Le Prix Apollinaire 2021

Le Prix Apollinaire est sans doute le plus ancien et le plus prestigieux prix de poésie. Il fut un temps où, présidé par Jean Cocteau, sa remise constituait un événement majeur de la vie littéraire. Sous l'impulsion de Robert Sabatier, il a longtemps entretenu avec le Prix Goncourt (qui lui apporta même un temps un appui financier) des liens privilégiés, le jury se réunissant chez Drouant et comptant en son sein plusieurs jurés du Goncourt.

Forts de son histoire et de son palmarès de haute tenue qui de Seghers à Claude Roy, de Lorand Gaspar à Senghor, de Bernard Noël à Frédéric Jacques Temple ou Bernard Chambaz par exemple, a su distinguer les grandes voix contemporaines, nous œuvrons avec détermination, soutenus par des mécènes convaincus, à rendre au Prix Apollinaire un écho et un rayonnement nouveaux. Ce sera un signe parmi d'autres du retour nécessaire et urgent de la poésie dans le paysage culturel.

Jean-Pierre Siméon

Cette année, le Prix Apollinaire 2021 est attribué à André Velter 
pour son recueil Séduire l’univers précédé de À contre-peur (Ed. Gallimard).

Le Prix Apollinaire Découverte 2021 revient à Jean D’Amérique pour son recueil « Atelier du silence », publié chez Cheyne Éditeur. Ce prix couronne un jeune auteur particulièrement remarquable aux yeux des membres du jury.

Décerné aux Deux Magots depuis sa création en 2017, ce prix couronne un jeune auteur particulièrement remarquable aux yeux des membres du jury.

Photo de Une Cheyne éditeur.

Jean d'Amérique, Atelier du silence, Cheyne éditeur, 2021.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Anne Malaprade, Parole, personne

Quelques lignes piochées au hasard dans ce livre m’ont vite retenu ; et même happé. Qu’est-ce qui m’a pris ? À première vue ce livre ne dit rien, c’est peut-être ça… Il expose une substance verbale simple, concrète, prosaïque, on pressent ce qui se tient en-dessous, on ne sait quel drame, sans que jamais… c’est peut-être ça qui m’a mis en alerte.

Réflexion faite (car il faut bien que je me trouve un repère pour sortir de la confusion et avancer dans ma lecture), je dirai que cette écriture est anorexique. Elle en a la véhémence ; une excitation en lieu et place d’un désir. Oui, ce doit être ça : il n’y a pas de chair dans cette écriture-là. Anne Malaprade va à l’os dans un geste désespéré. D’ailleurs, elle nous l’annonce clairement : « elle tend à liquider la langue, elle meurt en vie depuis la cuisine lieu du crime. »

Anorexique aussi, le dégoût fasciné pour le père, avec lui le sexe rêvé n’est qu’une violence dénuée de genre.

ton sexe pied de biche de force ouvre mon chagrin
mon vagin
Fou

Anne Malaprade, Parole, personne, éd. Isabelle Sauvage, 2018, 102 pages, 17 €.

Violence subie, et violence agie. Le père ne serait-il pas le lieu de « l’insupportable empire du sens » ? – ou des sens, quand on se souvient du film dans lequel « une femme japonaise, parfois visitée par un homme, dans une chambre élégante et parfumée » tranche sa verge – pour la manger ? Il vaut donc mieux que l’amant reste éternellement à venir, et faire bien attention à ce qu’on avale… en cas de doute, vomir !

Quant à la mère elle est en morceaux. Et pourtant il est impossible d’en sortir. Les femmes sont encloses les unes dans les autres, à la manière des poupées russes, les matriochkas. Être femme c’est être enfermée dans une suite de femmes, toutes amoureuses les unes des autres. Ce n’est pas chez elle(s) qu’on trouvera le sens d’un désir pour l’autre dont on pourrait s’inspirer. Leurs corps sont déjà pleins, chargés de matières fécales.

En définitive, le seul corps qui reste est le corps de la lettre, pas d’autre issue. Voilà le texte érotisé, au point que publier c’est exhiber son corps. Avec la honte qui convient, pour signer le plaisir pris. Voilà où se chercherait une jouissance possible…

que                  l’homme me désire je désire qu’une langue me
                       pénètre je désire le
sexe     de la langue je désire le tu des signes désire les lettres en
Feu la             combustion des lettres les correspondances
les cachets                  les enveloppes les encres les secrets
explorent                                les détails
                       d’un
                       corps

C’est dans la lettre qu’il faut chercher le corps d’amour. Une quête vouée à l’échec puisque le jouir est au-delà (en-deçà) du verbe.

Anne Malaprade a goûté de toutes les nourritures possibles en littérature pour devenir docteur ès lettres et les enseigner. Elle les vomit toutes, furieusement. La littérature des universités fait partie des convenances, des « sourires, courtoisie, remerciements, formules toutes faites et formules à faire, confitures et miels, cafés allongés, livres, livres, livres à perte, livres à dégueuler. » Rejetant le corpus littéraire établi, elle ne peut que se tourner vers les procédés postmodernes en cours. Tout d’abord, celui de la litanie, si courant dans les performances diverses, que l’on trouve dans la première partie du livre, où l’accumulation produit un effet d’intensité – qui à mon goût est plutôt du côté de l’excitation que de la plénitude. Ensuite celui d’une écriture en morceaux composés sur une « table de dissection », si bien disséminés dans le texte que je ne les ai pas tous identifiés. En résulte « un puzzle incomplet » (où manquent les pièces qui donneraient une figure à l’ensemble), « des mots croisés »  (qui se rencontrent et se combattent) : tel serait la formule de « paroles, personnes » (au pluriel, cette fois), à l’image d’un corps éparpillé :

Je relis et articule. Les seins, voyons, doivent coller au buste, le buste devrait retrouver les jambes, c’est ainsi agencé dans la continuité d’existence.

J’ai pensé aux disc jockeys qui font un melting pot de musiques créées par d’autres. On peut faire la même chose en littérature, une « écriture klepto » dit-elle – on pourra toujours se référer à je ne sais quelle intertextualité s’il faut se justifier. À cette différence près : chez Anne Malaprade, ces façons n’apparaissent jamais comme une simple mécanique, l’auteur sait les intégrer dans son « empire du sens. »

C’est que chez elle le formalisme vient servir le fantasme ; tel celui du livre imaginé comme « deux textes portant le même chiffre et le même titre, de part et d’autre d’une double page, double page séparée accusée par une feuille d’un papier presque transparent. » – qui me fait penser à ces miroirs que l’on place face à face, d’où surgit une réplication qui paraît infinie alors qu’il ne s’agit que d’une répétition du même.

S’agit-il d’imager dans le corps du livre le stade du miroir de Jacques Lacan, stade où le petit enfant croit se reconnaître dans l’image inversée et plate, sans volume, qui apparait sur la surface réfléchissante ? (Pour ma part, je préfère le singe qui, confronté à la même expérience, va voir derrière le miroir s’il n’y est pas !) Le livre est donc construit en chiasme : sur une face, numérotés de 1 à 19, une série des textes qu’Anne Malaprade qualifie de proses, sur l’autre face, numérotés de 19 à 1, une série de vers, qui sont des images inversées des premières plutôt que des doubles, bien que les titres soient identiques.

Il me semble que ces préoccupations formelles renvoient à une mystique rationaliste – telle que le monde serait isomorphe aux formules mathématiques (telle fut la mystique d’Einstein !). La fantasmagorie du nombre d’or me paraît du même registre, qui prétend tenir dans une formule arithmétique le secret de l’harmonie. J’y discerne un (dérisoire) fantasme de toute puissance, tel que je pourrai contenir l’univers entier dans une équation que j’écrirais sur la page : mieux que yhwh !

… et voilà que me vient une idée bizarre : celle d’une pédanterie en creux, inversée elle aussi, bâtie sur un corpus littéraire qui serait présent d’être refusé, telle qu’au fronton du livre on lirait la formule : « nul n’entre ici s’il n’a avalé la littérature en son entier pour la vomir ! » La simplicité, la crudité de ce texte n’existerait que d’apparaître sur le fond oublié de la littérature entière. En cela proche d’une écriture beckettienne ?

Certes, Anne Malaprade met le cap au pire, mais ce n’est pas celui d’une extinction qui n’en finit pas de finir, comme chez le vieux Sam, bien au contraire. Elle cherche « l’amour avidement » – et reste à vide ; et avide…ment-il ?

Tout compte fait, ce que j’aime dans cette écriture c’est sa belle violence. Belle parce que loin de toute haine. Si elle mord et déchire et recrache, c’est qu’elle est sans concession dans sa course à la vérité, et qu’elle accepte de s’y livrer corps et âme. À tel point que j’ai envie de lui dire : merci... L’énigme flairée en début de lecture reste entière, en même temps ce n’est plus la même.

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Alain Nouvel, Sur les bords de l’Empire du Milieu

« Je percevais un vent, une lumière qui n'étaient plus ceux auxquels j'avais été habitué et cela donnait au monde une fraîcheur nouvelle.

J'entendais et voyais tout avec une acuité inattendue. » note l'écrivain voyageur, recueillant cette énigmatique impression de « liberté quand même », lors de son séjour en Chine des années 1981 à 1985, pays pourtant soumis à une tyrannie qui ne dérobait pas à la perception du poète sa formidable portée de manières de penser différentes de la raison occidentale : « Je l'avais tout d'abord expliquée par cette absence de Dieu et de verbe « être » dans la pensée chinoise, cette subtile progression entre le Ying et le Yang, mais je dois me rendre à l'évidence aujourd'hui que le mouvement était plus radical encore. Tout ce que je vivais là-bas remettait en cause les schèmes de la philosophie occidentale qui m'avaient à la fois formé et formaté. Quelque chose de plus profond que moi mais qui avait nourri, innervé, bâti celui que j'étais, vacillait : mes catégories mentales. » 

Alain Nouvel, Sur les bords de l'Empire du Milieu,
Éditions La Chimère, 130 pages, 16 euros.

Compagnon passeur des deux rives, l’académicien François Cheng présente la singularité de ce mode de pensée entre le Vide et le Plein, pour mieux en saisir à la fois le langage pictural et l’écriture poétique, dans ses propres essais, en révélant comment le système des signes de cette vision originale fait de l’idéogramme le lien secret reliant les choses au souffle qui les anime, tel un diamant taillé selon la correspondance des symboles, à travers l’incantation des tracés incarnés, dont la poésie des Tang s’avère le miroir troublant, réfléchissant la profonde unité entre écriture, calligraphie, peinture et musique, comme le révèle le signe typographique du trait d’union dans l’inventaire des procédés poétiques fondés sur la cosmologie chinoise : Vide-Plein, Yin-Yang, Homme-Terre-Ciel

Véritable regard sur la place de l’être humain dans l’ordre du monde, fétu de paille dans l’immensité du cosmos, mais à sa juste place lorsque ce dernier s’associe au grand vent de l’univers, le poème de Li Bai demeure emblématique de ce face à face entre un homme et une montagne, que le romancier J.M.G. Le Clézio reprend à son compte, dans son ode à la poésie Tang écrite avec la collaboration de Dong Qiang, Le flot de la poésie continuera de couler : « Le poète décrit un  lieu d’immobilité et de majesté devant lequel l’être humain, dans sa faiblesse et son impermanence, ne peut que s’asseoir et regarder. Li Bai m’apportait autre chose, à quoi je n’étais pas préparé par mon éducation et par mon langage : une plénitude, une paix intérieure. Cette paix n’était pas difficile à atteindre. La poésie Tang est sans doute le moyen de garder ce contact avec le monde réel, elle nous invite au voyage hors de nous-mêmes, nous fait partager les règnes, les durées, les rêves. »

C’est de ce contact avec le mystère quotidien d’une Chine aussi inquiétante que fascinante que se nourrissent les pages, Sur les bords de l’Empire du Milieu, résumées par le dernier paragraphe de ce journal de bord d’un périple au cœur de l’énigme : « À la limite, la Chine entière pourrait se concevoir comme un espace organisé en pointillés grâce à l’art de ses peintres, de ses architectes et de ses arpenteurs, une unité territoriale se définissant comme un espace écrit où, les signes s’entrecroisant, on pourrait lire une infinité de perspectives et de messages. » Éloge de cet infini déployé grâce à l’architecture et aux poèmes de cet « empire des signes », la prise de notes dans le carnet de route se conjugue à la calligraphie traditionnelle pour dire le divers et le profus de cette richesse que l’écrivain n’édulcore pas néanmoins, dans son témoignage juste et précis d’une totalité de pensée souveraine, au sein d’une contrée pouvant s’avérer, cependant, violente et cruelle.

Ainsi la fiction du journal intime de Lucie qui ouvre l’observation minutieuse de cet ailleurs, peut s’interpréter comme la missive poignante de son auteur pour une Chine qui revêt alors les traits de Liu, l’amant de son personnage féminin, ce père de l’enfant qu’elle porte, et si cette dernière a retrouvé ses origines, son passé, sa maison, elle hurle sa plainte d’amour, son cri d’une passion déchirante pour un homme plus âgé, d’un pays également plus ancien, dans les lignes tremblantes qui sonnent, si sombres soient les pages de l’Histoire, en hommages à cet autre monde dont Liu reste le visage que Lucie ne parvient à oublier : « Écrire une lettre au vent. Écrire à Liu, sûrement, pour lui dire ce que j’ai trouvé et ce qui nous unit, lui et moi, moi et lui. Au fond, c’est ce que je fais avec ce journal. Pages qui tournent, courants d’air. Écrire une lettre à l’air. »

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Xavier Grall – Georges Perros, Regards croisés

Ils étaient faits pour se rencontrer. Xavier Grall (1930-1981) et Georges Perros (1923– 1978), pourtant si différents dans leur approche du monde et de la vie, ont très vite eu des atomes crochus. L’amour de la Bretagne les réunissait mais encore plus leur « claudication commune » comme le dit si justement  Ronan Nédélec dans un livre où il rend compte des liens qui unissaient ces deux poètes. Livre publié à l’occasion des quarante ans de la disparition de Xavier Grall.

Ces liens se sont tissés par une correspondance et des rencontres. La première de ces rencontres date du 20 juillet 1969 à Tréhubert en Trégunc où Georges Perros s’est déplacé depuis Douarnenez (sur sa mythique moto) pour rencontrer Xavier Grall. D’autres rencontres suivront, parfois sous le regard de Nicole Collereau, hôtelière et restauratrice à Pont-Aven (une fameuse photographie de Michel Thersiquel les immortalise tous les trois). Grall se rendra aussi à Douarnenez.

Leur correspondance n’est pas très fournie. Rien à voir, par exemple, avec la correspondance que Perros a entretenu avec Lorand Gaspar. Simplement 20 lettres (13 de Grall, 7 de Perros) écrites entre 1969 et 1978. Grall écrit pour la première fois à Perros parce qu’il prépare un article sur les écrivains de Bretagne pour la revue Le Cri du monde. La dernière lettre est de Perros, le 18 janvier 1978, soit 5 jours avant sa 2e opération à l’hôpital Laënnec à Paris (il décède le 24 janvier).

Xavier Grall – Georges Perros, Regards croisés, La Part Commune, 242 pages, 15 euros.

Dans leur correspondance, les deux hommes parlent de leurs livres, évoquent des articles de journaux, parlent du temps qu’il fait et du temps qui passe. Pas de grandes considérations. Plutôt des signes d’amitié ou de connivence, des « coucous » chaleureux. Une fraternité entre les lignes en somme. « J’ai été très heureux de te revoir ici. Raid un peu bref toutefois. Faut revenir nizonner » (lettre de Grall du 26 décembre 1974 dans sa campagne de Nizon). « Merci de ta carte signe de tendresse. Mais je ne suis plus capable de faire de signes. Justement puisqu’on m’a coupé de sifflet (lettre de Perros, Laryngectomisé, de fin avril 1976). Ronan Nédélec, qui réunit aujourd’hui toutes ces lettres qu’il a pu retrouver, le note avec justesse : « Ils avaient tous les deux un sens aigüe de la chose littéraire et c’est aussi cette acuité qui les faisait boîter parfois à la même fréquence ».

Quand Georges Perros mourra, Xavier Grall (qui s’était déplacé à ses obsèques par une journée venteuse et pluvieuse au cimetière marin de Tréboul) lui rendra un hommage vibrant dans un long poème publié pour la première fois dans la revue Le Fou parle. « Je me souviens de Georges Perros/Je ne fus pas de ses intimes/C’était entre nous les rimes/De deux poètes dingues/De rencontres et de frairies/Humains trop humains/Il nous suffisait de l’être/Nous avions rompu avec Paris/Les mêmes rives nous étaient familières/Nous étions de ces frères pudiques/Qui ne sont graves/Que dans les lettres et cartes postales ». Grall publiera aussi deux chroniques dans Le Monde où il évoquera avec chaleur celui qu’il appelait « le moineau de la grève-aux-dames » (par allusion à l’appartement de Perros à Douarnenez qui dominait cette grève).

Les regards croisés de ces deux poètes ne s’arrêtent pas là. Ronan Nédélec réunit ici les appréciations qu’ils portaient, l’un comme l’autre, sur les œuvres d’Armand Robin et de Yves Elléouet. Il y ajoute cette passion commune des îles (Irlande, Sein…) que Grall ou Perros ont exprimée dans des articles ou des poèmes dispersés dans leurs œuvres respectives. Ronan Nédélec entend proposer, comme il le dit lui-même, « une approche sensible aux écrits et aux thèmes qui les auront fait boîter ensemble ». C’est le grand mérite de ce livre qui a nécessité une belle investigation pour rendre ainsi accessible des textes peu connus, ou pas connus du tout, de ces deux grands auteurs de Bretagne.

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Carole Carcillo Mesrobian, nihIL

Outre d’animer le très sérieux site en ligne, Recours au poème, aux côtés de Marilyne Bertoncini, Carole Carcillo Mesrobian est également une poétesse confirmée  - auteure à ce jour d’une bonne dizaine d’ouvrages dont le ton souvent singulier, et dont le dernier en date intitulé nihIL, témoigne à plus d’un titre de la vitalité de la poésie féminine d’aujourd’hui. 

Un recueil bref, mais audacieux au carrefour de divers genres (poésie, philosophie, science etc..) qui interprète les symboles à l’aide d’une sémantique rigoureuse, où le langage s’immisce abruptement dans les méandres d’un questionnement sensible et qui semble sans fin, où chaque mot, chaque phrase interprète une vision de nature cosmogonique (cosmique), mais pas seulement - car l’interrogation porte au-delà de l’utilisation académique du langage et de la langue en recouvrant des sphères inédites au sein desquelles la pensée se fond dans une horizontalité périlleuse qui heurte à bien des endroits, la manière d’appréhender le Monde.

Mais quel Monde au juste ? Carole Mesrobian l’écrit elle-même dans sa courte introduction. « Comment rendre compte de cette aberration tautologique que sont le réel et les mots qui servent à le nommer, le rendre audible, lui conférer une existence. Parler, écrire, autant de tentatives qui demeurent toujours fractionnaires, redondantes, illusoires, dans et par le langage ». La ligne de conduite est ainsi définie comme autant de tentatives qui demeurent «, fractionnaires, redondantes, illusoires », dans et par, mais aussi avec le langage, contre lui. Faut-il alors comprendre que ce que l’on qualifie comme Réel, s’avère seulement être une simple illusion, en trompe l’œil ? Dont la langue usitée pourrait constituer un ultime piège ? Ainsi parler, écrire, sont-ils suffisants pour rendre compte d’une attente plus grande, mais qui renvoie toujours aux sources de l’impuissance évocatrice et qui finissent presque logiquement à oblitérer les sources symboliques de la représentation ?

Carole Carcillo Mesrobian, nihIL, 2021, 44 pages, 12 euros, éditions unicité.

IL séjourne dans un espace impossible parce que nous cohabitons avec le hasard. (P.11)

Une première réponse est donnée par l’auteure. En cela que l’espace impossible est aussi et par extension logique là-encore,  rivé (sournoisement ?) à l’immensité même de l’espace qui nous englobe… Par hasard ?

Pas sûr cependant, car le hasard, autrement nommé, « imprévisibilité », imprédictibilité », est aussi un fait scientifique, (un fait est un fait) ; ou bien encore selon certaines définitions, « mystère de la Providence ». Je pencherais quant à moi, vers cette dernière formulation qui n’a rien d’anodin, encore moins de gratuit, parce que le hasard n’est lié à aucune cause commune, cependant que :

Notre situation entretien un quiproquo archaïque. Nous agissons avec des mots dont l’immobilité absorbe les contours.  (P.11)

Ainsi le « mode d’action » est-il à son tour convoqué, comme un « quiproquo archaïque » qui finalement peu s’avérer dangereux car IL n’affirme rien de plus qu’un risque possible d’erreur et de détournement du sujet-objet, qui n’appelle pas une réponse clairement signifiée et signifiante.

IL est de l’ordre du tâtonnement et de la quête ajournée …

IL révèle précisément son impuissance dans les contours, dans lesquels paradoxalement il s’affirme, en « tous points ».

La courbe stérile des lettres détruit notre imaginaire.  (Page 11)

Avec une possible destruction à la clé qui n’intervient pas forcément de manière sauvage, autant que brutale dans sa réalisation, alors que l’enjeu d’une re-naissance reste toujours probant :

IL remplace sa figure démiurgique par une imitation de sa transparence. Des nombres entretiennent l’illusion d’une fiction écrite entre les traces de sa disparition.  (P.11)

Et c’est bien alors et pour tenter une vaine explication (fictive et illusoire), au moins pour tenter de sortir de l’aveuglement.

Une force cosmique enterre nos déplacements sous le trajet de notre liberté. (P.13)

A condition toutefois que cette dernière soit encore possible, puisqu’au final,

Nos fantasmagories perpétuent la traversée inaboutie d’une chronologie occulte. (P.14)

Comme sortie, extirpée, de la prescience divinatoire sans risquer de provoquer un drame encore plus grand dont le vide serait le seul miroir acceptable - là encore la prudence semble de mise.

Un chaos imperceptible recouvre l’étendue d’une durée incoercible.  (P.15)

Si bien que l’espace-temps est littéralement congédié :

IL avale la durée de nos paroles parce qu’IL écrit avec des lettres réversibles. (P.15)

Et plus encore pour nous perdre encore plus intensément, en inversant les portes d’entrée.

Il raconte l’expérience légendaire de notre ignorance en falsifiant le corps de nos attentes. (P.17)

A tel point que l’on peut se demander si l’ignorance au fond ne serait pas le meilleur atout (rempart) pour conjurer le mauvais sort qui pèse sur nos consciences imparfaites, inachevées,  afin de démembrer (dénombrer) :

L’architecturé d’un langage hermétique (qui) délimite le périmètre de nos enfermements. (P.26)

Et c’est à mon sens, comme à juste titre, que l’on peut parler, sans risque cette fois-ci de « probabilité du CHAOS », comme « d’une dynamique inversée », échappatoire possible entre, « l’Ere du vide », et la construction d’un système plus solide qui ne renverrait plus à la précarité « organique » et « cosmique », en clair :

 Un écart entre l’interstice des intervalles de nos paroles et la distance d’une superficie discursive laisse apparaitre le frôlement de la durée. (P.28)

IL encore et toujours comme réceptacle de sa propre légende qui :

 attend dissimulé sous une absence contradictoire. (P.29)

Sauf que :

Une énergie despotique transporte notre histoire vers un univers métaphorique. (P.29)

Nous le regardons avec des mots pour tenter d’énoncer sa disparition. (P.32)

Comme un point de bifurcation que rend le lendemain (tout lendemain) aléatoire et imprévisible si bien que :

IL enchaine nos trajectoires à l’épicentre d’un discours immuable.  (P.28)

Une harmonie primitive relie nos rôles au tronc des arbres. (P.36)

Ainsi autant de probabilités, que de contradictions qui construisent un Univers abrupt qui ne repose dès lors sur aucune réponse connue en ce Monde, et qui nous place constamment en position de déséquilibre.

Illusion encore qui nous fait croire que le Monde repose sur un socle solidement ancré dans la Terre. Mais d’ailleurs où donc est-elle passée ? Je ne l’ai point trouvée. Ne l’aurais-je point vue, en vertu de ma propre cécité ?

La profondeur hallucinatoire de notre cécité s’articule à une impossibilité anecdotique de nous taire. (P.34) et :

(opère) un effacement de notre dédoublement quand nous achevons de parler. (P.34)

Tout semble dit en effet, et nous n’en voudrons pas à Carole Mesrobian, d’avoir si intelligemment brouiller les pistes en nous malmenant ainsi au sein d’une articulation quasi-mythologique qui « transcende son achèvement » et en amont notre destinée ; car il fallait bien qu’à un moment donné, IL  « s’exprime dans la légende d’une transcendance inversée », sachant également que le pari était fort risqué d’intervertir les schèmes du langage, en opérant une « déconstruction positive » de ses conductions dans une forme volontairement circulaire (mais non routinière) avec au bout du compte un grand point d’interrogation….

 

 

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Jóanes Nielsen, Les Collectionneurs d’images

La première phrase du livre « Djalli cessa de collectionner des images en troisième année » attrape le lecteur avec une force sans égale et c’est un long roman-poème (oui, cela existe !) de 468 pages qui va se déployer. La deuxième phrase, quant à elle : « Tout le monde arrêta en même temps » fige la beauté (et le drame). Le lecteur perçoit ce qui l’attend : la vie, et s’apprête à la recevoir, quitte à devoir l’affronter pour que la trame narrative se poursuive et ne s’éteigne surtout pas la voix de Kári, seul survivant des collectionneurs d’images. 

Le mot « images » renvoie au cœur de la poésie, à ces analogies qui pulsent dans les vies de chacun et donnent forme aux poèmes, ici une collection, emblèmes de la tentative d’être au monde.

Olaf mourut la semaine où ses parents devaient venir à Copenhague. Le cercueil fut ramené au pays par cargo et, parmi ceux qui écrivirent  un éloge funèbre, il y eut Kári. Ou plutôt, il serait plus juste d’appeler cet éloge une méditation ou une réflexion sur les années passées. Kári parlaient des enfants qui, une trentaine d’années plus tôt, assis près du  poulailler des nonnes, se montraient des images de collection. Ils  avaient dix ans et avaient déjà compris que sans beauté, on ne peut  vraiment vivre.

 

Jóanes Nielsen, Les Collectionneurs d’images, traduit du danois par Inès Jorgensen, postface Malan Marnersdóttir.

Le destin des personnages devient l’image dont s’empare le lecteur. Jóanes Nielsen, via le narrateur Kári, relate l’existence (pendant plus de quarante ans) de six enfants tous inscrits à l’école Saint-François de Tórshavn en 1952. Seul Kári ne sera pas frappé par la mort. Il ne faut cependant pas réduire le livre à une vaste nécrologie même si l’annonce des disparitions est un fait culturellement important aux Îles Féroé. La postface précise : on suit quotidiennement les décès de la population, puisqu’aux informations de midi et du soir sont annoncés les décès du jour et les dates des enterrements. L’auteur consacre (entre autres) une partie à chaque personnage, partie où se concentre son histoire et s’éclairent en faisceaux captivants les lignes de force tant affectives, sociales que politiques qui sous-tendent une destinée. Les personnages se retrouvent parfois, confrontent leurs visages et leurs vies, ne se séparent jamais vraiment, Est-ce que tu te souviens de nos images de collection ? demandera quarante ans plus tard, et la veille de mourir, Olaf à Kári.

L’enfance est certes au cœur de l’ouvrage, mais l’enfance en tant que foyer des histoires mais aussi source (parfois) de leurs écueils.

Lui-même (Fríðrikur) ne possédait pas d’images. On ne pouvait pas avoir       d’images à soi quand on vivait à l’orphelinat. Seulement, il aimait bien être avec les collectionneurs d’images.

La terre nourrice. Tu ne t’en souviens pas ? demandait Fríðrikur. (…) Il avait oublié qu’à cette époque, ils étaient tous les trois persuadés que les enfants de l’orphelinat naissaient dans des caisses entreposées dans la cave. (…) Parfois, l’hiver, on entendait des enfants pleurer (…). Alors l’homme de la cave venait en aide aux enfants. Si l’homme de la cave disait le mot pierre, alors il devenait pierre lui-même. S’il disait air, il devenait soit air soit vent (…). Puis, quand les bras et les jambes avaient poussé sur les enfants, quand leurs oreilles étaient sorties des joues, les enfants se débarrassaient du terreau en se secouant et rampaient à quatre pattes jusqu’à la porte basse, où maman Simonsen les accueillait.

La virtuosité de Nielsen à composer ce roman est telle que jamais le lecteur ne lâche une ligne. Les images de Djalli et des autres enfants irradient jusqu’à la dernière phrase du livre. Elles irradient en filigrane, comme le font les poèmes, et c’est tout un pays qui est mis à nu. Les Îles Féroé se font proches et familières. Les personnages ne sauraient représenter chacun une thématique, ils sont complexes, pluriels mais ils incarnent des habitants aux prises et alliés de l’histoire de leur île et de sa langue. La postface éclaire les différentes dominantes du roman, on peut en citer quelques- unes : reconnaissance de la langue féroïenne, la littérature féroïenne, la période historique du roman, le rôle de la ville de Tórshavn et du contexte social dans le roman, culture de mémoire, politique et médias, masculinités etc…Roman de l’Arctique, (Selon une autre définition, l’Arctique se définit par une température moyenne de 10°C en juillet, laquelle constitue également la limite sud pour la pousse des arbres. C’est selon cette deuxième définition que les Îles Féroé font partie de l’Arctique. Dans l’univers du roman, des arbres poussent dans les jardins de Tórshavn) (Postface), au dépaysement ressenti par le lecteur dans un premier temps succède très vite une traversée de cette île et de ses habitants dans le temps et l’espace. Les personnages ne sont pas prétextes à ce roman quasi anthropologique, la force de cet ouvrage est de rendre vivants ces emblèmes du peuple.

Initialement écrit en langue féroïenne, ce livre a été traduit en danois. Il faut saluer le travail de sa traductrice en français, Inès Jorgensen, tant la langue est précise, fluide et ne laisse rien perdre des subtilités de l’écriture initiale. Le style de Nielsen est là, et est évoquée ici l’extrême tension poétique (Ô ces images irradiantes !) qui régit l’ensemble. Jóanes Nielsen a, à ce jour, publié neuf recueils de poésie (encore inédits en français), trois romans, des essais et nouvelles. La parution de ce roman grâce aux éditions La Peuplade (dans la collection Fictions du Nord) est une chance à saisir, chance de mieux connaître les Îles Féroé, la littérature de l’Atlantique Nord et de devenir, nous aussi, des collectionneuses et collectionneurs d’images, au nom de la beauté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Joao Luis Barreto Guimaraes, Méditerranée

Sans doute parce que je le considère comme étant le romancier le plus fondamental parmi les vivants, je me suis souvent demandé comment j’aurai osé écrire de la poésie si j’avais vu le jour au pays d’Antonio Lobo Antunes.  Je n’ai pas de réponse à cette absurde question.

Aussi ce n’est pas sans une certaine appréhension que je me lance dans la lecture d’un recueil traduit du portugais. Le front plissé, le regard légèrement de biais, j’avance à tâtons, un pied, puis un autre comme dans l’eau froide d’une rivière, prêt à ressortir sitôt que… Et d’un coup je plonge. En l’occurrence dans la Méditerranée de Joao Luis Berreto Guimaraes. Et n’en ressors que parvenu sur l’autre rive, riche de courants multiples, parfois contraires, qui m’ont modifié. Riche mais humble devant le miracle de la découverte : Le sacré c’est d’être capable de voir / mais de vite baisser le regard - / tel le coquelicot blessé qui des heures après avoir été recueilli se / rend en s’inclinant devant le mystère / du monde. La justesse, la beauté de certaines images le doivent aussi à ce rythme tout en déséquilibre, presque syncopé, qui fait avancer, avancer le lecteur - s’il s’arrête, c’est la chute dans son propre silence.

La poésie de Guimaraes n’est pas une « poésie de voyage », c’est un voyage en soi. Et tout au bout, rien ne finit, tout recommence : Pour certains la / fin de la terre est à coup sûr / la fin du monde. Pour d’autres la / fin du monde est / le commencement du voyage. Et c’est, à chaque poème, le grand départ, toujours recommencé. Egypte, Grèce, Italie, Espagne Maroc, Ulysse, Phoebus , statues auxquelles il manque des morceaux (le poète s’interroge plus loin : où nous attendent-ils ?), Titus, Nabuchodonosor, Auschwitz. Le temps, l’espace, c’est de la langue. Et par la langue le poème n’habille pas, il met nu.

Joao Luis Barreto Guimaraes, Méditerranée, fédérop, collection Paul Froment, édition bilingue, 2019, 117 pages, 14 €.

L’impression parfois d’une poésie savante (Camoëns oblige !), parfois tout près de nos pieds : Je n’aime pas demander un Coca-Cola et entendre : / « Un Pepsi ça ira ? ». Il y a du  Michaux et  du Prévert. Humour et cruauté, légèreté et tragédie.  Je préfère les héros sans nom au / nom des grands héros. Ça tombe bien, nous aussi.

Un livre est une maison. Certaines sont ouvertes, certaines sont fermées. Mais toutes nous protègent et doivent nous aimer : Où est-elle la /joie où nous fondions notre maison / (la quête pour fenêtre la tendresse / pour toi) ? Entrez dans celle-là : il y fait chaud et clair.

Et puis la traduction. Ici remarquable, eu égard au tout-venant souvent si pathétique des traductions poétiques. Elle semble coller comme une seconde peau au corps du vers. Ainsi s’ouvre un poème : Dans quelle langue coule un fleuve quand / il traverse la frontière ?   La même, bien sûr ! Changez fleuve par poème : la réponse coule d’une même source.

Présentation de l’auteur




Sommaire du numéro 211 — dossier spécial La poésie en temps de crise

La crise sanitaire qui a secoué la planète a duré deux années. En France, comme d'ailleurs dans bien d'autres parties du monde, la pandémie due au Covid 19 a donné lieu à des mesures inédites : confinements, fermetures des lieux publics, et jauges réduites lorsqu'il a été possible de sortir à nouveau. 

L’impact de cette crise sanitaire a touché tous les acteurs qui contribuent à faire exister la poésie. De sa production à sa publication les éditeurs, majoritairement indépendants, mais aussi les imprimeurs, les poètes et les distributeurs, les acteurs et les performeurs, ont subi la fermeture puis l'accès restreint des scènes, des théâtres, et de ces lieux d’échanges que sont les Festivals, les Marchés, les rassemblements et colloques, où il est possible de rencontrer  le public. 

Comment la poésie a t-elle passé ces périodes qui ont considérablement restreint les accès qui lui étaient ouverts auparavant ? Quels impacts ont eu les fermetures et interdictions sur les acteurs de la chaîne du livre, et sur la poésie, de manière générale ? Notre dossier propose des enquêtes, des entretiens, et des articles où nous avons donné la parole à despotes  des éditeurs, des organisateurs ou des libraires, afin qu'ils partagent avec vous cette traversée du désert. 

Photo © Marilyne Bertoncini.

Annie Estèves rend compte de cette période durant laquelle La Maison de la poésie Jean Joubert et ses partenaires en période de “distanciel” ont fait face à des fermetures qui ont bouleversé leurs programmations. Un éditeur, Guillaume Basquin, nous confie les difficultés rencontrées à son échelle d'éditeur indépendant, qu'il évoque à l'occasion des quelques lignes confiées à Recours au poème, Des difficultés de l’édition indépendante en temps de syndémie Covid-19, constats que  l'enquête que Christine Durif-bruckert a menée auprès d'éditeurs et de libraires corrobore et enrichit, propos recueillis et restitués dans son article L’édition indépendante dans la tourmente du covid. Carole Mesrobian dans son édito se penche sur les résultats de plusieurs enquêtes qui rendent compte de l'impact de cette période sur les acteurs du métier du livre, et surtout sur La poésie, En ce siècle cloué au présent . Ces mêmes problématiques sont le centre de l'entretien présenté dans notre rubrique Rencontres :  Le Marché de la Poésie d’après : rencontre avec Vincent Gimeno-Pons. 

Vous pourrez également dans nos rubriques habituelles trouver en Focus un très bel entretien avec Jean-Marc Barrier, mené par Marilyne Bertoncini, La Rue infinie, la Chronique musicale de Rémy Soual, qui cette fois-ci évoque Gérard Manset, Le Voyageur solitaire, et la Chronique du veilleur n°43 consacrée à Jean-Pierre Lemaire. Des critiques et des Revues des revue, augmentées tous les quinze jours, complètent ce sommaire de fin d'année, que nous vous souhaitons paisible et riche en libertés retrouvées. Merci pour cette année 2021 auprès de Recours au poème.




Dissonances, n. 41

La revue Dissonances atteint un âge respectable pour une revue – créée en 2002, elle a largement dépassé l’étape de l’âge de raison et atteint sa dixième année, avec le numéro « Opium » que j’ai en main, et la proposition du numéro « Champagne »  - sans doute pour commémorer l’événement, que nous saluons.

On voudrait  toutefois suggérer à l’équipe de modifier, peut-être, la formule, car après l’opium et le champagne, c’est la bière que risque l’entreprise, étouffée par un certain conformisme de la dissonance à tout prix.

Dissonances, numéro 41, hiver 2021. 56 pages, 7 euros.

Invariablement divisée en 2 volets – l’écrit et la mise en image (ici le portfolio de 12 pages consacré aux photos de Grégory Maitre), dont la note d’intention explique son regard de plasticien plus que de photographe, intéressé par les matières et les traces de l’activité humaine et sa fragilité – propos intéressant mais peu en rapport avec le titre de la revue qui propose également  un entretien sous la forme canonique avec Christophe Esnault, diverses lectures et « coups de cœur », outre les textes retenus pour illustrer le thème, dont le premier accroche grâce à son titre : « Tartine d’opium »… Et c’est là qu’on souhaiterait le changement de menu.




Christophe Pineau-Thierry, La saveur de la joie et autres poèmes

la saveur de la joie

 

se libérer de l’empreinte des sources

les paroles enfouies de tes lèvres

le fragile de nos touchers suspendus

 

une vie qui savoure la joie de l’aube

l’herbe assise à l’écoute du vent

le battement des vagues de l’océan

 

ta force au soleil

la fraicheur de tes mains

au creux de l’argile des mots

la beauté de ton souffle

dans l’évocation de l’avenir

 

l’instant de tes regards

nos pierres cousues d’herbes

et le dessin de nos joies

l’ombre de ta force au soleil

 

le simple des mots

une feuille de pluie

ce chant dans ma tête

l’appel d’un jardin

 

un texte qui frémit

le souffle des images

ce jour nous regarde

 

les scènes d’un carnet

le cadeau d’un son

cette simple beauté

 

nos paroles de silence

cette parole du soir

cousue des mots de l’aube

a le sourire des tendres

 

le dessin de nos souffles

parle de l’univers

et du silence des étoiles

 

dans la liberté de nos pas

cette caresse du jour

est la pierre de l’éveil

Poèmes extraits du recueil Le regard du jour publié aux Editions du Cygne en 2021.

Présentation de l’auteur