Hommage à Claude Beausoleil

Claude Beausoleil, romancier, essayiste, critique littéraire, traducteur et poète du Québec nous a quittés le 24 juillet 2020 – annus horribilis – année noire pour la poésie. Il laisse une œuvre abondante, et le souvenir d'une personnalité remarquable dans le paysage littéraire québécois, tout autant que chaleureuse et attachante, à laquelle les auteurs qui nous avaient confié leurs textes pour notre anthologie Chant de plein ciel1 ont souhaité rendre hommage sur Recours au Poème. Nous vous proposons le choix de poèmes de Claude Beausoleil qu'ils retiennent pour en tracer le portrait littéraire, ainsi que les souvenirs évoqués par son ami Bernard POZIER, éditeur des Ecrits des Forges, et les textes inédits d'Annie MOLIN-VASSEUR, France BOUCHER, Martin PAYETTE et Jean-Luc PROULX, écrits en sa mémoire.

*

Élégie pour l’ami en-allé…
par Bernard Pozier, directeur littéraire, Écrits des Forges

 

un poème parlait
d’un temps disparu
rempli d’ombres
lumineuses

Claude Beausoleil

 

J’ai connu Claude Beausoleil au milieu des années 70. Il était déjà un poète important de la jeune génération. J’ai très vite constaté qu’il possédait une vaste connaissance, non seulement de la littérature et de la poésie, mais aussi notamment de la peinture qu’il a lui-même pratiquée. Il savait parler avec ferveur et enthousiasme de notre histoire et de notre culture.

Moi, je faisais partie de ce que certains commentateurs appelaient alors l’école de Trois-Rivières, en référence à notre regretté poète Gatien Lapointe, professeur de poésie et de création à l’UQTR et fondateur de la maison d’édition les Écrits des Forges. Claude, alors critique de poésie au journal Le Devoir, a notamment pris notre défense en traitant de rétrograde l’auteur d’un article très négatif dans la revue Lettres québécoises à propos de notre manifeste. La bande trifluvienne s’est alors mise à fréquenter les lancements montréalais.

Le milieu littéraire, surtout celui de la poésie, était alors bien différent de celui de maintenant et les lancements réunissaient régulièrement la plupart des poètes et des autres intervenants. Des échanges ont donc commencé à naître, car, à cette époque, il y avait des revues et des lectures un peu partout à travers le Québec. Claude est également rapidement venu publier avec nous.

Depuis, nous avons partagé beaucoup de projets divers et nous sommes devenus de grands complices dans l’une des passions de notre vie, la poésie, non seulement par nos conversations, mais aussi par nos actions : participations à des revues, publications de livres, lectures, salons du livre, colloques, conférences, entrevues radiophoniques, dossiers, traductions et de nombreux voyages littéraires partagés au Québec, en France, au Mexique, en Belgique ou ailleurs.

Claude Beausoleil était un être immensément généreux, ouvert et enjoué. Il m’est toujours apparu, comme à plusieurs, comme un géant de nos lettres, d’abord par sa présence physique et son dynamisme débordant, par son sens de l’accueil et du partage, ensuite par son énorme capacité de travail et d’écriture qui font voisiner son œuvre abondante et diverse de celles des Victor Hugo, Honoré de Balzac, Victor-Lévy Beaulieu ou Michel Tremblay. Si la poésie y domine, il ne faut pas négliger ses récits, ses essais ni, surtout, son travail critique et anthologique : au fil des ans, il a parlé de tout et de tout le monde, ici ou ailleurs, et s’est penché sur des poésies diverses notamment québécoise, française, acadienne, suisse romande ou mexicaine.

Sa poésie, personnelle et singulière, lyrique et baroque, visite aussi de nombreux territoires au fil de ses déplacements, voyages et séjours en divers lieux, mais elle explore de plus des thèmes très variés dont la ville, la poésie et les poètes de partout, la musique - surtout le jazz et le blues, l’hiver, l’identité, l’Amérique, les romantiques anglais et bien d’autres sujets encore, par exemple, les Contemporáneos mexicains, l’exotisme, le quotidien ou l’écriture elle-même. 

Une caractéristique flagrante de sa poétique et de sa rythmique particulière, c’est qu’il écrivait pour que ça se lise et pour que ça se dise, presque toujours avec un langage simple qui parle directement aux lecteurs et aux lectrices sans mots trop recherchés, très rares, trop spécifiques ou trop savants. Je me souviens lui avoir dit une fois en boutade : comment fais-tu pour écrire autant de livres avec si peu de mots ? (Entendons ici l’écho de son grand rire en nos têtes et en nos cœurs.)

Maintenant Claude, malheureusement nous a quittés. Son absence creuse un immense abîme dans nos êtres, dans notre culture et dans la bibliothèque du monde. Il nous reste à jamais sa poésie et ce qu’il aurait souhaité par-dessus tout, c’est qu’on la lise et la fasse lire. Je vous exhorte donc tous et toutes, en son nom, à lire ou à relire un de ses livres et à en offrir un à quelqu’un de votre choix. Ainsi seulement, nous pourrons honorer vraiment sa mémoire, célébrer ce pourquoi et par quoi il a vécu et, par-dessus tout, le garder, dans son souffle et dans sa voix, toujours vivant dans le monde et au fond de nous.

Poèmes choisis par Bernard Pozier

De Caminos paralelos

 

La gloire n’est pas un livre

ni le corps une idée

j’en arrive dans l’art

à aimer le plaisir

de raconter ma vie

dans des formes fragiles

où le présent s’avance

ballade de mon cœur

lancée sur ses heures

qui rêvent et me regardent

Sur la table des livres

des cahiers et du pain

les gestes d’hier

inaccomplis respirent

il y a un décor

imaginable et solitaire

la voix est le silence

j’y sens la certitude

des mots en fuite

au seuil de la chambre

Des feuilles de vélin

disposées sans ordre

avec un mot direct

qui propage la fable

écrire est un fait

j’y pressens le temps

écrire est un mot

soulignant le réel

d’un désir accompli

l’espace d’un instant

 

 

De Grand Hôtel des Étrangers

 

LIMINAIRE

Il nous faut témoigner avec grandeur de notre perte

partir sur les chemins du monde

laissant des traces sans retour

là dans le noir brûlé des choses

malgré la blancheur qui nous habite

aller au loin dans les mots charcutés

les sons rauques et les mixtures du néant

il nous faut tout prévoir tout nommer

tout reprendre des mémoires où s’écroulent nos âmes

en renaissances aux poudroiements légers

entre les sentiments et les cités

départager les cimes liées aux métaux d’urgence

par l’exacte beauté des meurtrissures

quand la lumière cristalline défenestre l’horizon

diffusant les espoirs d’un chant

d’un si calme chant si dense

redevenu imaginable sachant

qu’il nous faudra tout perdre

découvrir des gouffres

rêver sans illusion mais sans se taire

aller au loin aller

écrire vivre et aimer

dans le désir infini du visage du temps

Poèmes choisis par la rédaction

 

poèmes de Claude Beausoleil

à écouter ici

dits par lui-même

 

Je suis un voyageur que le langage invente

Kerouac que tu racontes
 pour jazzer le périple
d’abord Lowell puis la route
les autres sons français
les déroutes de la route
les autres dimensions
improvisent une passion
 un secret un regret

une chanson des routes

comme celle entendue
sur les pas des géants
des amoureux des poètes
des amis d’autrefois
qui sont devenus grands
des efforts pour durer
des enfances en-allées
sur la route on the road

à partir vers les cieux
tu dévides et dévalent tes mots
au creux d’itinéraires
fauves comme les enjeux
scandés
tu répètes que les mots
elliptiques sont en toi
territoire sacré
du quotidien qui file
on the road sur la page

tu répètes que les mots
sur la route infinie
d’un jardin d’Amérique
aux immeubles enfouis
dans des rêves d’enfants
qui regardent la télé
sur des postes impossibles
où ils n’osent rêver
tellement les horreurs

les peurs les monstres de la vie
sont des flambeaux meurtris
des crises de néant
aux soucoupes volantes
des armes de propagande
aux anciennes fééries

 

La Langue est un poème

La langue est un poème
advenu sous les mots

je ne sais rien
du jour nouveau
ce que je sais
vient de la nuit
tu regardes les fleurs
elles oeuvrent suspendues
répétant un deuil
ouvertes sur l’oubli
quand je dis le silence
entre par la lumière
et me tais soudain
tu t’avances et tu poses
tes mains sur ma vie
c’est la moindre des choses

 

La Langue est une fièvre

La langue est une fièvre
aux rumeurs transitoires

des mots s’y dressent
ouvrant l’époque
sans rime ni raison
objets inachevés
qui chantent et claquent
les portes et claquent
les mots tout près
que la vie chante
car l’heure n’est pas
à la fuite mais à la poésie
ce dont je parle
se précise
«à pas de loup dans le silence»*

*Yolaine Villemaire
Les Coïncidences terrestres

 

 

Désenchantée (extrait de Black Billie)

 

Dans la beauté d'un blues aux couleurs finissantes

La mort d'un amour

Sans secours

S'abandonne au pardon

La ville sans repos recommencement

A insuffler des fables sous les excès

Infinie passion

Infinie délivrance

Les ombres des néons jazzent

Lambeaux d'une histoire révulsée

Dans ce théâtre prohibé Billie chante

You Know You Let Me Down

Rien ne sert à rien plus rien

L'alcool illégal les jeux la drogue

Rien

Au cœur de la ville Billie

Dans cette ville interdite la mélancolie chuinte

Entre les tables échouées vaguement cokée

Infinis ses tourments

Infinie la langueur

Infini ce vide entre les miroirs

Plus rien ne sert à rien

La ville aux mirages insolites

Avec l'indifférence des capitales désertes

Le soleil loin si loin de ces chansons tristes

Le malheur t'attendait depuis toujours Billie

Et pour toujours tu le sais perdue désenchantée

 

*

Extraits inédits d'A travers ça,
d'Annie-Molin Vasseur

 

À travers ça 

On tatoue son corps à l’encre indélébile

pour être sûr que l’esprit ait son port d’attache.

 

Avec des je le jure

et des bouts de vérité au barbiturique

on tresse des cordes pour avancer

et on regarde 

dans l’insistance des profondeurs

impuissants

d’autres s’éloigner

 

 

Je vous suggère aussi trois poèmes de Claude Beausoleil qui, je crois, le représentent à la fois comme poète de la ville et comme poète lyrique interrogeant la poésie. Ce sont des poèmes qui font toujours écho en moi. Une autre raison de faire écho avec lui : ils proviennent d’une anthologie dont il a lui-même sélectionné les extraits provenant de ses nombreux recueils. Et ce recueil a un si beau titre qui lui ressemble : L’espace est devant nous.

 

Claude Beausoleil, L'Espace est
devant nous
, Le Castor Astral,
2007, 125 pages, 12 €.

 

JE NE SAIS PAS CE SOIR OÙ VA LA POÉSIE

Je ne sais plus ce soir où va la poésie

je regarde les mots déliés dans l’espace

je ne sais plus ce soir où va la poésie

je l’ai voulue brisée défaite et elliptique

transformée secouée aérée

je l’ai voulu urbaine

sur les lèvres du siècle

dans des hasards perdus

aux chants inconsolables

des utopies magiques

je l’ai voulu formelle ouverte ou en rupture

je l’ai voulue indirecte structurée mobile

je traversais sa nuit

et j’en rêvais le jour

je ne sais plus ce soir où va la poésie

mais je sais qu’elle voyage

rebelle analogique

écriture d’une voix noire

solitaire et lyrique

tout au sommet des mots

dans les incertitudes

sous la chute des possibles

là au centre des pages

dans l’ailleurs du monde

pour un temps infini

elle souligne les choses

elle soulève l’amour

témoigne du dedans

par les mots qui désirent

dans ce même langage renouvelé

Interroger le livre la vie la nuit

je ne sais plus ce soir où va la poésie

 

ILS

Les poèmes m’arrivent

comme des photos dérobées

au réel

ils savent ce que j’ignore

et ne sont pas à moi

de moi

en mouvement ils vont

pareils à la tremblante présence

du visible

 

MONTRÉAL TU T’EN VAS

Montréal tu t’en vas et la neige m’emporte

ma ville trouée de temps ma ville de soirs d’hiver

de trou de mémoire de travaux incertains

Montréal tu t’en vas toutes tes rues m’abandonnent

pour un poème en chute pour rien

juste pour voir comme ça à tout hasard

un chagrin l’illusion un détour ou la fin des joies

sans faire la fière dans des vitrines impossibles

des riens qui meurent et renaissent d’hier

Montréal tu me perds Montréal c’est bien toi

dans ces rues dénudées dans des blocs de verre

ces images et des livres te contant des histoires

les faux sans fond d’une ruelle où nul ne va

plus loin c’est encore toi plus avant dans le vide

tu bâtis pauvre ville pauvre enfance infinie

la mémoire et des textes de forme irrégulière

des avenues naissantes impriment sans raison

les autres dimensions des aurores et des bruits

l’aube est blanche ton ciel orange tes yeux bleus

je reconnais ton air ta façon de parler

les alliages de ton rêve né du lieu pour durer

Montréal tu ne sais pas si tes bars sont fermés

non plus si tu persistes quand le givre te nomme

si les auvents de glace rappellent des poèmes

la grande sainte-catherine street les néons las le fracas

Montréal tu révèles des trésors dont les marins profanent

jamais ne sauraient dire l’illusion ou l’ampleur

ou la loi sous le joug du gel qui nous engouffre

car que dire d’une ville venue d’elle-même

traversant sa légende initiant ses récits

au bord d’un souffle froid dans l’abîme sans trêve

ville de solitude ô ville de mon seul espoir

Montréal de ma vie Montréal de mon âme

tes souvenirs m’arrachent au-devant des oublis

tes terreurs me foudroient tes manques me séduisent

Montréal annulée Montréal triturée déliée

quel réseau de tempêtes te rendra ta vision

Montréal de mon temps revisitant les suites

et je parle de toi quand la nuit s’est enfuie

et je parle d’un poème écrit sur ton passage

tu allais ce jour-là dans un matin sans fin

ne donnant la réponse ni au vide ni au temps

*

Vive la poésie, France Boucher

 

Le temps file, le désir de poésie demeure

Claude Beausoleil

 

 

Merci à ce très grand

et très généreux poète

pour [sa] musique de Keats,

[son] grand souffle noir,

tous ses recueils

aux poèmes vastes, vibrants,

urbains, si près de la nature et du cœur

 

Claude Beausoleil

voyageur que le langage invente

promeneur dans son arrondissement

on peut tout faire à pied disait-il en 2019

dans le journal des voisins

était un créateur sans cesse en ébullition

 

J’entends encore son enthousiasme

lors de rencontres impromptues

près de la librairie Fleury

dans Ahuntsic

pour un festival à venir

un éventuel projet d’anthologie

un numéro de Lèvres urbaines

Vive sa poésie

tissée de silences

brûlante d’énergie

*

Cette précieuse anthologie de Claude Beausoleil - par Martin Payette

 

 

Un siècle de poésie mexicaine,
Anthologie dirigée par Claude
Beausoleil, Points, 2009, 220
pages, 7 € 60.

Je serai toujours éternellement reconnaissant envers Claude Beausoleil pour m’avoir fait découvrir la poésie mexicaine par le biais de son anthologie. Le poète québécois a su, à travers les choix d’auteurs et de textes, faire ressortir toute la richesse des influences autochtones, européennes et latino-américaines de cette poésie.

Je lui dédie ces deux courts poèmes « d’influence mexicaine ». Le premier, en particulier, se réfère à mon unique rencontre avec monsieur Beausoleil, au salon du livre de Montréal de 2019. Au cours de notre conversation concernant les voyages, il m’est apparu clairement qu’il n’était pas un amateur de ce que l’on appelle le « tourisme de masse » !

 

 

AU SOMMET DE LA PYRAMIDE

Ta poésie injustement molestée réclame

un sacrifice au sommet de la pyramide

précipite dans l’abîme un visiteur

qui piétine l’Aztèque et ses ruines bienveillantes

offre au condor énergétique sa nourriture :

la graisse souillée du touriste.

 

 

VISION CHAMANIQUE

La vision d’une vie réussie

une miette de bonheur dans la soupe de l’éternité

le chamane utilise ce temps comme l’escalier

qui le conduit à s’effacer du monde

ceux qui restent sur la première marche

retrouvent les chaînes un tour après.

Déjouer la cage égo dorée

à chaque instant conscient

ne plus lécher le miel de la prison.

*

LA LANGUE SANS FIN DU MONDE
par Jean-Luc Proulx

 

« L’écriture voyage vers la lecture. »

Claude Beausoleil

 

La langue est un lieu

Où s’accorder

Sur l’horizon de la francophonie

Où s’élever

La langue — sans fin du monde

Tout lui appartient

Elle fait

Fiévreuse

Elle défait

Les mots chargent les soupirs

Si elle veut la parole, elle la prend, large

Si elle veut l’écrit, elle le prend entier

Mélodieuse

Elle n’a pas de métier

En chacun

Elle improvise le chant des pleureuses

Va à l’espérance digne

Au splendide

Elle ne saurait être professionnelle, la langue

Pas plus que le paysage ne l’est

L’eau de la pluie

Le ciel plein d’arbres

La mer étale

Pas plus que la poésie

Le vent mauvais

Que les heures du temps

Longues si longues à compter

Il n’y a pas d’erreur à aimer

Si une langue contient le mot amour

Il n’y a pas d’erreur possible

À elle seule, elle contient le tout de toute langue

C’est une langue francophone ici perchée sur les balcons

On la parle française ou québécoise

Acadienne ou créole

Antillaise ou africaine ou autre

Une véritable féerie d’images, elle est

Elle demande tout

D’être dans chaque continent une langue

Pour vivre à outrance

Avec l’autre qui regarde le monde

Qui lui pose des questions

L’ombre est bleue des mots

Qui surgissent des voix

Heureuses

De parler

Si elles disent le jour, le matin et le soir

La nuit ou l’étoile noire

Corps et âme

Si elles disent l’enfant

La mère et l’enfant

Femme ou homme

Tous genres, le vivant

Si elles disent des mots tels

Elle n’est pas à surveiller

Voix des neiges

Elle n’est pas à craindre, la langue

Du poète

Née de l’exil

De partout

Si elle commence, elle n’en finit pas

Insensée, trop belle pour fuir

C’est une langue pour les passionnés du réel

Elle en a que pour cela

Ses joies ! Ses colères !

Orchestrale

Grand souffle

On l’entend de là

Dans l’air

Déployer ses rêves

Aux accents maternels

Que nous reconnaissons

À la lecture du poème ici

À n’en plus finir

Sans souffrance

Nos sens exacerbés pour la parole

Nos allers et retours dans sa romance folle, la langue

Blues fauve

Qui jamais ne s’achève

Allez, mots nouveaux ! Mots d’emprunts !

Accélérez la cadence !

Tradition et modernité coulant de source

Une note suffit pour que le sens s’éveille

En beauté

Pour que l’on s’entende, tous

À la fine pointe des murmures

Que l’on s’accorde aux instruments

Du vivre à venir

Que l’on se parle, tous

Un jour de plus

Issus

Du désir.

Claude Beausoleil dit Jack et Billie dans le blues de la nuit au marché de la poésie, à Paris en 2019

Note

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Présentation de l’auteur




Katia-Sofia Hakim, Halogène et autres poèmes

Je suis l’insecte
brûlant qui fume
sur une ampoule
pendant
que tes vertèbres se tassent
à écrire
je m’évapore
dans un drapé de métal.

Il te restera de moi
cette odeur
ocre au plafond
une odeur vive
et hurlante d’un temps
écroulé.

 

Les argonautes du net

J’aime. Des monstres marrants vrombissent leurs commentaires.
J’aime. Tandis qu’au bord d’une coupe son fils drague Phèdre.
J’aime.

Un mot passe. Troué de chiffres. Sept fois six. J’aime. Une peau de
brebis égarée. J’aime. Une femme voilée d’un bateau. L’exil crache
sa lumière bleue. J’aime. Le mot s’oublie.

Des anonymes démembrés. Des seins plats comme un écran qui
veille. Mais t’aime qui, Bordel ? J’aime. La toile est tendue, viens
m’aider.

On sème des dents,,

 

(Sans Objet)

Un écran de mots,
miroir dénué de sens.

S. aime S.

Deux lacets se croisent
à l’interférence de chemins ;

deux lettres courbées
qu’on sonne en silence.

S., ô, S. !

Appel au secours.
Appel sans retour.

Pour qui sont ses tocsins,
sonneries et klaxons ?

S. aime S.

Un écrin de mots,
miroir dénudé de sens.

 

 

 

 

Châtelet-les-Halles

Châtelet-les-Halles

 

Aladin a perdu sa lampe. Il frotte en vain du revers
de sa manche l’écran noir d’un téléphone éteint. Ici
les tapis ne volent pas. Ils roulent. Les escaliers ne se
prennent que dans un sens. Ceux-là montent. Ceux-là
descendent. Tous s’aplatissent au départ et à l’arrivée,
en panne d’inspiration…………………

 

 

 

 




Violette Guyot, Je marche et autres chansons

Je marche

Je marche, 
pour oublier les gnoufs, 
les sales bêtes les têtes de veaux
les sots
tous les balais à chiotte
et les savons d’Alep.

Les squés
les téflons usagés
panachés tièdes éventés
les couards
qu’ont rien dans la cervelle
dans le lard ni les bretelles !

Je marche,
je rembobine le film
vers l’avant et vers l’arrière
je veux
dissoudre leurs têtes en creux
dans la boue et dans le feu

À ces cons
ces raclures de bidet
qui me font perdre la raison
ces vaches
korrigans fous à lier
avec ou sans poils au nez …

Je boxe
mes mots comme des poings
le temps d’chanter ce refrain
je cogne
comptine sans artifice
mais qui peut rendre service

Il faut
bien s’défouler un peu
pour oublier les grincheux
les fiers
les moches les orgueilleux
les p’tits chefs et les vieux pneus.

 

La musarde

Assise dans la nature
je pose mon armure
et je laisse mes pensées
vagabonder.

Un gros lièvre s’invite
quand son gros œil me voit
il se sauve très vite
et m’abandonne là.

Je me prends pour Alice
et je bâille aux corneilles
sur l’herbe bienfaitrice
je m’émerveille.

Le bourdonnement fait rage
sur le parterre de fleurs
je trouve ce babillage
culpabilisateur.

Les insectes travaillent
et moi je me prélasse
ignorant cette pagaille
j’abandonne ma carcasse.

 

Immortelle

Elle s’amuse avec les anges 
dans une autre dimension
joue à courser les mésanges
dans son vaisseau en carton
ses voisins trouvent qu’elle est folle
elle a jeté sa télé
elle s’en fiche des paraboles
elle, elle fait ce qui lui plaît

Elle voyage sur le net
explore les autres planètes
elle rejoint le train fantôme
à la recherche du génome
apprend la philosophie
en prévision d’autres vies
elle profite car à son âge
ça s’rait trop con d’être sage.

Dans son p’tit appartement
où il n’y a plus d’enfant
elle jongle avec les étoiles
tchattant la nuit sur la toile
elle partage ses espoirs
avec avec d’autres cosmonautes
bien seule, elle attend le soir
le retour des internautes.

Elle s’fait pas d’souçis la belle
elle sait qu’elle est immortelle
à grands coups d’respirations
se nettoie des pollutions
fait la paix avec son âme
grâce aux mantras qu’elle déclame
elle soigne sa solitude
en cherchant la plénitude.

Elle s’envole avec son ange
sur le dos d’une mésange
terroriste homéopathe
vers le désert des Carpates
elle cherche son cheval gris
pour rejoindre son paradis
elle s’en moque de ses voisins
elle joue avec son destin.

 

Alexia D et A7

Alexia est bien morose
elle ne voudrait voir personne
il faudra pourtant qu’elle ose
sortir car en bas ça sonne …
Elle descend c’est sa voisine
qui l’attend sur le palier
elle a besoin de farine
pour faire sa pâte à beignets.

La voisine demande comme ça :
Comment vas-tu Alexia ?
Alexia avoue inquiète
qu’elle n’est pas dans son assiette.
La voisine est très aimable
elle adore rendre service
aussitôt elle s’emballe
et c’est un feu d’artifice !

Y faut pas t’laisser aller,
tu devrais faire ci ou ça,
va donc un peu t’promener
la campagne te calmera.
Va voir le docteur Breutel,
tu sais y fait des merveilles,
à mon frère de Neuchâtel,
il a greffé treize orteils !

Essay’ aussi les bains d’sièges,
le gogi, la pimprenelle,
les pommes d’amour de Blanche Neige
l’parachute ascensionnel !
Si t’es encore déprimée
on ira au salon d’thé
engloutir un pithiviers
arrosé de bière ambrée …

 

 

 

Alexia aimerait bien
qu’sa voisine cesse de parler
elle commence à saturer
d’ses conseils qui riment à rien.
Pendant qu’sa voisine carbure
ell’ commence à rêvasser,
s’envol’ vers la côt’ d’Azur
dans les bras d’Christophe André.

 Tu devrais manger du chou
le chou ça c’est bon pour tout
même le Valnet il en parle
c’est très bon pour le moral !
Y’a aussi un vieux chinois
qui soigne avec des bouts d’bois
ça fait mal ça laisse des traces
mais c’est très très efficace !

Y’a même un ostéopathe
qui a réparé l’Agathe
de son grand chagrin d’amour
en la massant à rebours.
Sinon y’a le vin d’groseille
la prune et la mirabelle
l’extrait de salsepareille
les bonn’ crêpes de Gwenaëlle !

 Là Alexia n’en peut plus
elle décide de s’éclipser
elle en a trop entendu
elle est prête à exploser.
Elle se sauve donc en courant
laissant sa voisine en plan
qui s’obstine à proférer
ses conseils dans l’escalier !

 Y’a aussi le silicium, les antennes de gorgones, 
l’escargot et le psyllium, l’argile verte, la papaïne, 
les chakras, les vitamines, le thé vert, le jus 
d’citron le chocolat par kilos et la crème de 
marrons. L’huile de courge, le sans gluten, les 
gélules de foie de morue, le chlorure de 
magnésium, le pollen, la g’lée royale, le régime 
de Cro-Magnon, le crétois, le macrobiote, 
adopter un chihuahua et la cure de pleurotes !  

 

 

 

Violette Guyot, "Pot-pourri", Concert à la librairie Scrupule de Montpellier en novembre 2019, une vidéo proposée par Le Chant des Muses.




Chroniques musicales (1) : De l’univers de Christian Olivier, des Têtes Raides et des Chats Pelés

À l'injonction « Poètes, vos papiers ! », formule de Léo Ferré, à la déclinaison de son identité, exercice toujours clivant, les Têtes Raides, Not dead but bien raides, titre de leur premier album, préfèrent inventer leur « Iditenté », leur visage pluriel fait de la richesse de leur diversité : « Un chemin de l'identité / L'iditenté l'idétitan / L'y tant d'idées à la ronde », néologismes de leur chanson éponyme partagée avec Noir désir, véritablement hymne à la beauté de l'autre, au dépassement des frontières et au voyage cosmopolite : « Y a pas d'pays pour les vauriens / Les poètes et les baladins / Y a pas d'pays / Si tu le veux / Prends le mien » !

C'est sur la galette Gratte poil, œuvre de la maturité pour la bande de joueurs espiègles que forme l'ensemble de ces musiciens-zigotos, dont le chœur d'enfants du refrain de « Patalo » délivre une parole à redonner toutes ses saveurs à la réalité qui aurait tendance à se clore et à s’aseptiser et que « L'Iditenté » malicieuse fait voler en éclats : « Du sel dans les pâtes à l'eau / Du beurre dans les haricots / De l'eau pour s'laver la peau / Du sang pour cracher des mots / D'la voix pour gueuler plus haut / Des fleurs pour t'aimer bientôt / Du ciel pour les animaux ».

          

L'identité, Noir désir/les Têtes Raides.

Cette réhabilitation du goût du monde et de ses terriens, Christian Olivier, tout au long de l'écriture pour son groupe, n'aura de cesse de l'explorer, dressant des portraits fabuleux, entre réel et imaginaire, qui rendent leurs traits vibrants d'authenticité aux gens vers lesquels les Têtes Raides vont toujours à la rencontre. Cette ouverture à chacun qui sous-tend l'univers poétique de Christian Olivier résonne en écho avec l'univers graphique des Chats Pelés, collectif dans ce croisement d'artistes, au sein duquel se cherchent et se trouvent les mots et les images puisque ces graphistes donnent la couleur des chansons du parolier qui fait le trait d'union entre ces deux contrées. Ces derniers incarnent les ombres et les lumières, le sombre de l'angoisse et le clair de la joie, sans jamais se prendre trop au sérieux, dans un jeu incessant mêlant réalisme et fantastique, art naïf, art brut et art d'avant-garde, évitant néanmoins de réduire à un seul de ses aspects l’œuvre commune, ode aux figures offertes, ces fières gueules de la multitude tapageuse et du bazar étrange que reflète ce double-miroir d'une vie quotidienne agrandie !

Ce fourmillement de foule bigarrée innerve l'écriture qui investit les mots comme une matière à modeler, à pétrir, à sculpter de nouveaux vocables, dont la formule inventée « Iditenté » s'avère certes un des exemples les plus frappants pour piéger le terme aux contours trop nets d'« identité », mais montre également, tel un coup d'éclat parmi tant d'autres, cette capacité à jouer avec les sonorités et les sens, mystères d'un langage qui trébuche, ou plutôt s'en va « tréchubant », révélant que nos « démocraties » ne sont parfois que « décramoties » ou « démocramoties » où « des mots crament aussi », comme quoi derrière l'aspect ludique de l'exploration subtile se cache le tranchant du regard aiguisé sur le morfil de la lame qui donne alors à voir le politique du poétique, yeux grands ouverts où l'intime au féminin se fait à la fois aveu d'impossible et trait d'humour face aux errances de nos ères de dé-civilisation : « Civili civila / Civilalisation / Si la vie si Lisa / Lisa avait raison / C'est pas dans les chansons / Ni dans l'eau de mon vin / Qu'on fera de demain / Des civilisations »

Ce travail sur la langue, cette orfèvrerie du style, Jean-Philippe Gonot, auteur de l'ouvrage Têtes Raides aux éditions Seghers, consacré au groupe et à l'auteur-compositeur-interprète, en recueillera une confidence-joyau lors d'une tournée européenne de février 2005 de ces artistes qu'il suivit, mise au secret de la quête, encore une fois par-delà les frontières, du musicien et poète Christian Olivier : « L'incompréhension d'une langue n'empêche pas l'échange. Suivant ce que l'on met sous le mot, notre façon de le faire sonner, de le vivre, on transmet certaines choses, certaines sensations qui développent un sens dépassant les barrières, les règles. Il y a dans les sonorités et les façons de les prononcer quelque chose d'instinctif, de plus direct, de plus profond. Un autre langage peut-être, un rien, c'est plus simple, plus spontané, une musicalité, une rencontre. Dans le mot, il y  a plein de choses... »

Ce trésor en partage, quel que soit l'idiome de la tribu ou du pays, Christian Olivier le redéploiera par le fil rouge qu'il a tracé, entre la chanson du groupe, sur l'album Gratte poil, mais à la première personne du singulier : « Je chante » et son écho proche de l'univers d'Antonin Artaud : « Je crie » sur son premier album personnel On/Off...

Jean-Philippe Gonot, Têtes raides, Seghers, 2005, 208 pages, 17 € 50.

Ainsi passe-t-on de la première strophe du commencement du chant : « L'opaline naissante / D'une nuit déjà morte / Offerte au passé / Les nuits balaieront / Nos erreurs entassées / Dans le bas de nos ventres / À partir de maintenant / Je chante » (« Je chante ») au refrain entêtant du cri poignant : « À mes faiblesses, à mes ivresses, à mes détresses / Je crie / À notre histoire dans les couloirs de nos mémoires / Je crie / Il va s'en dire y'a rien à dire à ton sourire / Je crie, je crie » (« Je crie ») ! Tout un univers du chant jusqu'au cri de « ton sourire » !

Les Têtes raides, Je chante, une vidéo de YouTube by BMG Rights Mgmt France SARL.




Vinaigrette, revue moléculaire de photo/poésie

Sandrine Cnudde, qui a conçu, et qui compose et réalise la revue à toutes ses étapes de fabrication (hormis l'appel à un imprimeur professionnel), propose tous les deux mois (soit six fois par an) l'envoi par la poste d'un « pli » timbré au format A4, ingénieusement fermé et élégant comme un origami, recélant le trésor d'un poème imprimé au verso d'un papier semi-mat agréable au toucher, et un tirage  photo format carte postale sur papier Fine Art.  Le recto de la feuille porte également, sous forme caviardée, quelques éléments de biographie de l'auteur auquel la lettre est consacrée.

Chaque numéro est consacré à un unique auteur, poète ou photographe. L'année écoulée (la revue est née en février 2020) propose donc en alternance 6 poètes (hommes et femmes dans une stricte égalité) : 

Amandine Monin, Howard McCord, Hélène Sanguinetti, Rémy Chechetto, Bérengère Cournut, Christophe Manon, et 6 photographes : Aëla Labbé, Pierre de Valembreuse, Laurence Loutre-Barbier, Piergiorgio Casotti, Olivia Lavergne, Jérémie Lenoir.

Sur le blog de la revue (https://revue-vinaigrette.blogspot.com/), Sandrine Cnudde explique ainsi son projet – et l'on comprend bien le titre et la métaphore culinaire filée par la poète dans la réalisation de celle-ci :

L’un des intérêts de la revue est de mélanger et de stimuler l’une et l’autre discipline chez un même contributeur, dans un esprit décontracté d’expérimentation et de partage.
Un coin de table où les arts se croisent et les auteurs se rencontrent, pour le plaisir des lecteurs.

La cuisine expérimentale de « Vinaigrette » s'adresse à des lecteurs gourmets, et ne se trouve que sur abonnement, ou par vente directe lors de festivals ou salons. 3 formules d'abonnement sont proposées – outre une version allégée (5 euros/ numéro) : équilibrée (30 euros) – à la crème, ou douce.

Tous les ans, en tout début d'année est prévu un numéro spécial "double crème" au format A3 qui se plie sur un texte et une photo de deux auteurs, l'un poète, l'autre photographe – et pour cette première publication ; Danièle Faugeras – Eric Le Brun
Offert à tous les adhérents (abonnés avant le 31 décembre) ce numéro spécial sera également accessible sur commande, à l'unité pour 8€.

Voilà, on vous a tout dit : un petit écart pour assaisonner l'année qui s'ouvre est recommandé, en passant par le site de la revue




Plume Linda Ruiz, extraits de Planète Velcro

Textes et musique de Plume Linda Ruiz, extraits du spectacle "Planète Velcro"

TRAGUS

Hémoglobine

Sur tes lobes dénudés

Ta peau est fine

Et le sang goutte à goutte

Répand sa chaleur

Sur le sol exsangue de couleur

Plus ça fait mal et plus tu te régales

Très lentement quand l'aiguille déchire ta chair qui se tend

C'est là que tu es vivant

 

Visage passoire

Cartilage étendoir

L'amour

La peine

Piqués dans ton ADN

 

Ton nombril où l'eau passe

Ton arcade cloutée

Ta langue calebasse

Sont des perles orphelines d'un collier magnifique

D'un bijou organique

 

De Venus à Pluton

Du tragus au téton

Le trajet disparait

Et la douce douleur se marie au plaisir

Qui poinçonne ton sourire

 

Visage écumoire

Epiderme œuvre d'art

T'es pas étanche

Mais ton royaume est immense

Quand j'serais bouffée par des cloportes

On pourra dire en quelque sorte

Elle a pas percé à Paris

Mais dans la dermatologie

 

 

Pleine Lune

 

On peut voir au loin se noyer les sirènes

Notre indifférence leur fait d'la peine

A peine un rêve de temps en temps,

C'est tout ce qu'on accorde aux dryades, aux dragons

A tourner le dos comme çà, par maladresse,

Nous on se disperse, et eux disparaissent

Ya plus grand monde à Brocéliande et dans les tréfonds du Loch Ness

 

Si l'on oublie de les regarder,

Il n'y aura bientôt ni gobelins ni fées

Pas plus de griffons ni d'oréades

Pour embusquer nos promenades

Nous réveiller au milieu de la nuit

Nous rappeler qu'on est dotés de plein d'envies

Multiples visages, de la fantaisie des virages

Qu'on peut prendre

Poignées De songes pas très sages avant de se rendre

 

Ils sont en voie de déraison, d'abdication, de dilution

Menacez-les, menacez les …d’apparition !

 

Nourrit la naïade qui s'ennuie de n'être plus qu'une égérie

Qu'une légère muse qu'on dévêtît devant les pages de poésie

Traque en toi le troll truculent, troque tes craintes contre une inspiration

Fais toi acolyte du korrigan, allié en écho de ses tribulations

Dans le sillage d'un cumulo nimbus, saluer solennellement une licorne

Camouflée en nuage et la est l'astuce, toujours la caresser dans le sens de la corne

 

Caresser l'idée d'une porte toujours ouverte aux frasques d'un farfadet de passage

La table dressée et l'âme prête pour une ivresse de gorgone ou de sage

De l'ambroisie au frais, la nymphe en raffole,

Pour combattre notre éthique qui s'étiole

Et quelques fioles d'hydromel, aussi pour le voyage

C'est pour ses ailes, pour l'énergie du décollage

 

 

*

 

Tapisserie décoration - Planète Velcro

 

TAPISSERIE DECORATION

 

Je n’entends que des rires Je voudrais prendre l’air

Et je sens le piano qui transpire

Mon collier me serre

J’ai trop chaud

Je chante pour les paravents Pour le mobilier

A jouer pour des malentendants J’aimerais autant qu’ils soient

muets

Je t’en supplie viens me chercher avant que je prenne racine

 

et qu’on vienne m’arroser Je sens déjà la chlorophylle Tu croyais que je chantais Que je chantais des chansons Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

Quelquefois, bien heureusement

Quelques personnes écoutent

Et çà remet d’emblée du piment

Dans la soupe de mes doutes

Une jolie dame couverte d’or

S’avance pour me demander

Pouvez-vous jouer moins fort on ne s’entend pas parler »

 

Je t’en supplie viens me sauver Avant que le mur m’absorbe Et que l’on vienne accrocher Des tableaux dans les trous de mes lobes

Tu croyais que je chantais

Que je chantais des chansons

Mais non

Je fais tapisserie décoration tapisserie plante de salon

 

PAP PAP PAPIER PEINT STAP STAP STRAPONTIN PLAP PLAP PLACOPLATRE BAP BAP BALDAQUIN

 

Les heures défilent de profil

Et plus les visages se froissent Et l’ombre des mamies de cires

Dégouline en douceur dans leurs tasses

Et leurs canines qui brillent

Qui s’allongent dans la glace

Et le micro et son fil

Et l’étranglement qui menace

Je t’en supplie viens me chercher

Avant qu’on me plaque au sol

Minuit vient de sonner Je sens déjà la camisole Tu croyais que je jouais que je jouais du piano But NO !

 

Je fais AGORAPHOBIE / CONVULSION / NARCOLEPSIE/ DECORATION

 

*

 

OCCIPUT

Par quelle déliquescence un peu valétudinaire,

Mon hypothalamus a failli opiner

C’est très panégyrique

Mais comme un antépénultième borborygme,

Sans anacoluthe je voudrais rappeler

A l’époque j’étais callipyge,

Je portais de petites galvardines

J’étais d’une inextinguible probité

Mais vous êtes tous ici des cénobites

Si vous pensez que j’évitais les furetières

C’est pourtant là que je l’ai rencontré

Il était Nyctalope

Moi moi j’étais ambidextre

Il me massa l’occiput

Et l’on trouva un consensus

C’est superfétatoire mais par outrecuidance

J’ai partagé sa passion pour la cuniculiculture

Une telle accointance fait

Que même dans des cas graves de priapisme

Notre amour restait thaumaturge

Et lorsque j’étais cyclothymique,

Il devenait juste un peu plus anachorète

Et l’on riait ensemble de son alopécie

Pour son anniversaire j’organisais

Des parthénogenèses dans le noir

Sans vouloir flagorner c’était l’ataraxie.

Ce n’est pas une raison/ Quand on peut voir la nuit

D’accumuler les oraisons / jaculatoires au pied du lit

Et d’empêcher son monde/ de trouver le repos

En miaulant des diphtongues/ en jouant sur les mots

C’est d’un truisme dithyrambique, Mais ce céladon concupiscent

Vitupérait sur mon occiput comme un cathaphrygien

Si tu ne sais pas où se trouve ton occiput

Tu pourras regarder dans le dictionnaire

Je connaissais un thesmothète qui en avaient un.

Il était somniloque

Moi j’avais des acouphènes/ j’aimais les sots l’y laissent

Il me massa le plexus

Et l’on trouva un consensus

*

Pommeau de Douche

Tu voudrais tu voudrais comprendre, tu de demandes, tu veux savoir pourquoi

Pourquoi il répond pas au téléphone pourquoi il te rappelle pas

Pourquoi ton cœur est plein, ses yeux sont vides quand il te touche

Autant l’oublier, autant être amoureuse d’un pommeau de douche 

 

Il te disait t’es hyper belle, t’es hyper bonne t’es hyperbole

Tu répondais t’es plutôt beau, t’es plutôt homme, t’es plutonium

 

Et tu voudrais partir, larguer les amarres, partir, toutes voiles dehors   

Partir, voguer sur les flots, partir, mais t’es pas un bateau

 

Alors le soir tu rentres seule dans ton appartement, ou tu es seule, il n’y a personne, tu te sens seule, il n’y a personne, tu es si seule, y’a tellement personne, tu appelles, personne répond, car tu vis seule

Alors tu rentres dans ton bain tu trouves un peu de réconfort,

Il n’y a que ton pommeau de douche qui sait s’occuper de ton corps

 

Et tu voudrais Partir partir avec lui, partir sans peur et sans cris

Partir, avec ton pommeau, mais lui il est vissé au tuyau /

 

Alors tu prends une tenaille tu tentes de le dévisser

Ya du calcaire dans les entrailles, le joint est mort, il est bloqué

Alors tu te mets à cheval sur le rebord De la baignoire

Et c’est là que tu sens comme une lueur d’espoir

 

Ça te laisse un p’tit peu rêveuse/   la matière est miraculeuse

Il en faut peu pour être heureuse quand la paroi est granuleuse

 

Et tu voudrais... Rester telle une amazone

Rester comme sur un podium

Rester sur la porcelaine

Savoir Te donner de l’amour à Toi même

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (41) : Jean-Pierre Vidal

« Elans, interruptions », le titre de la cinquième partie du nouveau livre de Jean-Pierre Vidal pourrait être une bonne entrée pour parler de Passage des embellies, œuvre d’une richesse surprenante, voire heureusement déconcertante. Il y a 7 parties dans ce regroupement de proses méditatives et poétiques.

« Chants bibliques » en est l’ultime, et ce n’est évidemment pas un hasard. La toute dernière phrase nous saisit par sa puissance et sa portée spirituelle profonde :

 

                 C’est le désordre de l’amour qui fait du monde du figement ou de la manducation le lieu pur de la joie grave.

 

Jean-Pierre Vidal, Passage des embellies suivi de Thanks, Arfuyen, 13 €.

Les questions ne manquent pas ici, comme dans la vie ordinaire. Celles qui ont trait à l’amour, à l’autre, sont primordiales. Le silence leur répond souvent. Celui de Jean-Pierre Vidal résonne en nous, comme une vibration de l’âme qui a déjà tout dit et que l’écriture saisit avec une sûreté remarquable.

                     Ne sachant pas si je suis vivant, tu peux faire en cet instant même l’hypothèse de ma mort, accomplie ou prochaine, en tressaillir peut-être dans le fauteuil près de la fenêtre où tu lis le nouveau livre de ***. Ainsi, ne connaissant rien de sa vie, de ses jours, nous habitons chacun la mort de l’autre.

 

Le regard est parfois lui-même en question. On comprend que pour Jean-Pierre Vidal, compagnon de Marie Alloy, il soit inséparable de l’acte de peindre. Regard mystérieusement creusé par le poète, qui assiste à cette transmutation de l’objet devenu « part de l’esprit » :

 

                         On ne regarde rien. Ce sont les objets du monde qui nous « regardent », de toute éternité, leurs grands yeux invisibles nous cherchent et nous obtiennent. Cela me regarde, m’oblige à regarder.

 

Jean-Pierre Vidal aime l’art, et donc le monde des formes. Il écrit : Seule la forme peut donner vie à la parole, et donc à l’existence. Ce qui échappe à la forme est perdu pour la vie. Il n’y a donc, dans la vie, que la forme. La forme est, à vrai dire, la vie. On ne saurait exprimer mieux cet acte de foi dans ce qui élève l’homme et lui fait surmonter le tragique de son destin.

Croire en la création artistique, qu’elle soit picturale ou littéraire, c’est croire en l’éternel. Ce petit morceau d’éternité que nous parvenons à cerner, à sertir de mots et d’images, nous sauve à jamais. Passage des embellies est un haut témoignage de ce que peut rêver et accomplir l’artiste. Dans la première partie du livre, « L’acte éternel » est, à cet égard, une page majeure, où se révèle pleinement la qualité unique de pensée et d’écriture de Jean-Pierre Vidal :

 

                        Il y a dans une vie quelques actes éternels qui échappent à toute morale, à toute chronologie.  Ce sont des gestes, des situations muettes, parfois des  paroles dont la justesse brise, pour un moment  hors du temps, l’infinie théorie des mensonges.

 

Présentation de l’auteur




Alexia Aubert, Je m’efface et autres poèmes

Je m’efface

Passe-temps, passe t’en !
Le temps passe, nous oublie,
La vie brasse du vent.
Le train passe à minuit,
Tu ne montes pas dedans.

Je m’efface, je m’efface,
De ton regard, m’habille.
Je ressasse, je rends grâce,
A ce ballon de nuit.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps chasse, les amours,
O serment de printemps.
Les vents tournent tout autour,
De ce vallon vert d’antan

Je m’efface, je m’efface,
De ton corps me vêtis.
Je me glace, je remplace
Les roses par les buis.

Passe-temps, passe-t’en !
Le temps casse et nous fuit,
Le givre se répand.
L’aile s’étend sur nos vies,
Battant comme un cœur souffrant.

Je retrace
L'allée de nos pas à suivre.
Je me lasse,
Sans toi je ferme le livre
 

Le fruit d’été

Mélancolie
Quai de Seine
Les passants s’y promènent,

Mêlant joli
Baie de peine
L’existant se gangrène,

Mélancolie
Corporelle
L’hiver s’habille de dentelle,

Mêlant folie
Violoncelle
Sentiments accidentels,

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis abusées.

Mélancolie
Meurtrière
Sur le pays des chimères,

Mais l’embolie
Pulmonaire
Sur l’abbaye des colères,

Mélancolie
Paquebot
La traversée du ruisseau,

Mais la polie
Nélombo
Aime-t-elle vivre sous l’eau ?

J’ai l’âme en colline,
Le fruit d’été,
Pensées divines,
Heures habillées,
Puis désabusées.

 

Deux cerfs en partance

Petits châteaux de bohème,
L’effraie des clochers,
La brume de Bargème,
La caverne de Lortet,
Où se miraient Jadis
Deux cerfs en partance…

Le clocher de Palisse,
L’automne d’un poème,
La trace d’un berger,
Le silence d’un « Je t’aime »,
Le Sancy enneigé,
Les roses qui s’ouvrent

Et nous, dans l’idéal.

Les perles de rosée,
Les forêts de rouvres,
Le lac du Bourget,
Les prémisses d’amour,
Les burons perchés,
La main de St Flour

Les chevaux au galop,
La fragrance oubliée,
Le râle de l’eau
Dans son lit débordé,
La lisière des cieux,
Les cénacles passés

Et nous, dans l’idéal.

Les yeux dans les yeux,
La forteresse d’aimer,
Les majuscules immenses
De lettres commencées,
La vraie quintessence
De nos lèvres emmêlées

Et nous, dans l’idéal.

 

Caussols

​Sensible,
Passer
A la montagne. 
Au crible,
Passer
En bas le bagne.

Souffler
Pardon
Sur les lumières. 
Flatter
Le son
Du brame des cerfs.

Sur le plateau,
Sur la colline
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

Le reste,
A penser,
Dans un panier. 
Le zeste,
Insufflé,
D’amour épleuré.

Verser
L’ambiance,
Ne pas avancer.
Aimer
La danse
Dans le vert du pré.

Sur le plateau,
Sur la colline,
Vois, tout là-haut,
L'oubli du spleen,
A Caussols,
A Caussols.

L’auberge
A fermé,
De mars à mai. 
Héberge
La forêt
Nos pas mêlés.

La route
S’est couverte
D’un tapis de neige. 
Le doute
Se prête
A quelques arpèges.

 

Le clair de lune en soi

C'est dans vos pupilles
Que je me suis rencontrée
Pour la première fois.

C'est l'inassouvi,
Tressant parfois l'orée
Aux calanques de vos bras.

Puis bayer aux chimères,
Ouvrir le parapluie,
Adorer sans prétendre,

Regimber tête à terre,
Au col de l'hérésie
Parfilée de maux tendres,

Donner sa langue au chat,
Qu'il retombe sur ses pattes,
Sept vies ne lui suffisent.

Le clair de lune en soi,
Voyez-vous je me tâte,
Sur le gâteau, la cerise.

Vous dire ou ne pas dire,
Repenser mon amour,
A la courtepaille.

Vous fuir ou ne pas fuir,
Recenser les détours
Des Je t'aime en pagaille.

 

Présentation de l’auteur




Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre

Octobre a pour titre un mois, celui qui « a épousé le déclin des vendanges » (page 35). Il ouvre et ponctue plusieurs pages, comme un signe temporel et symbolique. Il marque le rythme et le sens du livre.

Entre la première phrase d’Octobre :

 

Tu dis que le rouge
Attrape les rêves
Et délie les lèvres sombres du doute  (page 9)

 

et la dernière :

 

Sinon plus rien n’existe ainsi que ne fut rien  (page 63)

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, 2020, 63 pages, 10€.

se jouent et se livrent le corps-à-corps, le bouche-à-bouche, le mot-à-mot de deux poètes dont le cheminement amoureux est empreint de lyrisme et de liberté, de souffrance aussi. Il engage la vie, comme tout amour qui voudrait n’être que passion mais se nourrit autant de lumière que de ténèbres.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud gardent mémoire – par et avec les mots – d’une errance sur des chemins qui se croisent, se confondent, se superposent, s’écartent, se coupent. Ils pénètrent les esprits et les corps, traversent les paysages, voilent la « nudité du jour » (page 59) et découvrent « l’obscurité sous l’étole de nuit » (page 63).

Écrire à l’autre, c’est écrire à soi-même.

Publier Octobre, c’est quitter les sentiers de l’intime pour emprunter la grande route qui conduit à la ville où habite un lecteur inconnu trouvant dans ce livre jouissance de la poésie et méditation sur l’amour.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud inventent une relation épistolaire tout en s’inscrivant dans l’héritage d’une tradition de la littérature. Je songe à la correspondance de Simone de Beauvoir et Violette Leduc, à la complicité de Gustave Flaubert et Louise Colet, à la relation déséquilibrée de Guillaume Apollinaire et Louise de Coligny-Châtillon (Lou), à la sublime langue d’Héloïse et Abélard aussi, que je cite avec émotion : « Vous savez, mon bien-aimé, et nul n’ignore tout ce que j’ai perdu en vous » (lettre deuxième d’Héloïse à Abélard, 1133).

Dans Octobre, la fluidité du texte respecte l’équilibre entre deux poètes en miroir qui écrivent avec subtiles variations de vocabulaire et de registres, glissements incertains de la forme et du fond, projections d’images, face au risque – exaltant et dangereux – de plonger dans l’abîme/abyme qui figure et défigure.

La poésie épistolaire de Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud est une composition discontinue de fragments, comme autant d’éclats d’un discours argumentatif avec ses élans de démonstration, de persuasion, son substrat de doute intérieur aussi, qui mine et démine toute tentative d’un sur-jeu narratif.

D’aucuns verraient en l’amour un sujet asséché. A tort, car il est inépuisable. L’amour a cette fonction puissante de mettre toute existence en perspective et en question. Il faut en avoir connu les joies, les transes, les dérives et les blessures pour porter avec justesse la voix de celui-ci. Si Octobre est le fruit d’un dispositif littéraire – les auteurs ne dévoilent rien sur sa genèse, et ils ont raison –, il est aussi, je n’en doute pas, un entremêlement d’expériences vécues, observées ou rêvées. C’est pourquoi lire ce livre, dont la langue est belle, provoque en moi un authentique plaisir.

A la manière de Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux (Éditions du Seuil, 1977), j’esquisserais une liste arbitraire de quelques figures que je décèle dans Octobre : disparition (page 9), divagation (page 16), silence (page 17), oubli (page 27, page 45), passage (page 31), rêve (page 40), incendie (page 61), et bien d’autres encore.

Écrire pour aller.
Écrire pour revenir.
Écrire pour s’en aller enfin.
Il ne reste que la poésie. Car tout poème est un acte d’amour.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Jeanne davy, miroir des femmes du jazz

Jeanne davy photographie depuis des décennies des femmes, mais pas n'importe lesquelles : elle couvre les festivals de jazz et fait des portraits des rares musiciennes qui ont réussi à se faire une place dans ce milieu essentiellement masculin. Elle témoigne au fil des années de l'évolution du parcours de celles qui ont dû s'imposer pour avoir le droit d'exister. 

"Je suis le jazz photographiquement et musicalement depuis 30 ans. Malheureusement force est de constater  qu'on ne voyait pas de femme musicienne, c’était presque exceptionnel. Rares aussi étaient les chanteuses. Il n'y avait que quelques femmes. On avait Dee Dee Bridgewater par exemple (juste interprète), et aussi Carla Bley (musicienne et compositrice) que nous devons considérer comme des cas exceptionnels dans le monde du jazz".

Dee Dee Bridgewater, © Jeanne Davy.

Clara Bley, 2010, © Jeanne Davy.

"Si on était femme on était chanteuse dans le jazz, on n’était pas musicienne et encore moins compositrice." Malgré ces difficultés dues à un sexisme forcené et certainement à un accès peu facilité à la musique pour celles qui autrefois et aujourd'hui encore dans nombre de pays sont destinées à être celles qui gèrent le foyer et élèvent les enfants, quelques rares femmes ont réussi à ouvrir la voie aux autres. 

Parmi celles-ci Clara Bley a réussi à s'imposer dans un univers totalement masculin. Elle a "été ambassadrice dans ce domaine de la création, car c'est une musicienne complète et une compositrice accomplie". Pianiste, compositrice, chef d'orchestre de jazz, c'est une figure importante du Free jazz des années 60. Elle est connue pour son opéra Escalator over the Hill et pour ses compositions reprises par de nombreux artistes. 

Anna Carla Maza, 2016, © Jeanne Davy.

Imany, © Jeanne Davy.

Le sort réservé aux femmes n'était guère plus enviable dans le milieu de la musique classique. Jeanne Davy a travaillé comme photographe d'événements tels que le concours Yehudi Menuhin ou bien le concours Rostropovitch, et a constaté qu'aucune femme ne faisait partie des jurys, encore moins des lauréats. Dans les années 80/90, "on disait les "Maîtres", il n'y avait et il n'y a toujours pas de féminin, ou alors on peut essayer de dire maîtresse, ce qui n'est pas du tout la même chose, c'est tout de suite connoté".

Jeanne Davy a tout de même vu la situation des femmes s'améliorer. A côté de Clara Bley, elle évoque Hélène Labarrière, qui elle aussi a réussi à s'imposer dans le domaine du jazz et de la musique improvisée grâce à son talent. 

Quelques rares musiciennes accomplies ont ouvert la voie, et la photographe constate qu'aujourd'hui on a moins besoin de s’imposer. "Le jazz a rajeuni, il y a des musiciens qui ont travaillé avec des chanteuses et qui connaissent les voix ou les musiciennes actuelles. Il y des ateliers et des écoles et cela n’est plus réservé aux hommes donc dans les années à venir il y aura autant de femmes que d’hommes dans le monde du jazz".

China Moses en 2009, © Jeanne Davy.

"C’est toujours plus difficile pour une femme de se consacrer totalement à la musique. Les contraintes de la vie qui pesaient autrefois sur les femmes restent inchangées, on les cloisonnait dans le rôle de la responsable de la famille et c’était beaucoup plus difficile d’imaginer qu’elle puisse partir en tournée ou même créer".

Les Victoires du jazz, qui sont des récompenses musicales françaises décernées chaque année à des artistes du monde du jazz, couronnent majoritairement des hommes. On peut même dire quasiment que des hommes, excepté pour la section "Artiste ou formation vocale française ou de production française de l'année". Les femmes continuent donc à être admises dans la section "chanteuse". Pour le reste, le prix Franck Ténot, sous catégorie des Victoires du jazz qui distingue la révélation jazz française de l'année, il y a eu Géraldine Laurent en 2008, Anne Paceo en 2011, Sandra Nkaké en 2012, et Arielle Besson en 2015, pour un prix décerné depuis 1996. Que penser de la catégorie "Artiste ou formation instrumentale française de l'année" ? Depuis 1996, une seule femme a été couronnée, deux fois d'ailleurs, et il s'agit de la toute jeune batteuse Anne Paceo.

 

La jeune batteuse de jazz Anne Paceo, France 24.

C'est donc un univers où être femme et musicienne de jazz semble être compliqué. Un domaine où les femmes sont encore très peu nombreuses, reconnaît la trompettiste Airelle Besson, "et souvent, on nous met en avant à travers le fait d’être femmes. C’est difficile pour moi à comprendre et à expliquer. J’étais la seule fille dans la classe de jazz au Conservatoire comme dans les big bands que j’ai intégrés. Et quand j’ai suivi une formation de chef d’orchestre, j’étais encore la seule femme.1

Anne Paceo, © Jeanne Davy.

Arielle Besson, © Jeanne Davy.

Malgré tout Jeanne Davy qui couvre les festivals de Jazz de Junas ou de Vauvert constate que la scène est plus ouverte aux femmes, même si les instances qui régissent certaines récompenses ne suivent pas cette évolution : "Maintenant il y a des femmes jeunes qui s’imposent, il n'y qu'à voir le programme du festivals de jazz de Junas ou de Vauvert. Les dernières scènes en 2019 on permis de belles découvertes et ont offert à pas mal de femmes talentueuses de révéler leur existence".

Isabelle Olivier, © Jeanne Davy.

Yuko Oshima, © Jeanne Davy.

Cette tendance est également celle des festivals de jazz internationaux. Il reste à espérer que ces femmes musiciennes et/ou compositrices soient admises et reconnues partout et par tout le monde, y compris par les instances gestionnaires des prix et récompenses. Il est à souhaiter que la musique soit le seul critère qui préside à ceci, le respect et l'admiration que l'on doit à toute personne homme ou femme qui maîtrise une discipline, la fait sienne et en restitue la quintessence. 

Notes

  1. Où sont les femmes dans le jazz, les Inrockuptibles, https://www.lesinrocks.com/2017/11/29/musique/musique/ou-sont-les-femmes-dans-le-jazz/

Image de une : Sandra Nkaké © Jeanne Davy.

Jeanne Davy est photographe indépendante ce qui lui permet de fréquenter de nombreux festivals de jazz (Paris, Banlieue bleues en Seine-Saint-Denis, Vienne, Montreux, Junas, Vauvert...). Elle accompagnera le batteur Max Roach pendant des années sur ses tournées européennes. Dans le même temps, elle collabore avec la BNF pour la construction des archives du festival d'Avignon (maison jean Vilar). On retrouve également nombre de ses photographies dans la presse et les revues culturelles (Le Comtadin, Calades, Avant-scène théâtre, A Propos...).

Pendant 15 ans elle sera photographe du service culturel du conseil départemental du Gard. Elle couvrira des manifestations culturelles telles que le festival de Barjac, Contes en ballades, les Transes cévenoles, festivals Blues de Bagnols-sur-Cèze... Elle est l'auteure/photographe de la première et de la dernière édition du catalogue des Arts sacrés du Musée de  Pont Saint esprit. Elle participera à de nombreuses expositions collectives mais aussi en tant que véritable artiste elle sera exposée dans de nombreux lieux.