le rêve du mot juste qui (la) fixerait /  une bonne fois pour toute…. Même l’amour attend d’être un vrai mot.

Comment la respirer au risque que le poème renverse / le sens des mots et que ne vienne à murir la mort. Peut-être se laisser prendre en elle sans la connaître, se faire surprendre par ses instants de dévoilement et de clarté, lorsque se pose le ciel à la surface de l’eau : J’ai aimé / en finissant par oublier / ce que je cherchais.

Les poèmes de boire le temps sont incisifs, teintés d’une noirceur mélancolique, seule couleur du temps nous dit l’auteur. Pourtant, ici et là des entailles de lumière, des pas que l’on entend venir, un cœur qui bat derrière les persiennes, et puis les culbutes du soleil viennent  déplacer l’horizon des mots et réveiller les présences dormantes, laissant advenir une poésie profondément vraie, lumineuse et émouvante. Ce qui parle dans la poésie de Stephan Causse, le profond désemparement de l’être, sa disparition même, donne voix à notre part la plus vivante.

 

…par ma fenêtre
un morceau de ciel bleu bouche 
l’invisible noirceur …..

 …déjà la chaleur dessine 
son air trembleur
inverse l’indécis
pour l’amour pour la mélodie … 

 

 

Note

  1. Entretien 22 novembre 2010, cité par Julien Sorel, L’Ouvert, 8, 2015

Présentation de l’auteur




Colette Wittorski : L’immensité des liens

Publier un livre à l’âge de 90 ans impose le respect. Quand il s’agit de Colette Wittorski, on est, en outre, assuré d’accéder à une qualité d’écriture et une profondeur de pensée qui font dire à son préfacier, Bernez Tangi, que chacun de ses poèmes « est un diamant ».

 

Experte dans l’élagage et le bizeautage (comme on le fait pour polir une pierre précieuse), Colette Wittorski nous propose des poèmes courts écrits pour la plupart dans l’hiver de la vie et qui sont, comme elle le dit elle-même, des « promenades intérieures », des « reflets ». Au fond, une « matière d’âme » qui ne néglige jamais le corps à corps avec la chair de la vie, au plus près d’une nature le plus souvent rassurante et rafraîchissante.

« Tourmentée comme une terre à l’herbe rare », Colette Wittorski nous livre sa « terre intérieure » depuis un pays qui est devenu le sien, dans l’Argoat finistérien, un pays « à l’extrême bord du continent parmi les rocs » où elle hume « l’haleine claire de la terre remuée » et contemple « la fourrure de blé mûr sur la terre sèche ». Ici, nous dit-elle, « une colline soulève sa masse » et une « soudure de brouillard » peut stagner la journée entière.

 Colette Wittorski, L’immensité des liens, L’Harmattan, 147 pages, 16 euros.

Mais dans ce pays (comme dans d’autres pays), « le couteau des heures accomplit son office ». Forme de compte à rebours pour une femme sur le grand âge. « Chacun fuit/les rires se taisent/le lac se vide », lit-on dans le court poème intitulé « Vieillesse ».

C’est le moment où les blessures anciennes remontent à la surface. A commencer par le choc (le traumatisme ?) originel et, en quelque sorte, fondateur : la disparition d’une mère dont l’enfant qu’elle fut se découvre « amputée ». Inconsolable petite Colette : « Commencée de rien comme posée sur la terre/ma mère sitôt enfuie ».Regardant aujourd’hui de « très loin » sa « naissance minuscule », elle s’évertue à fignoler le « polissage des larmes » (comme elle le fait de ses poèmes)

Colette Wittorski continue, en dépit de tout, à habiter la vie intensément. « Si bref est l’instant /Hâte-toi ». Elle  ne rend pas les armes si facilement et délivre, au passage, de vraies leçons de sagesse. « Les roses qui se fanent embaument les alentours/Décliner n’est pas mourir ». La voici désormais, note Bernez Tangi dans sa préface, « chaleureuse dans une lumière froide ».