Revue Traversées n°101

Un numéro consacré en grande partie à Anne-Lise Blanchard. Un panorama de son écriture à travers différents regards, de ses engagements poétiques et bénévoles en Irak en particulier. L’écriture poétique est en soi un engagement humain et politique, Anne-Lise Blanchard en est un exemple.

Nos cœurs

peuvent-ils trembler du poids

de l’hiver

en même temps que

ceux qui dorment

sous le vent

Traversées n°101, février
2022, 15 €.

Le jour pousse la fenêtre
m’accordant la grâce
de sa splendeur et demain
me visitera
singulier aussi
un autre jour qui suppliera
plus grande présence
entre la mésange du matin
et la résonance de la nuit

Parmi les regards portés sur le travail d’Anne-Lise Blanchard, on trouve Florence Noël, Angèle Paoli, et Jacqueline Persini qui lui consacre un long et bel entretien, au plus près du quotidien.

D'autres poètes enrichissent ce numéro 101 de Traversées : j’ai eu plaisir à retrouver Nadine Travacca, Chantal Couliou que nous avons publiées dans Cairns. J’ai découvert à quelques poèmes Fidèle Mabanza :

 

mot du voyage

une brume émerge de la terre
comme une île au milieu des eaux
la nuit enflée dissémine ses ténèbres

la tristesse demeure en moi
comme la pluie du ciel demeure dans la terre
traversant les couches de mes accablements

mes souvenirs chargés de supplices et d’angoisses
ressemblent à la nuit de dunes géantes
où le vent vient effacer les sillages du voyage

entre le rêve d’enfant et la nuit du voyage
comme un passé recouvert dans un linceul
s’interpose le vélum des nuages ombreux

*

la guerre est un jeu

il était là,
parmi les feuilles
accrochées au corps des branches
parmi ceux combattaient.
Il torturait la brume et les ténèbres
entre les formes et le silence des mers
entre la chair et l’os
sous l’effroyable
l’incroyable tempête des cris à mi-vois.

C’était un enfant de mon quartier
il était devenu le soldat
dont l’arme avait un visage,
un langage et un pouvoir.

Lui, l’enfant soldat du peuplé
n’avait pas de drapeau à défendre
ses jours étaient sans regard
son ennemi n’avait pas de visage.

Ses nuits inutiles
se passaient sur des corps mutilés.
Du fond de la vacuité
la guerre était un jeu,
le jet de grenade
était un jeu d’enfant.

 

 




Tristan Felix, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles

« Que sait-on du mystère animal à travers la terre ? »

Il est facile de parler pour parler. Mais laisser se balbutier la vie, dans sa naïveté et selon ses méandres, laisser dire le moins disert, c’est à la fois délicat, passionnant, singulier et … d’une urgence absolue quand on y pense. Comment faire en sorte qu’un chien, la foudre, un chêne, sept canetons, une abeille, puissent prendre la parole ?

Comme on prendrait la Bastille, ou la mer ? Eh bien, il se trouve que cette parole, d’avoir été prise dans et par le végétal ou l’animal, n’en ressort pas indemne. Et c’est tant mieux. Il est vrai que ce livre n’est pas d’un abord facile, mais une fois qu’on en a apprivoisé l’écriture, on en redemande. Comment,  après avoir lu ce livre, après avoir bégayé, voyagé immobile à la vitesse de la lumière, dans un autre univers, pourrait-on sans honte revenir au bavardage, à « l’inférieur clapotis quelconque » qui bruite si uniment, si platement nos vies d’individus parlants ? Quelque chose nous happe, pourvu qu’on se laisse faire, dès le début de la lecture de cet ouvrage, sans qu’on sache bien quoi. Ce n’est pas seulement un style, c’est une façon d’être, étonnante, attentive, singulière, nécessaire. Une attention au petit, une parole pour ce qui n’en a pas. Nous passons en d’autres dimensions que celles fréquentées à hauteur d’homme.

Ainsi, dans la nouvelle « Transport d’ange » :

Une abeille.

Oui, une abeille toute menue, fraîchement issue de sa ruche et sans doute d’un trop court sommeil d’hiver. 

Alain Nouvel, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles, de Tristan Felix éditions Æthalidès, avril 2022, 122 pages, 17 €.

Or, nous voici, ici, parmi des hommes et des femmes ordinaires, mais pour qui la vie de ces insectes importe : « Il découpe dans un vieux carton de salades enfoui sous son fatras arrière la surface d’une langue de bœuf. Puis il s’en sert comme d’un tapis volant sur lequel il essaie de faire atterrir l’abeille. » (…) « Une feuille de hêtre au bout d’une main tendue glisse sous le corps de l’insecte pour le haler jusqu’à la rive. »

D’une abeille à l’autre d’une rive à l’autre, deux abeilles dans une mémoire. Deux sauvetages de vivants éphémères. Sollicitudes.

C’est que les personnages de ces nouvelles ne sont pas seulement humains, ou plutôt, leur humanité dépasse l’homme. « Au bord du laminoir écarlate, que sait-on de la stupeur animale ? » (…) Ainsi, la nouvelle intitulée « Le gland » raconte-t-elle comment un chien foudroyé donne naissance à un chêne et comment l’un et l’autre cohabitent dans un même espace durant la vie de l’un, la mort de l’autre, la mort des deux.

« Il y a des figures sur la terre qu’il faut rencontrer à la fin de l’été, au bout du jour quand la lumière de la mer a enfin largué ses cinq paquets de vérité : l’éternité, la liberté, la solitude, Dieu et les épaves. » Peut-être cette injonction résume-t-elle à elle seule l’un des desseins profonds de ce recueil ?

Peu à peu, au fur et à mesure de la lecture des nouvelles, nous pénétrons l’infiniment petit, l’infiniment énigmatique, les arcanes silencieux et pourtant familiers de la vie et nous voici, avec les dernières nouvelles : « FIN DE LA TERRE » sur les rivages de Bretagne et de Normandie, non loin de l’océan et de sa sensorialité. Infiniment petit et infiniment grand, indissociables.

Mais ce qui fait la grande originalité de ce texte c’est la façon dont nos représentations y sont décentrées : des temporalités sans rapport avec les durées humaines, des espaces oniriques, étranges, énigmatiques, selon des mesures autres. Un bouc prend la parole pour se plaindre d’une étrange malédiction. La narratrice lui répond, par devers elle, et se parlant à elle-même : « Tu aurais pu être une chèvre, une de ces anciennes qui empêchent de tomber au bas de la falaise mais, derrière les ajoncs, une autre pente t’attire qui se détache du territoire. »

Et on se laisse déstabiliser avec bonheur. Plus de séparations entre les diverses formes de vie et de pensée. Forcément solitaires, mais solidaires.

Présentation de l’auteur

Tristan Felix

Tristan Felix est née au Sénégal et demeure à Saint-Denis. Poète polyphrène et polymorphe, elle décline la poésie sur tous les fronts. Elle publie en vers comme en prose, chronique et, pendant douze ans, a codirigé avec Philippe Blondeau La Passe, une revue des langues poétiques. Elle est aussi dessinatrice, photographe, marionnettiste (Le Petit Théâtre des Pendus), conteuse en langues imaginaires et clown trash (Gove de Crustace). Elle donne des spectacles dans des théâtres, des galeries-musées, des médiathèques, salons, instituts culturels ou scolaires, festivals. Elle expose ses dessins et photographies. Elle organise des lectures-prouesses sur scène ou à la radio, des Troquets Sauvages, des ateliers de calligraphie et des conférences animées sur la manipulation, à Paris comme en province. Elle enseigne parallèlement les lettres, à sa façon, au pied de la Goutte d’Or, à Paris.

En 2008, elle fonde avec le musicien compositeur Laurent Noël L’Usine à Muses, pour la promotion des arts vifs et de la poésie, et fabrique des courts-métrages avec son complice nicAmy, cameraman. Elle cultive l’échange, l’étrange, le brut et le ciselé. Ses créatures venues d’ailleurs tentent de guérir qui s’y frotte. Son univers onirique est inquiétant et jubilatoire, entre théâtre de rue intérieure, cabinet de curiosités et cirque poétique.

© photo Isabelle Poinloup

 

Recueils

Heurs, Dumerchez, 2002.
Franchises, avec Philippe Blondeau, L’Arbre, 2005.
À l’Ombre des Animaux (poèmes et photographies), L’Arbre, 2006.
Coup Double, (poèmes et photographies), avec Ph. Blondeau, Corps Puce,  2009.
Ovaine (contelets et dessins), Hermaphrodite, 2009.
Gravure, V.Rougier éd. 2011 (pour Pile de Proverbes de C. Kaïteris)
Journal d’Ovaine, L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Triptyque des Abysses (dessins) ; Quatuor à fils (dessins/poèmes), L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Volée de Plumes (dessins à 2 plumes avec Gabrielle B. Peslier), L’Atelier de l’Agneau, 2013.
Trois ouvrages collectifs chez Corps Puce.
Aphonismes et Avis de Recherche, Flammarion, 2013, 2015 (collectifs).
Les Farces du Squelette (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2014.L’Ivre de Bords (textes de M. Mourier, dessins de T. Felix), Caractères, 2014.
Sorts, poèmes, Henry, 2014.
Bruts de Volière (textes et dessins, avec M. Mourier), L’Improviste, 2015.
Zinzin de Zen (textes et photographies), Corps Puce, 2016.
Pensée en herbe du XXIe siècle (aphorismes de collégiens), Corps Puce, 2016.
Observatoire des extrémités du vivant (textes et photographies), Tinbad, 2017.
Alphabête, (dessins, poèmes et collages, avec Laure Missir), Les deux Corps, 2017.
Aphonismes (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2017.
Tarots Tarés (mini livre-boite d’artiste, 18 tarots dessinés et écrits), Venus d’Ailleurs, 2018.
Ovaine, La Saga (contelets) Tinbad, 2019.
Laissés pour contes (chronique d’un quartier populaire), Tarmac, 2020.
Faut une Faille (fabrique de création), Z4 éd, 2020.
Tangor (poèmes et dessins), PhB éd, 2020.
Rêve ou crève (poèmes et photographies) Tinbad, 2022.
Les Hauts du Bouc (nouvelles), Aéthalidès, 2022.
La Forêt, une Pensée Brûlante (dessins et aphorismes d’élèves de 12 ans), PhB éd., 2022.
Testicul (parodies et dessins), Tinbad, 2023.
Grimoire des Foudres (poésie, dessins), PhB éd. 2023

Revues

La Passe, Diasporiques, Diérèse, Dissonances, Sarrazine, Traction-Brabant, Comme en Poésie, Poésie Première, Contre-allée, Décharge, Le Grognard, Empreintes, L’Igloo, L’Intranquille, Ecrits du Nord, Arcane 18, L’Ampoule, Cahiers Tinbad, Journal de mes Paysages, La Moitié du Fourbi, le FPM, TK-21, Chroniques du çà et là, Apulée, Diasporiques, LPB, EaN…

CD 

- Je, îl(e) déserte, prod. L’Usine à Muses, 2011 : 16, rue des Ursulines, 93200 Saint-Denis. Itv oniriques de six poètes (Jude Stéfan, Maurice Mourier, Samy Abdelazim, Dismas Clapier, Philippe Blondeau, Ivar Ch’Vavar). Musique originale de Laurent Noël.

- La Mort se fait la belle, avec Arsène Tryphon, des et aux éd. Venus d’ailleurs, 2021.




Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes

D’Olivier Barbarant, on a pu lire chez Gallimard (hors ses forts recueils édités par Champvallon) les Odes dérisoires et autres poèmes, une anthologie publiée en 2015 dans la petite collection poésie. Ce poète frappe par une caractéristique singulière. 

Que pour moi résumerait de façon percutante ce haïku en métrique française 6/8/6 (le haïku japonais, c’est 5/7/5) intitulé « Écriture » (p.46) :

Du bout de son groin d’or
Le stylo cherche dans la neige
Une lumière noire

 

On dirait en effet qu’à l’inverse de beaucoup de poètes qui partent de la matière, obscure, constituée de lumière minérale intra-atomique mettons, pour des élans qui dévoileraient quelque intime, invisible architecture cosmique, Olivier Barbarant tente constamment d’atteindre avec les mots un univers matériel qui se dérobe. Il part de l’esprit pour tenter d’approcher la réalité de la matière, par un processus assez voisin du scientifique cherchant à vérifier une hypothèse en l’expérimentant sur l’univers matériel dont il voudrait rendre compte.

Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes , Gallimard, NRF, 130 pages.

Mais non pas un univers matériel « mort », sec, à l’exemple de la « craie de l’école », mais une matière organique, charnelle, vivante, qui puisse orienter notre façon de nous construire, grâce au détail des mots qui « donnent à voir » (Éluard), un monde qui ait une âme, entendons une « anima » au sens latin, un élan vital collectif à détecter à travers le palpable, le concret. En ce sens, le poète s’obsède de ce que j’appellerais le matériau vivant, cela qui recèle le mystère grâce auquel les êtres humains « font monde » à travers leur relation à ce qui est ; confèrent à ce qui est une existence qui se voudrait physique. Ainsi écrit-il (p.51) :

Mettons que je crie, que j’écris toujours comme à la craie pour tenter de retrouver,
dans celle des mots, la chair des choses.

 

Une démarche au cours de laquelle le langage poétique implicitement enregistre les indices d’un conflit entre le subjectif et l’objectif. Le paradoxe étant que plus ses mots visent à l’objectivisation du subjectif - retrouver la chair des choses -, plus la subjectivité du poète se reflète dans l’énoncé de son poème ! Plus la réalité dite apparaît fugace, plus dans les mots elle s’éternise. Désormais « séculaire », du conflit surgit alors une beauté insolite, qui ne se refuse rien (surtout pas ce que communément l’on jugerait apoétique) et dont les formules auréolent tel trait qui hypnotise (p.13) : 

[...] À ce moment je ne vois plus qu’un détail
Sous chaque aisselle révélée un bouquet de poils noirs qui retient le regard
Avec ce mélange de gêne et d’insistance cependant par quoi l’on se sent fasciné  
Cette tache animale faisant d’un coup passer la parfaite peinture dans le monde                               
                                                                                                                               [des corps
Comme le rêve dans la vraie vie

 

Cette dernière phrase étant typique de la quête de réalité d’un poète qui en quelque manière se sent comme en déficit de réel, et convoque le langage-en-poème pour y remédier, pour que son image peinte au miroir de la conscience rêveuse gagne en épaisseur concrète, en présence. Par ce même besoin de réaliser, le personnage de la compagne aimée passe de l’irréelle aisance de la beauté subjective à la réalité objective, rude, consommatrice d’énergie, à quoi les années peu à peu nous acculent (p.26) :

Dans les rues à mon bras je soutiens une beauté si évidente. 
                que nul ne comprend vraiment
comment la fraîcheur du teint l’éclat des yeux clairs s’allient
                à cette fatigue
et avec toi je fais semblant d’en rire

Nous marchons tous deux dans le parc à deux pas de notre maison
en avril tout y explose couleurs et bourgeons

            Tandis que nous passons naissent les apparences[...]

Il y a quelque chose en effet d’une beauté tragique dans cet effort d’assigner à la poésie la tâche de « s’encrer » dans une réalité qui semble évanescente, qui se dérobe dans sa substance profonde, sa texture concrète, je dirais presque : sa vérité. On en viendrait presque à parler de matérialisme métaphysique !

C’est ce qu’on voit également à l’oeuvre dans le lucide « Portrait à l’eau » qu’Olivier Barbarant fait de lui-même. Cette sensation d’un « moi » fluide, insuffisamment réel, qui cherche à travers la langue, à travers « la fruition du langage » (p. 51), sa transmutation en être de fermeté matérielle, que chaque sensation énoncée confirmerait, s’y montre clairement. Témoins, ces quelques extraits (pp. 34 & suivantes) :

Je suis parfois comme la pluie
Parfois comme l’ombre maigre que rogne midi au seuil des maisons[...]

[...]Immobile parfois je me crois comme lui [le jardin] tout parcouru d’oiseaux                   

[…]Et j’ai plus souvent semblance d’averse

[…]De tout cela j’avoue rien ne tient bien longtemps. 
      […]Tout passe et glisse  
            J’ai le coeur fait de flaques
               De l’une à l’autre le pied sautant[...]     

Si bien qu’on se demande d’un jour à l’autre comment    
            [composer quelque chose comme un  visage   
                Quand on n’est que variété
         Avec l’effroi que suscite toute photographie
                Vous présentant tantôt l’oeil mort et l’air inepte du poisson                                                
                    [sorti de l’eau par la cruauté d’une ligne    
        Tantôt une façon d’herbe agitée heureuse et verte sous le vent
               Quelquefois une silhouette d’enfant
                Et d’autres fois un court vieillard strié de rides et de rires
               En se disant qu’il est injuste d’avoir la tête de Voltaire quand
                     [on se prenait pour Rousseau

            Ne croyez pas d’ailleurs que le temps passant offre quelquefois        
                   [avantage                                                                                                                          

  [...]Si bien qu’on accepte ce tohu-bohu qu’on finit par l’appeler.  
                  Moi
                 Comme tout le monde
                 En s’en plaignant mais en priant
                 Tout bas pour qu’il ne cesse pas

 

Dans un texte définitif, Le goût de la craie, (p.47) avec quelques pages denses de récapitulation, le poète dévoile tout son attrait pour le davantage de cristallisation qu’offre à sa vie ce qu’il écrit, par la vertu propre du langage. Le livre s’ouvre ensuite sur une seconde section, qui se présente comme une anthologie au cours de laquelle des fragments de cette cristallisation, mise en pratique année après année, de 1981 jusqu’en 2019, sont prélevés dans des énoncés les moins lyriques possible. S’y trouvent remédités les visions, les croyances et les espoirs de la jeunesse, jusqu’à la borne miliaire du « millénaire »… Autant de poèmes brefs, jetés comme des galets qui ricochent d’année en années sur l’éphanie du fleuve temporel, et jalonnent ces dix-huit années de pierres blanches ou noires. L’image de ces concrétions, de ce cri à chair de craie – j’emprunte la formule même à Olivier Barbarant – se résumerait entre autre dans des vers qui me serviront ici de conclusion à ce livre de poèmes difficiles à oublier :

 

[...]C’était comme si chaque pierre était un sable cristallisé
un morceau du pays mêlé à l’intime mémoire[…]

En tant que lecteur, j’ai beaucoup apprécié de jouer les Petit Poucet, en remontant la piste semée derrière-lui par ce poète singulier.

                                                                      

Présentation de l’auteur

Olivier Barbarant

Enseignant, essayiste et poète, Olivier Barbarant après son bac en 1983 intègre les classes préparatoires au lycée Henri IV, avant l’agrégation de lettres modernes en 1989. Il est l'auteur d'une thèse sur Aragon, dont il deviendra un des spécialistes reconnus.

En 1992, il publie son premier livre, des poèmes, Parquets du ciel, chez Champ Vallon qui restera son éditeur. Il a dirigé la publication de l’œuvre poétique de Louis Aragon dans la Pléiade.

© Crédits photos Francine Bajande.

Bibliographie 

Poésie

  • Les Parquets du ciel, Champ Vallon, 1992.
  • Douze lettres d'amour au soldat inconnu, Champ Vallon, 1993.
  • Odes dérisoires et quelques autres un peu moins, Seyssel, Champ Vallon, 1998 - Prix Tristan-Tzara.
  • Essais de voix malgré le vent (poésie), Seyssel, Champ Vallon, 2003 - Prix Mallarmé.
  • Je ne suis pas Victor Hugo (prose), Seyssel, Champ Vallon, 2007.
  • Élégies étranglées, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
  • Odes dérisoires et autres poèmes (anthologie), Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2016.
  • Aurélien, Paris/poésie Saint-Omer, Éditions Les Venterniers.
  • Un grand instant (poésie), Seyssel, Champ Vallon, 2019 (ISBN 979-10-267-0765-3) - Prix Apollinaire.

Critique, essais

  • Temps mort: journal imprécis, 1986-1998, Seyssel, Champ Vallon, 1999.
  • Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, 2007, édition d'Olivier Barbarant.
  • Je ne suis pas Victor Hugo, Seyssel, Champ Vallon, 2007.
  • Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Le Temps des cerises, 2011, préface d'Aragon (1930), postface et appareil critique d'Olivier Barbarant.
  • Le Paris d'Aragon, éditions Alexandrines, 2016.
  • J'entends l'histoire de moi-même - Trois visages d'Aragon (collectif : O.Barbarant, F. Eychart, D. Massonnaud), éditions de la Fondation Gabriel Péri.
  • La juste couleur- chroniques poétiques, éditions Champ Vallon, octobre 2021.
  • Séculaires, éditions Gallimard, 2022.

Poèmes choisis

Autres lectures

Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes

D’Olivier Barbarant, on a pu lire chez Gallimard (hors ses forts recueils édités par Champvallon) les Odes dérisoires et autres poèmes, une anthologie publiée en 2015 dans la petite collection poésie. Ce poète [...]




Lou Raoul, Second jardin (drugi vrt)

Ne pas s’y laisser prendre : il n’est pas question que de jardin(s) dans ce livre. Lou Raoul on le sait, aime, par le biais de personnages, interroger les identités, donc pose la question de l’altérité. Elle le fait d’autant mieux qu’elle se place comme au carrefour des langues. Dans ce livre, on suit Beris (qui à l’envers se lit sireb et déjà on entend presque Serbie !). Trois langues nous parlent dans ce recueil : Français, serbo-croate et un peu d’anglais.

Beris est un personnage que Lou Raoul a déjà fait exister dans Most, paru aux éditions de la dragonne en 2016. Faut-il aussi rappeler qu’en 2013 Lou Raoul est partie, pour une résidence, séjourner à Split (Croatie, côte Dalmate), séjour qu’elle évoque dans Otok (qui signifie île, lui aussi paru aux éditions Isabelle Sauvage), journal d’une résidence un peu particulier, qui ne suit pas la chronologie et dont le narrateur est Kim.  Lou Raoul ajoute à ses textes la musique d’une langue slave, rend présente la réalité de la guerre, guerre des balkans qui résonne hélas lugubrement avec celle qui se déroule actuellement en Ukraine, pays où l’on parle aussi une langue slave, pays ayant appartenu à l’ensemble des états de l’est européen situés un temps derrière le rideau de fer. 

Le livre, dont le titre suggère une deuxième chance accordée, comme un second paradis à trouver, s’ouvre sur une citation d’Armand Gatti, extrait de URSS, pays qui n’existe pas, paru chez Verdier en 1999. D’emblée cela nous apporte un éclairage et nous met, en tant que lecteur(trice), dans une forme d’étonnement curieux, avec un « comment ça ? » sur le bout de la langue.

Lou Raoul, Second jardin (drugi vrt), éditions Isabelle Sauvage 2022 (collection présent (im)parfait) , 90 pages, 15 euros.

Comme pour nous habituer à douter. Mais nous sommes prévenu-e-s : ce texte est postérieur à un voyage déjà effectué, il tente « l’aventure de la réplique ». Il serait comme le prolongement du journal précédemment paru, pas forcément qu’il se révèle incomplet, mais parce que certaines choses digérées et que d’autres hantent encore et s’invitent dans l’après. 

Le premier texte intitulé brat i sestra, qui se traduit par frère et sœur au singulier, (brat n’étant peut-être pas le morveux, le sale gosse que l’anglais signifie, quoique … ! ), semble commencer par présenter deux personnages : une sœur dont le frère aîné est parti loin (« si loin d’ici » répété comme un refrain pendant les premières pages) … Hongrie, Tchécoslovaquie … Frère et sœur au singulier mais on entend le pluriel, frères et sœurs humains, ce que nous sommes tous sur cette terre et pourtant, bien trop souvent ennemis, y compris quand nous partageons culture et langue. Une sœur que l’on rencontre à six ans … puis la Yougoslavie explose et les conflits se durcissent … la sœur devient Beris. 

Le deuxième texte accompagne Beris dans sa vie quotidienne, vie de femme effectuant les diverses tâches ménagères, jusqu’au jardin où son rapport à la terre est métaphore du rapport à l’écriture. L’injonction à la patience, la tension de l’attente est palpable grâce au rythme donné au texte :  

 

aucune lèvre à bouger mais le sang
à faire des tours de son sang 

 

Puis on suit Beris dans ses déplacements, elle prend le train, rencontre Seka, elle croise une femme maigre de noir vêtue … Cependant Beris est aussi dans un train à Morlaix, en Bretagne… un an a passé… mais l’empreinte de la Croatie est profonde, mais les souvenirs l’y ramènent avec ses anecdotes. 

Et est-ce que ce sont bien des souvenirs ? 

Le livre de Lou Raoul est un livre du déplacement, qu’il soit géographique ou qu’il soit à l’intérieur de soi (« je deviens et je m’étonne »). Il est fait de phrases sans ponctuation, souvent laissées en suspens que le lecteur a le loisir de terminer selon sa sensibilité et sa compréhension des éléments observés, décrits. Dans ce « récit » l’ordre des mots est comme bousculé, soit à cause de l’émotion, soit à cause du heurt inévitable entre réalité et fiction, soit encore pour obéir aux règles d’une autre langue dont il faut faire entendre la logique grammaticale. 

Livre des réminiscences où certains fuient la guerre, quittent leurs villages, leurs maisons, y reviennent en rêves, en pensées ou physiquement. Livre comme un film documentaire qui essaierait de tenir et montrer ensemble divers lieux, mais aussi le passé et le présent. Les temps ont été tellement bousculés dans la psyché des humains qu’ils en gardent un sentiment de vertige. Livre dans lequel l’étrangeté travaille au sein de la familiarité grâce à la façon remarquable dont Lou Raoul nous présente les choses vues, les faits rapportés. Nous avons entre les mains le livre des « si », livre des conditions et de l’affirmation. Avec ces « si » le lecteur(trice) ne peut que se poser la question de la véracité du témoignage, des témoignages en général. Quand les faits sont trop horribles pour l’imagination, pour leur sensibilité, les humains ont tendance à penser qu’on abuse de leur crédulité. Et pourtant on le sait, certaines actions humaines défient l’entendement. Devant le « si », il est possible d’entendre, bien souvent, un « et » … et si… ? » Et si les choses ne se passaient pas, ne s’étaient pas passées comme elles sont proposées par écrit… la question de la manipulation de l’information chatouille alors nos consciences, bien éprouvées à notre époque! Comment faire la différence entre les fake news, le révisionnisme, les exagérations, les dédales où s’égare la mémoire, sa restitution des faits toujours partielle sinon partiale, comment appréhender la vérité nue ? 

« Si » … un oui, un je vous assure, mais comme dans un rêve. Beris va, rencontre, observe, et aurait besoin qu’on la pince pour être certaine qu’elle vit bien ce qu’elle voit. Ce si, cette incertitude, ce conditionnel en forme d’affirmation nous confond bien un peu, mais si l’auteure hésite quelques temps, elle conclue sur :  

 

il y a des témoins des témoignages des traces
à ça s’est bien passé je réponds oui 

 

La guerre en ex-Yougoslavie renvoie à la seconde guerre mondiale côté sol français, quand posséder et cultiver un jardin, on y revient, pouvait être gage de survie. 

Et si ! Beris écrit, un avatar de Lou Raoul sans doute, et si, elle revient de Croatie :

elle peut sourire et marcher vers la maison dont les murs bientôt seront rouges au soleil du 
matin
si elle sait sa main
sur un visage
poser

et si elle sait encore aimer 

 

Dans la dernière partie du livre la langue serbo-croate n’apparaît plus. Partie intitulée Beris Timber comme pour signifier le bois dont on est fait. Timber comme charpente. « je suis Beris Timber » en est le leitmotiv. Beris à la campagne, aimant, communiant avec la nature, mais aussi Beris au milieu de ronces, menacée de déchirements, où démêler, désintriquer est difficile… une situation métaphore de l’auteure, captive de deux pays, de deux langues ou plus, captive des histoires, des drames, des souvenirs, il faudrait s’en désencombrer (« jeter ceci à la fosse ») comme le cauchemar du petit frère qui par son apparition permet de relier début du livre et sa fin, frère et sœur de nouveau convoqués, pas les mêmes mais qu’importe. 

Le nom de Beris Timber fait écho aux nombreux noms d’emprunt qu’un militaire franco-serbe a dû utiliser pour échapper aux poursuites du tribunal international, tour à tour condamné, puis acquitté… Alors en effet, il est bien question de « comme si », de « et si », « comme vous comme pour moi » ajoute Lou Raoul qui pour la première fois s’adresse à son lecteur(trice). Un mot de la fin qui laisse sur sa faim, qui encourage chacun à fouiller en soi les nombreux autres qu’il (elle) peut, qu’il(elle) sait également être. 

Second jardin est donc un livre qui encourage à en savoir plus sur l’humain, ses meilleurs et ses pires, ailleurs ou ici, là-bas ou tout près. Notre esprit est capable de souplesse, capable de ces grands écarts. Et si l’on y gagnait une forme de santé. Ou bien si la lucidité, en était la récompense ? … certes blessure (la plus rapprochée du soleil disait René Char). À vous de voir, à vous de lire, à vous de vous laisser désorienter entre France et Croatie, pour mieux comprendre qui vous êtes !

Présentation de l’auteur

Lou Raoul

Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie dans diverses revues (Verso, Décharge, N4728, Liqueur 44…). Outre les cinq recueils publiés aux éditions, sont parus Sven (éditions Gros Textes) et Else comme absentée (éditions Henry), tous deux en 2011, ainsi que Exsangue (pré#carré éditeur, 2012) et, en 2014, Kim m’apprivoise aux éditions Approches. Son travail d’écriture, qui oscille entre prose narrative et poésie, se retrouve dans les chantiers qu’elle mène en spectacle vivant et en arts plastiques. Son dernier livre, Most, a été publié par les éditions La Dragonne en juillet 2016

Bibliographie

  • Otok, Éditions Isabelle Sauvage, 2017.
  • Most, Éditions La Dragonne, 2016.
  • Kim m’apprivoise, Approches Éditions, 2015.
  • Traverses, Éditions Isabelle Sauvage, 2014.
  • Exsangue, Éditions Pré # Carré, 2012.
  • Else avec elle, Éditions Isabelle Sauvage, 2012. (prix PoésYvelines 2013)
  • Else comme absentée, Éditions Henry, 2011.
  • Les jours où Else, Éditions Isabelle Sauvage, 2011.
  • Sven, Éditions Gros Textes, 2011.
  • Ouvert l’album, 2011.
  • Roche Jagu / Roc’h Ugu, Éditions Encres Vives, 2010.

Poèmes choisis

Autres lectures

Lou Raoul, Second jardin (drugi vrt)

Ne pas s’y laisser prendre : il n’est pas question que de jardin(s) dans ce livre. Lou Raoul on le sait, aime, par le biais de personnages, interroger les identités, donc pose la question [...]




Jacques Moulin, Corbeline

Entends l'oiseau
qui dit
qu'oui qu'oui
l'entends-tu
oui ou non
qui fait
qu'oui
depuis l'aile
disons l'oïl
jusqu'au cercle
oc-
ulaire
et son bec qui toque
au vivant
bec s
oui que si
c'est la vie
l'a pas dit
c'est nenni
et tant pis
si son croupion
fait non

C'est une extraordinaire bonne surprise ! Frais, aérien et fouailleur, drôle souvent, croustillant de mots inventés. Jacques Moulin nous offre une  facétie plumologopataphysique.

Un livre sur les oiseaux ? Un livre oiseau ? En l'écoutant — car il vous faudra béer du bec et les énoncer, ces poèmes — on entend froissements d'ailes, coups de griffes sur écorce, pépiements paniqués. Et les mots semblent sortis d'une graineterie un peu foutraque bien sympathique.

Il s'en est pourtant fallu de peu que je laisse ce recueil de côté : il arrive par la Poste, je déballe le volume relié très luxueux, impressionné par la qualité d'impression, la finesse de la typographie et le côté très galerie d'art moderne des images d'Ann Loubert. Ouh la la, ça rigole pas ! J'ouvre au hasard… une histoire de corbeau. Ah ? Tout ça paraît bien fluet, comme si je venais d'entendre un air de mirliton alors que je me recueille au milieu des colonnes du Panthéon. Curieux choix éditorial !

Et puis ma chère femme ouvre l'ouvrage et se met à lire les poèmes. À voix haute. Alors les mots de Jacques Moulin prennent leur essor, la ligne d'horizon se gondole, je déguste, je souris, je frétille, je pleure de rire et de joie toute simple.

Avec tout le respect que j'ai pour l'oeuvre inspirée d'Ann Loubert et le catalogue de l'Atelier contemporain, il me semble que ce genre de texte appelle des artistes un peu plus rugueulards comme l'artiste brut François Werlen… et une couverture souple, crénom de nom ! une couverture souple qu'on puisse l'emporter et le déclamer au milieu des landes et des bois. Ou au milieu d'un carrefour, en tirant la langue aux caméras.

Jacques Moulin, Corbeline, monotypes d'Ann Loubert, L'Atelier contemporain, septembre 2022, 176 page, 20€.

Présentation de l’auteur

Jacques Moulin

Jacques Moulin, né en Haute Normandie, vit à Besançon.  Il a fondé et co-animé pendant onze années « Les jeudis de poésie » à l’Université Ouverte de Franche Comté, en partenariat avec le Centre Régional du Livre. Le cycle est relancé, dans le même cadre, en septembre 2011, sous le nom « Les poètes du jeudi ».

Images écrites, tracés d’écrits : ni illustration, ni redondance altérant l’aventure du lien, l’un se cachant derrière l’autre, mais un passage, une passerelle, d’un lieu l’autre, une transaction secrète. Des gestes se croisent, s’observent, s’adoptent, tentant de garder distance juste, comme on atteint l’amitié à force de présence

Bibliographie 

Ouvrages parus

  • Sauvagines, La Clé à molette, 2018
  • L’épine blanche, (images de Géraldine Trubert), L’Atelier contemporain, 2018
  • Un galet dans la bouche (images de Vincent Rougier), Rougier V., 2017.
  • Écrire à vue, éditions L’Atelier contemporain / Le 19, Crac, 2015
  • Journal de campagne (images de Benoît Delescluse), éditions Æncrages & Co, 2015.
  • À la fenêtre du Transsibérien (images de Maurice Janin), L’Atelier du Grand Tétras, 2014.
  • Portique (images peintes d’Ann Loubert), L’Atelier contemporain, 2014.
  • Comme un bruit de jardin, éditions Tarabuste, 2014.
  • Entre (coécrit avec Mira Wladir), éditions Le Miel de l’Ours, 2013.
  • À vol d’oiseaux (images peintes d'Ann Loubert), L’Atelier contemporain, 2013
  • Entre les arbres, éditions Empreintes, 2012
  • Archives d'îles, éditions L'Arbre à paroles, 2010
  • Oublie (dessins et collages de Véronique Dietrich), La Maison chauffante, 2009
  • « À l’appui de l’eau » (photographies de Jean-Louis Elzéard), in Reconnaissance de la rivière, Analogues, 2009
  • Arbres d’hiver (peintures de Charles Belle), Galerie Bruno Mory, 2008
  • Penche-toi (images peintes de Charles Belle, images filmées de François Royet), Joca Seria, 2007
  • Une échappée de poireaux (dessins d'Evelyne Debeir), Tarabuste, 2006
  • Escorter la mer, éditions Empreintes, 2005
  • Ipso Facto (dessins de Charles Belle), Néo éditions / Le 19, Crac, 2002
  • La mer est en nuit blanche, éditions Empreintes, 2001
  • Arènes 42 (images de Marc Degois), Cadex éditions, 2001
  • Valleuse, Cadex éditions, 1999
  • Marron (images de Xavier Dupin), éditions de L'Envol, 1997
  • Matière à fraise (images de Xavier Dupin), éditions de L'Envol, 1996

Livres d'artistes

  • Sonorités (gravures de François Ravanel), Atelier Dutrou, juin 2007
  • Mélèzes, (gravures de François Ravanel), Atelier Dutrou, 2004
  • Marques, (gravures de François Ravanel), Atelier Dutrou, 2000
  • Façade (gravures de François Ravanel), Atelier Dutrou, 1998

Livres pauvres

  • Une voie gothique s’étire (images de Christine Delbecq), coll. « De l’Allemagne », 2018
  • La haie (images de Florence Saint-Roch), 2018
  • Le perroquet et la trémière (images de Myriam Drizard), 2016
  • Couler l’encre (images de Jean-Michel Marchetti), coll. « Et creusant de ma face une fosse à mon rêve », 2016
  • Prendre ligne (images d'Élodie Bouygues), coll. « L’insinuant », 2016
  • Itinéraires (images de Benoît Delescluse), coll. « Comme si », 2009

Autres publications

  • Béatrice Bonhomme et Jacques Moulin, James Sacré ou les gestes de la langue, revue L'étrangère, N° 29-30, 2012
  • Béatrice Bonhomme, Aude Préta-de Beaufort et Jacques Moulin, Dans le feuilletage de la terre, sur l'œuvre poétique de Marie-Claire Bancquart : Colloque de Cerisy, Peter Lang, 2012
  • Béatrice Bonhomme, Serge Martin et Jacques Moulin, Avec les poèmes de Bernard Vargaftig : l'énigme du vivant : Colloque de Cerisy, Vallongues, 2009
  • « Le Signe de fenêtre », in Heather Dohollau : L’évidence lumineuse, Folle Avoine, 2006
  • « Pierre Mathias. Se tirer le portrait en jardinant », in Écriture de soi Secrets et Réticences, L’Harmattan, 2002
  • « Pierre Mathias - Louis Guillaume : un compagnonnage en poésie », in Louis Guillaume poète des songes vécus, Bibliothèque historique de la ville de Paris, 1997

Poèmes choisis

Autres lectures

Jacques Moulin, Corbeline

Entends l'oiseau qui dit qu'oui qu'oui l'entends-tu oui ou non qui fait qu'oui depuis l'aile disons l'oïl jusqu'au cercle oc- ulaire et son bec qui toque au vivant bec s oui que [...]




Amedeo Anelli, Vincent Motard-Avargues, Pierre Dhainaut

Amedeo Anelli, Hivernales et autres températures

Le poète de Codogno, dont j'avais apprécié « Neige pensée » et « Alphabet du monde », propose ici ses traversées de l'hiver, du froid, de la brume, des éléments dans une volonté d'inscrire, couche par couche, ses sensations de vivant. Il y a ici , il est vrai,  une véritable prospection de la « nature naturante », dans la mesure où l'oeil, le corps font un avec ce qui est perçu.

L'écriture, au fil des hivers 2021 et 2022, a retenu nombre d'impressions « hivernales » : séquences de contemplation et de vie, décrivant au plus près le « givre dentelle de glace », le « questionnement » dans la solitude, toutes les lumières versatiles et mouvantes que les jours d'hver proposent.

Devant ces tableaux de « temps de gel », le lecteur feuillette un journal de bord, sensible aux variations, aux échelles, aux mouvements pertinents d'une nature observée avec soin.

Le secret de la brume
l'abondante lumière qui obscurcit la vue dans la transparence
par soustraction entre terre eau et ciel. (p.25)

Sans être en rien philosophique, cette prégnante poésie consigne tout de même toutes les rétentions de vie et de mort dans un univers enveloppant. Le vent lui-même devient signe d'existence. On sent le poète attaché à dévoiler du réel des urgences.

Les souvenirs, quelques scènes encrées, des tableaux du passé fournissent une matière noble à l'auteur. 

Amedeo ANELLI, Hivernales et autres températures, Libreria Ticinum editore, 2022,78p. Traduction de l'italien par Irène Duboeuf. Recueil bilingue français-italien ; 13 euros.

Ce qui se perd se rattrape dans les mots et l'hiver, avec ses effeuillements, est bien la saison de la pause et du recul, comme si l'être y devinait ses traces.

L'écriture, très belle, très significative, emprunte ses beautés aux éléments qu'elle trace ; elle est le « rêve qui nous sauve dans le besoin » (p.49).

Le poète de Codogno, parlant de sa cité, de sa région, donne un message universel : celui de l'imprégnation du monde.

Vincent Motard-Avargues, Peinture de l'absence

Ce seizième recueil du poète bordelais se passe presque d'images pour circonscrire les reliefs d'une enfance, d'une mémoire, tissée de brefs éclats de murs, de jardin, de maison, d'impressions.

Comme si l'auteur souhaitait dresser une liste de constats, de petites saynètes, réalistes.

Très descriptives, les phrases du poète énumèrent le « perdu », « l'air de riens », « la ponctuation du vide », « l'empreinte durable d'un rêve ».

Les espaces figuratifs de l'illustrateur, économes et silhouettés, renforcent cette sensation elle aussi durable d'une déperdition.

Les poèmes, constitués de peu de vers, eux-mêmes réduits à quelques mots, semblent réitérer, de page en page, l'absence du titre.

Tout regard semble « brouillé » et la conviction que les promesses n'ont pu être tenues.

Le ton, désolant, tristounet, éveille le lecteur à une mélancolie, patiente mais partageable.

Vincent MOTARD-AVARGUES, Peinture de l'absence, le chat polaire, 2022, 76p., 12 euros. Illustrations économes de Luc VIGIER.

Pierre Dhainaut, à portée d'un oui

Une poésie de l'acquiescement par l'un de nos plus grands poètes francophones (avec Ancet,Vandenschrick, Grandmont, Miniac), acte de jeunesse du poète dans son grand âge pour redire avec force, souplesse, fluidité, les vertus des images, de la poésie.

Qu'il s'agisse de poèmes longs comme dans les deux premières parties du livre ou sous forme de tercets à vertu aphoristique, le poète délivre au sens le plus concret l'ouïe du lecteur, apte à saisir la musique fluide qui coule, fervente, sertie de dons, d'  « air pur », de « mémoire ». Il faut avoir beaucoup vécu pour tendre sa voix à sa plus haute expression libre, dans « l'insaisissable » de la prise.

Là où les temps se conjoignent (demain, maintenant), le poème peut peut-être décliner « l'art du murmure » fondamental :

tu t'en remets à la parole, le silence
la ravive, qui l'oblige à reprendre essor, présente,
elle est toujours présente (p.7)

La quête est de toujours la ressource, mais que chercher qui ne soit lui-même « approche » dans l'accomplissement ?

 Pierre DHAINAUT, à portée d'un oui, Lieux-Dits, coll. Cahiers du loup bleu, 2022, 44p., 7 euros. Loup de Caroline François-Rubino.

L'auteur sait donner place au feu des mots, à leur « sonorité » et à ces plantes colorées, telle la glycine, symbole du renouvellement, des saisons, du grand âge perpétuel.

Au sein de la « terre heureuse », Dhainaut aime reconnaître, renaître aux choses, dans l'éternel avril, où la lumière croît comme floraison .

La trentaine de poèmes décrivent la tension entre la vigilance et les mots qui puissent l'honorer, sans faux pli, sans accroc.

Une musique (« origine) retourne à l'enfance, qui dès lors se réinvente dans la couture des vers, en ce « foyer des mots », gages de « perspective ».

Le titre, au-delà de sa beauté – dire oui si beau -, ouvre « la respiration de l'ensemble ».

Un très grand livre, à l'écriture souveraine.

 

Présentation de l’auteur

Amedeo Anelli

Amedeo Anelliest un poète, philosophe et critique d’art italien. Né à S. Stefano Lodigiano en 1956, il vit à Codogno où il a fondé en 1991 la revue de philosophie et poésie KAMEN’, qu’il dirige ; il a publié Quaderno per Marynka (Milan, Polena, 1987), Contrapunctus (Faloppio, LietoColle, 2011) ainsi que des catalogues d’art et de nombreuses traductions du russe. Neve pensata (Mursia, 2017) est son dernier recueil. Il figure également dans les anthologies  Poesia d’oggi. Un’antologia italianade Paolo Febbraro (Elliot) et Antologia di poeti contemporanei. Tradizioni e innovazione in Italia(Mursia) de Daniela Marcheschi.

Poèmes choisis

Autres lectures

Amedeo Anelli- Neve pensata (Neige pensée)

J’avais eu l’occasion d’apprécier la poésie d’Amedeo Anelli en 2016 dans l’anthologie de Paolo Febbraro Poesia d’oggi, un’antologia italiana (Elliot edizioni) puis à nouveau dans l’Antologia di poeti contemporanei de Daniela Marcheschi (Ugo [...]

Amedeo Anelli, Vincent Motard-Avargues, Pierre Dhainaut

Amedeo Anelli, Hivernales et autres températures Le poète de Codogno, dont j'avais apprécié « Neige pensée » et « Alphabet du monde », propose ici ses traversées de l'hiver, du froid, de la brume, des éléments dans [...]

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Pierre Dhainaut

Pierre Dhainaut est né à Lille en 1935. Avec Jacqueline, rencontrée en 1956, il vit à Dunkerque (où s’effectuera toute sa carrière de professeur).

Après avoir été influencé par le surréalisme (il rendit visite à André Breton en 1959), il publie son premier livre, Le Poème commencé (Mercure de France), en 1969.

Rencontres déterminantes parmi ses aînés : Jean Malrieu dont il éditera et préfacera l’œuvre, Bernard Noël, Octavio Paz, Jean-Claude Renard et Yves Bonnefoy auxquels il consacrera plusieurs études.

Déterminante également, la fréquentation de certains lieux : après les plages de la mer du Nord, le massif de la Chartreuse et l’Aubrac.

Une anthologie retrace les différentes étapes de son évolution jusqu’au début des années quatre-vingt dix : Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996).

Ont paru ensuite, entre autres : Introduction au large (Arfuyen, 2001), Entrées en échanges (Arfuyen, 2005), Pluriel d’alliance (L’Arrière-Pays, 2005), Levées d’empreintes (Arfuyen, 2008), Sur le vif prodigue (Éditions des vanneaux, 2008), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010, Prix de littérature francophone Jean Arp) et Vocation de l’esquisse (La Dame d’Onze Heures, 2011). Ces recueils pour la plupart sont dédiés aux petits-enfants. Plus récemment encore : une "autobiographique critique", La parole qui vient en nos paroles (éditions L'Herbe qui tremble, 2013) et Rudiments de lumière (Arfuyen, 2013).

Il ne sépare jamais de l’écriture des poèmes l’activité critique sous la forme d’articles ou de notes : Au-dehors, le secret (Voix d’encre, 2005) et Dans la main du poème (Écrits du Nord, 2007).

Nombreuses collaborations avec des graveurs ou des peintres pour des livres d’artiste ou des manuscrits illustrés, notamment Marie Alloy, Jacques Clauzel, Gregory Masurovsky, Yves Picquet, Isabelle Raviolo, Nicolas Rozier, Jean-Pierre Thomas, Youl…

À consulter : la monographie de Sabine Dewulf (Présence de la poésie, Éditions des vanneaux, 2008) et le numéro 45 de la revue Nu(e) préparé par Judith Chavanne en 2010.

© Crédits photos Maison de la Poésie Jean Joubert.

Poèmes choisis

Autres lectures

Rudiments de lumière, de Pierre Dhainaut

Plus je lis Pierre Dhainaut, plus je pense qu'il est à l'exact opposé du Baudelaire de Spleen. Quand ce dernier laisse l'angoisse atroce, despotique planter son drapeau noir sur [son] crâne incliné, Pierre [...]

Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie

Publié chez un nouvel éditeur (créé en 2013, Faï fioc -expression occitane- est le nom d'un quartier de Marvejols  en Lozère, où l'animateur de cette maison d'éditons organise chaque année des résidences d'écriture [...]

A propos de Pierre Dhainaut

En remontant dans les archives de Traversées j’ai retrouvé un numéro de la revue consacré au poète Pierre DHAINAUT (n°49 / Hiver 2007-2008). [Au passage, l’on se dit que l’Éditorial  signé alors de [...]

Pierre Dhainaut, Un art des passages

« C’est pour respirer moins mal que, très jeune, j’ai eu recours au poème. Ce « recours au poème », Pierre Dhainaut l’explicite dans un livre rassemblant à la fois des poèmes inédits et des textes [...]

Pierre Dhainaut, État présent du peut-être

Il faut saluer la naissance de la nouvelle maison d’édition de Mathieu Hilfiger, Le Ballet Royal, inaugurée par le très beau livre de Pierre Dhainaut : État présent du peut-être. Déjà l’objet-livre, au design [...]

Ainsi parlait…

Un Hugo caravagesque   Pour parler du grand auteur romantique français qu’est Victor Hugo, il faut trouver des mots amples et englobants. Une fois acquise cette idée, il ne faut pas oublier de [...]

Pierre Dhainaut, Et même le versant nord

J’ai rencontré l’œuvre de Pierre Dhainaut dans la revue Voix d’encre. C’était en 2005 et le texte s’intitulait « Toujours à l’avant du jour », une suite de notes dans lesquelles il définissait la poésie [...]

Pierre Dhainaut, APRÈS

On ne sait pas. On écoute. On entend. Seul. Une chambre. Des murs, on croit en les fixant sortir de soi, bloquer/ce qui remue sous les paupières. Un brancard. Un cortège de couloirs. [...]




Waston Charles, Seins noirs

 Il faut oser le « Je ». Le « Je » se déclame, s’assume, se décline pour s’incliner vers l’autre, les corps, la mer, le fleuve ou le ciel. Watson Charles réussit cet exploit d’une poésie à la première personne.

Car, quand on dit « Je », les écueils sont nombreux. Entre la complaisance, le nombrilisme ou l’image facile, le « Je » peut s’écraser et faire s’échouer le poète. Il faut donc un « Je » qui, à travers les bonheurs et les misères d’un monde, aille chercher un horizon ou un silence. Alors, de possiblement ridicule, le « Je » se transfigure, magnifique. 

(…)

Chaque instant
Je ressens le rire des clochers
Comme cette pierre dont je suis fait

Cette main tendue
Tel un morceau de givre
Ne fallait-il pas l’arracher dans la bouche du mendiant

Je parle de ce vent qui nous fait vivre
Et du ciel chargé de pluie

(…)

Watson Charles, Seins noirs, Éditions Æthalidès, 2022, 128 pages, 17 €.

La musique de Watson Charles rappelle celle de Césaire ou de Saint-John Perse. Ses images font écho à celles de Jean d’Amérique ou de Coutechève Lajoie Aupont, plus proches de nous. Est-ce à dire que, désormais, seuls les poètes insulaires seront « sauvés » ? Quand on lit ces pages lumineuses et que, parallèlement, on parcourt nombre de recueils de poésie récents, on ne peut que se demander si le béton de nos villes tristes et pluvieuses ne recouvre pas automatiquement les terres intérieures ainsi que les mains qui tentent de s’en extraire. Nous, lecteurs, devons croire à une langue non figée qui avale tout ce qui coule à sa portée : « le ciel aplati et noir », « l’absinthe qui sort de la bouche du voleur » ou encore « la foudre gisant près des rivages ». Nous devons croire à une écriture riche, audacieuse et généreuse comme celle de Watson Charles.

Présentation de l’auteur

Waston Charles

Charles Watson est né en 1980 à la Croix des Bouquets en Haïti, Jean Watson Charles est poète et écrivain. Il a fait des études de Lettres à l’École Normale Supérieure et de Sociologie à la Faculté d’Ethnologie de Port-au-Prince. Il vit en France.

Plus loin qu’ailleurs est son troisième recueil après Pour que la terre s’en souvienne et Le Chant des marées (2018).

© Crédits photos Photo © Stéphanie Roussel, Paris, 2019.

Bibliographie

Poésie:

  • Pour que la terre s’en souvienne (avec Wébert Charles). Port-au-Prince: Éditions Bas de Page, 2010.
  • Lenglensou. West Palm Beach: Éditions Perles des Antilles, 2012.
  • Plus loin qu’ailleurs. Port-au-Prince: Ruptures, 2013.
  • Le chant des marées. Paris: Editions Unicité, 2018.

Nouvelle:

  • Le goût des ombres. Paris: PhB Éditions, 2020.

Textes parus dans des ouvrages collectifs:

  • « En temps d’enfance ». …des maux et des rues. Port-au-Prince: Legs Édition, 2014: 33-38.
  • « Haute lutte ». Legs et Littérature 9 (janvier-juillet 2017): 261-266.
  • « Le goût des ombres ». …des hommes et des ombres, textes réunis et présentés par Dieulermesson Petit Frère. Port-au-Prince: Legs Édition, 2018: 25-38.
  • « J’extraits ». Anthologie Voix Vives, sous la direction de Bruno Doucey. Paris: Bruno Doucey, 2019: 141-143.
  • « Bri dans ». Zile a : antoloji jèn powèt ayisyen ak dominijen/La Isla : antologia de jovenes poetas haitianos y dominicanos. Port-au-Prince: sne, 2016: 54-55.

Poèmes parus dans des revues:

  • « J’aimerais ». DO.KRE.I.S 1 (2017): 39.
  • « Je ne suis d’aucun pays ». Phaéton (2018): 80.
  • « Parfois ». DO.KRE.I.S 3 (2020): 86-87.
  • « Ces hommes ». Bacchanales 63 (2020): 60-63.
  • « Extraits du corps ». IntranQu’îllités 5 (2020).
  • « Rien que la lumière ». TESTE 37 (2020): 32-33.
  • « Le jour renaît ». Mange-Monde 17 (2020): 98-100.

Poèmes choisis

Autres lectures

Waston Charles, Seins noirs

 Il faut oser le « Je ». Le « Je » se déclame, s’assume, se décline pour s’incliner vers l’autre, les corps, la mer, le fleuve ou le ciel. Watson Charles réussit cet exploit d’une poésie à [...]




Marilyne bertoncini, La Plume d’ange

La lecture du conte « La plume d’Ange » nous ouvre à la magie d’un style et d’un univers. Nombreux sont ceux qui, tel le modeste auteur de cette chronique, sont fatigués par l’inlassable écriture post-célinienne d'écrivaillons sans talent ni imagination, bien loin de l'auteur du Voyage au bout de la nuit qui détestait la facilité et la démagogie.

Aux amoureux de la littérature digne de ce nom, travaillée avec amour, Marilyne Bertoncini donne à lire dans un style magnifique, enchanteur, ciselé un apologue mystérieux. En harmonie avec l’histoire étrange du professeur Ange Tardini, le lecteur entre dans le récit et, l’ensorcellement le gagnant, n’en sort que malgré lui – la dernière page dévorée. En me gardant de dévoiler quoi que ce soit de l’envoûtante histoire, que l’on me permette de donner deux courts extraits qui illustreront le talent de Maryline Bertoncini : « Il se rappela alors très vivement la plume qui l'avait tant fait rêver, et il resta longtemps les yeux fixés sur les signes du matin. Peut-être que, s'il avait essayé d'écrire avec elle, peut-être qu'il aurait écrit le livre du monde. Elle avait les couleurs du mystère, elle aurait peut-être dévoilé les secrets de l'univers. Peut-être... Il rêvait les yeux ouverts. » ; ou encore, quand le narrateur affirme qu’il n’existait « rien d'aussi fascinant que le jeu de clair-obscur qui se modelait autour d'elle ; rien de plus étrange que cette fragilité aérienne, qui évoquait pourtant l'impénétrable dureté du métal. Avant de se coucher, il la posa délicatement sur la table de chevet. On aurait dit un joyau d'où jaillissaient d'imperceptibles éclairs noirs dans la pénombre. »

Marilyne Bertoncini, La Plume d'ange, illustrations Emilie Walcker, éditions Chemins de plume, 2022, 16€.

Le récit lui-même, sa lecture finie depuis bien longtemps, continue de nourrir l’âme du lecteur. Comme toutes les œuvres d’art, cet apologue fait naître nombre de questions, notamment existentielles, sur le rapport que nous établissons avec l’acte d’écriture, ou encore sur ce que ce dernier peut avoir – ou oublier d’avoir – avec l’altérité. Posons-en quelques-unes, sur lesquelles « La plume d’Ange » se garde d’apporter des réponses réductrices.

Les passionnés du livre, de l’écriture, comme l’est Ange Tardini, le savent : la littérature n’est un remède aux maux intérieurs que dans la mesure où l’esprit critique et l’ouverture au monde accompagnent le mouvement. Nullement à l’abri des préjugés, le personnage en fera l’expérience bénéfique vis-à-vis des êtres qui l’entourent, qu’il a enfermés un peu tôt derrière des épithètes définitives. De même, jusqu’où n’était-il pas aliéné, emprisonné dans quelque geôle spirituelle, jusqu’à la mystérieuse découverte de la plume ? Sa vie vieillie « avant l’âge » derrière d’interminables « habitudes » étaient-elles choisie ou subie ?

Rien n’est affirmé ici, tout est subtilement raconté, et nous vivons son périple pour comprendre le mystère de cette sublime et ensorcelante plume, belle allégorie de toute activité littéraire.

Ce conte magnifique s'enrichit d'un dialogue constant entre la narration et les illustrations d'Emily Walcker. Ces peintures donnent à voir une interprétation personnelle de l'artiste qui, déployant dans l'espace et la couleur l'impression de mouvement féerique du conte, offre au lecteur le talent et la vision d'Emily Walcker. Cet apport d'une grande richesse, cette perception originale d'une artiste sont un don précieux pour le lecteur.

 




Annie Ernaux Prix Nobel de littérature 2022

L'écrivaine Annie Ernaux, figure incontournable de la littérature française, est lauréate du prix Nobel de littérature, attribué jeudi 6 octobre. Son œuvre romanesque, largement autobiographiques, à la frontière de la sociologie, est unique et remarquable.

Première femme française à obtenir cette prestigieuse récompense, le jury salue ""le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle".

A 82 ans, Annie Duchesne est née le 1er septembre 1940 à Lillebonne  en Seine-Maritime. Elle a grandi à Yvetot, en Normandie, dans un milieu social modeste. Ses parents, ouvriers, sont devenus commerçants après avoir acheté le café-épicerie du village. Après des études de lettres à l'université de Rouen puis de Bordeaux, elle obtient une agrégation et enseigne à Annecy notamment.

La romancière a puisé dans sa propre vie la matière de ses livres, construisant pierre par pierre une œuvre littéraire en même temps qu'elle témoignait de sa classe d'origine, des hontes qui s'y attachent, de son désir d'extraction, et de tous les sentiments ce désir qui accompagnent l'ascension sociale.

Elle explore également la question de la condition féminine, à travers des romans qui mettent en scène des éléments autobiographiques que le travail d'écriture, dans une œuvre située entre fiction et autobiographie, permet de restituer dans une langue unique et forte qui transcende l'anecdotique pour conférer au récit une portée universelle. Elle a raconté l'enfance, l'adolescence, la jeunesse dans Les Armoires vides (1974), ou dans Ce qu'ils disent ou rien (1977) ; elle a raconté sa famille, ses parents et son émancipation sociale dans La Place (1983), ou La Honte (1997). Faisant ainsi œuvre de sociologie, Annie Ernaux dessine les paysages intérieurs d'une femme autant que ceux, plus larges, de toutes les femmes, et au-delà, elle nous livre un puissant témoignage de la société française depuis l'après-guerre. 

Le prix Nobel de littérature récompense annuellement, depuis 1901, un écrivain ayant rendu de grands services à l'humanité grâce à une œuvre littéraire qui, selon le testament du chimiste suédois Alfred Nobel, « a fait la preuve d'un puissant idéal ». 

En remettant son prix à Annie Ernaux, c'est « une écriture d'une rare puissance », celle d'une « anthropologue d'elle-même » que les jurés du Nobel de littérature ont honoré. Troisième femme sacrée par le cénacle suédois, Annie Ernaux succède à Louise Glück et la Polonaise Olga Tokarczuk.

Conférence de presse d'Annie Ernaux au siège de son éditeur Gallimard après l'attribution du prix Nobel.




Benoît Reiss, Un dédale de ciels

Les aïeuls de Benoît Reiss ont vécu sous un « dédale de ciels ». L’auteur raconte ici poétiquement leurs vies, celles d’hommes et de femmes qui ont vu poindre « les incendies à l’horizon ». Saga d’une communauté juive abordée dans une série de tableaux où le réalisme côtoie volontiers l’imaginaire et même une forme de fantastique.

Dans le très beau livre de Benoît Reiss, il est question de père et de mère, de grand-père et de grand-mère, mais aussi de mères de grand-mère ou de grand-père… Le poète remonte allègrement les branches de son arbre généalogique. Il parle de ses « aïeuls taiseux », de « corps légers couverts de rides enfantines », d’ancêtres « absorbés de sagesse » qui « nomment une à une les étoiles », des « ombres longues/dans l’été blet et immobile », des « femmes victorieuses » (ses arrière-grands-mères), de « mains couronnées de veines » (les grandes-tantes)…

Benoît Reiss dit avec des mots de poète (et quels mots si merveilleusement empreints de tendresse !) ce que Aaron Appelfeld a dit si magnifiquement dans Mon père et ma mère (éditions L’Olivier, 2020). Chez les deux auteurs, le même amour de la lignée, de l’ancrage dans les traditions ou dans l’histoire que des mots en hébreu ou yddish perpétuent ici comme autant de balises sur des destinées rudement mises à l’épreuve. Voici les shomrim (veilleurs). Voici les Schlemazel (malchanceux). Des lieux sont aussi évoqués furtivement où des aïeux ont vécu ou passé : Buxières-les-mines, le cimetière central de Vienne, le camp de Gûrs, les bords du Danube…

Car ce monde que Benoît Reiss restitue avec tant de bonheur, après duquel il a tant appris, voit des nuages noirs s’amonceler à l’horizon. « Nous marchons près des baraques sous les poings du soleil ». Le poète (né en 1976) s’imagine aux côtés de ce grand-père qui ne lui répond pas mais qui d’un geste « congédie dieu ».

Benoît Reiss, Un dédale de ciels, Arfuyen, 2022, 13 €.

Destin tragique d’hommes et de femmes condamnés à porter « des valises fatiguées/à moitié vides au bout de leurs bras » et qui « fuient les aboiements », car, « par décret », ces ancêtres « n’ont plus de biens ». Ainsi, écrit- il, l’on ne compte plus toutes ces « familles envolées dans le courant du ciel ».

Mais il y aura les Justes à qui Benoît Reiss dédie son livre, eux qui ont sauvé ses grands-parents. Et puis, il restera ces images fortes qui marqueront à jamais le jeune Benoît : la leçon de vie apprise d’une grand-mère près de laquelle il est accroupi et qu’il découvre, une autre fois, « adossée au silence », lavant « son linge de corps ». Et que dire de cet aïeul dont le travail « consiste à couper les ongles des morts » mais qui raconte que « bien sûrs les ongles des morts continuent de pousser ». Merveilleux ! Oui, un livre merveilleux !

Présentation de l’auteur

Benoît Reiss

Benoît Reiss est né à Lyon. Il y a étudié la littérature ainsi qu'à Paris. Il co-dirige aujourd'hui Cheyne éditeur. Ses deux derniers livres publiés sont Une nuit de Nata (éditions Esperluète, 2016) et L'Anglais volant (Quidam, 2017).

Poèmes choisis

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