Brigitte Maillard À la lumière du silence

Brigitte Maillard nous a quittés le 14 août à Quimper. Poète, écrivain, chanteuse, elle s'était installée à Loctudy où elle a continué à écrire, à chanter, à porter la parole poétique qu'elle n'a cessé de représenter et d'offrir à ses contemporains.

Brigitte Maillard écrivait depuis 2004, et, après avoir élu résidence à Loctudy, elle était à l'origine de plusieurs manifestations comme  le festival de poésie  "Eclats de Vers", le salon "Des livres sous les albizias" et son concours de poésie qu'elle présidait.

Elle donnait un grand nombre de lectures publiques, et s'était jointe à plusieurs artistes et poètes avec lesquels elle avait organisé des récitals, des lectures, des spectacles.

Elle avait fondé "Monde en poésie", un site créé en 2008 devenu une maison d'édition en 2015. Elle y a notamment publié René Le Corre et Christian Saint-Paul.

Brigitte Maillard, Je ne meurs plus, un film réalisé par Jeanne Orient en hommage à Brigitte Maillard.

Elle nous laisse de nombreux recueils : La simple évidence de la beauté (Ed. Atlantica, 2011, nouvelle édition augmentée Monde en poésie, 2019) - Soleil vivant soleil (préface de Michel Cazenave, Librairie Galerie Racine, 2014) - A l'éveil du jour (Monde en poésie, 2015) - L'au-delà du monde (Prix de poésie "Les Gourmets des Lettres", Librairie Galerie Racine, 2017) - Il y a un chemin (Prix Jeanne-Marvig,Librairie Galerie Racine, 2019).

Un dernier hommage lui sera rendu au crématorium de Quimper le vendredi 20 août à 15H30.

Un entretien avec Brigitte Maillard mené par Jeanne Orient, dans le cadre des Rendez-vous de Jeanne, le 26 mars 2021.

Brigitte Maillard sur Recours au poème :

Trois poèmes de Brigitte Maillard parus dans le numéro 68 de Recours au poème en septembre 2013 :

L'Expatrié

Plonger dans la nuit noire

C'est autre chose qui se réserve le droit d'exister

Articles

Brigitte Maillard, L'Au-delà du monde, de Véronique Elfakir.

Grenier du Bel Amour (7) de Michel Cazenave.

Revue "Reflets" numéro 28 - dossier spécial "Poésie", un article de Marilyne Bertoncini dans lequel est évoqué un entretien avec Brigitte Maillard.

Dominique Sorrente, Les Gens comme ça va, une recension de Brigitte Maillard.

 

Liens :

Le site de Brigitte Maillard.

La chaîne YouTube de Brigitte Maillard.

 

Brigitte Maillard, P'tit Louis.

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Les fleurs de l’amandier volent, et autres poèmes

Des poèmes de Gérard Bocholier publiés en janvier 2014.

Les fleurs de l’amandier volent
Les cloches soudain se taisent
Le vent passe au cimetière
Soulever l’obscur des tombes

Tout est prêt un inconnu
Vient guetter à la fenêtre
Il disparaît sous des palmes
Dans un jardin de lumière

Psaumes de l’espérance (Ad Solem, 2012)

Plus fidèle que la brise
Au jasmin les senteurs d’ombre
Aux vergers après l’automne
Tu ne quittes pas ma main

Chaque instant que je reçois
Bel inconnu comme un hôte
Porte en secret ton visage
De grâce penché sur moi

Psaumes de l’espérance (Ad Solem, 2012)

Le bon berger m’a jeté
Son manteau sur les épaules
A l’heure où la main du soir
Sonde l’âme en chaque plaie

Les chiens aboient dans les granges
On ferme toutes les portes
Bientôt ne va plus rester
Que ce manteau plein d’étoiles

Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010)

Le manteau usé des herbes
Achève de disparaître
Au bout du chemin le vent
Se dresse en apparition

Le mort retourne la pierre
Qui bouchait la vue du ciel
Son âme boit tout entière
L’avalanche de soleil

Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010)

Aimer sans aucun retour… Aimer ce qui arrache en nous les dernières esquilles que notre conscience égoïste resserre… Laisser le passé se blottir dans ses lambeaux funèbres…
Ce tilleul, je le sens, vient à ma rencontre, ce nuage, cette rosace radieuse. Ils ne ressemblent à aucun autre, non plus alors que moi à moi-même. Que tout exil, que toute souffrance soient tremplins vers eux !
Plus loin s’annoncent la rive, et puis la mer, la mer allée avec le feu.

Abîmes cachés (L’Arrière-Pays, 2010)
 

Le mystère s’appuie aux limbes
Mais la lucarne attire
Soudain l’étoile
Dans une extase de neige

Glisse des tuiles
Le livre ouvert
Laisse une parole d’aubaine
Dans l’embrasure avec le feu

Belles saisons obscures (Arfuyen, 2012)

Les murs ne bougent pas
Les portes restent closes

Une cime se courbe
Sur le bois et la plaie

Tu souffles sur la braise
Et fais tout apparaître

La Venue (Arfuyen, 2006)
 

Présentation de l’auteur

Gérard Bocholier

Gérard Bocholier est né en 1947 à Clermont-Ferrand, il a fait ses études dans cette ville où il a ensuite enseigné la littérature française en classe de lettres supérieures. Originaire d’une famille de vignerons de la Limagne et franc-comtois par sa mère, il a passé son enfance et sa jeunesse dans le village de Monton, au sud de Clermont-Ferrand, qu’il évoque dans son livre Le Village emporté, paru en 2013 aux éditions L’Arrière-Pays.

En 1971, il a reçu des mains de Marcel Arland, directeur de la NRF, le prix Paul Valéry réservé à un étudiant. La lecture de Pierre Reverdy, à qui il consacre un essai en 1984, Pierre Reverdy le phare obscur (Champ Vallon) détermine définitivement sa vocation de poète. Il commence à publier des volumes de vers aux éditions Rougerie, le premier : Le Vent et l’homme en 1976. Cette même année, il participe à la fondation de la revue de poésie ARPA, avec d’autres poètes d’Auvergne et du Bourbonnais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis.

Gérard Bocholier

D’autres rencontres viennent éclairer sa route : celle de Jean Grosjean, puis de Jacques Réda, qui l’accueillent dans la NRF, où il publie des poèmes et où il devient chroniqueur régulier de poésie à partir des années 90. Il rencontre aussi Anne Perrier, grand poète de Suisse romande, avec qui il noue une amitié affectueuse et dont il préface les œuvres complètes en 1996 aux éditions de l’Escampette.

Il remporte le prix Voronca en 1979, pour Chemin de guet, puis le prix du poème en prose Louis Guillaume en 1987 pour Poussière ardente (Rougerie). En 1991, le Grand Prix de poésie pour la jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports lui est décerné pour un manuscrit de poèmes pour enfants qui sera publié en 1992 dans la collection du Livre de poche chez Hachette, sous le titre : Poèmes du petit bonheur.

Devenu directeur de la revue ARPA, il collabore également comme critique de poésie à La Revue de Belles Lettres de Genève, au Chemin des livres, à Recueil puis au Nouveau Recueil. Il rassemble certains de ses articles dans un essai, Les Ombrages fabuleux, aux éditions de L’Escampette en 2003. Il participe à plusieurs ouvrages collectifs, dont les cahiers 10 et 17 au Temps qu’il fait, consacrés à Pierre-Albert Jourdan et à Roger Munier. Deux livres de poèmes pour la jeunesse sont encore publiés, aux éditions Cheyne, illustrés par Martine Mellinette : Terre de ciel  et Si petite planète.

Il entre dans la prestigieuse collection des éditions Arfuyen en 2006 avec La Venue et en 2012 avec Belles saisons obscures.  En 2011, son livre de vers et proses, Abîmes cachés (L’Arrière-Pays), est couronné par le prix Louise Labé. Son engagement religieux se fait plus direct , il se consacre essentiellement à l’écriture de psaumes à partir de 2009 et publie chez Ad Solem : Psaumes du bel amour (2010), préfacé par Jean-Pierre Lemaire, et Psaumes de l’espérance (2012), avec un envoi de Philippe Jaccottet, récompensé par le prix François Coppée de l’Académie Française. D’autres livres de psaumes sont prévus chez le même éditeur. Un essai paraît en 2014 chez Ad Solem : Le poème exercice spirituel.

Il tient une chronique de lectures, Chronique du veilleur, depuis 2012, sur le site de Recours au poème.

Autres lectures

Les Psaumes de Gérard Bocholier

Dans ce monde gouverné par le bavardage des nanosecondes de la prose généralisée, il est des éditeurs pour défendre le profond de l’humain, autrement dit la poésie. Et il est des poètes rares. Gérard [...]

Le village emporté de Gérard Bocholier

Il a toujours été là, au centre du jardin, contre la maison. Ses plus hautes branches dépassent à présent le toit, caressent les tuiles. Mes initiales, jadis creusées dans l'écorce, se comblent d'année en [...]

Gérard Bocholier, le Poème spirituel

     Que la poésie ait quelque chose à voir avec le mystère, l’invisible, l’ineffable, cela ne fait aucun doute. Le poète Jean-Pierre Lemaire l’a bien exposé dans son livre Marcher dans la neige [...]

Gérard Bocholier, Les Étreintes Invisibles

Je lis de loin en loin Gérard Bocholier en revues et je crois bien que c'est la première fois que je le lis dans un recueil, "Les Étreintes invisibles". Quatre ensemble de poèmes [...]

Gérard Bocholier, Psaumes de la foi vive

Le poème prière L’actualité de Gérard Bocholier est importante et porte sur deux livres de poésie publiés ce printemps, dont l’un est produit par l’éditeur Ad Solem, qui est connu pour son travail [...]




Pierre Tanguy, Ai-je tout dit ? et autres poèmes

Un ensemble confié à recours au poème en décembre 2013.

Renoncules d’eau
dressées comme des cierges
sur la table des nénuphars.

Fleurs mauves des ronciers
pâlissant le long du sentier.

Ai-je tout dit de ce pays
quand l’oiseau lance ses trilles
au faîte des peupliers ?
N’y-a-t-il dans les sous-bois
que l’orchis à l’ombre des fougères ?
Dois-je attendre pour me lever
le départ d’une fourmi
dans son labyrinthe d’herbe ?

Le printemps tergiverse aujourd’hui.
Mon visage tourné vers le ciel,
je capte seulement le message
des nuages bas qui partent nonchalants
vers l’intérieur des terres.

Les clairières de soleil franc
sont toutes minutées.

La girolle est une pépite
dans le talus de mousse.
Je ramasse des brindilles
pour ma cheminée.

Il coule il coule
le ruisseau dans la prairie.
Les taureaux sont ébahis.

Sous de sombres futaies,
pays de fougères et de frênes,
la marche est sévère.

Petit chat à l’écluse,
tu t’ennuies et tu pleures.
Tu viens salir tes chaussons blancs
sur le sentier boueux.
 

La chute d’eau
n’est pas un torrent de montagne.

La nuque dans le trèfle
que butinent les abeilles,
j’entends les joueurs de boules
qui poussent un peu loin le bouchon.

La chute d’eau
n’est pas un torrent de montagne.
Je peux même entendre
des mères penchées sur des berceaux.

Cathédrale de verdure,
son parvis de trèfle et d’épilobe.
Gloire du peuplier,
son chant dans le ciel bleu.

Une branche de chêne
me protège d’un soleil ardent.
Un nuage se disperse
comme un troupeau de moutons.

Le chemin transpire,
il a bu les ondées.
Des hommes s’affairent
autour des moissons.

A flanc de colline,
les chevaux blancs à l’ombre.
Éclat bleu de la libellule
sur la feuille d’ortie.

J’explore des parfums,
des goûts de miel.
Les vaches tranquilles
s’approchent des abreuvoirs.

Campagne ardente
rafraîchie par le ruisseau brun.
Les papillons blancs
ont droit de cité.
 

(cinq haïkus)

Chapelle de la Palud
Sainte Anne instruit Marie
Au son de la bombarde

Jardin des moines
Les pommes anciennes
Mûrissent en silence

En fleurissant
Les plants de giroflée
Ressuscitent ma mère

Dans la mare
Traversée par un rayon
Un bigorneau tranquille

Du sang sur mes lèvres
Je mouline
Ma confiture de cassis

Présentation de l’auteur

Pierre Tanguy

Pierre Tanguy est originaire de Lesneven dans le Nord-Finistère. Ecrivain et journaliste, il partage sa vie entre Quimper et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire.

Ses recueils ont, pour la plupart, été publiés aux éditions rennaises La Part commune. Citons notamment  Haïku du chemin en Bretagne intérieure  (2002, réédition 2008), Lettre à une moniale (2005),  Que la terre te soit légère (2008), Fou de Marie (2009), Les heures lentes (2012), Silence Hôpital aux éditions La Part commune (2017).

Il est également l'auteur de recueils de haïkus

 Haïku du chemin en Bretagne intérieure, La Part Commune 2002, réédition 2006. Postface de Alain Kervern

Haïku du sentier de montagne, La Part Commune, 2007. Préface de Alain Kervern

Ici même,  avec des peintures du Michel Remaud, La Part Commune, 2014. Postface de Alain Kervern

Silence hôpital,  La Part Commune, 2017, postface de Alain Kervern

En anthologies ou livres collectifs

Chevaucher la lune, anthologie du haïku français contemporain, éditions David (Québec), 2001

Anthologie du haïku en France, bilingue français-anglais, éditions Aléas, 2003

L’arbre sort du bois, éditions Pippa, 2017

Le petit livre du haïku, First éditions 2018

Sav-Heol, Soleil levant, Rising sun,  haïkus et tankas de Bretagne et du Japon, Futurescan, 2019

Haïkus d’hommes, éditions Pippa, 2020

 

 

 

 

Pierre Tanguy

Autres lectures

« J’écris dehors », sur Pierre Tanguy

J’écris dehors Pierre Tanguy Combien révélatrice de son œuvre est cette confidence de Pierre Tanguy. Oui, à la manière des peintres impressionnistes qui sortirent brosses et chevalets des ateliers académiques, Pierre [...]

Pierre Tanguy et Michel Remaud, Ici Même

  Les belles éditions rennaises La Part Commune publient Ici même sous la plume de Pierre Tanguy rehaussée du subtil pinceau de Michel Remaud. Ouvrage où il nous est donné à contempler, De [...]

Pierre Tanguy, Silence hôpital

Vivre la maladie, en poète Petit recueil mais, on le sait, le nombre de pages n’a rien à voir avec la densité. Dans l’univers de l’hôpital, tout compte de son poids de souffrance. [...]

Antoine Arsan et son « éloge du haïku »

Encore un essai sur le haïku, direz-vous ? Le genre poétique n’en finit pas, en effet, de susciter commentaires et appréciations de toute nature. Avec le livre d’Antoine Arsan, publié dans la prestigieuse collection [...]

Pierre Tanguy, Poètes en Bretagne

Poètes en Bretagne qui est paru en mai 2021 aux éditions Sauvages dans la collection « La Pensée sauvage » rassemble les « lectures choisies » de Pierre Tanguy sur de nombreux recueils écrits par des poètes [...]

Pierre Tanguy, Poètes du monde

Le monde entier entre dans ce livre de Pierre Tanguy qui accueille des voix multiples en amitié poétique : quarante-sept poètes d’hier et d’aujourd’hui, de vingt pays différents nous invitant au voyage hors de [...]




Lucien Wasselin, Saint Didier, et autres poèmes

Un ensemble publié en 2014.

Richard
ces fameux problèmes d'hommes
ils sont venus s'ajouter
à ceux de fin du mois

quel est le plus dur
de la mélancolie ou du manque
même aux heures les plus pâles de la nuit
je n'ai jamais su

et le temps venu
on se dit qu'on a raté sa vie
qu'on n'a pas su lutter
qu'on a seulement cassé son âme

à regarder aujourd'hui les morceaux
dans le caniveau
les camarades sont devenus rares

les rêves sont intacts
on se révolte encore
on refuse de s'allonger sur la pierre
et d'offrir sa gorge au couteau
demain s'éloigne toujours
et nous le poursuivons

Richard
ces fameux problèmes d'hommes
ils sont venus s'ajouter
à ceux de fin du mois

quel est le plus dur
de la mélancolie ou du manque
même aux heures les plus pâles de la nuit
je n'ai jamais su

et le temps venu
on se dit qu'on a raté sa vie
qu'on n'a pas su lutter
qu'on a seulement cassé son âme

à regarder aujourd'hui les morceaux
dans le caniveau
les camarades sont devenus rares

les rêves sont intacts
on se révolte encore
on refuse de s'allonger sur la pierre
et d'offrir sa gorge au couteau
demain s'éloigne toujours
et nous le poursuivons

La fiancée du pirate
le chant qui s'élève
est une voix qui troue l'espace
et le fait trembler

je me souviens de Chant public
devant deux chaises électriques
c'était début soixante-six
Pia Colombo jouait Union maid
le souvenir me déchire encore
comme un écho de Woody Guthrie
elle chantait deux chansons
que le théâtre était beau
j'ai toujours le livre de Gatti
dédicacé de deux têtes de chats
et c'est la même nuit
de sueur et d 'agonie

puis ce fut
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny
et ensuite
le récital Bertolt Brecht et Kurt Weil
j'écoute encore le disque
je n'ai jamais vu
Il faut rêver dit Lénine
mais je rêve toujours
aujourd'hui que la nuit
de sueur et d'agonie
semble recouvrir le monde

pas de nostalgie
mais la rage et la hargne
d'encor durer sans me renier
I'm sticking to the union 'til the day I die
la nuit de sueur et d'agonie
se déchire
Public song before two electric chair
fut joué à Los Angeles
pour commencer le millénaire
sans Pia Colombo

et le passé revient au jour
à l'ordre du jour

mais un soir il y aura des cris dans le port
et on dira : Que sont ces cris-là ?

5 mai 1981 Bobby Sands

gloire dans les siècles des siècles
et dans une journée de sa vie
à Bobby Sands mort de faim
dans la geôle de Long Kesh
par la cruauté du fossile
symboliquement deux fois décapité
qui régnait alors à downing street
et qui finit par perdre la tête
 

Présentation de l’auteur

Iris Cushing

Iris Marble Cushing was born in Tarzana, CA in 1983. She has received grants and awards for her work from the National Endowment for the Arts and The Frederick and Frances Sommer Foundation, as well as a writing residency at Grand Canyon National Park in Arizona. Her poems have been published in the Boston Review, La Fovea, No, Dear, and other places. A collaboration with photographer George Woodman, How a Picture Grows a World, was translated into Italian and was the subject of an exhibition at Galeria Alessandro Bagnai in Florence, Italy. Iris lives in Brooklyn, where she works as an editor for Argos Books and for Circumference: A journal of poetry in translation.  

Iris Cushing

Poèmes choisis

Autres lectures




Denis Heudré, Une couverture noire (extraits), et autres poèmes

Des poèmes publiés en 2015...

les chevaux s'emparaient des fenêtres
et les jetaient au fossé

dans la maison
une femme de quelques nues
n’avaient plus que ses livres pour pleurer

la vie renaîtrait sûrement
de la parole et tout près

***

pardon
pulsation

il ne faut pas laisser
un rythme sans surveillance

dans mon cerveau hurleur
s’évapore une naissance

l'amour une onde en soi
 

***

poème d'outre incantation

arbitrer les silences
en tracés de langage

mouvements monologues
en sous-absence

inter-prétention du savoir
des âmes

écrire
est terre
vierge

***

et l'Homme
se sent plus petit
chairs en friche
en lit desséché
chemins rebroussés
et paroles en l'air

ne lui est acquis
pas même le jour
que cette peau de paille
qui s'enflamme
à peine étreinte
et qu'il abandonnera
                                         un jour

***

prend bien soin de tes semelles
il ne faudrait pas revenir
avec un pas égaré

les fossés ont des oreilles
et tu ne saurais
y échouer tes rêves
 

Un ensemble de poèmes confiés à Recours au poème en septembre 2013.

trahi par l'eau d'une berceuse
un enfant se replie
dans son regard
cache-cache
dans le bâti du dedans

souffre-souffre
la fable enfantine
 

 

ce temps de chien qui pue éparpille ses épines autour du monde
eux n'ont pas de chaussures et leurs dents brillent
on les voit de télévisions en visions télépathiques
j’ai froid au flanc de tous ces mots
en dégoulinant de mondes

une averse encore vivante m'attrape par le gris
pour se déjouer de ma jeunesse

 

instants bâtis d'envies mal en dérive insufflent les nuages de nos tourments
bonheurs repliés en lassitude à la révolte
j'aurais voulu de grandes eaux improbables
pour tarir le cri collé à ma chaussure
des velours des corps des sentiments

le jour avance avec un caillou dans son nuage
le cœur avant l'orage
 

 

instants bâtis de tous ces soupirs solubles dans les rêves
trop bête pour le grand écart trop grand pour la fable enfantine
j'aurais voulu l'univers tout débraillé
construire des remparts contre les dieux
machicoulis des humanismes contre les flèches-imprécations

le temps ne bouge que de quelques fleurs dans la bagnole
quelques saisons dans l'ignorance
 

Présentation de l’auteur




Carole Carcillo Mesrobian, Derelinquens mundi

sur la dérobade barbare
des formes
flambent
à la fenêtre
un rideau flotte qui vacille
avec le paradis

et toujours cette ombrelle
curviligne  la vie
lisse et claire et frugale
rassemble ses essaims
de blond distinct de blé dans le feu des étables

notre monde est l’oiseau pris dans les plis du vent

∗∗∗

 

Nous étions là où je suis seule

Habillés de ton rire

dans ce que le temps n’atteindra

que s’il disparait

et je t’ai regardé

comme on essaie enfant

d’attraper le savon des bulles

mes mains ont grandi

mais pas mes rêves

 

∗∗∗

 

Il faisait chaud

l’air était le clos d’entre nous

et tu n’osais rien regretter

encore

ni la suffocation

ni l’encre oubliée

des ridicules amas de traits apeurés

par la substance immaculée

de cette plaie de lumière

qui emportait nos visages

lorsque nos bouches se taisaient

∗∗∗

 

tu verses dans cette vie des rêves
sur les cheveux du vent
et dans tes paroles
tu appelles la trace
où ta langue ouvrira les abysses des mondes
enfouis dans la texture  
des routes dans tes mains
nues comme la ligne d’elle
qui viendra reconnaitre
chaque sillon comme un trait de chemin
où sera sa demeure

 

∗∗∗

 

Je vais partir
Tourner sur le chemin
Et disparaitre
Jusqu’ailleurs
une autre fois
nous ne savons
ni toi ni moi
si se ressembleront encore
ton épaule et ma nuit
on ne sait jamais rien
de ce que l’impossible épargne

 

J’ai tenté de traverser ta peau
avec une épée de silence 
pour t’entendre exister
j’ai suivi le passage
d’insidieuses patiences
morsure d’un loup sans fin
comme une traversée
sur un étang de glace
même si l’immensité 
inouïe
de ta nuit
demeure mon désert
j’ai ramassé le feu 
comme le vent des lisières 
efface les épicentres
dans l’allure 
d’ignorer ton visage
comme un guillotiné son corps

 

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

Autres lectures

A contre-muraille, de Carole Carcillo Mesrobian

Avez-vous déjà éprouvé l'impression d'avoir plus ou moins bien lu un livre de poésie ? Pour ne pas dire l'avoir mal lu… Vous est-il déjà, arrivé que l'insatisfaction (ou le hasard) vous amène [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence

Sous la cicatrice une blessure, sous la blessure, la peau du temps Toutes les frontières froissées, emparées, et cette première aube, cicatrice ouverte, blessure reconnue dans « le creux du sillon vase femme… ». Carole [...]

Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan

Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan Poésie vivante comme le mot vivant vacille au couchant. Carole Merosbian offre, dans cet ouvrage fugueur décousu recousu, sa vision littéraire pétrie d’analogies [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Le lecteur que je suis – dans ce domaine qui m'est si essentiel, à savoir la poésie – ne peut être qu'extrêmement sensible à un recueil qui renoue avec la fibre artaudienne du [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Fem mal

Intimité expulsée pour retrouver la paix en soi. Lorsque l’autre, malfaiteur hurlant dans les chairs tuméfiées, est trop bien installé au cœur de la femme-offrande, celle-ci vacille, tombe, mais continue de parler pour [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Dès son titre (oxymorique), Ontogenèse des bris - qui fait l'économie de l’article et ainsi se relie d’entrée aux textes initiatiques soulevant depuis les lames de fond les « vagues vipérines » du Vivre en sa [...]




Grenier du Bel Amour (1) : Jakob Von Hoddis

Une chronique dont voici le premier numéro publié dans le sommaire n°68 de Recours au poème, en octobre 2013, et qui sera régulièrement sur nos pages jusqu'en juillet 2016.

∗∗∗

 

Qui connaît encore, aujourd’hui, Jakob van Hoddis ? Et pourtant, il fut, dans ce que nous appelons  l’entre-deux guerres , l’un des principaux poètes allemands, qui influença aussi bien le mouvement dada que, tout naturellement, le surréalisme naissant qui allait prendre la suite de ce dernier.

Oh ! Je sais bien que van Hoddis fut classé comme schizophrène par les psychiatres de son époque, et que cela lui valut de disparaître dans les purges nazies, quand le parti au pouvoir dans son pays décida de l’élimination systématique des « aliénés mentaux. » Mais est-on vraiment « fou » lorsqu‘on est capable d’écrire que (je suis obligé de citer là dans la belle traduction qui nous est offerte) « La fiancée doucement gèle sous son  léger ensemble./ L’ange se tait. Les courants d’air passent comme fiévreux./ Il tombe à genoux. Maintenant les deux tremblent/ du rayon de l’amour qui a surgi des cieux.// Rires des éclats de trompettes et du sombre tonnerre/. D’un léger voile l’aurore a été survolée./ Lorsque d’un tendre et faible/ mouvement elle lui donna sa bouche à baiser. » Oui, au regard de la société et de la pensée alors dominantes (mais est-ce vraiment si différent de nos jours ?), on est sans doute fou comme l’ont été un James Joyce, un Pablo Picasso, ou plus près de nous dans le temps, un Jackson Pollock en Amérique. Ou, si l’on en croit Winnicott, comme on a reproché à quelqu’un comme Carl Gustav Jung d’avoir été fou dans son enfance…

Encore que l’on puisse se poser la question de savoir s’il ne faudrait pas retrouver la distinction que faisaient les Anciens (je pense ici, particulièrement, à ce qu’avance Le Phèdre, ce si beau dialogue de Platon), cette différence, donc, entre la mauvaise et la bonne folie. Ou alors, que veulent dire des expressions comme les « fous de Dieu » (que ce soient les Bauls de l’Inde ou les Saloï du christianisme orthodoxe), ou cet « amour fou » qui plonge au plus profond du légendaire celtique… et trouve son apothéose dans l’ouvrage d’André Breton qui porte précisément ce titre ?

Au fond, je dois être honnête, je ne connais pas assez les pièces du dossier pour porter un jugement. Mais je ne peux m’empêcher de me demander si van Hoddis, en admettant qu’il offrait des signes clairement psychiatriques, n’était pas fou comme le furent avant lui Hölderlin ou Frédéric Nietzsche – c’est-à-dire d’avoir poussé si loin son exploration  d’une « autre réalité », qu’il en demeura à jamais marqué dans sa chair et son esprit ?

Dans son dernier Séminaire publié, Jacques Lacan ne posa-t-il pas ainsi la notion de synthome (et toutes les association d’idées sur ce mot sont évidemment les bienvenues), qui dénote chez celui qui est « psychotique » l’accès à un ordre du langage et la trouée vers un réel auquel les « hommes quelconques » n’ont certes pas accès ?

Est-ce pour rien, de ce point de vue, que, en littérature, van Hoddis fut l’un des chefs de file de l’expressionnisme – rappelant de la sorte l’improbable géométrie des images du Cabinet du docteur Caligari, ou anticipant sur les intuitions les plus fulgurantes d’un Murnau ?

Et lisons – et relisons  - le dernier poème qui nous est offert de lui, qui date de 1918, et qui, sous le titre « Der Idealist » (je comprends assez d’allemand pour entendre ce mot-là !), se termine par ces mots : « Là-dessus, même si dans l’escalier la/  peur de chaude pisse le traversait encore,/ il jura fidélité sans remords/ une fois encore, obstiné malgré tout, à sa/ noble devise : Nature, nature ! »

Présentation de l’auteur

Jakob Van Hoddis

Hans Davidsohn, dont le pseudonyme était Jakob van Hoddis, est un poète allemand expressionniste, né le 16 mai 1887 à Berlin, et mort en 1942 à Sobibor. Il fut l'ami de Georg Heym, et l'un des précurseurs du dadaïsme.

Poèmes choisis

Autres lectures




Le mémorial des limules de Jacqueline Assaël. Sur FJ Temple

En novembre 2013, cette critique amorçait une collaboration fructueuse avec son auteur.

∗∗∗

 

Jacqueline Assaël publie un essai sur l'œuvre poétique de Frédéric Jacques Temple… Et je ne peux m'empêcher de penser, même lointainement, à la lecture que fit Paul Claudel d'Arthur Rimbaud (1). Il cite alors quelques passages de la lettre d'Isabelle Rimbaud à sa mère, décrivant les derniers moments d'Arthur Rimbaud à l'hôpital de la Conception à Marseille : "Tu vas voir, on va apporter les cierges et les dentelles, il faut mettre des linges blancs partout…" Et ça suffit à Claudel pour faire de Rimbaud un catholique envers et contre tout (ou presque tous).  Ce à quoi s'oppose violemment  Aragon dès 1930 dans sa préface (longtemps inédite) à Une Saison en Enfer (2) : "Le truquage est le fort de ces hommes rompus à la sophistique chrétienne, de ces hommes  qui parlent couramment des preuves de l'existence de Dieu. En attendant, il faut surtout subtiliser les pièces du procès qui pourraient infirmer la thèse catholique : il est certain que sur les conseils de Claudel, le couple Berrichon enterra deux poèmes blasphématoires… etc ". Mais en septembre 1943, Aragon et Claudel finiront par se rencontrer lors d'un déjeuner organisé à Lyon par René Tavernier, les temps n'étant plus les mêmes…

L'essai de Jacqueline Assaël comporte deux parties (dont la première me laisse sur l'expectative par ses partis-pris, alors que j'adhère à la seconde) suivies d'un entretien de l'auteur(e) avec le poète. Si ce dernier, avec son ouverture d'esprit habituelle ne remet pas en cause l'approche de Jacqueline Assaël, il ne manque pas de noter que toute œuvre donne naissance à des interprétations diverses : Frédéric Jacques Temple ne déclare-t-il pas : " Je crois que ce qui fait l'authenticité d'une œuvre littéraire, c'est justement que la multiplicité des interprétations, selon les personnes et les époques, ne l'épuise pas. Bien sûr, l'œuvre critique en apprend souvent davantage sur les obsessions de son auteur que sur son référent et quand elle est de qualité, eh bien, elle en apprend autant ! " (p 66).  Belle façon de botter en touche après avoir déclaré, en réponse à ce qu'affirme Jacqueline Assaël présentant son essai ("Cette réaction est sans doute caractéristique du zèle d'une néophyte qui n'envisage pas de prendre l'habitude de supporter, sans mot dire, les manifestations d'un mépris de la foi dans les productions intellectuelles et qui ne veut pas donner l'impression d'admettre comme une évidence et sans discussion le bien-fondé d'une idéologie matérialiste" [p 63]) : "J'étais effectivement très surpris que vous ayez privilégié ce dont les critiques ou les commentateurs ne se sont pas souciés jusqu'à aujourd'hui, c'est à dire mes rapports à Dieu. Mais je n'ai jamais nié son existence, ne serait-ce que par prudence ! " (p 64). Que penser de cette prudence ? Et que met-on sous le vocable de Dieu ?

Dans la première partie de son essai, Jacqueline Assaël pose comme un postulat l'existence de Dieu. Et partant de là, elle (re)lit l'œuvre de Frédéric Jacques Temple et force parfois le trait ou se fait violence (ah, le zèle du néophyte !) pour prouver que l'œuvre correspond à ses a priori. D'où cette impression de malaise que j'ai éprouvée à la lecture. En effet, nous dit-elle, l'aurochs "renvoie à l'image massive et animale d'une créature proche du taureau, sombre divinité des manades, et à celle du bœuf de la crèche (3), réchauffant du souffle de ses naseaux et de la proximité de son poids de chair la nouvelle étincelle de la vie" (p 21). Et pourquoi pas, au lieu du bœuf de la crèche, le taureau présent dans la pensée religieuse des Sumériens, des Babyloniens, de l'Inde aryenne et védique, de la Crète, de la Grèce et de Rome ? Comment comprendre cet archétype qui court de l'Antiquité (voire de la Préhistoire avec ses figures pariétales) jusqu'à Frédéric Jacques Temple ? Jacqueline Assaël ne répond pas à ces questions.

    Pour autant, la seconde partie (qui ne met pas en évidence ses préférences idéologiques) est une bonne introduction à l'œuvre de Frédéric Jacques Temple. J'ai ainsi, en particulier, apprécié l'approche du poète en collectionneur qui conserve (et préserve donc de l'oubli) les mots renvoyant à ce qui est en passe d'être oublié, comme les êtres vivants qui n'ont pour seules traces que des fossiles. On est alors en plein dans une option matérialiste, me semble-t-il… Mais que le dieu de Jacqueline Assaël me garde de lancer l'anathème sur son essai : ce dernier donne envie de lire les livres de Frédéric Jacques Temple !

Notes :

1. Paul Claudel, Préface aux Poèmes de Rimbaud. Le livre de poche n° 498, Gallimard, 1960. 

2. Aragon, in Une Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud. Le Temps des Cerises (collection Les Lettres françaises), Paris, 2011. page 9. Voir mon article sur internet dans "revue-texture", janvier 2012. 

3. C'est nous qui soulignons… (NDLA).

Présentation de l’auteur

Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple est né en 1921 à Montpellier. c'est un écrivain et poète français. Son œuvre comprend des poèmes, des romans, des récits de voyage et des essais. On lui doit également des traductions de l'anglais.

Poèmes choisis

Autres lectures

Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel

Vivre d’abord Belle initiative du poète et éditeur Habib Tengour de publier, dans la collection Poèmes du Monde qu’il dirige aux éditions APIC à Alger, une nouvelle anthologie de poèmes de Frédéric Jacques [...]




Marc Kober, L’ours des mers

Un article paru en 2017, que nous devons à Michel Host qui nous a quittés cette année, le 6 juin.

∗∗∗

D'un monde à l'autre1

Le livre de Marc Kober est mince et il tient à l'aise dans la poche. Il n'en est pas moins grand, il contient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux. » Bref, il tient sa place et son rang.

Le poète l'a divisé en six « sections », elles paraîtront ici et chacune à son tour.

L'OURS DES MERS n'a pas volé son nom, il aime à se baigner : nous assistons à « son premier bain / au plus profond du nu ». On le devine blanc, car il porte des lunettes noires, selon celui qui le dessina avec finesse et élégance, Vincent Rougier. Il paraît dans son costume naturel, sous ses poils, tout comme un homme c'est probable, tout comme le « dieu nu dans les flots » de l'épigraphe, sous « la constellation du Grand Ours. » On le devine aussi peu rassuré que le lecteur ou que l'homme moyen « sans combine ». Ses pensées ne sont pourtant pas des plus pures (on y rencontre Dédé-la-saumure) et c'est le chaud mois de juin, tout cela est bizarre… pour un ours ! Les environs semblent peuplés de nudistes et d'étranges individus, qui vont « Sous l'œil unique de Ganymède au naturel / La matraque en berne / La double lune à l'air ». Voilà qui semblera plus belge que nature au lecteur averti. L'animal est à deux têtes, tel Janus ici, là il fait le singe dans l'eau tandis que s'érigent phares et arbres au « royaume des hommes nus … […] tous soumis à l'acupuncture solaire ». Rarement mots et images se seront accordés à ce point. Des femmes passent « inaccessibles », lui s'apprête à « entrer dans le sexe liquide la mer. » Cette fable, cette allégorie ne sont-elles pas étranges et néanmoins d'une limpide clarté ? La poésie ne doit-elle pas, dans ses tâches premières, nourrir l'imagination ?

Marc Kober : L’ours des mers, Rougier V.

MARC KOBER, L'ours des mers, Chez Rougier V. – 2017
50 pp. — 13 € Coll. Plis Urgents 45
Dessins et Gravures de Vincent Rougier

Atelier Rougier V. 3 Les Forettes – F-61380 – Soligny la Trappe

Les MÉDUSES POÉTIQUES sont « d'eau douce », se goûtent en sorbets, se croquent avec du « sel neige ».. Ce monde grandit dans des proportions inavouables, il ne ressemble à aucun monde connu, peut-être relève-t-il d'une désorganisation singulière ou d'une organisation surréelle, pour ne pas dire surréaliste. « Taquiner la méduse… » ? N'en rêvez pas trop. Peut-être est-ce impossible. Dans un coin du tableau, vous verrez un amandier bander. C'est étrange aussi, un amandier qui bande. Merci au poète et à son illustrateur qui voyagent ensemble avec tant de bonheur. J'ai connu des personnes qui n'admettaient pas l'humour dans la poésie, encore moins le sourire et l'ironie portée sur les choses : ces personnes étaient plutôt malheureuses ! Lecteur, meurs en paix, car « Les Grecs mettaient des petits cailloux sur les morts » et tu auras, en prime, « un œuf qui te parle de la naissance de la mer », avec « l'odeur violente des narcisses blancs ». Autrement dit, prosaïquement dit, philosophiquement dit : qu'est-ce que la mort ?

Les POÈMES DE L'OUEST PARISIEN sont deux, presque orphelins. Question subséquente : qu'est-ce que l'est parisien ? Qu'y a-t-il vers l'est parisien ? En apparence (c'est le cas de le dire), on y trouve « les poètes de Louveciennes », de vains gesticulateurs, et les chevaux du roi Soleil au carrefour de Marly : une illusion et un hologramme. Disons-le, notre monde est carrément autre et le poème nous l'aura changé. C'était d'ailleurs « l'hommage d'une caméra de surveillance » du temps où il y en avait ue à chaque carrefour.

Les HAÏKUS DE BANLIEUE ont ceci de singulier qu'allant par trios tranquilles (ils sont donc fort peu japonais), ils traversent une contrée où « les prostituées sont à Genève » (entendons : elles ne sont pas où on les cherche), où les voitures n'ont nul besoin de plaques d'immatriculation et où, pour une jeune fille, avoir de grands pieds n'est pas un vice de forme. Inconvénients et avantages. Chaque lieu a les siens. Un ours est présent, il a les oreilles roses comme les fleurs des jardins. Toute cette douceur est peut-être trompeuse. Les mots nous piègeraient-ils, surtout s'ils ne cachent aucun piège.

DIEU EST UNE FEMME COMME UNE AUTRE. Dans l'envers des choses d'ici-bas ou d'ailleurs, une genèse toute nouvelle nous attend. Elle est l'œuvre d'un Dieu assis sur son coussin de nuages, dieu personnel donc. Son ventre s'arrondit au point qu'il fut dans l'impossibilité de « [voir] sa divine » ! Ô mon Dieu ! Il accoucha de lui-même, soit de « sa plus belle création ». Cela nous a un petit air spinoziste bien réjouissant. Ensuite il n'accoucha plus que d'un modeste vent, fit pipi sur l'aile d'un ange ce qui ne fut probablement pas facile, des seins lui poussèrent, il fut femme enfin et « connut la joie, l'insulte et le crachat. »

Le recueil se clôt sur un carnet de recettes culinaires de l'autre monde : on y cuisine le crabe chinois, la soupe confucéenne, le tartare coréen dont on se fournit à Paris, entre les avenues d'Ivry et de Choisy, et on y boit des alcools asiatiques dont certains, plus légers, sont aisément tolérés par les jeunes filles. On y mange aussi à la pointe des baguettes. Si une demoiselle se sent mal, on lui masse les orteils. L'esprit ayant été nourri, Marc Kober entend nourrir les corps de mets qui seraient exotiques s'ils n'appartenaient à cet ailleurs où il nous emmena en visite. Non pas dans l'inepte souhait touristique, mais dans l'aventure de la rencontre et de l'expérience exploratrice. Les questions sont : quel est ce monde aux contours parfois asiatiques, mais assez mélangé ? Est-il d'hier, d'aujourd'hui, de demain ? On reconnaît ici la rigidité de nos catégories. C'est un monde du rire, parfois de la dérision, souvent de l'ironie. Il est bon d'avoir entrepris le voyage. Si l'on veut bien y réfléchir, un monde infiniment plus sérieux que celui dans lequel nous marinons depuis plus de 5000 ans comme des crabes « à la carapace molle ».

Fin de « D'un monde l'autre » — Octobre 2017
de Marc Kober

Extraits du recueil L'Ours des mers

Poèmes de l'ouest parisien

Les poètes de Louveciennes
Gesticulent dans une cage en verre
Pour une belle indifférente

Carrefour nocturne de Marly
Le roi Soleil lâche ses chevaux
hologrammatiques

Dieu est une femme comme une autre

Dieu créa d'un miroir joufflu la forme des nuages. De cette barbe à papa recuite naquirent les parties d'une géométrie élémentaire. Royant bien faire, il sortit l'homme et la femme du pétrin et les dota d'organes roses. Il aimait modeler la tige, le pertuis et la divine sphère. Car ce géant obèse songeait, assis sur des coussins orientaux. Il se rêvait aussi lisse et parfait que les planètes. Il conçut après plusieurs visites. Son ventre s'arrondissait. Il ne voyait plus sa divine… Une touffe d'herbe s'accrochait au bas de sa colline gravide. Il eut un dernier spasme. Il était enfin devenu sa plus belles création.

Note

  1. Cet article est publié également sur La Cause Littéraire.

Présentation de l’auteur

Marc Kober

Marc Kober est poète, universitaire et essayiste. Entre autres. Digne descendant du surréalisme influencé par Mandiargues et par Arcane 17, Marc Kober a créé une belle revue inscrite dans ce domaine dans les années 90 du siècle passé, La Révolte des chutes, revue qui a joué un grand rôle dans le développement des éditions post-surréalistes Rafael de Surtis, avant de devenir rédacteur en chef de Supérieur Inconnu puis membre du comité de rédaction de La Sœur de l’Ange.

Auteur d’un roman (Fayard) et d’un recueil de nouvelles (A Contrario), il affectionne les beaux objets livres.

Marc Kober

Recueils de poésie

  • Déposition/Deposizione, dessins d’Enrico Baj, Ferrare : Liberty House Editore, 1992.
  • Suite Coréenne, gravures de Gérard Serée, Poitiers : Éditions Rafael de Surtis, 1999.
  • Un Creux d’obscur, gravures de Gérard Serée, Nice : Atelier Gestes et Traces, 2003.
  • Soixante Baisers, Paris : Éditions La Mezzanine dans l’Éther, 2007. Réédition 2008.
  • Les Fèves bleues, Nice : Atelier Gestes et Traces, 2010.
  • Un Hareng dieppois à Fécamp, deux gravures d’Olivier O. Olivier, Soligny-la-Trappe : Rougier V. éd., 2011.
  • Traité du moustique en zone libre, gravures de Vincent Rougier, Soligny-la-Trappe : Rougier V. éd., 2015.
  • Tatsu to kumo (dragons et nuages), Nice : Atelier Gestes et Traces, 2015.
  • Quelques mots sans art, collection « Médaillon », gouaches de Marc Janson, Tours : Le Livre pauvre (Daniel Leuwers), 2015.

Autres lectures

MARC KOBER, L’OURS DES MERS

D’UN MONDE L’AUTRE Le livre est mince et il tient à l’aise dans la poche. Il n’en est pas moins grand, il contient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux. » Bref, [...]




Éric Pistouley, PÉPINS DE PASTÈQUE (extraits)

Des poèmes parus en septembre 2015.

∗∗∗

Noirs, scintillants comme des yeux dans la gaze aqueuse et rose. Énervants, mais on les chercherait si on n’en voyait pas. Ne pas les enlever, de peur de gâter le meilleur du fruit. Les cracher pour finir et n’y plus penser.

°°°

Des griffes poussent au cerisier :
Va, tu agripperas le ciel
tu lacéreras le bleu du printemps !
Pointe ! Pointe !
Dresse-toi, envoie, à la faveur du vent, tes pattes de chat
monte aux étoiles cachées par le trompeur azur.

Mais soucieux de plaire aux hommes qui l’ont greffé, il ne sortira de ses griffes que fleurs fragiles et fruits sucrés.

°°°

Il y avait un grand parc où les derniers à jouer au cerceau sont aujourd’hui morts et incinérés. Mais ça restera un parc. Les immeubles s’appelleront Parc Quelque chose, et même Pâââaaaark, n’est-ce pas ?
On gardera la maison de maître comme preuve que le passé vit à travers le présent.
— Mais qui habitera la maison de maître ? Pas les maîtres, ils sont partis.
Nous hésitons : habitat social ou espace culturel.
— Entre le bon et le beau, entre le bien et le chic. Œuvres dans les deux cas, ennui garanti par les pouvoirs publics.

°°°

AVANT LA CONFÉRENCE

Je remercie, je remercie les institutionnels, les professeurs de l’École des arts, Marie-Amélie avec qui on prépare depuis un an, et un grand merci à Mama Maria de la Maison de retraite, et merci, merci vraiment à vous public qui êtes venus malgré les intempéries, merci aux murs qui nous abritent, à la charpente, aux solives, poutres et traveteaux, merci aux maîtres verriers, double verriers si isolants, merci aux chaises, aux tables, à la bouteille d’eau, aux forêts et aux sources qui irriguent les urinoirs. Un grand merci à Dieu qui fit la terre que l’on a cuite pour faire les tuiles du toit, merci au temps, qui nous manque.

°°°

Cet opus de Schubert dont seule une bonne connaissance des rythmes anciens rappelle qu’il fut composé à partir de danses entendues dans des cabarets de la campagne autrichienne. Que reste-t-il de ces gens qui mettaient dans ces airs leur jeune force et dont les rêves ne dépassaient guère l’horizon des champs sombres, là, juste devant ?

°°°

Au beau milieu de la campagne, la station d’épuration. Il faut passer devant la cabane, celle qui a été faite à partir de l’enseigne d’un supermarché disparu. Même ce nom s’est perdu, tellement il était laid. Encore quelques dizaines de mètres, on l’entend de loin, les pales tournent sans s’arrêter, triant la merde et l’eau régénérée.

En chemin, les chardonnerets, leur tête trempée dans le sang, m’ont ignoré, tout à des graines vaporeuses que leur offre l’avant printemps.

Aucune mauvaise odeur, l’hygiène a vraiment fait des progrès : toute la ville se déverse dans une conduite au tracé invisible. Pas de panneau pour venir ici, ni de temps de parcours, ni la faune et la flore expliquées.

J’ai trouvé une patte au pelage délicat, une belle patte de cervidé adulte, à la rupture peu nette, un os broyé, rouge, qui dépasse. Quelque chose de la nuit.

°°°

 

Je choisis un hamburger au bœuf Origine France et au Cantal aop. Avec un peu de chance, c’est la vache dont les muscles se trouvent juste dessous, sous forme hachée, qui avait fait le lait du fromage.

Il n’est pas exclu que la salade provienne d’un bout de prairie du Cantal mise en maraîchage dans le cadre d’un Programme Européen d’Incitation à Diversifier les Activités (peida).

Et là c’est fantastique ! Entre deux buns vous croisez un, puis deux, puis toute une foire de paysans auvergnats protégeant amoureusement leurs appellations.

Et, puisqu’on y est, une école de peinture locale qui fut florissante au milieu du XXème siècle, dans un beau village classé autour de son château, lui-même classé. L’un des animateurs de cette école était un excellent cuisinier, et son fils tient toujours le restaurant.

Il y a des risques que le pain supérieur soit alors déformé à cause de ce château qui, vous vous en doutez, est bâti sur un tertre. Il y a aussi le risque de confondre le hamburger avec une grosse madeleine. D’autant que la madeleine a une aop bien à elle.

°°°

GOÉLAND SOCIOLOGUE

Jeter un bout de tarte au flan dans les flots. Attendre deux trois secondes. Un goéland venu d’on ne sait où le recueille dans son bec crochu.

Ce qui m’étonne, c’est sa confiance dans tout ce qui flotte, parce que la rivière en charrie, des cochonneries.  Un reste de pâte à tarte aurait une forme prédéfinie dans son programme cognitif ?

À moins que :

tout individu d’une société post industrielle soucieuse d’environnement en train de manger debout accoudé à la rambarde du pont ne peut jeter dans l’eau que des choses comestibles sucrées ou salées.

C’est cela, je suis dans le programme, moi tout entier, dès mon arrivée avec un sachet à la main : ma façon de m’accouder et de regarder les façades frappées par le soleil de midi, mon attentionnée ouverture du sachet dont les plis sonores excitent l’appétit.

Peut-être même la couleur élimée de mon paletot sport & chic et quelques autres détails, comme La Quinzaine littéraire dans la poche droite du susdit paletot, me donnent-t-ils le profil d’un qui a horreur de s’emmerder à table avec tous les chichis du service et les noms prétentieux des plats, du jour ou pas, et préfère manger sur le pouce, en plein air.

Mais il est des fois où je mange tout, sans laisser une miette.

☐ on n’est pas obligé de se prononcer.

°°°

LE BOULOT DE MÈRE DE FAMILLE

L’agneau qui a échappé au grand massacre pascal bêle d’une voix plus grave et tète à grandes embardées au pis de sa mère.

Alors te voilà encore, dit-elle, grand couillon, va donc brouter. Tu ne seras pas allé en Amérique avec les autres, faire fortune et banqueter au milieu des grands œufs et des flageolets. Tu sais ce qui t’attend ici : l’herbe âcre, les longs jours de pluie sans abri, pas de télé et pas de pape non plus. Et la tonte au moment où tu commenceras à être beau, beau comme les grands béliers sauvages, ceux qui étaient maîtres de ces vallées avant l’arrivée des Ciseaux. Mon pauvre petit, je l’avais senti dès le départ que tu ne serais pas un aventurier comme tes frères.

 

Lire Eric Pistouley chez Recours au Poème éditeurs :

Les tours de magie de Gérard Macé, collection L’Atelier du Poème

Présentation de l’auteur

Eric Pistouley

Débuts littéraires au Temps qu’il fait : Une poétique du livre, un essai qui explore l’instant où, avant d’en lire la première ligne, on prend un livre dans ses mains. Quand finit l’objet ? Où commence le texte ? Histoires de frontières, de passages, de chevauchement, de jeu entre des territoires. Suivi d'un clone de la Religieuse portugaise, Lettres de Ré, d'une bluette sous pseudo et diverses collaborations dont celle depuis bientôt dix ans avec la revue.

Eric Pistouley

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