Eve Lerner, Le Chaos reste confiant
Un cri du cœur. Le monde va mal ! C’est le chaos, nous dit la poétesse Eve Lerner dans un essai percutant dont le souffle poétique fait le grand ménage dans tous nos désordres et malheurs contemporains.
« Nous sommes voués au chaos. Celui dont nous venons et celui que nous fabriquons ». La poétesse lorientaise ne cache pas qu’elle a surgi, elle-même, d’une forme de chaos : celui de la famille et de ses violences, prolongé par « le chaos de l’amour ». Mais le propos de son livre-brûlot est de pointer, avant tout, le chaos mondialisé. « Il se dégage du monde des odeurs de plus en plus insupportables, écrit-elle, ça sent l’abattoir ».
La liste est longue : guerres, massacres, viols, destruction de la nature… « On tire sur les Casques blancs, les hôpitaux, les écoles » (…) « Il y a des enfants-soldats dès 8 ans, il y a des filles mariées à 9 ans ». Elle ajoute : « Sur terre, prolifération des armes, dans les corps prolifération des cellules ». Une métastase qui lui fait dire que « le monde s’est délité ». La preuve ? « Les croyants n’adhèrent plus à leur foi, les cultures n’adhèrent plus aux sols, les paroles n’adhèrent plus aux actes ».
Eve Lerner, Le chaos reste confiant, Editions Diabase, 102 pages, 12 euros
Comment ne pas penser ici au poète Armand Robin dénonçant « la fausse parole », quand Eve Lerner écrit précisément: « Le chaos construit les fausses valeurs et la fausse parole ». Elle cible donc tous les mensonges et leurs « ramifications délétères » mettant à jour le véritable drame qui se noue : « Ce qui s’éteint : la flamme de la petite bougie sur la barque de papier, les esprits hors-normes ou juste les esprits curieux. Ce qui se trame : l’obsolescence programmée des plus belles formes d’art et de pensée. Au grand jour – mais personne ne le voit – la défaite définitive d’une planète bleue » (à coup sûr celle de Paul Eluard qui était, comme on le sait, « bleue comme une orange »).
On pourrait s’arrêter à ce constat terrifiant. Mais se pose la question de la riposte, individuelle ou collective. La première tentation est de prendre le maquis, « se terrer dans le silence au fond du jardin, mais surviennent les tondeuses ». Eve Lerner croit à la « rébellion de l’écriture ». Elle propose de « gonfler le dard du poème, piquer le tyran au vif, faire flèche de tous mots ». Elle n’est pas loin de penser comme Jean-Pierre Siméon que La poésie sauvera le monde (Le Passeur, 2016.). Car, dit-elle, « le poème est un aiguillon, un éperon ». Il est là pour « inventer un réel, inédit, inconnu, à venir ».
Ce brûlot poétique a été écrit avant l’apparition de la pandémie. Dans la postface de son livre, Eve Lerner prédit de nouveaux « chaos exceptionnels » liés à cette pandémie. Ce qui lui fait dire que « le chaos reste confiant ». Car « rien ne peut venir nous assurer que cette crise majeure va changer les manières de vivre et de faire ». Tout l’indique en effet.