Le Japon des Chroniques du çà et là n°18

Philippe Barrot met le cap vers le Japon pour ce dix-hitième numéro des Chroniques du çà et là. Un volume illustré par les photographies d’Anne Uemura, qui propose « une immersion dans une culture toujours proche de ses traditions ancestrales ».

Effectivement, l'article liminaire du numéro signé Edouard L'Hérisson propose un focus sur le rôle des itako, intermédiaires qui permettent d'entrer en contact avec le monde invisible. Puis suit une entretien avec Corinne Atlan, traductrice et auteure de plusieurs ouvrages et romans sur le Japon. Il y est question de roman japonais, et de l'évolution de celui-ci, panorama historique qui part du roman traditionnel et considère les métamorphoses qui l'ont mené vers la modernité, et vers ce qu'il est devenu aujourd'hui, à travers une approche d'auteurs contemporains, comme Murakami ou Ogawa.

C'est encore vers une analyse qui sous-tend la modernité littéraire japonaise, dont les structures semblent impossible à départir de ce socle ancestral, que nous convie la suite de ce numéro : une note sur l'esthétique japonaise, une analyse du roman policier "Les (r)évolutions de la Littérature criminelle japonaise", de Gérard Peloux, un regard sensible sur la ville d'Ozu, Onomichi, évoquée par Philippe Barrot, un pèlerinage à Kamakura, une séquence sur les sumos de Luc Drian avec de très belles photographies d'YMB, une histoire du manga signée Thomas Maksymowicz...

Chroniques du çà et là n°18, revue trimestrielle, PhB éditions, 2021 143 pages, 14€.

Ces articles consacrés à la thématique du n°18 des Chroniques du çà et là sont accompagnés de deux notes de lecture, une de Philippe Thireau sur le poème de Marilyne Bertoncini La Noyée d'Onagawa, l'autre signée par Makiko Tsuchiya-Matalon qui évoque le poème en prose d'Hishimure Mishiko écrit après la catastrophe du 11 mars. Ces deux poèmes interrogent l'écriture aussi, et cette question qui jalonne toute la littérature, comment écrire l'impossible.

Ce numéro très riche, mène vers la compréhension de cette société japonaise  qui n'a pas renoncé à ses mythes, à ses croyances et à ses traditions, tout entiers perceptibles dans une modernité littéraire qui s'est édifiée sur ce socle ancestral. 




Jean-Pierre Bobillot , Dernières répliques avant la sieste

Jean-Pierre Bobillot nage dans une lueur plus légère que l’eau

Voyage au bout de la lueur, ce recueil de mots, d’étranges morceaux de chairs traduits en mots, engage sur le sentier de la fin déjà advenue. Car la fin n’est jamais finie mais toujours vivante avant la vie. C’est dire que tout est « provisoirement définitif »

Si le poème est noyé dans la page et rêve d’en sortir pour Bernard Heidsieck et Sylvie Nèves, il doit être actionné, agité (fou ?) littéralement, mis en geste, pour Jean-Pierre Bobillot. Pas question d’enfermer le vers dans la page, mais page il y a ! Alors, faisons sortir la page de sa mise en page, appliquons-lui une forme de sénescence avant la lettre et appelons ça la sieste, ou avant la sieste, ce qui est la même chose.

On pourrait penser qu’il y a urgence pour Bobillot à écrire dans le foutoir haletant de Dernières répliques avant la sieste, que cette somme hérétique/poétique est le dernier râle consommé du poète, une sorte de déversoir pour expulser la poésie de l’enfermement du corps qui est une page d’écriture. Urgence ? Ces morceaux courent sur toute une vie (presque) de Bobillot ! Réponse : la vie est une urgence et les temps long et court s’agrègent en un instant. Telle est la façon du trait de plume sur la page, cette invention carcérale.

Jean-Pierre Bobillot, Dernières répliques avant le sieste, Editions Tinbad, 2020.

Dans ces notes sur le risible II et III, la mise en scène de l’exergue, exergue qui est une mise en abîme d’un texte, une tentative de le réduire en un point autant que le grandir, donc, cette mise en scène hurle de plaisir : « La mort est la plus moderne des choses » pour Jean-Pierre Schulh dans Rose poussière ; et encore « Morz, va m’a çaus que d’amors chantent » du sublime moine/mort/Picard, Hélinand de Froidmond (1160-1229 ?) dans Vers la mort.

Pour un poète, cette question lancinante posée sur la langue : comment ordonner la mort (au sens de l’ordination religieuse) et l’ordonnancer au sens littéraire : « S’agit pas d’rater sa rature ! », trouve-t-on page 61 du livre. Le retrait du trait, le retrait du monde semblent bien être la grande manière de manier l’écriture du vide qu’appelle de ses vœux le poète prolixe, qui crève d’écrire encore et encore. Ah !  si seulement tous les poètes pouvaient se nommer un seul. Si ? Il s’appellerait Isidore Ducasse, sûrement (partie 1) ; il souffrirait comme le jeune Werther de Goethe (partie 2). Point, et puis rien. Mieux ainsi vaudrait mourir de rire qu’angoisser la mort : « Les souffrances du jeune Vertèbre » qui a « ni père ni cieu ». L’étrange X a disparu comme pour ouvrir un possible nouveau dans le trou de vers qui doit bien exister quelque part tout près, près de la Voie lactée ? J’imagine.

 Les aphorismes qui rythment la poétique de Bobillot se laissent boire comme une dernière goutte de vie : « Pourquoi des poètes ? L’humanité est faite de plus de mots que de vivants. » ; « Il paraît que je ris 6’ par jour en moyenne, / Bien moins qu’il y a un siècle ! »

Et pour en finir avec la vie malgré les siècles, ce : « Ah !... le derme… » ; eh ! « répondez » (sur la page 55, 114 répondez halètent + un ré poignant ) angoisse le poète à la société de sommation. Allo ! quoi ? qui est au bout du fil hurle Bobillot rassemblant les bouts, comme autant de morceaux de choix sur l’étal du boucher. Que je découpe encore, encore. Et pour finir, cet aveu de taille du poète : « La mise en page [de cet ouvrage] a été spécialement conçue en vue de la présente édition – que l’on peut de ce fait considérer comme provisoirement définitive. » Un livre explose, un livre miné par les mots explosés.

Présentation de l’auteur




Angèle Paoli, Traverses

Voici en vingt poèmes une élégie de la vie confinée. 

Dans une poésie simple, épurée, Angèle Paoli met à jour l’exploration de cette expérience difficile, totalement inédite pour nous tous. Elle le fait par petites touches, de la manière la plus libre et en prenant appui sur les ressources de son imaginaire. D’emblée la métaphore du titre met le lecteur en état d’écoute. Durant ces quelques mois qui vont de l’hiver à novembre suivant, quelque chose a été traversé. Quels mots mettre sur cet étrange vécu, sinon ceux de la poésie ? 

Une temporalité sans repères s’est ouverte pour une subjectivité désorientée :

en ce temps suspendu 

entre un passé qui prend le large

et un futur indiscernable 

Chemins de traverse dans l’espace et le temps à la fois, l’écriture se fait recherche vacillante entre états de veille et rêveries. Entre présent et passé familial.

Angèle Paoli, Traverses, dessin de Sylvie Villaume, Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits éditions. 

La Corse d’aujourd’hui est là avec ses paysages, ses hêtres, ses fleurs sauvages, la beauté du cadre marin. La passion de la solitude et du silence sur fond de crissement des insectes, toujours là. La passion de l’art n’est pas davantage oubliée, à travers un tableau de Lydia Padellec de femme nue à sa fenêtre.

Mais les instantanés se brouillent, se téléscopent. Surgissent la réminiscence d’une visite à Rome ou bien un rêve-souvenir d’enfance évoquant la fierté et l’émoi de sa communion solennelle : 

 

la photo avait été prise sur le Prado 

devant l’immense église  où s’était déroulée

la cérémonie       tu as gardé dans ta mémoire

le souvenir de la longue file blanche qui s’étirait 

silencieuse    tout au long de la nef centrale 

 

Touchantes émotions adolescentes que l’expérience du confinement fait revenir à la mémoire. 

Plus loin dans le recueil, c’est l’assomption du quotidien et du familier qui se joue dans la présence de la chatte Falchetta, la cueillette des oranges ou la promenade au petit pont de Muragellu. Le langage poursuit son inventivité habituelle chez la poète : un mot en langue corse ou en italien côtoie un toponyme latin ou une référence africaine au dieu du fleuve Oubangui évoquant un enfant sur sa planche à voile. C’est dire si Angèle Paoli parle avec ses mots, avec les associations qui lui sont chères. 

La vie pourtant, la poète le ressent vivement, n’est plus la même, l’horizon d’un avenir illisible pèse de tout son poids. Dans la fluidité du flux de conscience, surgit le rappel d’un épisode d’enfance par la sœur de la poète, une morsure de chien qu’elle avait totalement effacée de sa mémoire. Rapportée dans un style enfantin sans majuscule, la mémoire est matière trouée de blancs et s’énonce à la manière de Marguerite Duras :

 

il ne s’est rien passé

à saint victor de réno 

 

Car l’expérience insolite du confinement bouleverse les données habituelles de la conscience, semble faire remonter les lointains de l’existence. Ainsi l’apparition poignante de la mère morte qui, par deux fois, visite les rêves de la poète : « Elle est venue ce matin ». 

Il est aussi frappant de voir se raviver dans ce moment difficile les liens avec la sœur et le frère. On parle des livres lus. Le Hussard sur le toit, précisément, une histoire d’épidémie en Provence. Voici que s’invitent dans le poème un rendez-vous sur écran Skype et l’image adorable du petit-fils « secoué de mouvements browniens ». 

N’est-ce pas aussi notre histoire : 

 

En famille     on resserre les rangs

on s’appelle on se parle on dialogue 

 

Puissant besoin de liens humains à recréer sur lequel Angèle Paoli apporte un regard plein de tendresse. 

La subjectivité de la poète se présente pour nous en miroir : la volontaire confusion entre les pronoms, je, tu, elle permet toutes les identifications qui surviennent au fil de la rêverie.  Ces mouvements de l’être deviennent chambre d’échos de bien des affects négatifs, peur, inquiétude, doutes. Chacun peut s’y reconnaître lorsqu’elle écrit : « la société ? une fourmilière désemparée ».

Quels recours cathartiques à cette situation  sont possibles ? La prière ? On ne sait plus. La réflexion ? Elle semble paralysée par cette vie empêchée et contrainte :

 

tu es incapable de méditer

rien n’est possible

aucune pensée particulière

ne t’arrête ni ne t’accroche 

au passage 

Un lyrisme mélancolique colore tout le recueil et le clôt sur une note de lucidité :

 

 Novembre est là 

[…] le regard divague 

 

Dans son économie de mots, l’aveu final, « tu as vieilli », semble le point d’orgue de cette « traverse » souvent douloureuse. Peu de mots pour dire magnifiquement la fragilité et la finitude de nos vies.

 

Présentation de l’auteur




Apporte-moi tes chants, Ô mer… : notes sur l’oeuvre romanesque de Giuseppe Conte

De Giuseppe Conte, poète ligure né à Porto Maurizio en 1945, le lecteur français connait peut-être davantage les œuvres poétiques que les romans. C’est ainsi que depuis la découverte des recueils disponibles en langue française L’Océan et l’Enfant (1983) et l’anthologie Villa Hanbury & autres poèmes (2002) traduite par Jean-Baptiste Para, j’en suis arrivée à m’intéresser à l’univers romanesque de Giuseppe Conte avec la lecture du Troisième officier (2007) et de La femme adultère (2008). 

Il se pourrait que ces univers soient intimement liés. D’autant qu’au cours de ces années vient s’insérer la publication de Terres du Mythe (1994, « Arcane 17 »).

Le lecteur attentif retrouvera sans doute dans chacun de ces ouvrages ce qui fait la particularité de l’œuvre de Giuseppe Conte et l’originalité de l’univers dans lequel elle prend vie. Univers ancré dans la passion ternaire de la mer, des voyages et des mythes. Cette triple alliance a irrigué continûment lecture et écriture du poète. Ainsi découvre-t-on que les paysages d’Irlande ou d’Écosse ont donné au méditerranéen Giuseppe Conte la possibilité d’aborder aux mythes celtiques et scandinaves et de les accueillir au même titre et avec le même engouement que d’autres grands mythes issus de civilisations disparues. « Le mythe m’est de plus en plus clairement apparu comme étant une forme de connaissance », écrit le poète dans l’introduction de Terres du Mythe. Ainsi après Galway et les îles d’Aran en Irlande, suivent les Orcades d’Écosse et le mythe d’Odin, puis celui d’Aphrodite à Paphos. Viennent ensuite les mythes liés aux dieux de la Haute Égypte, ceux de l’Inde du Sud et enfin ceux des Indiens du Nouveau Mexique.

Voyager a toujours été pour moi l’expérience la plus forte et la plus stimulante, celle se rapprochant le plus du véritable sens de l’amour, symbolisant le mieux le processus mort-renaissance, celle la plus à même de m’entraîner aux frontières de l’invisible et du visible, du fini et de l’infini. Les plus grands livres à mes yeux ont été de véritables voyages… 

De sorte que les livres assument « une fonction irremplaçable ». Celle de « portes, de fenêtres ouvertes sur la connaissance, sur l’essence même de l’univers, mémoire historique, mémoire mythique, Puits de tous les courants, de toutes les mers, cavernes, forêts, herbe et mousse, Menhir, Obélisque et Gratte-ciel […] » Ce n’est pas un hasard si « "liber" est à l’origine "la pellicule entre le bois et l’écorce des arbres"…  (p.21)

Giuseppe Conte est donc aussi ce voyageur immobile que les livres accompagnent. Les siens, bien sûr et ceux des grands auteurs, ses maîtres. D.H. Lawrence, Henry Miller, Ernst Jünger… et les poètes. Le Montale di Ossi di seppia, mais aussi Yeats, Shelley, Blake, Whitman dont Giuseppe Conte a été le traducteur, et tant d’autres encore. Tous ont contribué à pousser le poète ligure vers l’exploration de rivages différents de ceux qui l’ont vu naître et vers lesquels, pourtant, sans cesse il revient. Porto Maurizio, l’éternelle Ithaque de Giuseppe Conte.

Ainsi peut-on lire dans une note du poète à l’édition de 2002 de L’Océan et l’Enfant (in Poesie 1983-2005, Oscar Mondadori, p.79), ces mots qui rendent compte du syncrétisme culturel et philosophique qui irrigue l’œuvre de Giuseppe Conte :

J’étais possédé par l’énergie implacable du chant, du recommencement, de la découverte, des symboles. Tout m’apparaissait comme la métaphore de quelque chose d’autre, à l’infini. Je découvrais que l’archétype éternel de la ville était pour moi Porto Maurizio, la petite cité ligure toute escarpée et hérissée de clochers, demeures et jardins parmi lesquels j’étais né et où j’avais grandi et je la retrouvais tandis que j’admirais les fortifications de Mycènes et de Tirynthe ou bien je m’extasiais de voir les surfaces miroitantes des gratte-ciels de Manhattan se dissoudre en fantasmagories de lumières, de fleurs, de feux sous la pression du couchant. 

À partir de 1980, création romanesque et création poétique vont de pair. Primavera incendiata, son premier roman, voit le jour chez Feltrinelli cette année-là. De 1983 date la publication de L’Océan et l’Enfant dont Italo Calvino souligne l’importance quant aux nouvelles voies poétiques que l’œuvre explore.

Comment situer sur une carte des antécédents et des tendances la présence de ce poète que l’on dirait orgueilleusement solitaire et hors du temps ? » Quant à Jean-Baptiste Para, grand admirateur de l’œuvre de Giuseppe Conte, il souligne dans son introduction à Villa Hanbury & autres poèmes que la poésie du poète ligure « accueille en elle des figures du mythe, comme si les puissances numineuses des Grecs, des Celtes ou des Aztèques étaient des feux que les siècles avaient mal éteints. 

Plongée dans la lecture de Terres du Mythe, je perçois comme une évidence la similitude qui existe entre la figure du poète et le saumon d’Irlande dont il découvre les rituels à Galway. Quel lien le saumon d’Irlande, « animal clé de la science sacrée de l’âme », peut-il avoir avec le poète ? Tout comme les saumons de Galway remontant le cours du fleuve Corrib jusqu’à sa source afin de renouer avec le principe de leur existence, le poète remonte le cours de la Voie de la connaissance ouverte par le mythe. Et d’aller ainsi à la rencontre du Chaos dans lequel s’origine le monde.

À la fascination éprouvée en Irlande (1981) devant « les murailles du château de Dun Aengus » vient s’ajouter la fascination exercée sur le poète par les alignements de Carnac. Laquelle ranime et augmente les souvenirs des îles d’Aran. C’est peut-être son long séjour en Bretagne – de 1987 à 1989, Giuseppe Conte vit et travaille à Saint-Nazaire à la Maison des Écrivains – qui inspirera au poète quelques années plus tard, l’écriture du roman Le Troisième Officier (2002). Roman qui se déroule dans un premier temps sur un voilier.

Ma lecture dans Terres du Mythe du chapitre premier consacré à l’Irlande, me le confirme. Lors d’une randonnée dans le Morbihan (« petite mer » en breton), Giuseppe Conte découvre les sites mégalithiques de Le Ménec et de Kermario, qui font partie des fameux alignements de Carnac.

 Onze rangées de pierres alignées à perte de vue sur un terrain parfaitement plat qu’on dirait labouré par des dents de dragon, selon une absurde et précise géométrie » … « Le secret de cette forêt géométrique a sûrement un rapport avec le soleil. Chaque alignement délimitait peut-être le tracé de pistes magiques qui le guidait peut-être dans sa course, pour que du lever au coucher, il ne s’égare pas. 

L’écrivain se souviendra sans doute de ce moment lorsqu’il rédigera le chapitre premier du Troisième Officier. Voici ce que dit le narrateur, Yann Kerguennec, quelques heures avent d’embarquer sur le Sainte-Anne.

J’étais parti de mon village proche de Carnac, bien décidé à trouver du travail en ville, avec un balluchon que je portais sur l’épaule– je ne me rappelle pas ce qu’il y avait dedans, c’était ma mère qui l’avait préparé. Je me promenais sans but, en attendant, et la ville me paraissait beaucoup plus grande que je ne l’avais imaginée ; la cathédrale était très haute, bien autre chose que les pierres alignées de Carnac, celles qui deviennent petit à petit plus hautes et plus grosses, et qui m’avaient déjà donné l’impression de se tendre vers le ciel avec la prétention, peut-être, de le rejoindre et d’aller toucher le soleil. 

Roman d’aventures maritimes et roman de formation, Le Troisième Officier est aussi un roman d’idées qui se déroule sur fond de vérité historique. Quelle que soit la forme que prend la narration et où que se déroule l’action, sur mer et sur terre, l’idée majeure qui relie les trois parties du récit est celle de la liberté. Lutter contre les injustices, lutter contre l’esclavage, lutter pour que puisse advenir la liberté, telle est la quête poursuivie par Giuseppe Conte dans ce roman qui oppose en combat permanent le Bien et le Mal.

Rien de tel en effet que le huis clos d’un voilier pour voir se profiler le spectre des mutineries ; rien de tel pour des naufragés que la découverte d’une bande de terre pour inventer une utopie dont les contours s’effondreront sous les coups de butoir de la réalité.

Giuseppe Conte remet la narration de son récit entre les mains de Yann Kerguennec. Un demi-siècle s’est écoulé, qui sépare le petit paysan breton – qui embarque à Nantes à bord du Sainte-Anne à la veille de la Révolution, un 3 mai 1789 – du maître-charpentier adulte qui entreprend son récit dans une France sur le point de se soulever :

aujourd’hui 24 février 1848, où j’entends hurler et tirer dans les rues, et Dieu sait ce qui peut arriver… Elle renaît, la liberté et jamais aucun aspirant tyran ne réussira à l’ensevelir

Le roman est une longue rétrospective narrative. Il s’ouvre sur un prologue en italiques. Yann Kerguennec brosse à grands traits l’aventure qu’il lui a été donné de vivre au cours de sa vie. Il conclut cet incipit par ces mots : « Je ne suis pas le personnage central de cette histoire. Ce n’est pas mon histoire que je veux vous raconter. »

« La République Libre d’Aldébaran » tombe dans l’anarchie avant d’être anéantie dans le sang.

S’il est vrai que le mot de liberté est dans toutes les bouches, il est parfois bon de « signaler que la nature humaine, par sottise et cruauté, peut transformer la liberté en crime et en infamie. »

Libertaire et utopiste dans ses romans, Giuseppe Conte peut être défini en poésie comme un antimoderne. La raison de pareil positionnement se trouve explicitée dans Manuele di poesia (1995). Car pour le poète ligure, « la disparition de la poésie des sociétés occidentales ne témoigne pas tant d’une crise de la poésie que d’une pathologie de ces sociétés mêmes. »

Viscéralement attaché à la pensée mythique, Giuseppe Conte n’a d’autre conception poétique que de commercer avec les Muses. Elles lui inspirent une poésie éminemment lyrique. En témoignent ces quelques vers, choisis dans le dernier quatrain du poème « Fidélité à la mer » :

 Apporte-moi les chants, ô mer, fais que je

Trouve tes daims, tes pommes d’argent

Les touffes de bruyère sous le vent

L’abri de lune de ton dieu, Manannan

Mac Lir. 

In L’Océan et l’Enfant, Traduction de Jean-Baptiste Para, Arcane 17, 1989, p.153

Présentation de l’auteur




JORGE VARGAS, LE REGARD QUI PORTE

Le poète, photographe et apprenti-cinéaste mexicain Jorge Vargas, né en 1990, appartient à une génération confrontée depuis le plus jeune âge aux violences endémiques qui ravagent son pays.

Sous la présidence de Felipe Calderón (2006-2012), puis sous celle de Enrique Peña Nieto (2012-2018), sous le couvert d’une lutte de l’État contre les narcotrafiquants, une véritable guerre civile, de fait une immense entreprise criminelle de répression, s’est déroulée aux quatre coins du pays, soldée par des centaines de milliers de morts, assassinés de manière innommable : des personnes enlevées, violées, rançonnées et torturées, dont les corps ont été plongés dans l’acide, découpés, emballés dans des sacs en plastique et jetés dans le courant des rivières ou entassés dans d’immenses fosses communes. Quelques épisodes particulièrement horribles sont bien connus, par exemple celui des étudiants d’Ayotzinapa (26 septembre 2014) : ces étudiants, issus de la ville d’Iguala, se rendaient en bus à une manifestation commémorant justement un massacre, mais ils ont été arrêtés par la police d’Ayotzinapa, mis en garde à vue, puis livrés au cartel des Guerreros Unidos ; le bilan final sera le suivant : 27 blessés, 6 morts et 43 disparus. Face à cette situation, la présidence actuelle, celle d’Andrés Manuel López Obrador, a adopté une politique visant à réduire la misère (notamment par l’investissement démultiplié de l’état dans les services publics) et la corruption (par exemple par la revalorisation des salaires des fonctionnaires), misère et corruption qui sont des terreaux propices à la violence, mais les résultats d’une telle politique ne pourront être vraiment visibles que sur le long terme, d’autant que la crise sanitaire est venue aggraver la situation du pays. Il faut imaginer l’horreur prolongée dans laquelle la population mexicaine a été plongée depuis tant d’années, jour après jour : voir des voisins, des amis, des parents disparaître selon des modes opératoires ignominieux.

Le fondateur des Lettres françaises, Jacques Decour, au moment de l’irrésistible ascension du nazisme écrit : « Je ne crois pas que la tour d’ivoire soit honnête ni même possible en 1931. » Et encore : « Je suis de ceux qui croient que les opinions engagent. » La lignée des artistes résistants au sens le plus précis et urgent du terme, lignée à laquelle Decour appartenait au plus haut point, Jorge Vargas en est indéniablement, avec quelques autres de ses compatriotes. Son regard infaillible prend en charge le malheur et les souffrances de son peuple pour les donner à connaître cristallisés dans le poème, la photographie, la séquence cinématographique, afin que la mémoire des disparus reste vive et que la solidarité nécessaire entre vivants soit maintenue avec force. On pense à ce qu’a écrit René Char au seuil de ses Feuillets d’Hypnos sur « la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela. »

Le prix à payer est parfois le plus fort : Decour a été fusillé par les nazis au Mont-Valérien quelques semaines après avoir fêté ses 32 ans. Souvent, le prix c’est qu’il s’agit de prendre vraiment les armes et de faire silence comme artiste tout en entretenant le feu sacré, comme les notes de Feuillets d’Hypnos en sont le témoignage. Les créateurs hantés par le destin cruel et injuste de leurs frères humains comme peut l’être Jorge Vargas, refusent la tour d’ivoire et sont de plein pied dans les tempêtes de l’histoire contemporaine, avec tous les risques que cela comporte, au point que l’on peut craindre pour eux. Mais leur vie est également en jeu d’une autre façon, parce qu’on n’endosse pas sans en souffrir soi-même les destinées fracassées de tant de semblables. Certes, l’art tend à opérer jusqu’au bout sa fonction cathartique, au nom des victimes et pour le bien de leurs chantres, mais l’empathie est si accueillante aux tragédies qu’elle peut parfois, bouleversée, peser sur l’existence même de l’artiste qui donne à entendre rien moins que le chant puissant des temps obscurs qu’il lui échoit de vivre.

C’est ainsi que Jorge Vargas nous montre, dans des photos de la vie quotidienne, l’existence menacée de ses compatriotes, qu’il filme des documentaires fictionnels révélant l’inouïe violence qui frappe son pays, ou élabore des scénarios de longs-métrages dans lesquels l’histoire tragique dont il est le témoin attentif est entrelacée aux grands récits mythiques des Grecs (Antigone, Électre ou Oreste sont contemporains des héros de tous les jours), ou encore que dans ses poèmes il évoque, invoque et convoque, catabase constante, les martyrs de son temps. Dans ces trois domaines (photographie, cinéma, poésie), on observe une manière aiguë de saisir les choses vues mêlée à de récurrentes transfigurations soudaines, opérées par variations scalaires, qui nous conduisent jusqu’aux parages de ce qu’on peut appeler du sublime, car nous sommes littéralement projetés tout prêt des limites du supportable, juste en-dessous de la tension qui nous ferait basculer dans la folie.

Dans les photos, ce sont souvent des détails qui enclenchent ce processus, ou alors un jeu de perspectives, ou bien une composition décentrée. Sur les écrans, la déconnexion entre la voix off et les plans séquences, la dé-focalisation soudaine ou encore la rigueur du montage remplissent cette fonction. Dans les poèmes, c’est, récurrente, la vieille figure de l’épiphonème (un changement de focale porté par une voix apparemment nouvelle dans le cours des vers, comme surajoutée à l’énonciation) qui ouvre de telles percées vers des hauteurs d’émotions partageables lors de cette étrange communion qui s’instaure entre le poème et ceux qui le lisent ou l’écoutent. On en prendra ici un seul exemple, celui de ces chiens s’approchant d’un cadavre, mais s’éloignant aussitôt en raison de la pestilence, car il est alors dit de ces animaux résolument exemplaires : « Eux qui sont capables de sublimer l’amer/ En avenante vapeur de beauté. » Traduire Jorge Vargas est donc à la fois un honneur et une épreuve singulière, qui vient sans aucun doute enrichir l’expérience du traducteur en lui proposant un cas de figure nouveau : comment faire porter par le français tout ce que l’original espagnol a su prendre sur lui ?

Jorge Vargas, le regard qui porte, cela doit par conséquent s’entendre ainsi : le regard qui porte sur lui la souffrance du monde, le regard qui porte loin cette souffrance, vers la résilience.

Présentation de l’auteur




Ito Naga, Dans notre libre imagination

« Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. » : la formule fulgurante de Friedrich Nietzsche extraite de son opéra philosophique Ainsi parlait Zarathoustra illustre à propos la poésie de l'astrophysicien Ito Naga dans ses livres publiés chez Cheyne éditeur.

Laissant, dans cet opuscule, libre cours à la « libre imagination », le poète chercheur au CNRS, démultiplie les perspectives pour mieux déployer une part de vérité(s) en mouvement comme celui d'un ordre de l'univers qui n'aurait de cesse de s'étendre, d'où l'affirmation d'un angle de savoir personnel lui-même en expansion : « Ce que je sais ne cesse de grandir. » Témoins des multiplications des regards visant à cerner toutes les dimensions d'une réalité si vaste, l'anaphore d'expressions prenant les yeux pour racines : « J'ai vu... », « Quand on regarde... » insiste sur toutes les nuances des glissements de perceptions dont la réalité « ne cesse de grandir » à la croisée de tous ces déplacements de points de vue...

Et puisque nous avons cité parmi les plus poètes des philosophes, Friedrich Nietzsche, rappelons enfin la pensée de ce dernier dans Le Gai Savoir dont le perspectivisme fondateur demeure en partage avec Ito Naga : « J'espère cependant que nous sommes aujourd'hui loin de la ridicule prétention de décréter que notre petit coin est le seul d'où l'on ait le droit d'avoir une perspective. Tout au contraire le monde, pour nous, est redevenu infini, en ce sens que nous ne pouvons pas lui refuser la possibilité de prêter à une infinité d'interprétations. »

Ito Naga, Dans notre libre imagination, collection anniversaire de la maison Cheyne éditeur, 64 pages, 12 euros.

Dans le déploiement de la « libre imagination », la pensée d'Ito Naga, héritière de ce nietzschéisme du « perspectif », glisse d'un thème à l'autre, comme l'on semble passer du coq à l'âne dans un entretien, mais le fil rouge du verbe « grandir » dirige néanmoins l'orientation du saut d'un fragment à l'autre. L'analogie entre la complexification, la densification ainsi que l'affinement de la connaissance et l'apprentissage à la fois de la lecture et de l'écriture révèlent comment la découverte du langage, qu'il soit scientifique ou poétique, implique tout l'être engagé dans cette aventure lui ouvrant des mondes nouveaux aux interprétations infinies, comme lorsque, petit enfant, l'on se heurte à l'inconnu des premiers mots : « Par les mots, on peut voyager dans des paysages ou des villes lointaines, ou de la Terre à la Lune et même plus loin sans se déplacer. C'est curieux ! On n'imagine pas cela quand on commence à apprendre les mots. »

Ainsi verra-t-on le recueil aborder tantôt la vision de la Lune depuis la Terre, tantôt le spectacle de la Terre depuis la Lune, disserter sur les effets de la loi de la gravitation, évoquer les multiples univers dans l'espace, faire un schéma des possibilités de l'amour entre attirances et bifurcations, détailler l'opération mathématique à l’œuvre dans la fabrication des croissants, étudier le nom d'un village du Groenland, relever les changements d'heures dans les cycles du temps, dériver de considérations sur la science en discussions à bâtons rompus, décrire la peinture surréaliste de La Tentation de Saint-Antoine, etc., etc.

Comme si le style même d'une conversation interrompue s'acharnait à rendre perceptible à son lecteur l' « Iro mo ka mo », « la couleur et le parfum », pour reprendre ce que ce titre exprime dans cet autre ouvrage de l'auteur, cette quête de l'insaisissable, de la portée des significations au creuset des synesthésies : « « La couleur et le parfum » dit-on en japonais (iro mo ka mo) pour signifier « l'apparence et la substance ». / Les cinq sens sont-ils vraiment séparés ? Au Japon, on dit qu'on peut voir un goût (aji o miru) ou écouter un parfum (kaori o kiku). / En croisant les sens, ils s'épanouissent davantage. » : agrandissement encore des perspectives ouvertes par les associations de notre imaginaire explorateur du cosmos...

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Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence

Peu de temps après Golgotha, voici que paraît Un Ancien Testament déluge de violence. Diable ! Claude Luezior aurait-il une âme de cistercien ? On ne peut en effet qu’admirer le travail préalable à la rédaction de l’ouvrage : une belle cueillette de citations bibliques. Un travail qui exige une vocation de copiste, au sens médiéval et donc noble du terme.

Certes, il est aisé de se procurer le texte originel dans ce monde de prosélytes. La modernité nous permet même de le télécharger gracieusement au format pdf, ce qui s’avère moins encombrant que les stèles ou les tablettes d’argile. Mais de là à en faire un livre !

Faut-il se rassurer ou s’en inquiéter, Claude Luezior n’utilise pas ce matériau pour nous assener une énième herméneutique, exercice ô combien sérieux. Il commente ces extraits à la façon d’un catéchumène irrévérencieux. Moquer un livre sacré ? Il n’oserait pas !

Et pourtant, si : il ose ! Et ce, dès le début : « Adam fit donc l’amour avec Eve, issue de sa propre côte. // Vous avez dit consanguinité ? » Certains déclencheraient un jihad pour moins que cela. Et ça continue ! Caïn et Abel sont qualifiés de « Dramatique engeance ! ». L’odyssée de l’arche de Noé est vue comme la parade d’une ménagerie déjantée, non comme un sauvetage à dimension universelle. L’abolition par Yahvé en personne de la xénoglossie qui régnait à Babel se révélera une décision néfaste puisqu’elle sera la cause du « Désespoir des potaches du monde entier ».

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, octobre 2020 Librairie-Galerie Racine, Paris, 168 pages.

Et tant d’autres épisodes passés à la moulinette de l’ironie toute socratique de Claude Luezior. A l’instar du philosophe grec, en effet, il feint l’ignorance pour mieux démontrer l’inanité des arguments des auteurs de l’Ancien Testament. Auteurs que l’on ne connaît pas, d’ailleurs, mis à part Moïse, si on admet son existence. Notre pseudo-exégète farceur profite de cette aubaine pour produire des « Lignes apocryphes ». Par exemple, concernant les animaux de l’arche : « Bien entendu, les girafes, toujours un peu guindées, se plaignirent d’un torticolis ».

Cependant, au fil des pages, perce une forme d’indignation face à certains diktats de Yahvé. Ainsi à propos de la destruction de Sodome et Gomorrhe : « Le Très-Haut et ses émissaires prétendirent qu’il n’y avait en ces villes pas un seul juste. // Et les enfants ? // Et les bébés ? ». Cette indignation s’amplifie jusqu’à devenir sidération lorsqu’il envisage les holocaustes préconisés par Dieu. Moïse, David, le roi Salomon sont tour à tour évoqués, non comme des héros antiques mais comme des monstres assoiffés de sang. Ainsi, Moïse se voit qualifié d’« exterminateur », et pour cause : «Moïse les envoya en campagne […] Ils combattirent contre Madiân, selon ce qu’avait commandé Yahvé et ils tuèrent tous les mâles […] Ils brûlèrent par le feu toutes les villes ». Face à David, il ne fait pas bon être Araméen, Philistin, Edomite, ou Moabite, toutes peuplades vouées au massacre ou à l’esclavage. Quant au roi Salomon, il avait en plus le sens des affaires. Pour bâtir son temple, il inventa la main d’œuvre bon marché : « ceux que les fils d’Israël n’avaient pas exterminés, Salomon les leva pour la corvée ».

Et lorsqu’ils ne s’entre-tuaient pas, ces braves gens, à quoi passaient-ils donc leur temps ? Hélas ! Les mœurs à la cour ne sont pas en reste. Histoires d’incestes, orgies, empoisonnements, etc. « Une société phallocrate » qui plus est, comme le rappelle l’auteur en citant Ecclésiaste : « Et je trouve la femme plus amère que la mort, parce qu’elle est un piège, son cœur est un filet, et ses bras sont des liens ». Mesdames, vous apprécierez !

Doit-on insister sur les horribles pandémies que s’acharne à déverser le ciel sur la terre : « On était dans les jours de la moisson des blés, quand Yahvé envoya la peste en Israël […] et il mourut soixante-dix mille hommes ». Pas mal, vue la densité de la population à l’époque !

En achevant cette lecture parfois drolatique, souvent effarée, on peut se demander pourquoi toute une civilisation se réclame de cet Ancien Testament, un texte aux accents barbares, effectivement déluge de violence. Comme si le mal s’avérait être une dimension sinon nécessaire de l’humanité, du moins inévitable. Cette question du mal obsède les philosophes depuis toujours — à juste titre. Comprendre pourquoi un pays aussi riche de culture que l’Allemagne ait pu se faire nazie. Etablir un parallèle entre le sort des villes de Sodome et de Gomorrhe et celui d’Hiroshima et de Nagasaki. Dans sa conclusion, l’auteur se pose lui aussi cette question du mal, composant de la nature humaine : « L’Ancien Testament […] décrit un Yahvé violent et jaloux qui façonne nos délires. Nous a-t-il fait à son image ou l’avons-nous plutôt fait à la nôtre ? ».

Claude Luezior, d’une plume inspirée et insolente, indignée et rebelle, par sa pensée que l’on devine profondément humaniste, nous invite à réfléchir à cette grande question. Et si le salut du monde passait par l’amour, la compassion, l’universelle empathie ? semble-t-il suggérer. Mais ceci est une autre histoire, qui se nomme : Le Nouveau Testament.

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Philippe Madral et Alain Nahum, Swing

Philippe Madral et Alain Nahum connaissent et aiment le jazz. Dans leur petit livre Swing, édité par Chantal Giraud Cauchy, ils le montrent avec originalité.

Même si l’image de couverture est rectangulaire (comme le livre lui-même), on veut bien croire Alain Nahum lorsqu’il écrit que le format carré, celui des photographies intérieures, semble « mieux approprié à l’espace du jazz » (page 7) et offre une « grande liberté de composition » (idem). Ses photographies, « images mentales » (idem), deviennent, par un jeu de superposition et de composition, des collages mystérieux dans lesquels le jazz est exprimé de façon graphique et sensible, figurative aussi : ici la trompette de Chet Baker (page 29), là le piano de Bud Powell (page 37) ou le visage de Billie Holiday (pages 21, 22 et 23). Les images d’Alain Nahum ne relèvent pas de l’artifice, elles donnent à voir avec sincérité ce qu’il ressent dans et avec le jazz, qui est « pulsion », « liberté d’improvisation » (page 7). Il cherche aussi et surtout à construire un dialogue avec les poèmes de Philippe Madral.

Celui-ci recueille les « bribes de phrases », les « alliances de sonorités » (page 5) qui surgissent en lui et « frappent avec insistance à [sa] porte » (idem) lorsqu’il écoute les « géants du jazz » (idem), expression convenue pour qualifier les plus célèbres figures du jazz étatsunien au milieu du siècle dernier, majoritairement des hommes – car l’histoire de la musique, comme celle de l’art en général, est pesamment masculine au XXe siècle.

Philippe Madral et Alain Nahum, Swing, Éditions Ségust, collection Zaïn, 2020, 15 €, ISBN : 978-2-901145-05-9.

Doit-on croire Philippe Madral quand il affirme, dans son « Entrée de jeu » (pages 5 et 6), que pour lui « la poésie est une langue étrangère », et le jazz tout autant ? L’écriture claire de Swing, avec des éclats de mots et de sons, permet d’en douter : « La rue comme un trombone à coulisse » (page 16), « La musique pourrit debout/Mais ton saxo Bird/La renverse » (page 11)... Ses poèmes, qu’il écrit comme une sorte de transcription d’éléments offerts par des musiciens familiers (d’où, sans doute, l’usage systématique de leur seul prénom), sont composés avec subtilité.

Swing, qui fait appel, comme tout livre imprimé, au visuel (et un peu au toucher du papier), stimule pourtant le sens de l’ouïe grâce à ce que j’appellerais une forme musicaliste en noir et blanc, dont les accents rythmiques syncopés, ici devenus verbe et signe, sont propres au goût qui anime les deux auteurs. Swing ? Ce balancement rythmique et sonore, si caractéristique du jazz, est presque impossible à expliquer. Mais une définition est-elle nécessaire ? Il suffit pour l’entendre (dans les deux acceptions du terme) de lire les poèmes de Philippe Madral, de regarder les photographies d’Alain Nahum, en écoutant jouer John Coltrane.

Si je n’adhère pas à tous les choix poétiques et plastiques des deux auteurs, dont quelques images m’échappent (comme : « Jusqu’à présent personne/N’avait réussi/A faire entrer un rond/Dans un carré/Ni un carré dans un rond », page 40, qui semble oublier les Carrés avec cercles concentriques de Vassily Kandinsky en 1913, un peintre considérant la musique comme essentielle dans son travail), j’apprécie néanmoins leur travail passionné.

De la première phrase énigmatique qui ouvre le recueil, « Douce ton épée perce l’œuf » (« All the things you are », poème consacré à Charlie Parker, page 11), à la photographie qui le clôt (« ‘Round midnight », avec un poème consacré à Thelonious Monk, pages 42 et 43), se déploie une partition cohérente, écrite avec des sensations fugitives. Hommage intimiste rendu à des musiciens disparus mais inoubliés, Swing diffuse une certaine mélancolie teintée de nostalgie.

Le recueil comprend douze poèmes qui pourraient être comme les douze mesures d’une grille de jazz ou de blues, voire les douze titres d’un album idéal. Dans le livre de Philippe Madral et Alain Nahum, l’énergie du jazz donne du rythme à la poésie et la photographie. Le lire invite à poser sur la platine, un à un, les 33 tours de Miles, Charlie, John, Billie, Nina et les autres, pour se laisser emporter, encore et encore, par le swing.

Présentation de l’auteur

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La poésie ekphrastique d’hier et d’aujourd’hui

L'un des aspects les plus intéressants de la poésie d'aujourd'hui est la poésie ekphrastique.

Le terme "ekphrastique" provient d'une expression grecque de description. Selon l'Oxford Classic Dictionary, l'ekphrasis est une description littéraire étendue et détaillée de tout objet, réel ou imaginaire.

Dans l'antiquité, l'une des premières formes d'ekphrasis se trouve dans "L'Iliade", lorsqu'Homère fournit un long récit des scènes détaillées gravées sur le bouclier d'Achille.  Dans la littérature grecque, la relation entre l'art et la poésie a été examinée par Simonide de Kéos (vers 556 - 468 av. J.-C.) qui a déclaré :

Η ζωγραφική είναι ποίηση που σιωπά -  La peinture est une poésie silencieuse

Dans la littérature latine, Horace (65 - 8 av. J.-C.) disait "Ut pictura poesis" signifiant "Comme la peinture, la poésie est aussi" (Ars Poetica).  Et Léonard de Vinci, dans "Un traité de peinture", déclare : "La peinture est une poésie qui est vue plutôt que ressentie, et la poésie est une peinture qui est ressentie plutôt que vue".

La poésie ekphrastique a particulièrement prospéré à l'époque romantique ; un exemple notable est "Ode à une urne grecque" de John Keats. 

Le Bouclier d'Achille, utilisé dans sa bataille avec Hector, alamyimages.fr.

Ce poème est la description d'une pièce de poterie que le poète considère comme très évocatrice. Il formule une hypothèse sur l'identité des amoureux qui semblent jouer de la musique et danser, figés dans un mouvement perpétuel. 

D'autres exemples du genre étaient courants au XIXe et au XXe siècle. Rappelons deux particulièrement significatifs :  le poème "Before the Mirror" d'Algernon Charles Swinburne qui reprend la "Symphonie en blanc, n° 2" de James Abbott McNeill Whistler et le volume de Claude Esteban "Soleil dans une pièce vide", inspiré des peintures d'Edward Hopper.

 Mais ce n'est qu'en 2007 qu'un véritable mouvement artistique littéraire appelé Immagine & Poesia a été fondé par la poétesse Aeronwy Thomas, (fille du poète Dylan Thomas) avec quatre autres membres fondateurs (Gianpiero Actis, Lidia Chiarelli, Silvana Gatti et Sandrina Piras) qui croyaient que le pouvoir de l'écrit et le pouvoir de l'image visuelle, une fois réunis, créeraient une nouvelle œuvre non seulement plus grande que les parties, mais aussi modifiée, améliorée, changée et magnifiée par l'union. Sur la scène du théâtre Alfa à Turin, en Italie, le Manifeste du Mouvement  Immagine & Poesia a été lu devant le public le 9 novembre 2007, à l'issue des célébrations du Festival Dylan Thomas de cette année-là.

En quelques années, Immagine & Poesia s'est rapidement répandu via le web où sont publiées les collaborations entre artistes et poètes, ainsi qu'à travers des expositions internationales. Aujourd'hui, le Manifeste d'Immagine & Poesia est traduit en trente langues et le mouvement comprend des centaines d'artistes et de poètes du monde entier.

Depuis 2014, le livre électronique annuel d'Immagine & Poesia est publié par l'éditrice canadienne Huguette Bertrand et la présidente du Mouvement Lidia Chiarelli. Chaque année, l'e-book comprend de nombreuses contributions ekphrastiques de différents pays. Les œuvres du poète-éditeur de la Beat Generation, Lawrence Ferlinghetti, et de l'artiste américaine Agneta Falk Hirschman font partie des cinq dernières éditions.  Un journal en ligne entièrement consacré à l'écriture inspirée par les arts visuels est The Ekphrastic Review, fondé par l'artiste et écrivain canadienne Lorette C. Luzajic.

Le Mouvement Immagine & Poésie a particulièrement évolué ces dernières années en véhiculant un message de paix, de fraternité, de respect mutuel et de coopération entre des écrivains et des artistes appartenant à des pays et des cultures différentes.

D'autre part - sur un plan purement esthétique - la poésie ekphrastique a donné une impulsion au développement de la "beauté" : de beaux poèmes combinés à de belles images, adoptant presque comme devise les mots que Fiodor Dostoïevski attribue au prince Myškin :

 La beauté sauvera le monde

John Keats: 'Ode on a Grecian Urn', lu par Matthew Coulton.

Image de une : Keats, Urn.




ESTEBAN MOORE : L’IMPOSSIBLE TEMPS RETROUVÉ

Le recueil “Las promesas del día y otros poemas”,  du prestigieux auteur argentin Esteban Moore, se lit comme un récit de voyage très particulier. En l'occurrence, un voyage de retour vers son pays natal. Le recueil débute par le poème qui lui donne son titre: il s'agit d'un réveil urbain dans une réalité monotone et désenchantée.

L'atmosphère sensorielle -odeurs, sons, visions- est pesante et établit d'emblée un climat gris et pessimiste. Quelles seront donc les promesses du jour ?

Après ce premier poème en guise d'introduction, Perspectivas montre l'arrivée en avion à Buenos Aires, qui est marquée par la distanciation: alors que d'autres passagers admirent la ville et évoquent “sa vocation européenne”, le poète rappelle l'“obscure profondeur de (la) vacuité” qui entoure la capitale.  Mais puisque tout est, en effet, question de perspective, le dernier vers laisse -peut-être- la porte ouverte vers un « pur espoir », que l'on va retrouver à plusieurs reprises dans les différents poèmes du livre, au ton plutôt narratif, écrits dans une forme libre par la versification et la ponctuation, traduisant ainsi une spontanéité apparente mais qui révèle toute la force d'une poésie réflexive et profondément vivante.

Esteban Moore, Les promesses du jour.

La lecture nous conduit souvent à travers cette dialectique urbaine : la métropole est en général considérée comme une menace (« la mégalopole, lente, constante, a dévoré le quartier »  ou, plus loin « une ville qui dévore nos rêves ») car elle défigure le présent et trouble les souvenirs du poète ; la ville transforme le passé, auquel on ne peut plus se raccrocher. La nostalgie du passé sera dès lors très présente, par exemple dans le poème « Los amantes », où le poète nous parle des retrouvailles entre deux personnes que la distance a éloignées et qui essayent, grâce aux mots, de sauver de l'oubli la douceur de leur jeunesse perdue.

La ville, elle, semble s'écrouler, nous entraîne dans sa chute et provoque un désarroi profond, notamment quand Moore insiste sur la description d'une société éloignée de la nature et de la lumière. Ce sont les vastes paysages de la campagne qui donnent, littéralement, de l'air à la réflexion poétique, même si ces décors sont loin d'être idylliques et rappellent à l'auteur la fragilité de l'existence. (« Les fleurs blanches / qui tremblent sous le ciel / absorbent la lumière »).

Comme une parenthèse dans le recueil, un poème rend hommage à son compatriote Leopoldo Lugones et évoque, dans un profond pessimisme, le suicide de ce poète en 1938, en buvant un mélange de cyanure et de whisky.

Mais on peut bel et bien ne pas être déçu par ce que les jours nous promettent : les touches d'espoir sont bel et bien présentes et trouvent un ancrage très concret, essentiellement sensoriel, voire sensuel: le paysage, les odeurs, les fleurs, la présence d'une jeune fille, ou... un fauteuil, ce qui nous fait à penser aux « merveilles concrètes » de l'espagnol Jorge Guillén, et plus particulièrement à son poème Beato sillón (« sillón » signifiant donc « fauteuil »), où la présence de cet objet avait un sens en soi et où l'on pouvait lire aussi que les yeux « ne voient pas, ils savent » . Des objets qui prennent à chaque fois une grande importance, comme cette rondelle qui est à l'origine d'un long poème autour des souvenirs et des expériences vécues, comme si cet ancrage dans la réalité était indispensable pour retrouver le sens du temps qui ne reviendra plus.

Le recueil se nourrit donc d'instantanées qui illustrent la dialectique de l'existence:  prenons l'exemple de certaines maisons qui ont subi la force des éléments et qui témoignent d'un présent instable ainsi que d'un passé incertain, mais qui hébergent tout de même « une petite fille qui brosse patiemment ses longs cheveux ».

Mais l'harmonie sera toujours passagère ; elle est créée, comme on vient de l'indiquer, par la vision d'une jeune fille qui passe dans la rue. Le bonheur, la grâce du personnage semblent d'abord incompris par l'observateur, mais d'autres textes du livre, en prose cette fois (Ella, Esa mujer), nous montrent comment le regard et les sens se libèrent quand le poète retourne dans certains lieux pour trouver un refuge où va se révéler l'intensité des rencontres. Ces lieux clos -un petit appartement, par exemple- laissent « dehors les sons du monde, les rumeurs de la ville, les insidieux regards ».

Le point de départ des questions posées dans ce livre est, justement, le regard que l'on porte sur les choses. Loin d'être un voyeur passif, le je poétique se présente à nous pour mener une recherche existentielle intense à travers les mots. Par ailleurs, les souvenirs se mélangent parfois avec les rêves, comme dans le poème qui s'intitule, justement, « Sueños » (Rêves), où résonnent des échos du romancier mexicain Juan Rulfo car les morts et les vivants semblent cohabiter dans une quête de vérité.

On peut aussi faire allusion dans ce retour au pays aux réunions entre amis, qui décrivent des tranches de vie où l'on évoque le partage du typique asado argentin et où le nom de Carlos Gardel, prononcé avec une « ferveur emphatique » semble être un hommage à la mémoire collective.

Las promesas del día y otros poemas” est un travail sur la mémoire et sur le sens de la poésie et le pouvoir des mots. Le livre nous fait également réfléchir sur notre place dans le monde, et sur la valeur, toute relative, du « retour aux sources », qui ne nous garantit pas une quelconque stabilité mais, au contraire, laisse la porte ouverte à toute une série de questions à travers lesquelles nous pouvons nous demander, comme fait le poète, quelle est la promesse cachée dans chaque journée.

 

 

Esteban Moore lit ses poèmes au festival international de poésie, au Teatro el Círculo Rosario, Argentine.

Les promesses du jour

 

La ville se réveille sous les accords monotones

            /d'une musique mécanique, moteurs et métal

                                   en mouvement

Le soleil éclaire le firmament trouble – sa vaste palette de gris

les formations vaporeuses de combustible brûlé

l'air fétide, aigre, acide

                        est accompagné

par la fumée sombre des décharges à ciel ouvert en feu

                                                           /qui flotte létale au sud

 

La radio, entre des chanteurs latinos / rock banlieusard

                        et cumbia

des critiques travestis, histoires de sexe, secrets d'alcôve, drogue, crimes,

la vie intime des joueurs de football

            les implants mammaires

                        des vedettes – les botineras[1] – les starlettes de service,

transmet les dernières nouvelles -arguments politiques-visions du monde

cuites en leur propre intérêt dans la cuisine

                                   / des « savoirs conventionnels » -q.v : J.K Galbraith-

conçues par les propriétaires des vies et des biens

qui tendent les fils qui guident leurs marionnettes parlantes

 

La ville se rend déjà à la solitude de la foule,

dans les rues -restes de nourriture

                                   -bouteilles

                                   -ordures

l'odeur pénétrante de l'urine, de la merde

                                                           /tellement humaines

 

 

 

 

Las promesas del día

 

La ciudad despierta a los monótonos acordes

                      /de una música mecánica, motores y metal

                                                    en movimiento

El sol ilumina el firmamento turbio -su dilatada  paleta de grises

 las vaporosas formaciones de combustible quemado

el aire fétido, agrio, ácido

                                se acompaña

del humo oscuro de los incendiados basurales a cielo abierto  

                                                               /que flota letal desde el sur

 

La radio entre cantantes latinos / rock chabón

                               y cumbia

críticos travestidos, historias de sexo,  secretos de alcoba, drogas, crímenes,

la vida íntima de los jugadores de fútbol

                   los implantes mamarios

                              de las vedettes  -las botineras --las estrellitas de turno

transmite las últimas noticias -argumentos políticos–visiones del mundo

horneadas  en beneficio propio en la cocina

                                          /de los ‘saberes convencionales’ –q.v.:J.K. Galbraith-

concebidas por los propietarios de vidas y hacienda

quienes  tensan los hilos que guían a sus marionetas parlantes

 

La ciudad ya se entrega a la soledad de la multitud,

en las calles -restos de comida

                                     -botellas

                                     -basura

el  penetrante olor de la orina, de la mierda

                                                                  /tan humanas

 

* * *

 

Perspectives

 

« ...une mer de verre mêlée de feu... »

            Apocalypse 15,2

 

Tu pourras écouter ---pendant que le commandant entame

la descente annoncée 

les mots du passager assis près du hublot

qui, tout en observant depuis les hauteurs les lumières de la ville

commente à haute voix

la ferme vocation européenne qui y habite

                        /il souligne son importance pour le monde

 

Il décrit avec profusion de détails

les particularités de certains endroits

                        /bâtiments et monuments qui la caractérisent

 

Il indique leur placement sur la plaine indéchiffrable

                        /semée de grappes serrées de lumière

Magique -verrerie électrisée -qui scintille dans la nuit noire

                                   /au rythme d'allez savoir quelles musiques

dans cet océan d'ombres et de brumes qui amplifie

                                   /la sombre profondeur de sa vacuité

 

La voix aux prétentions élevées

de cet interprète improvisé de ta ville

se mélange avec tes pensées et

….................................................tes souvenirs

 

La sienne n'est ni ne sera ta ville

celle qui s'étend incontrôlable -traînée par les désirs d'un grand nombre

dans les régions encore nues du pur espoir

 

 

 

Perspectivas

 

                                                  "…un mar de cristal mezclado con fuego…" 

                                                             Apocalipsis  15.2

 

Podrás escuchar----al tiempo que el comandante inicia

la anunciada maniobra de descenso

las palabras del pasajero ubicado en la ventanilla

quien observando desde la altura las luces de la ciudad

comenta a viva voz

la decidida vocación europea que la habita

                           /destaca su relevancia para el mundo

Describe con abundancia de detalles

las particularidades de algunos de los lugares

                         /edificios y monumentos que la caracterizan

 

Señala su ubicación en la indescifrable llanura

                     /sembrada de apretados racimos de luz

Mágica -electrizada cristalería -que titila en la noche cerrada

                                     /al compás de vayan a saber qué ritmos  

en ese océano de sombras y brumas que magnifica

                                     /la oscura profundidad de su vacío

 

La voz alta en pretensiones

de este improvisado intérprete de tu ciudad

se mezcla con tus pensamientos y

.................................................... recuerdos

La suya no es o será tu ciudad

esta que se expande incontrolable -arrastrada del anhelo de muchos

en las aún desnudas regiones de la pura esperanza

 

 * * *

 

Notes sur un week-end dans la campagne

 

 

Nuit

La nuit noire

a sa lune blanche

pâle; froide.

 

 

Aube

Le ciel sombre

promet par sa couleur

l'eau et la grêle

 

 

Midi

Les fleurs blanches

qui tremblent sous le ciel

absorbent la lumière

 

 

Soir

Les coups de queue soudains du brouhaha font frémir la joncheraie

troublent les eaux tièdes et peu profondes de la lagune

on n'entendra plus l'âpre -rauque chant de la grenouille

les ramiers qui s'éloignent en battant leurs ailes avec désespoir

                        /annoncent la présence des rapaces

 

 

 

Notas de un fin de semana en el campo

 

Noche

 

La noche negra

tiene su luna blanca

pálida; fría

 

 

Amanecer

 

El cielo oscuro

promete de su color

aguas, granizo

 

Mediodia

 

Las flores blancas

temblando bajo el cielo

absorben la luz

 

Atardecer

 

Los repentinos coletazos de la tararira estremecen el juncal

enturbian las aguas bajas y tibias de la laguna

ya no se escuchará el áspero -bronco canto de la rana

las torcazas que se alejan batiendo sus alas con desesperación   

                                              /anuncian la presencia del ave rapaz

 

 

Note

1. On appelle « botineras » les femmes qui sortent ou qui ont des liaisons avec des footballeurs