A l’âge de 17 ans, il publie un premier recueil de poèmes qui fera date et qui lui vaut le surnom fort enviable de « Rimbaud Polonais », de quoi bien débuter dans le monde des lettres. Malheureusement au cours de l’été 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et le poète n’échappera pas à l’arrestation. On l’enregistre comme jeune intellectuel. Il est ensuite interné successivement aux camps de Struthof et Sachsenhausen. Il passera ensuite cinq longues années dans le camp de Mauthausen endurant le froid, la malnutrition dans des conditions hygiéniques épouvantables et inhumaines. Il survit néanmoins par miracle. Lorsqu’il est enfin libéré en 1945. Il est alors conduit à Paris par la Croix-Rouge française où une nouvelle vie va pouvoir enfin commencer malgré la disparition de toute sa famille. Il rêve alors de fraternité et de langue universelle. Il apprend l’Espéranto, se consacre à la lecture et à l’écriture avec une fougue inhabituelle. Le poète malgré les souffrances n’a pas perdu de son désir de vivre en montrant au monde, que la dignité retrouvée est porteuse de tous les espoirs. Mais il faut continuer à se battre enfin de pouvoir se regarder en face dans un miroir sans rougir « d’être ce que l’on est ». Et il est clair que le poète, lui, le rescapé des camps de la mort, n’a pas à rougir d’avoir ainsi survécu à l’infamie troublante des hommes sans cerveau. Pourtant et paradoxalement il ne leur voue aucune haine manifeste. L’Homme aurait-il pardonné à ses bourreaux ? Là encore c’est tout un mystère ! Et c’est au cours de cette période qu’il fonde avec quelques amis poètes, Jean Follain, Jean Tardieu, André Frènaud, la Revue Caractères qui publiera les plus grands noms de l’époque, puis les éditions Caractères qui à leur tour révéleront de jeunes talents. Il fait d’ailleurs l’acquisition de sa propre imprimerie artisanale qui finit par devenir célèbre avec le temps. Pour ceux qui ont eu la chance de le connaitre, on se souvient d’un personnage effacé derrière son petit bureau, à peine éclairé presque en contre-jour. Un homme au regard lumineux, aimant, mais portant les stigmates d’une souffrance encore présente. Un homme à la parole quasi silencieuse, souvent douce et mesurée, parlant rarement de lui mais plus facilement de l’AUTRE. Et très à l’écoute des jeunes poètes de son temps, il s’amusait parfois d’ailleurs d’écouter ces jeunes « trublions » utopistes et impatients voulant refaire le monde à leur manière, non sans quelque naïveté toutefois, mais certainement sincère…. Après sa disparition Nicole Gdalia reprendra le flambeau avec l’enthousiasme qu’on lui connait, ne parle-t-elle pas d’ailleurs elle-même, souvent de Fraternité. Ainsi « Le Prophète » ne disparaitra-t-il pas….
« Quand le silence fut sur les cendres de mon monde j’ai tâté mon corps sans croire qu’il existe car il était composé des os et de la peau comme un squelette habillé d’un drap »
« Langue de mon pays natal végétait en moi comme une mauvaise racine comme un souvenir qui revenait à la réalité »
A l’image de l’homme
Editions Caractères 1975-1976
Des choix judicieux et éclairants …
Les anthologies de poésie font actuellement légion, mais admettons-le toutes n’ont pas le même attrait et la même vocation. Souvent thématiques et répondant le plus souvent à une ligne éditoriale bien définie, permettant de mettre en valeur des auteurs de tout bord, et c’est tant mieux, elles n’en demeurent pas moins éphémères, voire vite oubliées, maladroitement rangées dans les rayons des rares librairies qui les accueillent. De même que le choix des auteurs proposés s’avère souvent aléatoire et très ciblé, chaque éditeur ayant ses petites préférences littéraires, ce qui somme toute semble assez logique. Certes l’on retrouve certains d’entre eux dans de nombreuses publications avec une belle visibilité à force de patience et de temps. Mais leur nombre demeure fort limité, sorte de loterie implacable propre à générer des frustrations et des rancœurs chez » les oubliés de l’histoire littéraire », mais il est assez rare qu’une grande œuvre passe inaperçue.
Une poésie qui se veut bien vivante et au-delà des frontières !
Qui permet au lecteur de se faire une idée assez précise de la production poétique et littéraire d’une période donnée. Et c’est tout le mérite de cette anthologie où l’on côtoie inlassablement des poètes disparus, mais qui ont marqué leur temps, Antonin Artaud, Claude Aveline, jacques Bens, Luc Bérimont, Michel Butor, Jean Cassou, Georges Emmanuel Clancier, Juliette Darle, Pierre Emmanuel, Isidore Isou, Pierre-Jean Jouve, Jean Laugier, Joyce Mansour, Bernard Noel, Jean Rousselot, Raymond Queneau, et tant d’autres encore que nous ne nous lassons pas de lire ou relire ; et les vivants , Jacques Alyn, Jacques Ancet, Ben Vautier, Sylvestre, Clancier, Michel Deguy, , Jacques Jouet, Nelly Kaplan, Nohad Salameh,, Vénus Khoury- Ghata etc… Et puis bien sûr des poètes de tous les continents pour n’en citer que quelques-uns. Frederico Garcia Lorca, (Espagne), Edouard Glissant (Martinique), Vahé Godel, (Suisse), Ossip Mandelstam, (Russie), Edouard Maunick (Île Maurice), Paula Meehan, (Irlande), Czeslaw Milosz (Pologne), Géo Norge (Belgique), Erza Pound (Etats-Unis) Bejan Ratour (Turquie), Yannis Ritsos (Grèce) etc…
En clair une publication rare qui tombe à pic, dans une période désabusée, où chacun se regarde en chien de faïence, sans trop savoir quelle direction prendre faute de marqueurs probants - où les rapports humains apparaissent parfois disloqués, voire mortifères, où la parole et les mots ne semblent plus avoir de réelle importance -où l’on confond la fragilité du sable et du vent, avec la force du granit et du fer, multipliant les confusions du genre humain. La poésie s’affirme alors, comme le meilleur rempart de notre liberté. Merci à toi Nicole, et nous n’en attendions pas moins de toi, pour ce rappel pour le moins salutaire…