Eve Lerner, Le Chaos reste confiant

Un cri du cœur. Le monde va mal ! C’est le chaos, nous dit la poétesse Eve Lerner dans un essai percutant dont le souffle poétique fait le grand ménage dans tous nos désordres et malheurs contemporains.

« Nous sommes voués au chaos. Celui dont nous venons et celui que nous fabriquons ». La poétesse lorientaise ne cache pas qu’elle a surgi, elle-même, d’une forme de chaos : celui de la famille et de ses violences, prolongé par « le chaos de l’amour ». Mais le propos de son livre-brûlot est de pointer, avant tout, le chaos mondialisé. « Il se dégage du monde des odeurs de plus en plus insupportables, écrit-elle, ça sent l’abattoir ». 

La liste est longue : guerres, massacres, viols, destruction de la nature… « On tire sur les Casques blancs, les hôpitaux, les écoles » (…) « Il y a des enfants-soldats dès 8 ans, il y a des filles mariées à 9 ans ». Elle ajoute : « Sur terre, prolifération des armes, dans les corps prolifération des cellules ». Une métastase qui lui fait dire que « le monde s’est délité ». La preuve ? « Les croyants n’adhèrent plus à leur foi, les cultures n’adhèrent plus aux sols, les paroles n’adhèrent plus aux actes ».

Eve Lerner, Le chaos reste confiant, Editions Diabase, 102 pages, 12 euros

Comment ne pas penser ici au poète Armand Robin dénonçant « la fausse parole », quand Eve Lerner écrit précisément: « Le chaos construit les fausses valeurs et la fausse parole ». Elle cible donc tous les mensonges et leurs « ramifications délétères » mettant à jour le véritable drame qui se noue : « Ce qui s’éteint : la flamme de la petite bougie sur la barque de papier, les esprits hors-normes ou juste les esprits curieux. Ce qui se trame : l’obsolescence programmée des plus belles formes d’art et de pensée. Au grand jour – mais personne ne le voit – la défaite définitive d’une planète bleue » (à coup sûr celle de Paul Eluard qui était, comme on le sait, « bleue comme une orange »).

On pourrait s’arrêter à ce constat terrifiant. Mais se pose la question de la riposte, individuelle ou collective. La première tentation est de prendre le maquis, « se terrer dans le silence au fond du jardin, mais surviennent les tondeuses ». Eve Lerner croit à la « rébellion de l’écriture ». Elle propose de « gonfler le dard du poème, piquer le tyran au vif, faire flèche de tous mots ». Elle n’est pas loin de penser comme Jean-Pierre Siméon que La poésie sauvera le monde (Le Passeur, 2016.). Car, dit-elle, « le poème est un aiguillon, un éperon ». Il est là pour « inventer un réel, inédit, inconnu, à venir ».

Ce brûlot poétique a été écrit avant l’apparition de la pandémie. Dans la postface de son livre, Eve Lerner prédit de nouveaux « chaos exceptionnels » liés à cette pandémie. Ce qui lui fait dire que « le chaos reste confiant ». Car « rien ne peut venir nous assurer que cette crise majeure va changer les manières de vivre et de faire ». Tout l’indique en effet.

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lerner, poète bilingue, français/anglais, éditrice et traductrice de poésie. Collabore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Digor. Vit et travaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013-2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tectonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevillée au corps, récit, éd Dialogues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Missir, éd. Carré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

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Ara Alexandre Shishmanian, Les Non-êtres imaginaires

Avouons-le : il s'agit, à première vue, d'un livre difficile, érudit, qui fait appel, entre autres, à des auteurs majeurs tels Borges, Poe, Kafka, Novalis, Rilke... Ce d'autant que nous sommes face à une prose poétique dense, presque dénuée de ponctuation (si ce n'est des astérisques scandant le propos) et de majuscules (hors pour une majorité de patronymes).   

Malgré la division en chapitres distincts, on ne cherchera pas une démonstration théologique ou philosophique de type cartésienne. Ou même une explication hippocratique : les concepts de la moïre-migraine, de l'inanité des secondes, des ovules de la terreur ou de la grippe d'éternité font sans doute partie d'une syntaxe poétique davantage que d'un vocabulaire scientifique. 

On lira donc cet ouvrage comme un poème dramatique (c'est d'ailleurs ce qui est revendiqué dans son sous-titre), comme une longue prose où les mots s'enchaînent et se déchaînent les uns aux autres, s'entrelacent, s'entrechoquent, se confondent et renaissent, non pas en une fuite des idées mais en une symbiose onirique voulue et permanente. Le lecteur peut d'ailleurs lire, goûter, déguster telle ou telle phrase comme un vin nouveau ou un alcool brûlant, au rythme qu'il choisit, dans la séquence qu'il désire. À commencer par exemple, par le chapitre à propos de Lilith (dont la légende dit qu'elle fut la première épouse d'Adam - on pense alors au superbe livre de Nicole Hardouin à ce sujet). 

Ara Alexandre Shishmanian, Les non-êtres imaginaires, Poème dramatique traduit du roumain par Dana Shishmanian et l'auteur, préface de Dana Shishmanian, 205 pages, Ed. L'Harmattan, Paris, 2020.

La Lilith de Shishmanian est rebelle, bien sûr : serpent d'abord -femme d'abord (...) les débuts sont toujours sacrifiés -scarifiés- comme toute ténèbre indispensable - et par là même - dispensable * peut-être qu'au commencement lilith n'était qu'un silence à la chevelure sombre de longue solitude * un à-peine-être inondé de mutismes... Cela dit, elle a aussi les dimensions d'une Vénus, d'une amante éternelle, tout à la fois Gaïa et vouivre : oh, elle attend devant le rideau d'or du noir - elle, la fille étrangère du néant - telle une larme d'aucun œil coulant sur aucune joue * oui, une larme qui coulerait dans le vide - sans nom - sans visage - sans être * étrangère à elle-même - (...) Et l'auteur de conclure que Lilith s'est retrouvée dans la transgression pure de la transcendance - et dans l'ouverture du regard libre en abîme *

Livre apocalyptique tout autant qu'atypique, d'une intensité folle, où tournoient les mots, les références, les concepts, les illusions, aussi. Un détail du Jardin des délices de Jérôme Bosch, en première de couverture, est parfaitement approprié à la coloration générale du texte. Livre dans les tourments d'êtres et de non-êtres, entre surréalisme et prière laïque : à lire à voix haute, comme l'écrit Dana Shishmanian, traductrice et préfacière de cet ouvrage hors sentiers battus.

Et l'auteur de conclure, sans résoudre ses ambivalences mais entre deux caillots d'imaginaire : ... oh ! je suis plein de clefs et pourtant irrémédiablement enfermé dans le monde...

Présentation de l’auteur

Ara Alexandre Shishmanian

Né à Bucarest en 1951, diplômé de la faculté de langues romanes, classiques et orientales, avec une thèse sur le Sacrifice védique, opposant au régime communiste, Ara Alexandre Shishmanian a quitté définitivement la Roumanie en 1983. Poète et historien des religions, il est l’auteur de plusieurs études sur l’Inde védique et la Gnose, parues dans des publications de spécialité en Belgique, France, Italie, Roumanie, États-Unis (dont les actes du colloque « Psychanodia » qu’il a organisé à Paris sous l’égide de l’INALCO en mémoire de I. P. Couliano, disciple de Mircea Eliade : Ascension et hypostases initiatiques de l’âme. Mystique et eschatologie à travers les traditions religieuses, 2006, et le premier numéro d’une publication périodique : Les cahiers Psychanodia, I, 2011 ; ces deux publications sont éditées par l’Association « Les amis de I. P. Couliano » qu’il a créée en 2005).

Il est également l’auteur de 18 volumes de poèmes parus en Roumanie depuis 1997 : Priviri / Regards, Ochiul Orb / L’oeil aveugle, Tireziada / La tirésiade, regroupés dans Triptic / Triptyque (2001, éd. Cartea românească), le cycle Migrene / Migraines, I-VI (2003-2017), le cycle Absenţe / Absences, I-IV (2008-2011), et enfin Neştiute / Méconnues, I-V (2012, 2014, 2015, 2018).

Deux volumes de poèmes traduits en français par Dana Shishmanian sont parus aux éditions L’Harmattan, dans la collection Accent tonique : Fenêtre avec esseulement (2014), et Le sang de la ville (2016), les deux plusieurs fois recensés dans des revues littéraires françaises (dont Recours au poème).

Autres lectures

Ara Alexandre Shishmanian, Fenêtre avec esseulement

Historien des religions, auteur de plusieurs études sur l'Inde Védique et la Gnose, Ara Shishmanian a également organisé, puis édité avec son épouse, Dana, les actes d'un colloque sur la mystique eschatologique à travers les religions mais aussi de 14 volumes de poèmes parus en Roumanie depuis 1997.

Ara Alexandre Shishmanian, Les Non-êtres imaginaires

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Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire, Mi-graines

Orphée lunaire, dernier opus d’Ara Alexandre Shishmanian, suit de près le Mi-graines paru aux éditions L’Echappée belle en 2021. Disparité sémantique entre ces deux titres, mais on retrouve dans ces deux recueils la [...]




Albane Gellé, Eau

Dans la collection Poèmes pour grandir, Albane Gellé offre ici une série de courts poèmes en prose sur le thème de l’eau. L’eau, élément indispensable à la vie.

L’eau, de la source au torrent. L’eau douce ou l’eau salée. Avec toutes les vies qu’elle abrite dans ses profondeurs. Avec toutes ses couleurs. La pluie

Eau verticale, trombes de pluie, eau accélère puis ralentit, cadeau du ciel pour la terre, eau trait d’union, eau recommence à l’infini, sait que tout passe, et passera.

L’eau cachée du puits. L’eau souterraine et sa patience… L’eau de notre corps, les larmes, l’eau de la naissance… Les eaux fossiles de Mars… L’eau source de vie, cause de mort. Son cycle que l’on étudie en classe.

 

 

Albane Gellé, Eau,  Cheyne éditeur, illustrations de Marion Le Pennec, 2020.

L’eau, et sa lumière, sa transparence ou au contraire son opacité, ses mystères. La rosée du matin. Les musiques de l’eau. L’eau des jeux d’enfants, barrages, marées, flaques

L’eau dans tous ses états : vapeur, liquide, cristal de neige, glace. Tout un panorama de mots pour tenter de dire l’eau, d’exprimer notre relation à l’eau. Comme un hommage, comme une louange et comme un respect.

À l’heure où se profilent des combats pour l’eau, où les humains s’inquiètent de réchauffement, de sécheresses ou d’inondations, ce livre vient simplement rappeler que l’humanité demeure fragile et dépendante de la planète de sa naissance.

Un livre qu’accompagnent les encres de Marion Le Pennec. Encres de chine qui jouent des contrastes entre noir et blanc et dont la fluidité résonne avec les mots.

Un livre à donner à lire dès sept ans et bien au delà, à entendre bien avant. Il accompagnera ainsi les réflexions des enfants, des adolescents et même des adultes. Un livre qui permet, comme souvent en poésie, de penser autant que de se sentir plus accordé au monde.

Eau potable en réponse à nos soifs, eau minérale, eau naturelle, dans des bouteilles de toutes les tailles ou jaillissant du robinet, eau cadeau de tous les jours qu’on oublie de remercier, eau à boire, eau bue, eau en glaçons, eau en carafe ou dans de grands verres transparents, eau dans la bouche, dans la gorge, eau vitale.

Présentation de l’auteur

Albane Gellé

Textes

Albane Gellé est une poète française.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

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Christophe Mahy, Arrière-plans

Alors qu'ils demeurent sous terre, nous n'en finissons pas de méditer sur ce qu'ils furent. Ils nous laissent bien seuls, ceux qui manquent. C'est l’interrogation de Christophe Mahy dans ce recueil à la mélancolie attentive au moindre signe.

Sachant bien qu'on ne ramène pas les morts auprès des vivants, le poète s'escrime pourtant, par le biais de l'écriture, à faire éclore ce qui peut encore persister d'un souvenir en perdition. C'est l’expérience du solitaire d'« un peu de nuit / où pousse drue / l'herbe des cimetières. », souvent vaine, parfois fructueuse. 

Ce ne sont que quelques mots, disséminés, soufflés par les ombres, et qui ne font que perpétuer cette course en rond de l'endeuillé impuissant. Il en restera interdit, et c'est justement là que les morts le mènent. Dans l'insatisfaction de sa position d'inachevé, c'est-à-dire d'« en vie », appliqué dans le relevé des survenances, il n'en consigne pourtant rien de plus qu'un ensemble d'impressions, non pas dérisoires, mais dont la portée se borne vite à l'immensité du sujet. Et il sait la difficulté de son entreprise, aussi sûr que « (…) le vent tient / le poème à distance ».

Christophe Mahy, Arrière-plans, L'Herbe qui tremble, 2020, 128 pages, 15 euros.

On s'étonnera peut-être de ce que l'auteur s'enracine ainsi dans une telle impossibilité conceptuelle. Pourtant, c'est bien le cœur, semble-t-il, de cet ouvrage : une fidélité qui se mue peu à peu en un espoir diffus. En somme, il n'y a qu'à attendre que « (l)e temps lève une frontière / de vous à moi (...) », pour vous revoir. Au terme de cette épreuve, une existence faite d'arrachements successifs, on apprend qu' « il n'y a de périls que l'absence ». S'absenter ou constater une absence, mais également chercher à la contourner, la conjurer, se tenir au plus près « des vergers noirs / que ma fenêtre / dévisage »

Dans le même temps que ces pensées s'articulent, le poète essaie de lutter contre sa pente naturelle, et cette obsession pour ses disparus, sans se désavouer : c'est ce qu'il expose dans une deuxième partie intitulée « Arrière-plans » et qui donne, par ailleurs, son nom à l'ouvrage. Il y trouve refuge dans l'enfance, autre territoire à reconquérir ; s'interroge : « je doute parfois / d'avoir vécu autant / que j'ai pu mourir ». Et se console avec les mots qu'il soupçonne d'être inutiles, mais qui sont tout ce qui reste. Il cherchera également à recouvrer un petit peu de liberté, c'est la fonction d'une introspection : régler les conflits intérieurs, apaiser. Ce qui l'occupait dans la première partie du recueil est maintenant qualifié de « mirage », de « (…) nuits sans mode d'emploi » ou de « bas-fonds du soir ». Ici on tente de renouer avec le réel, le prosaïque. On respire, on atterrit. Puisque la nuit est « vacante », il faut bien l'occuper, « (l)a nuit sans visage / ne dénoue rien / qu'un peu d'ennui ». Et enfin c'est la ville (« (…) ce miroir / que je déserte ») qui devient le décor de cette mémoire qui chavire, dans la pluie, le « flux des automobiles », sur les boulevards. Cette sempiternelle comédie à laquelle les morts ne participent pas, ni en esprit, ni en corps...

Une mémoire qui n'est jamais bien loin, qui résurge comme un spectre sous la plume du poète, « ces feuillets de hasard ». De recherche dirais-je ! Un mausolée, sans le luxe certes, « un long testament / sans héritage ». Sobre mais profond, le legs de Christophe Mahy est composé de ces errements brefs, inserts poétiques qui disent notre incapacité à penser l'illimité. 

Présentation de l’auteur




Eve Lerner, Partout et même dans les livres

Eve Lerner a obtenu le prix Paul Quéré pour ce recueil de poèmes.

Elle commence très fort : elle remet en question la nature dans la pratique de la métrique et de la plastique au nom de l’insolite et de l’étrange. Il y a comme des échos écologiques (à la page 24) « les dessins de sable sur la dune / ou près des îles ». Poésie qui parcourt le monde des USA à la Bretagne, du désert de Mojave à Drancy, du bassin d’Arcachon au Finistère, du Sénégal (dont l’ancien homme qui le présida est un poète qui finit ses jours en France, une terre de poètes), de l’Aveyron à la route de Provins. Et même dans les livres : « Je lis donc je suis » (p 58), écrit Eve Lerner traduisant du latin pour être mieux comprise. Je ne compte pas les poèmes où cette dernière note « Les seins pointés vers le cosmos / elle touche du doigt le cosmos » que la poète, honnête, dit aussi « le lichen, sa dentelle, la fougère à spores / l’odeur des fusains, les buissons emmêlés » car elle est honnête...

Ce prix est largement mérité !

Eve Lerner, Partout et même dans
les livres
, 82 pages, 12 euros. 

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lerner, poète bilingue, français/anglais, éditrice et traductrice de poésie. Collabore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Digor. Vit et travaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013-2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tectonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevillée au corps, récit, éd Dialogues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Missir, éd. Carré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

Poèmes choisis

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L’Intranquille 19, revue de littérature

J’aime le titre de cette revue  L’Intranquille. Il se peut  que l’adjectif, mué en substantif, illustre l’état le plus évident de mon esprit souvent en mouvement, parfois hagard, parfois heureux, parfois … parfois !

Comment  cette revue de littérature inscrit-elle dans ses pages l’absence de calme, la pénurie d’immobilité, le refus d’être un roc figé, bref  l’angoisse ou  l’inquiétude positivée dans l’écriture ? 

Des transformations naissent d’abord au niveau de l’oreille. L’écrivain Patrick Quillier, traducteur de Pessoa, valorise cette intranquillité comme moteur indispensable de la création. Il évoque sa propre « écoute sensible » à l’autre. Il en a tiré les «  voix éclatées »,  tragédie  d’un village en guerre qui est mué en véritable épopée du monde. Son attrait pour la musique dérive de sa « curiosité infatigable » pour les voix et les langues étrangères.  L’intérêt porté à leur sonorité est tel qu’il est même prêt à s’intéresser aux novlangues administratives ! 

L’intranquille 19, revue de
littérature, octobre 2020, 84
pages, 18€

Des mutations s’inscrivent dans l’histoire des traductions. Nathalie Barrié explore deux traductions de Joyce. La fluctuation entre les travaux de Morel et de Valéry Larbaud révèle en quelque sorte deux Joyce, dont l’un est plus moderne et plus vivifiant que l’autre. La seconde traduction semble plus conforme que la première  aux distorsions joyciennes de la langue anglaise. Ainsi celui qui pense être allé « au bout de l’anglais », invite de ce fait  traducteurs et commentateurs à aller au bout de la traduction.

Des approches différentes  d’un bestiaire explorent la « révolution animale ». Elles peuvent signifier une transformation de l’intérieur.  Ainsi l’éclosion selon Adeline Baldacchino concerne  « toute chair qui s’apprête à se quitter elle-même pour donner naissance / à l’autre qui ne sera pas le même ». Elle est une « éternelle parturiente », un « bel animal a caresses à mémoire à parole, ébauche en tout d’une imparable perfection ».

De telles transmutations conduisent à un processus de métamorphose, cette naissance à soi si chère  à Victor Hugo : elle fait « sortir des mots au moyen des mots : arracher le poulpe de son rocher, extraire le nautile de sa coquille, le poète de son milieu ».  Ainsi Marie-Claude San Juan, développe au fond d’elle-même son être animal : «  j’ai été escargot, j’ai eu l’âme de tortue, j’ai croisé un chat-guérisseur serpent ». A sa façon, Céline de-Saër esquisse le chemin de  la chrysalide « qui file le cocon, le transforme en caverne » Elle « tisse un mot après l’autre entre les silences qui gouttent à goutte ». Elle entend « le passage d’oiseaux et de mots migrateurs » en un murmure. Résultat de cet assemblage et de ces migrations l’invention de   mot-valise1, le « colicabri ».  Ce mot-valise est obtenu par le processus de condensation de deux termes. Dans le même élan, Albane Gellé  invoque  la baleine - muée en thérapeute -  dont le chant « vibresoigne ».

Des modifications de signification surgissent pour preuve de mouvement et d’intranquillité d’esprit de l’auteur. Cédric Lerible met en  jeu les proximités sonores en détournant leur sens : « On prouve par des pieuvres. On juge sans pieuvres ». Il influence les mots pour leur attribuer un nouveau sens : « avoir le vent en poulpe, se coucher avec les poulpes, bouche en cul de poulpe » .…Il préfère le « cri du poulpe qui s’entend à la fois comme foule et peuple, son silence inquiétant et sous-jacent : sa vox polypi ». Selon le même mouvement ludique, Anne Recoura invente un jeu entre les mots et les bêtes : « le morse vache marine/mord les hommes. « En des temps loufoques », on imite le cri du phoque ! Le « gabian ne tolérera pas/les gabions2  militaires ».  Il trouve pour se nourri « des restes de kebab. 

 Modification parfois liée à une atmosphère parfois baroque, parfois insolite où l’artiste pénètre un autre monde. Il peut être plutôt baroque avec Aldo Qureshi : Les « paupières » du Livre des oiseaux s’écartent. Des flots de plumes s’en échappent et prolifèrent : de perroquet, de toucan, de barbican, de calao, de gobe-mouches, de souimanga.  Il peut inviter à un monde insolite avec Yekta qui rencontre un « Homme qui pèche dans les vents», découvre des « chiens portés par les brouillards », « des âmes qui aboient », «  un ossuaire caché des oiseaux tristes » et « une araignée suçant les soleils /piégés dans la toile », et « des loups blancs comme l’horizon ». Tel est son bel univers de « prières épuisées».

Notes

(1) Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.
(2) Gabion, cage recouverte de grillage.




La revue Mot à Maux

Daniel Brochard convoque, pour sa 15e livraison, sept auteurs et non des moindres. Y figurent ainsi Jean Chatard, poète chevronné, l'excellent Cathalo, et de nouvelles voix.

Quarante-huit pages de beaux poèmes très divers.

À son habitude, le poète Georges Cathalo consigne dans un long poème, réparti en quatrains, la « peur » contemporaine, saisissante, incontrôlée, incontrôlable.

Ils ont peur de la jeunesse
de la vitesse et des couleurs
de ce qui s'élance et sourit
au-delà des mondes que l'on s'invente

 

Revue Mot à maux, n°15, décembre 2020, 4 euros.

Avec son acuité foncière et une dose d'humour, il joue à « qu'est-ce que la poésie ? » et « qui suis-je ? » Plus lyrique, Chatard raconte entre « effroi » et « coursives du ciel » l'approche de la mort et l' « émoi » qui va avec.

 

On ouvrira les tombes et le grain sera lourd devant
l'outil hospitalier devant la main frileuse
qui repeint la clarté

 

Eric Chassefière, en un très long poème de dix pages, dévide une chronique du « vent », entre caresse, souffle, « qui touche à peine », « ce vent-là tout près des mots » ou « page de la mer gonflée de vent ».  Beaucoup de souffle, d'intense créativité.

Un pessimisme assez aigu traverse les poèmes de Victor Malzac, qui « attend que les jours passent ».

Alexandra Bouge rend à la mère un hommage contenu, tentant de préserver dans les mots « l'esprit de ma mère bâti dans ce qui m'entoure ».

La revue s'honore encore des textes  de Lise Debelroute et Daniel Hartmann. Revue à suivre, bien sûr.




La minute lecture : Caloniz Herminia, Cristina

Dans ce recueil de poèmes en prose, l’auteure évoque sa petite enfance, son enfance, son adolescence puis sa jeunesse.

Par touches impressionnistes, comme autant de tableaux ou scènes d’une fulgurante splendeur, Caloniz Herminia conte, compte aussi sur notre clairvoyance de lecteur. Il y a un Loup dans son récit. Et une Fillette dans la bergerie. On ne revient pas intact de ces textes d’une luxuriante beauté, d’une densité diabolique, où tout vit, meurt, foisonne, les animaux, les végétaux (et le livre est à ce titre extraordinaire, le passé de botaniste de l’auteure se déployant dans son vocabulaire d’une grande richesse, parfois rareté), les êtres, les os, les sentiments, les sensations, pourrit même, sous l’ombre prédatrice qui parcourt ces pages. Caloniz parvient à transcender la violence crue par la somptuosité d’une langue et d’images envoûtantes, sensuelles, par l’incroyable pureté de l’enfant qui se débat entre rêve (la nature omniprésente, refuge) et cauchemar (cette même nature, théâtre, tout comme la maison, des viols).

Caloniz Herminia, Cristina,
éditions Le Réalgar, 2020.

En attendant de commander ce texte exceptionnel chez ton libraire, je t’invite à en écouter un extrait ici :

Présentation de l’auteur

Caloniz Herminia

Caloniz Herminia est née en 1962 à Bogotá (Colombie), et réside aujourd'hui à Paris. Après une carrière de botaniste spécialiste des climats tropicaux, elle se consacre désormais à l'écriture.

Poèmes choisis

Autres lectures

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Dans ce recueil de poèmes en prose, l’auteure évoque sa petite enfance, son enfance, son adolescence puis sa jeunesse. Par touches impressionnistes, comme autant de tableaux ou scènes d’une [...]




Revue La Page Blanche : entretien avec Pierre Lamarque

Denis Heudré nous présente la revue La Page blanche, à travers les propos de son créateur Pierre Lamarque, qui explique quelles sont ses motivations et ses objectifs. 

Comment La Page Blanche est-elle née ?
La revue La Page Blanche est née en 2000 par le hasard d'une rencontre entre mon ami roumain Constantin Pricop et moi sur le site de l’ambassade de France au Canada. L’ambassade offrait en 1998, au commencement de l’internet, un espace dédiée à la poésie sur son site, un lieu de rencontre entre poètes francophones qui y publiaient des textes, lieu tenu par un jeune poète français qui faisait là son service militaire, un soldat de la vie. Constantin Pricop et moi avons le même âge, nous sommes nés en 1949, j’exerçais le métier de médecin généraliste dans un quartier nommé La page blanche à Mérignac-Arlac près de Bordeaux. Pricop était un écrivain, dont le livre « La marge et le centre » était en devanture de librairies roumaines, un critique et revuiste professionnel, devenu professeur de lettres à la faculté de Iasi. Un professeur de français pour moi.

Quelle est sa ligne éditoriale, ou plutôt sa personnalité, les traits de son caractère ?
La ligne éditoriale part du constat que désormais tout le monde peut publier ses écrits grâce à internet. Notre revue fonctionne comme un filtre.
LPB est fondée sur la gratuité et le don, elle est articulée entre création, critique, traduction et poètes ‘du monde’…c’est sa personnalité, son caractère.
La revue est structurée en rubriques, dans l’ordre on trouve les rubriques suivantes :

La page blanche n°52, lapageblanche.com.

« Simple poème » en général un texte sélectionné, « éditorial », un billet, ou point de vue du rédacteur en chef – dans les derniers numéros cette rubrique n’est plus présente car le rédacteur en chef, Constantin Pricop a entrepris à la place de publier dans la revue la traduction en feuilleton de son roman La nouvelle éducation sentimentale, « Poète de service », un ou plusieurs poètes de service par numéro avec pour chacun la publication d’une dizaine de textes, « Moment critique », un article de critique littéraire ou culturelle, « Bureau de traduction », où sont présentées des traductions, « Séquences », où sont présentés des suites organisées de textes d’un ou plusieurs auteurs, « Poètes du monde », où sont présentés des textes d’auteurs publiés, connus et reconnus, et pour finir « E-poésies », où sont présentés des textes isolés de différents auteurs participant à la revue.

 

La page blanche n°54, lapageblanche.com.

A quel tirage et comment est-elle diffusée ? 
Notre revue sur papier n’est pas diffusée en librairie, par paresse. Chaque numéro est imprimé à 30 exemplaires, ces exemplaires sont offerts par la revue LPB aux poètes invités dans le numéro. Cette économie autarcique permet à la revue de survivre sur le papier depuis vingt ans. C’est l’internet qui nous permet de vivre depuis vingt ans. Pour moi, les valeurs d'internet ont ceci de supérieur aux valeurs de l’imprimerie qu’elles sont la mise en pratique de la gratuité et l’exercice concret de l'oblativité intellectuelle. L’ère et l’aire de l’internet est l’aire et l'ère de la communication.
En vingt ans, comment a évolué La Page Blanche ?
Des hauts et des bas, des calmes plats et des tempêtes, des gains et des pertes, la vie… assez vite nous avons trouvé notre rythme naturel de croisière, moins de numéros, des textes, …
Parlez-moi de votre rubrique Le Dépôt
Le Dépôt est un endroit qui rassemble les quatre articles essentiels de la revue LPB, création, critique, traductions, poètes du monde, et où se retrouvent des poètes qui font vivre la revue. Notre maître de toile, Mickaël Lapouge a réalisé un ajout au site LPB qui me permet d’administrer le Dépôt.
Votre travail d’éditeur de cette revue doit vous prendre du temps sur vos travaux d’écriture, le regrettez-vous ?
Je protège mon temps : le temps le plus important, peu importe sa durée, c’est le temps de la lecture. Mon travail d'éditeur fait partie de mon travail d’écrivain, j'y trouve inspiration, j’y fais mon marché…
Quel(s) auteur(s) rêveriez-vous de publier dans votre revue ?
Michel Butor, mais il est mort et on l’a déjà publié de son vivant dans le numéro 20. 
Quels ont été les impacts de la crise covid sur votre revue et ses lecteurs ?
Je ne regarde les statistiques de visiteurs lecteurs qu’une fois quand j’y pense tous les vingt ans. Récemment j’ai vu qu’il y avait eu 25000 visites en un an. Pour notre part nous n’avons pour le moment personne de touché par cette maladie à ma connaissance. Comme tout le monde nous espérons passer entre les gouttelettes…
Quels sont vos projets pour les prochains mois ?
Continuer le mouvement, aller aux avant-postes comme des braves.
Quel regard portez-vous sur l’évolution depuis vingt ans de la poésie française ?
On lit un livre, on en lit un autre, on découvre. On ne sait pas quoi retenir du temps qui passe, du style qui dépasse, mais heureusement, en poésie le temps ne passe pas vraiment.
Dans le n° 55 qui paraît bientôt, on ne sait jamais exactement quand - car cela dépend de l’emploi du temps de maître toile, on trouvera un peu tous les styles, aujourd'hui il n’ y a pas grand mouvement dans les astres, c’est ça le post-moderne, il n’ y a que des directions dans tous les sens, dont les oulipiens… mon français personnel, minimaliste, a bien changé en vingt ans..
Et de la poésie du monde ?
Nous recevons des poètes de différentes points du globe et notre microscope nous montre une vie fourmillante et tourbillonnante, difficile de ne pas tomber amoureux de notre microscope qui lit et écrit  !
Selon vous la e-poésie est-elle l’avenir de la poésie ?
Oui, sauf exceptions.
Que peut-on vous souhaiter pour les vingt ans à venir ?
De rester en vie ! Je songe à plus tard dès maintenant. Je cherche depuis quelque temps à savoir comment s’y prendre pour que LPB continue de vivre après ses trois fondateurs, Mickaël Lapouge, Constantin Pricop et moi.




Florilège, revue trimestrielle, n°174

Recevoir en bloc un florilège de Florilège peut surprendre : 5 numéros d’un seul coup, une année de cette revue à découvrir. Un tel privilège permet d’en saisir la logique et la continuité, tout en limitant les effets de hasard.

Avec sa couverture brillante et épaisse en quadri et son look à l’ancienne, chaque exemplaire est en quelque sorte protégé par une citation, laquelle instaure une certaine communication. Cette dernière évoque les liens entre les arts ou les êtres,  le contenu d’un art ou l’âme d’un artiste : tantôt Léonard de Vinci (« La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir »), tantôt Matisse (« Un ton seul n’est qu’un couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie »), tantôt Baudelaire (« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie »), tantôt le psychanalyste jungien Guy Corneau  (« Lorsque nous mettons des mots sur les mots, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits »). A la une, un tableau contemporain marque sa quête trimestrielle : un remarquable trompe-l’œil-rébus de Bruno Logan illustre ainsi des « romans terrifiants à tomber dans les pommes » dont Bram Stoker, Lovecraft, Allan Poe, Shelley.

Florilège, revue trimestrielle de création littéraire et artistique, 56 pages, du n° 174 (mars 2019) au 178 (mars 2020), 10€

Chaque numéro conjugue les forces des « poètes de l’amitié » et des « poètes sans frontières » sous l’égide de deux auteurs-compositeurs-interprètes puissamment engagés (Jean Ferrat et Charles Dumont). Il montre que l’association participe systématiquement à des lectures dans les Ehpad et les maisons associatives ou à divers hommages à ses mentors. Une large part de la revue est réservée aux « créations » (une vingtaine de pages) avec un attrait spécifique pour les sonnets et les vers alexandrins et avec une ouverture discrète à la prose. Une poésie qui se veut un « subtil mélange d’un être qui sent, qui souffre, qui jouit, qui est vivant et qui veut dépasser ses propres ombres au nom d’une Lumière supérieure, celle du grand art », selon Michel Lagrange (n°177). Elle nous rend « plus ouverts au monde » (néanmoins sans nous apporter le bonheur).

On sent de part en part le plaisir de chacun à se promener dans le jardin des mots. Une dominante générale lui donne une tonalité particulière où la simplicité se mêle au bon cœur. Quelle raison d’être du poème ?  Maurice Amstatt évoque la retraite, Gérard Mottet sa terre natale, Stephen Blanchard l’amitié… « L’écriture ne sert qu’à dompter la peur », affirme Adeline Baldacchino. Parfois le poète surprend par son goût de l’homonyme (même orthographe et/ou prononciation) « J’ai / Dit Gérard / un geai rare / Couleur / Jais », précise Jean Faux (n°175) qui, dans un autre poème, évoque « L’apprenti maçon / Qui taloche une cloison / S’est pris une taloche / Par son père décrépit / Qui décrépit un mur ».  Quant à Claude Dussert, il loue Baudelaire avec des acrostiches ou s’amuse à imaginer l’avenir de la poésie (très posthume!) après l’intervention de …l’intelligence artificielle.

Pas de frontières pour les poètes. Ainsi on découvre les poètes tzantiques d’Equateur (dérivé de tzantza, tête réduite des Jivaros) qui rejettent radicalement « les valeurs bourgeoises dès 1962 (n° 178). Le très beau poème d’Euler Granda révèle cette créativité d’Amérique du Sud : « Ici Equateur / blessure de la terre, / os pelé / par le vent et les  /… Ici / la faim / Indiens battus à coups de pied comme des bêtes». Ainsi la revue participe à la Journée internationale des droits de l’homme. Dominique Simonet rappelle l’histoire de la photo d’Aylan, cet enfant noyé au bord de la mer Egée : « Aylan semblait dormir, allongé sur la plage / Bercé par une vague au sommeil de la mort ! »  Cet enfant syrien exprime à lui seul le destin de tous les migrants, ces « malchanceux perdus, cueillis en fleur de l’âge (…) Tous ont vu leur songe, au-delà de la mer : / Bonheur, richesse et paix dans les flots d’espérance. » (n°178). A côté, une photo du « tapis » exposé à Dijon  qui mentionne les noms des 17 306 personnes noyées en Méditerranée en tentant leur migration vers l’Europe. Rêve romantique des gitans de Jean-Claude Fournier: « Danse pour moi, fille de braise,/ Corps captivant, corps enjôleur,/ Joue-toi des flammes tout à son aise/ Mais ne joue pas avec mon cœur ! » (n° 177).

Il se peut que la revue cherche l’universel dans les cœurs poétiques. Un poème de Victor Hugo, qui chante les « millions d’étoiles » de la Voie Lactée (extrait de Abîme, n° 176), illustre bien la profusion de cette quête de Florilège. Pour preuve, la revue rend hommage aussi paisiblement à Saint John Perse qu’à Maxime du Camp ou à Renée Vivien.