Margutte, non rivista di poesia on line

photo : Rinuccia Marabotto 

Malgré le titre, le nom des Rédacteurs, Gabriella Mongardi, Silvia Pio, et la ville d'origine (Mondovi), la revue "Margutte" accueille des textes en français, anglais, espagnol, et allemand. Elle est née comme un site ouvert à toutes les formes d'expression artistique, aussi bien les plus classiques comme la littérature, la musique, le théâtre et les arts visuels, que les arts plus modernes comme le cinéma, la bande dessinée et les jeux vidéo. Elle  s'ouvre au plus haut point aux contenus d'autres zones géographiques, avec l'ambition de devenir un moyen, à sa petite manière, d'élargir au maximum les horizons.  

Le site peut prévoir, à la fois la présentation d'œuvres originales et d'articles de critique et d'analyse des différentes formes d'art elles-mêmes, avec une attention particulière portée aux formes artistiques-littéraires expérimentales privilégiées par l'outil numérique. La revue annonce également que dans la mesure du possible, les meilleurs contenus de Margutte seront transposés sous forme papier dans une publication à caractère épisodique. 

Pourquoi "Margutte" comme titre d'une revue en ligne?

 

Margutte est un géant nain, écuyer de la "Morgante" de Luigi Pulci, un écrivain du cercle des Médicis, qui a composé l'œuvre en 1478 et a commencé avec elle la tradition de la Renaissance italienne du poème héroïque-comique.  Margutte est au service du paladin par excellence, Orlando – notre Roland. Les deux recueils où il apparaît, imprimés à l'époque aussi indépendamment, probablement sous forme de feuilles volantes, prennent le nom de "Marguttino".

La référence à la figure de "Margutte" se veut une référence aux valeurs de la Renaissance telles que la centralité de l'homme et l'aspiration à l'utopie sous ses diverses formes hautes et basses, entre la Nouvelle Atlantide et la terre de Cuccagna, d'Erewhon à la contre-culture sous ses diverses formes. "Margutte" est née à Mondovì; un centre apparemment mineur, mais qui avait une noble tradition dans l'art de l'imprimerie à la Renaissance, à l'origine de l'une des premières (sinon la première) traditions du livre illustré typographique. L'un des pôles de cette « autre » Renaissance à valoriser et à redécouvrir, enquêtant sur une tradition de contre-culture. Et en s'ouvrant largement aux contenus d'autres zones géographiques, pour devenir un moyen, à sa petite manière, d'élargir au maximum les horizons.

Logo conçu par Damiano Gentili

Le site est divisé en rubriques : 

La valise d'Hermès, sous l'égide de ce dieu, est une partie consacrée aux essais et à la critique littéraire soulignant inspection approfondie d'un texte, sans parler de l'importance de l'hermétisme dans la littérature italienne. 

La voix de Calliopée présente la poésie, le règne de Clio  les récits, le pentagramme d'Orphée est dédié à la musique, et les chambres de Chronos à l'histoire et l'utopie.En particulier, Margutte veut s'intéresser au domaine de l'utopie, de son épanouissement de la Renaissance au débat contemporain. En cela, Cronos évoque aussi les "Royaumes de Saturne", son pendant latin, que les Romains voulaient être le maître d'un âge d'or dont ils attendaient avec impatience le retour. 

On trouve l'art, le théâtre, le cinéma ; la BD, les jeux vidéos... dans l'ambroisie de Dyonisos, les textes expérimentaux et les récits de voyage dans  Les distractions platoniciennes , titre paradoxal dont la rédaction explique le choix  :  

« pourquoi « platonicien » ? En partie, avec un peu d'ironie, c'est vrai pour « utopique », … l'utopie est une caractéristique importante de Margutte. Mais, bien sûr, la référence à Platon est une référence que nous avons voulu inclure comme référence au Monde des Idées, cet espace virtuel hyperuranien que, d'une certaine manière, le web est en train de réaliser. 

Enfin, La vitrine de Margutte , née en 2018, la rubrique accueille chaque mois un article sélectionné par la rédaction parmi ceux déjà publiés, pour lui redonner de la visibilité,  « non concorso », inaugurée en 2020, rassemble les différentes éditions annuelles du "Non-concours" et « progetto Alberro » est l'espace destiné à accueillir tous les articles de l'"Arbre à Projets" publiés à partir de 2017. 

Vivante, variée, ouverte et accueillante , Recours au poème ne peut qu'inciter ses lecteurs à visiter les pages de cette revue, et d'y participer !




Madeleine Bernard, La songeuse de l’invisible

Cette biographie s’ouvre sur un beau portrait de Madeleine Bernard, sœur du peintre Emile Bernard, pris en 1882. Que tient-elle dans sa main droite ? On pourrait y voir un chapelet de « roses » … et c’est alors que ce portrait fait écho à un portrait de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, cette autre « songeuse de l’invisible ».

Ce parallèle se fait vibrant, quand on sait que, elle aussi a eu une vie fulgurante et très brève. Toutes les deux mortes à 24 ans de la même maladie, la tuberculose, Thérèse en 1897 deux ans après Madeleine ! Elles ont toutes les deux rendez-vous avec la Beauté, et sont portées par une soif d’absolu. Elles vivent à une époque où la quête de l’invisible, de la lumière traverse la société et habite ainsi la création artistique.

Dès les premières pages, Marie-Hélène Prouteau décrit le tableau d’Emile Bernard, Madeleine au bois d’amour : « Sous la trame ajourée des arbres, la rivière est là. Madeleine plongée dans sa rêverie, semble accueillir sa clarté. Elle offre son beau visage à ses extases de lumière ». Et plus loin, cette phrase qui ouvre la porte à cette biographie, qualifiant Madeleine de « muse moderne tout en étant dans la jouissance claire des mystiques. ». Elle sera bien muse, au sens étymologique du terme, comme l’une de ces muses qui dotent de sa qualité de poète Hésiode et le chargent d’une mission sacrée. Pour Marie-Hélène Prouteau, Madeleine est une muse qui accompagne son frère le peintre dans sa mission créatrice. Elle est la messagère et est à la genèse de cette œuvre. Qui, de Marie-Hélène Prouteau ou de Madeleine, nous fait entrer dans cette expérience intime de la rencontre avec une œuvre d’art ? Marie-Hélène Prouteau sait que l’artiste, parfois est « un voyant qui devine et révèle des choses à l’insu du modèle comme du peintre. »

Madeleine Bernard La songeuse de l’invisible ed Hermann

Marie-Hélène Prouteau s’inscrit dans cette belle lignée des écrivains critiques d’art. Elle est le regard de Madeleine qui voit naître une œuvre et fait de ses descriptions une critique subjective, comme celle de Diderot regardant les toiles de Jean Siméon Chardin ou de Marcel Proust rendant hommage aux nymphéas de Claude Monet.

L’œuvre est le miroir de l’être profond et mystérieux du peintre et le tableau éternise ce qu’il donne à voir. L’auteure nous entraîne avec Emile et Madeleine à découvrir ce que disait Alfred de Musset :« L’exécution d’une œuvre d’art est une lutte contre la réalité ; c’est le chemin par où l’artiste conduit les hommes jusqu’au sanctuaire de la pensée. Plus le chemin est vaste, simple, ouverte, plus il est beau … La nature en cela comme en tout, doit servir de modèle aux arts ; ses ouvrages les plus parfaits sont les plus clairs et les plus compréhensibles et nul n’y est profane. C’est pourquoi ils font aimer Dieu. » La contemplation des tableaux de Emile Bernard, donne accès à une dimension d’ordre intellectuel, esthétique, mais aussi spirituel.

L’art est aussi une école de liberté, et il le sera pour Emile comme pour Madeleine.

Les tableaux d’Emile sont, au-delà du modèle ou du paysage, une appropriation de cette parcelle de vie qui les anime ; « l’âme, comme le dit René Huyghe, c’est ce qui fait l’œuvre d’art. »

Madeleine sait avant les autres, peut-être même avant les amis peintres de l’école de Pont-Aven, capter cette part d’invisible qui les habite. Sans doute parce qu’elle est pour Emile comme il le dit « seconde âme, pour ne pas dire la moitié de la mienne ». Elle sait avant les autres ce qui se joue à Pont-Aven et dans les rencontres de son frère avec Van Gogh, Gauguin et les autres… Avec eux, sous le regard de Madeleine, nous voyons naître le synthétisme, cet art de l’invisible. Emile Bernard illustre la dimension spirituelle dont l’absence de réalisme renforce la dimension mystérieuse. Une dimension mystérieuse nourrie, pour Madeleine et Emile dès leur plus jeune âge, de musique et de poésie. Leur mère très pieuse admire et fait connaître à ses enfants les poèmes de Alphonse de Lamartine.

La poésie, on le découvre avec cette biographie, nourrit la vie d’Emile et forcément sa peinture ; dans son atelier, on trouve des recueils de Mallarmé, Villon, Villiers de L’Isle Adam, Verlaine, ainsi que de Baudelaire qui le premier a parlé d’art « synthétiste ». Emile sera ami avec Eugène Boch lui-même peintre et poète.

Emile écrira aussi des poèmes, en lisant ses quatre vers qu’il écrit en 1890, comment ne pas penser à son tableau : Madeleine au bois d’amour.

Comme au temps de tes promenades
Dans les grands bois de Pont-Aven
Où les nids font des sérénades
A ceux qui sont dans la déveine. 

 

La vie de Madeleine et d’Emile sera de tendre, l’un et l’autre à leur façon,  vers cette lumière que l’on peut voir au cœur des ténèbres. Cette lumière dont parle Marceline Desbordes-Valmore, poète lue, relue par Madeleine :

 

Quand ma lampe est éteinte et que pas une étoile
Ne scintille en hiver aux vitres des maisons
Quand plus rien ne s’allume aux sombres horizons
Et que la lune marche à travers un long voile,
Ô vierge, ô ma lumière ! … 

 

On ne peut que penser à la nuit de Gethsémani : « La nuit de Gethsémani. La nuit d’Arles. Etonnantes correspondances. Il y a des êtres qui trouvent la lumière dans la nuit se dit-elle. Le mal ne désarme pas. La grâce serait-elle au bout du combat intérieur ? »

Madeleine et Emile qui s’éloigneront sans jamais se quitter, libres l’un et l’autre ; elle en Suisse, lui en Egypte, mais guidés par cette grâce pour continuer chacun à leur façon le combat intérieur, Emile parlera de sa quête mystique dans un article du Mercure de France.

Le rendez-vous avec la lumière commencé par Emile à PontAven se prolongera au Caire et dans les peintures qu’il réalisera dans l’église franciscaine El Mouski ; pour Emile, c’est le rendez-vous artistique  , pour Madeleine qui ira le retrouver au Caire, ce rendez-vous est tout autre, , elle reste cette aventurière spirituelle et une croyante qui a su parfois faire place à d’autres traditions spirituelles : «  Madeleine est une croyante qui, dans sa vie méditative, fait son miel de tout, elle aime faire place à d’autres traditions, à d’autres exercices spirituels. La vie, à ses yeux, est une aventure spirituelle. »  Une aventure qui s’achève le 20 novembre 1895 : « En extase, elle salue la lumière qui danse par myriades à la surface de la rivière, celle qui lave l’âme comme au premier tressaillement de la vie. Alors, elle s’abandonne. Elle prie… Madeleine dort. Paisible souriant de son clair sourire. »

J’évoquais en début de cette note, Thérèse de Lisieux et, les mots de Marie-Hélène Prouteau pour décrire Madeleine morte, me ramènent encore vers Thérèse et à cette photographie d’elle, décédée 2 ans plus tard le 30 septembre 1897, une photographie prise dans le chœur du Carmel où elle était exposée, 3 jours après sa mort, cette photographie est accompagnée de ses mots : « Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie. ». Pour l’une et l’autre comme le suggère l’auteure, il n’y a pas ici le visage de la mort, mais un visage en dormition…

L’échange entre Madeleine et Emile ne s’arrêtera pas ce 20 novembre 1895, Emile prolongera sa quête mystique, son art sera marqué par des questions philosophiques et religieuses, teinté par ce profond mysticisme vécu fortement en Egypte, si l’on en croit cette confidence : « Ma vraie patrie était cette terre mystique de l’Egypte… C’est en Orient que le Christ est venu et que les saveurs symboliques et pieuses répandent encore leurs douceurs fraternelles. »

En écrivant ces derniers mots «   douceurs fraternelles » peut-être a-t-il aussi eu une pensée pour Madeleine et son don d’amour fraternel. Madeleine, la sœur, le modèle, la muse protectrice, Madeleine qui savait s’oublier, être son ange gardien. Il le savait depuis ce jour de l’Assomption où il écrivit en parlant d’elle : « Apparition de l’ange Madeleine », l’ange à qui il doit, comme il le dira, le plus pur de sa nature.

Des portraits humains et artistiques majeurs du XIX ème siècle, ainsi qu’une relation fraternelle hors norme font la richesse de cette biographie qui met dans la lumière une femme qui a contribué à la genèse d’une œuvre, une femme qui a su fasciner des peintres comme Gauguin, une femme qui a su s’émanciper. Des eaux flamandes aux rives de l’Orient, en tous ces lieux vibre l’invisible. C’est aussi toute une époque et une période majeure de l’histoire de l’art que nous offre Marie- Hélène Prouteau. Par la force d’une écriture  poétique, elle  nous donne à voir que « la poésie anime la peinture autant que le verbe »selon la belle expression de Joël Dupas. La poésie pour dire que par- delà l’ombre, la lumière arrive. En toute vie, comme en peinture, la lumière est là pour offrir un hymne à la beauté, à la joie de vivre et parfois de mourir « en paix ». Marie-Hélène Prouteau semble bien être, elle aussi, la « regardeuse de l’invisible » ; elle nous invite à « cette fête intérieure où l’on se tient paumes jointes pour la prière », mais aussi, pour la création et pour la vie, toute vie gagnée par la grâce, si elle est tournée vers la lumière…

 

                                                                             

Présentation de l’auteur




Thierry Radière, Entre midi et minuit

Auteur d’une petite trentaine d’ouvrages, poésie, romans, nouvelles, récits, essais, Thierry Radière,  n’est pas forcément de ceux que l’on remarque d’emblée, en raison d’une discrètion, qui vaut pour une distanciation volontaire, mais sereine, qui justifie cependant l’élaboration d’une œuvre aux contours multiples, dont l’exigence prend sa source au cœur d’une existence pleinement vécue sous les couvert des mots.

Sorte de parabole, que je qualifierais volontiers de « dynamique inversée » avec parfois des aspects contradictoires qui effleurent le temps, sans pour autant se figer dans la glaciation d’un vocabulaire savant. Loin s’en faut, Thierry Radière préfère de loin les métaphores spontanées, sous le couvert d’une syntaxe disons-le assez verticale, mais parfaitement lisible et abordable. Né en 1963 à Monthois, il est aujourd’hui professeur d’anglais à Fontenay-Le-Comte en Vendée et il vient tout juste de publier un imposant recueil de poésie, intitulé « Entre midi et minuit » aux éditions de la Table Ronde, juste récompense d’un parcours silencieux, mais à la hauteur d’une espérance qui se veut puiser dans l’ordre du vivant, sans être assujettie aux fluctuations du temps qui passe et qui trépasse – simplementsouveraine de ses douces intentions  - au sein d’une intimité fluctuante mais partiellement apprivoisée, comme s’il  n’existait de réel échappatoire, que dans la possibilité,  de s’abstraire de son propre Moi ;  figure logique de toute recherche intérieure, qui va chercher derrière les mots, un sens caché et rarement soudainement révélé.

Thierry Radière, Entre midi et minuit, La Table Ronde, publié avec le concours du CNL, 333 pages, 17 euros.

Car en effet, l’ordonnancement d’un poème n’est jamais tout-à-fait le miroir de ce que l’on perçoit, en-deçà de la structure elle-même. Il ne peut s’agir ici d’une simple mise en forme, d’un procédé dicté par la compilation. La poésie de Thierry Radière va bien au-delà de l’apparente banalité expressive qui parfois oblige le poète à redéfinir – contre lui-même – le sens de sa quête. Encore qu’il faille légitimement se méfier de certains retours de vocabulaire dont la pleine adhérence à la page, vaut aussi pour une profonde combustion du « mot à mot », rythmé par la nécessité de se faire entendre plus que comprendre.

D’ailleurs en le lisant, on a le sentiment que Thierry Radière n’invite pas nécessairement à ce type d’exercice. Lui, se veut rester à la lisière de ce qu’il nomme, comme en témoignent les nombreuses dédicaces. L’Autre plutôt que le déclin de Soi, Moi comme le complice de  l’Autre. L’Autre comme un remerciement !  « Entre midi et minuit » est habité par un ailleurs, si proche et si loin, qu’il s’agit d’attraper avant qu’il ne se sauve » ; souligne encore l’éditeur à juste titre.

 

Se taire et reconnaître
Que les miettes laissées par terre
Seront pour les bêtes
Celles affamées
Que le poète ne voit pas forcément
Mais sait toujours évoquer
A ses enfants en train de lire
Ses poèmes à la bougie.

 

Le poète serait-il aveugle à ce point pour ne point se reconnaître, là où justement la bougie éclaire ? Alors que les bêtes affamées, désignent un tout autre accord. A l’inverse des enfants qui eux savent percevoir spontanément les contours et les traces, sans fouler du pied, une terre qui forcément s’échappe afin de ne pas se laisser malencontreusement fouler.

 

Et si la poésie
n’était rien
qu’un beau rouge-gorge
perché en haut d’une branche
en train de rire intérieurement
au moment où ceux
qui se prétendent spécialistes
de cet art de plus en plus pratiqué
commençaient à le définir
en long en large et en travers
d’un air sérieux
en utilisant les grands mots ? 

 

Et le tour est finalement joué, presque radical dans sa formulattion, alors que le poète n’est pas dupe de ce qu’il en retourne, n’affecte en rien ses propres résonnances ; juste éviter les comparaisons, mais plus encore les compromissions, sauf que n’est pas « spécialiste de la chose » qui veut. Il faut parfois s’en remettre à la vindicte, pour au moins s’affirmer, s’éléver, avec ses propres mots. Et pourvu de s’échapper de ses nombreux carcans, qui conditionnent plus qu’ils n’affectent le poète innocent. A force de rire, on en devient fou, c’est certain.

 

J’avais dit un jour
qu’une mouche me regardait écrire
et que je ne savais pas vraiment ce qu’elle voyait
de moi à mon bureau.
Ce souvenir revient subitement aujourd’hui
alors qu’aucun insecte ne m’espionne
mais je crois que c’est plutôt
ce qui se passe dans la têtede ces petites bêtes
que j’ai le sentiment de revivre
en écrivant 

 

Ô fatale obscurité ! Qui ne déclare (dévoile)  en rien ses complaisances, mais signifie en amont que l’insecte sait lui aussi à son tour investir discrètement les lieux sans finalement troubler la quiétude du poète ; juste l’accompagner dans son étrange désarroi, comme un compagnon habile et silencieux. Surtout ne jamais faire de bruit quand le poète « s’écrit », au-moins pour ne pas lui faire peur, de se reconnaître ainsi en lui dans « le laboratoire de ses rêves, cette vigie de fortune ».

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Yves Namur, Dis-moi quelque chose

Les 115 chants que nous donne à lire le Poète Yves Namur, l’une des grandes voix poétiques de la poésie belge, « Dis-moi quelque chose », suivent le cours des saisons. C’est musical, comme un ensemble incantatoire, profond comme un chemin qui nous emmène à travers les épreuves de vie, les plus ordinaires comme les plus tumultueuses : la profondeur des colères, nos tristesses et nos brûlures, Quand le ciel se fait terrible/Quand l’amour oublie/Qu’il fut roi » (chant 30), ou encore lorsque l’absence est longue (chant 18).

Il écrit Pour faire face à l’effondrement/Des murs et des montagnes (50), pour mieux respirer (14), rallumer les lampes pauvres (34) et trouver les appuis et ressources les plus essentiels.

Ces poèmes, par leur succession entêtée et inexorable, tissent le fil des insuffisances, et, dans le recueillement de l’écriture forment ensemble une marche méditative d’une lucidité vertigineuse qui cherche à pénétrer le réel, ses complexités et ses mouvements : Dis-moi quelque chose/Et nous parlerons enfin du réel/De ce que sont vraiment les oiseaux, les chevaux en pleine course/Les pierres tombées ou la pluie/Et aussi le silence des carapaces (112).

A vrai dire ces magnifiques implorations ont la puissance du désir, un désir de la présence, de se rendre présent au monde, au silence, dans la profondeur inattendue de la rencontre qui fondamentalement est celle de l’ouverture : quelque chose/Qui réveille la ruche obscure/Entrouvre portes et fenêtres (69), pour accueillir La main du passant/ses questions, ses fausses réponses (22).

Yves Namur, Dis-moi quelque chose, Arfuyen, février 2021, 156 pages, 14 euros.

Loin de se répéter, ces fragments tracent un questionnement sur l’être au monde, autant dire sur la question de la limite et de l’errance du sens, fondamentalement de l’immense mystère de la vie. Et ce questionnement est inépuisable. Il est sans réponse finale. Il n’est pourtant pas sans but, dans le sens où il donne une réalité à la question et à celui qui la pose. Une réalité à l’attente.

Yves Namur soulève d’une manière bouleversante, sur le rythme conjuratoire des sizains, la tension du manque à être et à dire (l’impuissance de la langue à nommer), à l’endroit même où se ressource l’énergie poétique et s’accomplit le poème.

Edmond Jabès parle à ce propos du « miracle de la blessure »1, cette blessure sans cesse ravivée, qui loin de rendre l’écriture impossible en est sa source la plus pure, sa force originelle. Sa condition et son exigence ultime. 

Il s’agit pour autant d’un combat intime sans repos, qui ressort ici comme une relation éveillée avec ce qui ne se laisse pas posséder. Il s’agit d’une tâche quasi spirituelle qui passe par le dénuement, revendique la simplicité, Cette chose si difficile à saisir/Si troublante à regarder (73), au vif des irrémédiables chutes vers l’en-bas du doute et de l’ignorance chers au poète, qu’il conçoit pour lui-même comme « des lignes de conduite »2 :

 

Dis-moi quelque chose
Et tu m’aiderais à ne pas savoir

 A ne rien comprendre à la pluie
Aux nuages bas aux abeilles noires
Et aux cendres tombées

Oui ne rien savoir ou presque (29)

 

Yves Namur nous dit que l’œuvre poétique n’a pas d’autres raisons, pas d’autres objets que ce dénuement, que la libération des contraintes inutiles, des piètres agitations, des agrippements et de tous ces « trop » encombrants qui se voudraient garants de la plénitude, pourtant plus aveuglants que le vide lui-même. Dis-moi quelque chose/De l’ordre du peu du simple/Ou de l’invisible/mais quelque chose qui éclaire (47). Même si cela ne sert peut-être à rien si ce n’est à vivre, Et que la nuit danse de plus belle (56).

C’est par la voie d’un certain dessaisissement que se redresse l’être, que s’ouvre l’espace d’Une phrase légère/Ou même (d’)un mot ordinaire (70), un mot presque apeuré que le poète tente d’approcher, Qui à lui seul pourrait ouvrir/Le silence les regards noueux/Et les portes de la fragilité (64). Un mot délicat et si fragile/Qu’on se demanderait /S’il faut vraiment le prononcer/Ou simplement le regarder (110). Cette voie laisse venir le poème inattendu (51) et entrevoir ce qui sera (87).

C’est bien parce qu’elle est concise et nue comme le frémissement de la feuille, aérée comme un rêve,  que la poésie d’Yves Namur fait tomber les mots dans leur plus grande justesse, qu’elle dit l’essentiel et ne cesse de rouvrir l’immortelle question dans une dignité poétique rare : Pourquoi l’homme est-il ainsi/Avide et criblé de trous (93). A être posée, la question fait retour vers la source poétique et tient le poème entrouvert.

 

Dis-moi quelque chose
Qui comblerait le manque

Ferait de nos yeux vides
Une forêt de cœurs orageux
Une pluie étoilée

Un poème entrouvert (1)

 

La retenue verbale redonne force aux mots, décuple la densité du sens, les fait éclore dans une sensibilité particulière, où peut se lire ce qui se trame entre la chose, l’idée et le mot. Yves Namur est, écrit Paul Farellier, « l’un de ceux qui font passer le plus de vérité d’entre les mots et les lignes » (Revue Phoenix, 32, 43-45), mais aussi vers l’autre. Car la force de ce long poème est de s’écrire pour être entendu depuis le bas/Jusqu’au sommet de toutes  questions/de toutes attentes (85) jamais comblées. Il s’écrit pour lancer un appel à un autre, un être, inconnu et/ou lecteur, et partager avec lui ce quelque chose dont l’homme puisse se couvrir (91). Sans doute est-ce un positionnement poétique essentiel, celui de l’homme, du poète et du penseur (et sans aucun doute du médecin), d’où jaillit un peu de clarté sur les horizons lointains qui n’en finissent pas de nous séparer de nous-même, de Nous enlever à nous même (101) : l’infini, l’indéfinissable, l’inévitable et l’heure ultime (52).

La poésie d’Yves Namur murmure, ne force pas la voix, ne rumine pas l’amertume. Mais elle laisse venir en une pensée rêvante errante, ce léger tremblement qu’on devine/Lorsque le matin s’invite (8). Elle s’inspire du souffle odorant qui sort des choses, circule entre elles, qui a le goût du fruit mur, et de l’eau claire, et ce grand pouvoir de creuser l’humain jusqu'au centre de Nulle Part/là où va le coeur obscur/et le poème nu qui n'en finit pas/de venir à toi, à moi, en nous comme il l’écrivait avec tellement d’intensité dans Creuse-nous.

Son écriture est singulière, vivante. En parcourant le monde de l’humain, elle en désigne les forces noires, les fuites et Ouvertures. Une écriture qui va dans les profondeurs de l’obscur et vole comme l’oiseau d’un poème à l’autre, vers ce retour perpétuel de la lumière.

Le sens se glisse dans le flux et le lent recommencement des cycles de l’existence, se lie à la substance du monde, aux éléments qui nous perpétuent et nous veillent, ainsi la feuille, le merle, la pluie et l’ombre, qui font le corps et lui donnent ses plus belles vibrations, comme des sensations présentes à l’intérieur de soi.

Dans la continuité des précédents, ce recueil est à considérer comme une réflexion poétique sur la poésie.  Il est parole, parole pleine de l’éveil (72) et de la promesse qui ne cesse d’abreuver (et de s’abreuver à) ce mot qu’on n’emporte pas/Qu’on laisse en jachère/Sur le bord du chemin (55),  un mot comme amour (71), comme lumière, dans lequel il faut avoir foi pour tenir indissociablement l’engagement de l’écriture et la tâche du vivre, de Ce qui reste à accomplir (37).

 

Dis-moi quelque chose
On l’accueillera avec ferveur

On le regardera
Comme un cristal très pur
Comme un ciel étoilé

Éclatant de promesses (102)

 

Notes

1. Voir l’entretien avec Teric Boucebci dans le numéro 32 de Phoenix consacré son oeuvre. p. 12.

2. Ibid., p. 16.

Présentation de l’auteur




La minute lecture : Joëlle Abed, Puisque je suis de l’eau

Avec ce livre qui a obtenu le Prix des Trouvères 2020, l’autrice signe le poème de la maturité.

En effet, dans une langue sobre, pleine de tendresse, Joëlle évoque tout aussi bien le souvenir d’une enfance  désormais lointaine (pourtant très présente dans la pensée), d’une grand-mère aimante, que celui d’amis (une voisine chère) ou d’un animal (un chat) disparus. Les vieux objets racontent des histoires, les oiseaux et les arbres protègent des saisons. Puisque je suis de l’eau est le recueil du temps qui coule, que l’on voudrait arrêter mais auquel on appartient irrémédiablement. De la vieillesse, la fatigue, l’approche et la peur de mourir aussi comme autant de raisons d’aimer la vie, d’en goûter la saveur. D’une profonde et lumineuse mélancolie, le texte de Joëlle invite à être, pleinement, dans l’espace de chaque instant, à l’habiter avec conscience et sérénité.

En attendant de commander ce très beau texte chez ton libraire ou auprès de l’éditeur, tu peux en écouter un extrait ici :

Joëlle Abed, Puisque je suis de l’eau, éditions Henry, 2021.

Présentation de l’auteur




Philippe Leuckx, Prendre mot

Quelque chose se finit. Le soir est là. C’est le moment de Philippe Leuckx. Celui qui rythme musicalement nombre des poèmes de ce recueil.

Un cœur endeuillé déplore « l’absence », qui a partie liée avec la « solitude » - le mot revient en litanie, à plusieurs reprises, pointant la basse continue de cette élégie de la vie esseulée. Avec ses jeux d’ombre et de lumière, au moins autant symboliques que réels :

La lumière remue le cœur.

Philippe Leuckx, Prendre mot, éditions Dancot-Pinchart, 41 pages, 2021.

Dans le recueil, le chant monte du deuil et du chagrin. La perte de l’être aimé est implicitement suggérée dans la visite au cimetière, comme en sourdine. Pas de pathos, pas de grande pose. Une lyrique douce se diffuse dans un paysage plus rêvé qu’authentique. La rue d’une ville aux « espaces vides », des terrasses, un décor de caténaires. Le paysage y semble menacé de dissolution. Il s’atténue en évanescences suscitées par de micro-événements météorologiques, brume, givre, neige, pluie qui le déréalisent et se transposent en variations affectives.

Les poèmes, petites proses ou vers, saisissent et laissent leur trace dans le lecteur en images essentielles. La première, le « balcon sur ma vie » ou cette autre : « Un voile. Une dentelle d’âme ». Autant de formulations du « peu », du « presque rien » qui manifestent cette attention du poète aux choses les plus banales, les plus petites de l’ordre de la brindille, « Si le peu pouvait délivrer quelque voie ». Elles suscitent une écriture du tressaillement :

C’est une petite musique qui vacille et tremble.
C’est la chambre de l’autre où n’entre que le silence. 

 

La mémoire est convoquée avec ses fondus et ses aplats. Celle de l’enfance, cette matrice si importante dans l’œuvre de ce poète. Celle du temps d’avant, tels ces vers :

 

Si j’interroge le vent sur l’amour
le sang brille et la réponse
me poisse le cœur.

 

C’est à cette écriture si subtilement suggestive que se reconnaît la voix de Philippe Leuckx. Une musique et une pluie qui font par moments un clin d’œil à la Verlaine : « il pleut au cœur ». L’expression se fait minimale, dépouillée, à l’image d’une certaine paix ; ainsi le présent du monde est-il donné à nouveau dans le regard sur de petites choses sans importance, sur les oiseaux, sur les arbres.

Avec un art de la mesure le recueil déploie son cheminement qui va de la vie empêchée exprimée dans « cette ferveur refusée/un parfum interdit » à un peu de la substance regagnée des choses. De l’ombre vespérale à une certaine lumière retrouvée, grâce aux mots du langage poétique traçant « leur gerbe fulgurante ». Et passe du Je du début du poème enfermé sur sa peine au On/Nous des derniers textes. « Prendre mot », l’injonction nue, impersonnelle du titre à l’infinitif, répétée deux fois dans le recueil semble pointer une direction du côté du langage qu’il importe de suivre sans tarder. Comme si là était ce qui sauve.

Car la traversée des mots du poème semble avoir eu ce pouvoir de transmuer ce qui s’éprouve de douloureux en élan de sortie de soi :

 

Quelqu’un se ramasse en un plan de son paletot. Il pourrait s’agir de toi, de lui, de toute figure en détresse.

 

Dans l’évocation de ce geste minuscule, remonter son col de veste, se lit le passage d’une expérience subjective de la perte à notre dimension pleinement humaine qui exhausse la solitude. Voici un recueil qui résonne superbement au plus profond de nous.

                                                                                                        

Présentation de l’auteur




Poesia Revelada, revue nomade

"La Poésie s’est endormie dans les livres, les bibliothèques, les librairies, les universités,... Aujourd’hui si un livre de Poésie se vend ne s’agit-t-il pas d’une sorte de petit miracle !?"

Ce sont les mots qui introduisent la présentation de cette revue, qui souhaite "être une des vitrines de ce que peut devenir la Poésie au-delà des livres, des codifications et autres codificateurs, de certains langages poétiques parfois incompréhensibles, de montrer combien la Poésie se révèle quand elle se marie avec les voix des poètes, des images, des musiques, combien elle redevient alors parole fraîche, libre et conviviale."

Faire vivre, entendre, bouger presque comme le bruit du vent dans les feuilles de tous les arbres que nous sommes un peu, appelés ici à nous réunir, car "Ce blog est ouvert à toutes et à tous, dans toutes les langues... Exprimez-vous..."

Et, il faut le reconnaître, la poésie y est vive, colorée, différente mais  réunie dans toutes les langues, toutes les envergures et tous les genres, dans les fenêtres qui s'affichent sur la page d'accueil. Des videos, des photos, des encres, des peintures, de la musique, proposées avec les poèmes... Une mise en scène, en jeu, en abîme parfois, rien de gratuit, mais un tout cohérent et savamment orchestré.

C'est donc l'hétérogénéité qui cimente, mais pas n'importe laquelle, car parfois ne se crée pas un ensemble signifiant, et l'effet de bric à brac clos tout espoir d'aboutir à une globalité, et à la possibilité de voir cette globalité un jour apparaître. Là c'est au contraire une somme en train de se former de mille petits cailloux de formes et de couleurs différentes. Langues, pays, rencontres de divers vecteurs artistiques, tout se croise et s'enrichit.

Photos : Hervé Hette.

Bribes de conversation(s) minérale(s) avec Kenneth WHITE, https://www.poesiarevelada.com/post/l-âme-de-la-roche

Le format des visuels et la belle taille des caractères typographiques offrent une impression d'espace. La qualité des couleurs et des mises en page renforcent cette sensation d'avoir pénétré quelque part, entre un univers virtuel et un espace dévolu à l'imaginaire, celui du poète, du plasticien, du musicien, mais surtout au nôtre car on est habités autant que nous habitons les pages de Poesia Revalda.

Un poème de  Li BÁI (701-762), Poète chinois, un des plus grands de la dynastie Tang, accompagné d'un Azulejo (carreau de faïence) «Pêcheur des Açores» de Christine De Roo (artiste plasticienne) ; un poème et un dessin de Joseph D., un jeune artiste de 6 ans ; des vidéos internes dans de très belle mises en pages ! 

SUL , LUGAR NENHUM, GRAFONOLA VOADORA & NAPOLEÃO MIRA

 

Et puis cette remarquable mise en page du très beau texte de Marilyne Bertoncini, L'Anneau de Chillida, qu'un enregistrement de la poète dont on connait désormais la voix profonde et expressive agrémente grâce au lieu Soundcloud qui clôt l'ensemble.

L’Anneau de Chillida, publié en 2018 à l’Atelier du Grand Tétras – Voix de Marilyne Bertoncini

Une très très belle revue, donc, qui se consacre à la poésie, juste à la poésie, qui est sa seule et unique rubrique. Des instantanés, des univers, des pays et des langues, autour, dedans, avec. Des rencontres, aussi, et surtout, ce qui est l'essence même de tout poème, le partage, qui cimente une communauté, celle des femmes et des hommes pour qui la transfiguration offerte par le travail des mots permis par le poème réunit. La matière textuelle devient visuelle, sonore, sensible, et le poème est offert à tous, dans le simplicité de ce qu'il est, ce lien d'âme à âme.




Le Lieu-dit L’Ail des ours

Les éditions L'Ail des ours est un Lieu-dit. Ce qui suppose qu'il s'y déploie de multiples dimensions. Une profondeur. Une amplitude. Tout ceci naît de la rencontre, des rencontres de la poésie et de l'intensité, autre, de la représentation permise par les arts plastiques.

Ce partage d'espace entre un artiste plasticien et un poète n'est pas pour autant quelque chose de rare. Nombre de recueils proposent d'établir une dialectique entre ces deux polarité d'expression artistique. Alors il est intéressant de s'interroger sur ce qui fait la particularité de ces petits recueils publiés dans la Collection Grand ours de Michel Fiévet. Une grave et grande question...

Je crois qu'il s'agit d'abord de qualité éditoriale. Ces recueils de petit format sont imprimés sur un papier épais, doux, dont le grain légèrement palpable offre épaisseur à l'objet livre. Il y a ensuite la mise en page. Tout y est léger, c'est à dire aérien. Ceci façonne un écrin de papier qui permet de recevoir comme un cadeau à chaque fois unique le contenu de la page, poèmes centrés dont la typographie fine égraine de grandes lettres noires en police Garamond 13, 11, 10 et 8, que ponctuent des pages où des œuvres de plasticiens scandant le rythme d'apparition des poèmes. Un artiste et un poète se rencontrent.

Jacques Robinet, Brèches, L'Ail des ours, collection Grande ours / n°6, œuvres de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2020, 65 pages, 8€.

Pour les volumes 6, 7 et 8, respectivement Jacques Robinet et Renaud Allirand pour Brèches, Sabine Péglion auteure des poèmes et des œuvres plastiques pour Dans le vent de l'archipel, et Albertine Benedetto avec encore Renaud Allirand cette fois-ci pour des encres, réunis pour le recueil Sous le signe des oiseaux.  

Que dire de ce petit volume, Brèches, léger par la taille, mais épais, grave, grand, par le langage et les quelques œuvres qui ponctuent l'apparition des poèmes. Jacques Robinet agence les mots avec cette ambition partagée par les poètes : libérer le langage de ce carcan du sens, et ouvrir des horions. Là celui de l'existence, dans ce face à face de l'homme avec lui-même, dans une sorte de bilan, et en même temps d'étape, point d'orgue du parcours avant d'emprunter une autre route.

On consent à n'être plus
que ce voyageur épuisé
d'avoir trop confondu
ses rêves et ses captures

Sous le couvert d'un arbre
on s'abandonne
au bruissement de l'eau

Sans plus rien retenir.

Constats posés à mi chemin, et réflexions sur ce que peut être la vie, magnifiée par les mots, la poésie, écrire, qui afflue comme le sang régénère le corps.

 

La chambre s'éclaire
Pourquoi t'agites-tu 

Ecoute ton cœur qui bat

Les mots sont des colombes 
qui de l'infini s'abreuvent

Laisse-les s'ébrouer
avant qu'ils ne s'évadent
dans la clarté de l'aube

Ne dérobe pas
la poussière des songes

 

Les peintures de Renaud Allirand représentent ces strates de vie, couche après couche, l'une dévoilant l'autre, dans un magma coloré et presque organique. Fouiller l'espace, c'est ici ce que font poète et peintre, qui semblent unir leurs tentatives pour dévoiler le sens, ultime, du silence et du blanc de la page.

 

Jacques Robinet, Brèches, L'Ail des ours, collection Grande ours / n°6, œuvres de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2020, 65 pages, 8€, p. 19.

Le recueil de Sabine Péglion, accompagné par les œuvres plastiques de la poète, est intéressant à double titre. D'abord parce que cette poésie qui joue avec l'espace scriptural et les typographies laisse entrevoir les nuances de bleu de l'océan grâce à ces mises en scènes des textes, qui prennent pour univers référentiel la mer. Champs lexicaux et isotopies se conjuguent, et opèrent des va-et-vient entre des éléments biographiques, et des indications concernant les traversées et l'Histoire. Des noms de lieux et le métalangage de la navigation scandent les étapes topographiques, tandis que des épithètes viennent étayer une métaphore, car ce voyage est aussi celui de l'être qui avance dans les dédales de l'existence, que l'on devine parfois âcre, parfois initiatique, finalement, comme toute vie dès lors qu'elle est abordée en conscience. 

 

Du plus loin de la nuit
Eau si profonde
d'années enfouies
Blessure muette

D'autres îles d'autres terres
Dérivent au gré des vagues

Il est des lieux qui nous hantent

 

Les toiles de l'artiste sont alors une mise en abîme de ces strates de vie, de lieux, de lectures aussi, celles du poème, qui révèle sa puissance, mais jamais la même, à chaque lecture différente.

Sabine Péglion, Dans le vent de l'archipel, L'Ail des ours, collection
Grande ours / n°7, œuvres de l'artiste, La Roque d'Anthéron, 2020,
59 pages, 8€.

Sabine Péglion, Dans le vent de l'archipel, L'Ail des ours, collection
Grande ours / n°7, œuvres de l'artiste, La Roque d'Anthéron, 2020,
59 pages, 8€, p.25.

Albertine Benedetto pour le numéro 8 de ces petits volumes, place sa poésie Sous le signe des oiseaux. Une gageure, que la poète relève vaillamment tant le sujet porte de topos, tous plus usités les uns que les autres. Le plasticien qui accompagne ses textes est Renaud Allirand à nouveau. Tous deux ont choisi une littéralité qui recèle cependant bien des richesses, et bien des habiletés pour aborder cette thématique chargée de déjà bien des voix. La quatrième de couverture évoque ceci :

 

Une fois encore 
revenir longer
les souvenirs
pour allonger
le temps

une fois encore
célébrer
la fleur et l'oiseau
en épousant la terre

une fois encore
la lumière
fut ce lâcher de colombes sur la mer

 

C'est donc dans le sillage de ces prédécesseurs qu'est d'emblée placé le recueil. Le référentiel est une lignée diachronique assumée, mais jamais de manière gratuite. Le poème recèle l'énonciation de sa propre existence, et un tissu isotopique relayé par des choix paradigmatiques qui évoquent l'écriture dessine son propre reflet.

 

Dans ce qui se dit
l'ombre vacille
un peu

ainsi l'oiseau qui veille
toujours fait respirer la nuit
d'une ponctuation grave
cousant le calme
sur la risée

N'est-ce pas le poème, qui brode le silence sur le chant du langage ? De même le tracé du pinceau comme un acte de pure création est au cœur de cette mise en abyme de la création d'une création, de l'écriture d'une écriture, comme au centre d'une nature d'où tout part, et où tout revient toujours.

Dans l'arabesque
dansée à partir du poignet
par pressions du pinceau
crissant sur l'étoffe
les doigts serrent
le roseau
tracent les envols
martins-pêcheurs
le soir au bord
des rivières sans nom
tout le bleu et le vert
de leurs ailes
éclairent le trait

Pour Abdallah Akar, calligraphe

Albertine Benedetto, Sous le signe des oiseaux,
L'Ail des ours, collection Grande ours / n°8, œuvres
de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2021,
69 pages, 6€.

Albertine Benedetto, Sous le signe des oiseaux,
L'Ail des ours, collection Grande ours / n°8, œuvres
de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2021,
69 pages, 6 €, p.27.

Il se passe bien des choses dans les pages des recueils parus chez L'Ail des ours. On met les arbres, le sable et la mer dans des poèmes, on ose convoquer pour la énième fois le chant des oiseaux. Mais est-ce juste pour faire des livres ? Non, je dirai que justement, c'est en cela que L'Ail des ours est un lieu-dit. Il se passe qu'affleure la matière du poème, son origine et sa destinée, là où se conjuguent l'espace et le trait, dans ce lieu-dit, L'Ail des ours. Amplitude. Profondeur.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




REVUE PHOENIX — NUMERO 35

Le dernier numéro de la revue phocéenne "Phoenix", livraison 35, fait le tour de l'oeuvre du poète Jean-Pierre Lemaire, proposant entre autres ses inédits de la période "Pandémie", très en prise sur la crise, les gens déboussolés, les villes désertes.

Un bel entretien, mené par André Ughetto, rend clairs les projets d'écriture déliée, les étapes, la place des images bibliques etc.

L'oeuvre lyrique est analysée par Daniel Bergez, "parole lumineuse" de franche humilité, par Geneviève Liautard, , François Deletre... Dans "Le cavalier vert", Lemaire ajuste son regard sur les villes désertées : "Dans le monde dépeuplé l'oiseau du jour dégage les choses une à une de la gangue des siècles". Catherine Fromilhague cherche à percer la "cartographie" de Lemaire, sa "place" poétique, ses "passages" dans les traces proustiennes.

L'éclairage, par Patrick Trochou, de l'oeuvre de D. Grandmont nous rappelle qu'il fut fêté par un numéro ample et mérité d'"Autre Sud".

Un riche "Partage des voix" rassemble des tons et des écritures divers : Arabo, Boucebci, Rannou, entre autres talents.

Je retiens surtout les "sonnets" de Quélen, huit variations cadrées, en quatrains et tercets qui libèrent les formes.

Phœnix n° 35 - Printemps 2021, 192 pages, 14€.

De Karim De Broucker, "Deux poèmes du tabac" : "Enfant, avant de connaître le tabac, je ne pouvais sortir sans avoir bien enfoncé dans ma poche ce que mes père et mère appelaient mes fétiches, je garde en mémoire un petit masque africain servant de pendentif".

De nombreuses lectures (les fameux "Grappillages" d'Ughetto, et des autres collaborateurs). Ce volume de plus de 190 pages est l'expression d'un travail collectif unique autour de la poésie, de la littérature.  Philippe Leuckx




La minute lecture (7) : Florentine Rey, L’année du pied-de-biche

Florentine Rey est poète et performeuse. Son dernier recueil le confirme, tant on l’imagine dire ou jouer ces poèmes sur scène.

Oui, il y a une forme de jeu dans son écriture, un jeu qui tient de l’enfance, dans sa fraîcheur, son humour et sa gravité. Le livre réunit sous une vingtaine de titres (chacun correspondant à un thème précis) des ensembles de poèmes courts dans lesquels l’autrice déploie son énergie joyeuse et sa lucidité. On sourit souvent à la lecture de ces textes dont l’apparente légèreté de ton, l’approche fantaisiste (parfois absurde) du monde nourrit efficacement le questionnement sur nos lâchetés et travers humains, notre rapport à la société, à l’écriture, l’intimité, le corps, l’amour.

L’année du pied-de-biche n’est ni un manifeste, ni un réquisitoire. C’est peut-être là sa plus belle réussite. Il fait mouche. Il pique. Puis applique le baume. Invite à poser sur le monde un regard exigeant mais bienveillant. Pour entrer chaque jour dans la vie plein de force.

Florentine Rey, L’année du pied-de-biche,
Le Castor Astral, 2021.

En attendant de commander ce beau livre chez ton libraire, tu peux en écouter un extrait ici :

Présentation de l’auteur