Haïkus : Du bleu en tête

Trois femmes pour parler de la mer, des plages et des rivages. Régine Bobée, Chantal Couliou et Choupie Moysan, trois Bretonnes bon teint (elles vivent à Brest ou dans le Morbihan) unissent leurs talent dans un livre de haïkus placé sous le signe du bleu. Celui de la mer déclinée, ici, sous forme de haïkus.




Me voici/la où le bleu de la mer/est sans limite », écrivait le haijin japonais Santoka (1882-1940). Nos trois autrices bretonnes – l’une née à Rennes, l’autre à Vannes, la troisième à Nantes - sont, elles aussi, face à la grande bleue. Elles ne nomment pas les lieux qu’elles épinglent en trois vers. A quelques exceptions près puisque l’on découvre, au détour de certaines haîkus, l’Ile Longue, Houat ou encore la Baie des Trépassés. L’ambiance est, de bout en bout, bretonne mis à part quelques échappées du côté d’Etretat, de Biarritz ou de la mer Egée, ou encore sur le ferry qui mène vers l’Angleterre et ses falaises de craie.

                                   

Sur le ferry fou
pris dans la tempête
tituber en crabe

           ∗∗∗

Vent force neuf
rien vu de la traversée
nez dans le sac papier

Régine Bobée, Chantal Couliou, Choupie Moysan, Du bleu en tête, éditions Unicité, 83 pages, 13 euros.




Par touches successives, impressionnistes, nous voici conduits en pays de connaissance vers les plages et les grèves.

                                        

                                          Sur le sable mouillé               Après la marée
                                          une suite codée                      coincé entre deux rochers
                                          pattes de mouettes                 un seau d’enfants

 

  Petite escale, bien entendu,  dans les ports de pêche.

                                           

                                     Sur le quai désert                                  Sans horizon
                                    dans les casiers à homards                    le marin échoué au bar
                                      la pleine lune                                        touche le fond

 

Il peut aussi arriver que la mer envoie ses messagers au creux même  de la ville

 

                                                   Sur les trottoirs
                                                   querelles de goélands
                                                   les éboueurs en grève

 

Et poursuivons notre chemin avec nos trois Haijins vers les cimetières de bateaux, les sentiers douaniers, les aquariums, les îles et les presqu’îles… Trois vers, l’instant saisi au vol. C’est le haiku, le poème court,  la poésie des cinq sens.







Dominique Sampiero reconvertit l’espace intime de la dissidence !

« CE QUI EST TROP CLAIR en poésie relève d’un défaut technique. »  D’emblée que faut-il entendre ou comprendre par cette apostrophe singulière presque vindicative, lancée volontairement sur la page par l’éminent critique Alain Borer dans sa préface vertigineuse du dernier recueil de Dominique Sampiero intitulé superbement, INVENTAIRE DU VIDE COMME NEIGE ET FLEURS NON REPERTORIEES dont le titre circulaire autant que dynamique laisse entrevoir une nouvelle tonalité dans l’œuvre déjà considérable de l’écrivain-poète.

« CE QUI EST TROP CLAIR » en effet n’exerce pas la fascination, sauf d’une luminosité transcendante mais de toute évidence hypothétique  – et qui laisse entrevoir parfois une véritable fragilité verbale dont l’inspiration est souvent fautive et grandement  fugitive, qui vient corroborer l’idée, (dans un autre sens cette fois-ci) qu’il existe en amont une « poésie au ras des pâquerettes », une fleur pourtant fort jolie et avenante, ce que je confirme d’ailleurs par l’expérience critique, qui est la mienne depuis de nombreuses années. Mais Alain Borer dont on connaît les subtilités linguistiques autant que les tours de passe passe, et qui ne s’attache guère aux présupposés rétablit aussi –là – une part de vérité ! « Dominique Sampiero écrit en état d’ivresse ». Là encore la formule pourrait se révéler accablante si elle n’était pas sous-tendue ou superposée à un imaginaire fécond et fécondé par quelques astres cachés ; magiques ? Pour celles et ceux qui connaissent un tant soit peu l’œuvre de Dominique Sampiero, de nombreux écueils devront être évités. On pourra toujours affirmer que l’œuvre de Sampiero, mais de manière tout de même un peu facile, puise aux confins d’un certain lyrisme tardif tant la valeur ajoutée de la syntaxe poétique, partiellement vécue comme une incursion/conversion, délimite l’idée d’une poésie réfractaire à toute sortes « d’endormissement » et qui n’est nullement « le jeu rédhibitoire », d’une humanité « souillée » par le destin, dont le poète se fait fort depuis des lustres de recouvrir les traces. 

Dominique Sampiero, Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Editions Corlevour144pages, 18 euros.

Nul travestissement en vérité, Dominique Sampiero est un poète « cash ». « Il transgresse savamment mais innocemment. Le langage est un vaisseau et le poète son pirate, son pire acte. » (P.8) De quoi en effet tomber à la renverse ! Tant l’intrusion du critique engage à la plus grande prudence de lecture. « Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.9) Je reprendrais cette formule plus tard tant elle me parait essentielle dans la compréhension du présent ouvrage.

Chez Sampiero, vouloir vivre est une contradiction différée !

Ainsi le ton est-il donné, d’un « Homme Habité », qui se fiche pas mal « du vouloir vivre », à l’inverse de courir après une mort qu’il connaît trop bien. Car le poète semble éprouver la vie comme une mort presque certaine ou bien alors d’écrire fortuitement et discrètement que la mort elle-même est plus réelle que la vie. Non qu’il faille croire que toute mort, détruit toutes formes d’illusions secondaires et passagères, mais plutôt qu’elle trouve la vie ridicule parfois et soudainement obsolète, dès lors que l’on côtoie allègrement ses « propres cadavres ambulants ». « Le Réel est une croyance – jusqu’au jour où il cogne ». (P.9) Et lorsqu’il se met à cogner (dur), c’est tout un monde, le monde, qui s’étiole et se fracture... Aussi envers et contre tout, le poète n’est jamais dupe, « son Réel », ne ressemble à aucun autre, il est LUI – et même « si le vaste reste simple » ; pourquoi en serait-il être autrement d’ailleurs ? Nul besoin de clôture factice et inutile afin de trouver le bon refuge à la survie. « L’inachevé respire entre les cailloux d’un repos imaginaire ». (P.13) Belle contradiction une fois de plus, qui se veut à la fois remède et poison, re-commencement et pourrissement. Or Dominique Sampiero a appris a dompter les éléments, au « cœur » d’une sagesse impénétrable, celle qui ne trompe pas sur le sens du monde, probable et improbable, ouvert et fermé, mais jamais vraiment tout-à-fait-amical. Ici on ne se souvient que des cailloux, érigés maladroitement en « pierre tombale », mais méfions-nous là encore de ce qui ressemble à une sombre invitation ! « Ici on se souvient des voyages sous le ciel et du corps archaïque du désir ». (P.15) Car chez LUI, le corps reste un absolu à conquérir ; par le désir alors ? Fut-il volontairement archaïque. Eh bien pas sûr justement ! Pour Sampiero, le désir n’est pas nécessairement une juste révélation de l’entendement Hégélien, oserais-je dire, mais plutôt le contraire admissible d’un faux consentement « qui se pose sur les mains ». A ce stade on pourra toujours penser que « Par ce ralenti de l’invisible et du cri, le ciel et la boue se marouflent l’un contre l’autre puis, médités à l’envers, se souvient de quelque chose sans arriver à le nommer ». (‘P19), car si l’approche encombrée de l’Autre ne semble pas très loin, les références sont nombreuses dans ce recueil de la présence humaine même intelligemment camouflée, le dehors dans le dedans semble vouloir faire exception. « Le chant est resté figé sur place, ahuri de lucidité.» (P.20) et plus loin encore, « J’ai vécu un mot qui a crevé mon espace d’un trou noir. Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.21) On peut alors considérer sans guère de contre-sens que le fameux trou noir considère le Réel comme une accidentation intentionnelle de la pensée toujours solitaire et sans pour autant prétendre à une vacuité magistrale, Ainsi il semble presque évident, « qu’une brèche dans l’écart se fissure pour apparaître ».  Nous y sommes arrivés finalement ! « La fissure », est bien le « lieu de la mémoire » du poète – mais un tiers lieu.  Une friche qui ne demande qu’à être habitée, réhabilitée sans contrainte. Les espaces naturels ont besoin d’une grande liberté pour exprimer leurs désaccords.  « Figure insoupçonnée, invérifiable, dont nous sommes harcelés par l’intuition ». (P.25) Et cette intuition là n’a rien de vraiment solvable, car elle agit en surimpression. Elle, ne fait que glisser lentement, afin de donner naissance au risque. Et la réponse est donnée de manière presque brutale, « Quel démon mal foutu nous fait croire que les cailloux de l’invisible nous lapident à chaque fois que nous doutons ? » (P.26) 

Toute grâce même révélée demeure abstraite et insondable !

Et Sampiero, connaît bien tous ces démons, il en a fait l’inventaire laborieux tout au long de son œuvre, à tel point que l’on peut croire naïvement que le poète ne doute de plus rien comme « une grâce du psaume blanc » (P.27)  écrit-il comme une sorte d’avertissement et de pleine certitude. Qu’est-ce donc que cette grâce là, dont le sens originel n’est pas complètement révélé et encore moins en adéquation avec le ciel ? La grâce pour Sampiero est un artéfact ou tout bonnement une vitre sans tain, « sans rédemption ». « Mettre debout un champ ne prouve rien d’autre que le passage qu’il ouvre dans son format », (P.28) « On l’éventre jusqu’au suintement, on attend de voir perler le goutte à goutte de l’instant » (P.29). Ou bien encore, « En lacérant le papier, on se libère de tous les livres écrits en trop »  (P.29) - un sacrifice en quelque sorte « sans le regard de Dieu ». Ici la conscience s’avère fulgurante, car elle finit par cogner dur dans l’imaginaire du poète. Elle ne le lâche pas ! Le poète devient la proie de sa propre hantise compulsive et rongeuse de l’intérieur comme de l’extérieur, il peut à peine la nommer, encore moins la dissoudre dans l’oubli. « Comme d’une phrase capable de nous guérir de la carnation » (P.30), « ce tutoiement en forme de miroir, vers l’inconnu, cette deuxième peau que l’infini a déposée ici pour nous, en attendant d’en savoir plus définitivement » (P.34). Comme « une grâce réfractaire aux évangiles » (P.34). Sampiero lui n’a jamais connu la grâce, elle ne lui a jamais été promise ou accordée, au même titre que ce tutoiement presque indicible, dans lequel le poète aimerait se réconforter, ou du-moins se conforter un peu face au monde qui lui échappe encore et encore ! Un monde qui parfois prend l’apparence de la traitrise, car il n’a rien à offrir de clairement apparent, « Ni ange, ni dieu, juste une couleur cherchant un centre, le révélant à l’intérieur de celui qui la scrute. » (P.35). Or cette couleur, n’est pas clairement donnée, elle fait défaut à l’adhérence du poète à son monde, une couleur finalement qui se cherche dans un trou noir, sans être capable à un moment donné de la quête d’exprimer « sa pleine puissance », car de l’existant, elle ne sait rien d’autre que « la sortie du corps avant le corps » (P.37), le  corps impossible à expulser, qui va du dehors au-dedans et du dedans au dehors, presque inconsciemment ; rivé à toute forme d’enfermement.

Cette fois-ci le tour est joué presque malencontreusement !

Aussi toute la complexité du présent recueil vient du fait qu’il ne révèle rien d’autre qu’un existant inachevé, que le poète a lui-même souhaité pour se dédouaner de son ivresse perpétuelle et inassouvie. Une drôle  de mise en scène de l’inconscient poétique, où la métaphore joue inévitablement un double jeu. Une métaphore presque sournoise, qui a elle-même choisi son format, sans se soucier du réceptacle. « Si nous. Si seuls » (P.40) affirme encore le poète qui a fini par renoncer. « Nous sommes infirmes, et infinis. Nous boitons entre le néant et le ciel, le monstre et le saint, la flaque et l’étoile » (P.41). Or le boiteux, n’est-il celui pas cet être maudit dans le monde d’avant et dans celui  d ‘après, et qui porte en lui le revers de l’existence malchanceuse, comme un sombre artifice, auquel le poète ne peut pas donner de nom. Et même si l’œuvre nous épuise et nous façonne » (P.42) nous permet –elle finalement de rester debout, dans la plus « élégante  dignité » ? On peut en effet en douter….

Présentation de l’auteur




Pierre Perrin, Des jours de pleine terre — Poésie, 1969–2022

Le journal intime d’un homme en colère.

Difficile de donner une vision d’ensemble d’un massif poétique s’érigeant de 1969 jusqu’en 2022. De multiples sujets y sont abordés, pour certains intimes, et qui connaît Pierre Perrin reconnaîtra facilement des épisodes racontés sous un autre angle dans son ouvrage autobiographique Une mère Le cri retenu, pour d’autres appartenant à l’actualité la plus contemporaine, comme la guerre en Ukraine, ou « sur un cliché qui a ému le monde », le corps de cet enfant migrant gisant sur une grève.

Mais ce qui unifie le tout, c’est un regard, une révolte, une façon de dire « non » à l’ordre des choses et du monde, et en cela, ce texte est « poétique » au sens étymologique du mot, parce qu’il crée, non pas un monde, mais ce désir d’un monde autre.

Une poésie non pas tout à fait sans musique mais sans mélodie, une poésie percussive. Un peu comme Nietzsche philosophait à coups de marteau. On y chercherait en vain la rythmique classique des vers, même si elle se présente versifiée de façon apparemment classique, la plupart du temps

À Jean-Jacques aussi, précoce à ce point attardé que,
Lisant Horace à cinq ans dans le texte, à cinquante,
Embarrassé de sa pisse, il reste le copiste qui s’interdit
De mendier une pension. Moi non plus. (P.119)

Alain Nouvel Pierre Perrin Des jours de pleine terre Poésie 1969-2022 Publié aux éditions Al Manar ISBN 978-2-36426-306-2.

Les mots-valises, comme « Occidécadentaux » ou « islamopithèques » entraînent très explicitement vers la satire et il y a, de fait, quelque chose de profondément satirique dans cette poésie, même si aucune opinion politique n’y est clairement affirmée. Une peur de la décadence, peut-être celle de la mort, après Paul Valéry qui a dit « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » ?...

Pierre Perrin pose des questions brutales rugueuses, polémiques : « Quelle consolation apporte à un cadavre l’âme ? » ou encore, parlant de Facebook qu’il connaît bien :

                             (…)Qui outrepasserait l’écran ? 
Chacun est facebooking, harassé. Éteignez l’écran, il
Se rallume. Toujours ailleurs, chacun gère son complot,
Son ragot, son garrot, son fagot, son rigoletto, ses totaux
Rauques. Totaux de clics ? Un cliquetis de dents, dehors (…) (p. 118)

A ces critiques acerbes répondent « trois épures une fresque », dédiées à René Guy Cadou, Jacques Réda et Jean Pérol. Trois presque sonnets pour des maître vénérés. Plus tard, « Gisant debout », un hommage à René Char, « « sans doute dernier grand poète français du XXème siècle » … Il y a, par ailleurs, tant de faux prophètes et de faux poètes !

Mais la colère de Pierre Perrin vient de plus loin que ces impostures contemporaines,

Entre naître et n’être rien, le cri, le silence
(…) Rien, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier seul
L’infini particulier d’une éclipse de mort ?
(…) Écrire à la craie devrait suffire sur une ardoise où lire
La tendresse (P. 129)

Cette colère, de façon très étonnante, peut se métamorphoser en tendresse comme on vient de le voir, ou encore en appel désespéré « Au vainqueur » : « S’il te plaît, n’achève pas qui s’enfonce dans la nuit. » ou en cette résignation devant la force des choses : « Nature reste reine chez elle, qui tout emporte. » ou en cet amour pour l’Enfant : « Je me coucherai pour le bonheur de te savoir rester debout. »

Dans cette somme poétique, on retrouve un goût certain pour la parataxe, un style qui se veut classique, sans gras, à l’os. « Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt », un usage surabondant du présent de vérité générale, celui même des Maximes et Proverbes des Moralistes français : « En sacrifiant à la réussite, aux sournois exercices du pouvoir, chacun écrase les idées de traverse. La raison châtre les illusions. Des remords restent dans la gorge. Les nouveaux prêtres d’aujourd’hui ne délivrent personne. Le consumérisme pollue. La poésie n’est pas remboursée. ».

Mais derrière cet apparent classicisme, le baroque de métaphores parfois provocantes, étranges, hyperboliques :

                                                chaque séparation
Pire que si chacun s’était dépecé vivant sans un mot
                                                        ∗
                                                qui regrette
D’avoir battu ses paupières mieux qu’un briquet
Sur cet envol des jours
                                                        ∗
L’église fermée, la morale reste ouverte pire qu’un rasoir
                                                        ∗
Le blé qui tire vers le soleil
Éjacule sous la dent 

Et derrière cette apparente dureté, une générosité qui se réserverait pour d’autres causes. « L’Équilibre », par exemple : « un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue que l’on peut l’être dans sa peau. (…) Le poète à maturité ne se demande pas d’où lui arrive la voix ; il travaille de son mieux la merveille et l’épouvante, le dégradé entre les deux et il respire ; il fend l’air de son existence. »

Présentation de l’auteur




Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets

Marais secrets

Le marais est une belle matière poétique. Monde entre deux mondes (la terre et l’eau), il confine par définition au mystère au point d’être considéré, notamment du côté des Monts d’Arrée, en Bretagne, comme l’une des portes de l’enfer. Les poèmes de Marie-Josée Christien et les photographies de Yann Champeau se font brillamment l’écho, dans un superbe album à quatre mains, de ce halo de mystère qui entoure les marais.


On connaissait les poèmes de Xavier Grall sur les marais de Yeun Elez (où « crient les landes à minuit ») ou ceux de Gérard Le Gouic dans son livre Les marais et les jours parlant de ces marais qui s’étendent « à perte de mémoire ». Il faudra désormais ajouter à ce panthéon poétique des marais les textes de Marie-Josée Christien et les images de Yann Champeau. C’est l’image qui est première dans cet album. Le poème vient s’adosser à la photographie, la décrypter et susciter un écho sous formes d’aphorismes, de courtes pensées, voire de méditations. « Le marais/ est-il le seuil/de la vie/ou de la mort ? », interroge la poète.

Dans le viseur du photographe, il y a toutes les facettes du marais, celles scintillantes des reflets d’un soleil couchant, celles sombres et inquiétantes de tourbières encombrées de branches mortes. Dans cet univers de sphaignes, de bruyères, d’aulnes et d’osiers, de joncs ou de genêts, le colvert et la corneille s’ébrouent à l’aise. 

Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets, Les Editions Sauvages, 120 pages, 29 euros.

Dans ses poèmes, Marie-Josée Christien nomme tous ces mots caractérisant le marais que Yann Champeau transfigure dans d’éblouissantes et parfois énigmatiques photographies. Du grand art comme cela était déjà le cas dans Constante de l’arbre (Les Editions Sauvages, 2020) et Quand la nuit voit le jour (Tertium éditions, 2015), deux précédents livres des deux auteurs.

Les marais décrits ici sont anonymes même si, subrepticement, nous sommes conduits vers des lieux emblématiques de la Bretagne sans qu’ils soient jamais nommés. « Sur le mont lointain/une vigie se dresse/flèche de lumière/entre terre et nuages//comme une présence/qui mendie l’éternité », écrit Marie-Josée Christien les yeux rivés vers le mont Saint-Michel de Brasparts et les pieds dans les marais de Yeun Elez. Mais le plus important demeure la capacité à nous éblouir sur des lieux « ordinaires » qui ne relèvent jamais du cliché de carte postale. « La bruyère s’embrase/la lumière se répand ». Ailleurs, voici un « essaim d’iris », un « monde des molécules » qui « se lit à cœur ouvert » ou encore une tourbière, « retable humide ».

Dire le beau (en images et en poèmes) à partir de réalités frustes, c’est le pari réussi des deux auteurs. Il faut dire que le marais « consent/à de brusques métamorphoses ». On passe ainsi, insensiblement, du plus sombre au plus lumineux, du plus inquiétant au plus rassurant, au point que le marais peut même devenir un lieu de transfiguration ou, pour le moins, à même de répondre à une forme de quête spirituelle. « On marche/comme on prie/dans l’apesanteur des sèves/et l’escapade des genêts », écrit Marie-Josée Christien. Le marais questionne. Il peut conduire le poème à dire l’indicible.




Présentation de l’auteur




Jacques Vandenschrick, Tant suivre les fuyards

Dans son Liminaire, Jacques Vandenschrick donne le ton : « Le soir lourd de menaces, le ciel écrasant, tout inspirerait de rester à l'abri, mais il n'importe, il faut fuir. » Mais de quelle fuite est-il question ?

Fuir soi-même, un peu, ses souvenirs, ses lâchetés, ses traumas...

On peut fuir son propre mensonge, le rêve sournois d'une mère, la détresse de sa désillusion, la vengeance redoutée d'un frère... Il y a loin des hauteurs temporaires au ciel bas des issues. Et pas un seul cheval à voler derrière les vantaux d'un gris ancien qui se délave aux fermes cochères.

On devine dès les premières lignes, sourde, une révolte qui se sait condamnée. Je pense aux mots d'Henri Laborit, dans Éloge de la fuite : Se révolter, c'est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l'intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté... Il ne reste plus que la fuite.

Cette fuite est celle, bien sûr, de tous ceux qui ne peuvent faire autrement et l'on songera d'abord à ces malheureux qui veulent échapper aux guerres, aux massacres. Cependant le livre entier semble traversé d'un souffle biblique qui nous évoquera la persécution du peuple juif et l'épisode de la Fuite en Égypte. Il serait réducteur de s'en tenir à ce seul angle de lecture. J'ai parfois vu aussi ces esclaves noirs s'évadant de leur lieu d'exploitation. C'est sans aucun doute la grande force de ce livre qui, à travers une narration qui ne précise ni lieu ni époque, touche à l'universel. 

Le livre comporte quarante textes en prose poétique. On ne saurait ignorer la symbolique de ce nombre : les quarante ans que le peuple hébreu a passé dans le désert. Temps de l'épreuve.




Jacques Vandenschrick, Tant suivre les fuyards, Cheyne éditeur, 2022, 64 pages, 17 €.


Ô nuits des traversées, des plateaux déserts, quand on entre dans le noir frisson des mondes, dans l'effroi de ce qui s'ouvre sans fond, sous les étoiles comme des cicatrices hautaines. Les livres se sont fermés. Et on ne sait plus ce qu'on cherche. Ni l'insaisissable disant qu'on y apprenait à mourir, ni la mémoire qui, lorsque le temps s'effondrera, ouvrira ses blessures sur ce qui ne peut être perdu.

J'évoquais les migrants, en provenance d'Afrique notamment, dont la route douloureuse passe, entre autres, par la Libye. Certaines descriptions peuvent nous y raccrocher : Les guides marchent devant, cherchant toujours les puits, guettant l'eau dans le chant d'un oiseau...

Et puis ce rapport à l'idée de maître – on connaît les infortunes de ces candidats à une meilleure vie en Europe, réduits en esclavage sur leur trajet, dans des pays de passage : Fuir. Quitter ce maître injuste. Se vouloir loin.

Certes tout n'est pas explicable ou interprétable, c'est le propre de la poésie, la beauté du mystère quand on l'approche.

Du fuyard à la nuque lisse, manque à jamais l'affront du visage...

Et à nous, après tant de jours, ne restent qu'un récit, des mots fermés comme des parois, des citadelles évaporées, des formes où le miracle meurt. Presque rien. Sinon la consolation du vent que les grands oiseaux, en leur vol immobile, sont seuls à pouvoir habiter. Et le souvenir d'une fille aux yeux que le jour fait d'herbe et de givre.

Référence au divin : Supplier qui l'on peut ? Référence aux réfugiés en devenir : Appel à l'impossible vers des pays difficiles, dans ces rochers où vont errant des ombres, d'improbables caravaniers cherchant eux-mêmes la piste ? Se recentrant : Ou dans le fond de soi le plus mystérieux, là où se fait vraiment une écoute ? 

Si la fuite suppose le négatif (de ce que l'on fuit), néanmoins : Ne pas porter le mal plus loin. En chemin, il deviendrait plus noir à regarder. Laisser faire le vent. Il oubliera sans avouer.

Et dans cette acceptation, quasi zen :

Laisser aller la vie boiteuse dans le vent qui toujours vient recoudre les pluies aux pluies. Voir, sur les châteaux du ciel, passer l'escadre des nuages, l'ombre qu'ils font sur notre dette indéchiffrable.

Je précise que cet ouvrage est d'une très belle facture, comme toujours chez Cheyne éditeur.  Il me semble vain de gloser plus avant sur ce livre magnifique. Je laisse la place aux mots du poète :

Les fuyards sont gens de légendes austères.

Et le poème ne peut tout savoir mais non pas ne rien dire...

Présentation de l’auteur




Denis Guillec, Au royaume de ON

 À lire Denis Guillec, je constate que la politique est absente de la poésie… Serait-elle apolitique par nature, rejoignant ainsi, à force de bons sentiments et d’exaltation spirituelle, le camp bourgeois selon lequel il ne faut pas tout mélanger (soit une technique d’aveuglement assurant l’invisibilité de certains actes) … À moins que, avec Jacques Rancière, on estime que le travail de la littérature consiste à changer les sensibilités, plutôt que d’être engagée ? 

Pour ma part je me reproche ce constat : si mes poèmes et romans n’abordent pas cette question, serait-ce par soumission involontaire à un certain establishment littéraire… pourquoi pas, après tout ? Puisque sous un autre nom que celui de Lair il m’est arrivé d’écrire des essais de caractère politique, chez Fayard ou Flammarion ? Denis Guillec me fait donc poser cette question : pourquoi évincer le politique du poétique ?  

C’est que lui, on l’a compris, a choisi le chemin inverse : Au royaume de ON égrène les bonnes raisons d’être démocratiquement libéral, néo ou pas…

Au royaume de ON, on est contre la guerre
           contre le mal
           contre la mort
           pour la paix
           pour le bien
           pour la vie
au Royaume de ON, on a des Valeurs

Denis Guillec, Au royaume de ON, Cactus Inébranlable éditions, 2022, 86 p., 8 €, chez librairiewb.com.

… ainsi, en soixante et onze poèmes, on passe en revue les grands aspects de notre vie : la justice et l’équité, le chômage, l’hygiène et la santé, l’écologie, la providence de l’État, le goût de soi… toujours avec une ironie qui mord là où ça fait mal… tant et si bien que le syntagme « démocratie libérale » devient ce qu’il est : un oxymore. Puisque le libéralisme tue la démocratie (en réduisant la démocratie aux règles de son jeu du laisser-moi-faire capital) … comme la démocratie tuerait le libéralisme si elle retrouvait son étymologie : la force au peuple !

J’ai utilisé le mot de « poème » alors qu’on pourrait arguer du caractère non poétique de ces éructations. Allez, je vous en remets une cuiller :

Au royaume de ON, la politique est morale
             la société est éthique
            l’économie est solidaire
            le commerce est équitable
            l’État est Providence
           la soupe est populaire
au Royaume de ON, on est humanitaire

Bien sûr on ne frôle pas le sublime, on n’entrevoit pas de sentimentales nébuleuses, l’émoi est ici toujours du même tabac : l’ironie. Mais il y a une scansion, un procédé d’énumération qui au cours de la lecture s’élève comme une litanie, un répons que l’on verrait bien en scène, un récitant entonnant les six premiers versets, le chœur chantant le dernier :

au Royaume de ON, on est humanitaire

On est bien dans une construction, un maniement direct du langage de type poétique.

Au fur et à mesure des pages c’est toute une mécanique du discours qui se révèle, celui qui nous agite malgré nous (poètes compris !), celui du story telling libéral qui a gagné nos esprits depuis une trentaine d’années.

Au royaume de ON, l’argent ruisselle sur les sommets de haut en bas
                             on vénère les parvenu
                                      félicite les premiers de cordée
                                     encourage les seconds de cordée
                                     tance les derniers de cordée
                                     méprise les attardés d’en-bas
au Royaume de ON, rien n’est impossible si on le veut

 

Un tel « mécrit » a trouvé sa maison : les éditions du Cactus Inébranlable ont réalisé un joli livret en format à l’italienne. Une maison belge qui gratte et qui pique, paraît-il…  

Présentation de l’auteur




Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation

Tourner, Petit précis de rotation, titre du livre de Béatrice Machet, est une allusion au Précis de décomposition de Cioran, précise la quatrième de couverture.  Mouvements, courbes et cercles, traversent en effet chacune de ses pages au fil d’une impressionnante exploration. L’infinitif du verbe tourner y revient tel un leitmotiv figurant un centre irradiant dans les coins et les recoins de la vie et du vivant, sous toutes ses formes.

Il n’est pas de facette du mot, quel que soit le domaine, qui ne soit ici tournée et retournée. Visions de spirales d’étoiles enroulées au faîte de la nuit. Vols d’oiseaux essaimés dans la nuée. Mât sacré du soleil où s’accroche le regard. Film de la pensée qui se déroule en notre for intérieur. Navigation des mers poursuivie tout autour de la terre entre deux pôles. Retours très loin à l’aube d’un passé que l’on visite à rebours. Jusqu’au tour des machines avec lesquelles on fraise on façonne du lisse. Car tourner renvoie aussi au mouvement des poulies et des roues. Tourner, ce sont également de vertigineux slaloms, ou encore les orbites, où se mettent astres et satellites.

Tourner le dos, dit Béatrice Machet, adossant l’humain à la mer, comme le lieu où s’originent les êtres et les choses, présence elle-même d’une infinie mouvance, auprès de l’irrépressible élan qui nous porte, les mains jusqu’au sang.  Ici, on l’a compris, les paysages ne se laissent jamais figer dans ce qui serait l’abstraction d’une simple figure. Ils volent en éclats, pris au scalpel de l’écriture, qui défait, découpe et décortique, jusqu’à la substantifique moelle. Le lecteur est lui-même happé dans sa chair vive par des mots qui scrutent sans répit, et saisissent à l’intérieur de leurs mailles, sensations et significations, décomposent l’instant, entre diastole et systole, diffracté dans les interstices des pulsations du monde. Sens dessus-dessous la tête. Et le voyage se poursuit, cercle tracé, virage pris aux confins d’une géométrie circulaire qui se découpe en filigrane derrière nos existences en ce monde. Elle s’esquisse, se dérobe, réapparaît, semblable puis autre, au fil de mots qui sont autant de chemins tournés et détournés pour la rejoindre, elle et ce qu’elle recouvre d’une face cachée. L’espace ouvre à la terre un envers possible.

Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation, Tarmac éditions, 70 pages, 15 euros.

Tourner. Autour des langues et entre. Parcourir d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, le colimaçon par où remonter les étages de Babel.  Car Les langues encerclent le monde. Et en explorer les infinies girations, c’est tenter de lever les myriades de voiles qui enveloppent sa rotondité.

Béatrice Machet, fine connaisseuse des nombreux poètes amérindiens qu’elle a traduits en français, a-t-elle cherché à faire écho avec les roues et les cercles de vie si présents dans ces cultures ? Quoi qu’il en soit, la quête qu’elle poursuit dans ce livre ramène le lecteur au cœur de la vie et à ses battements primordiaux. Son écriture s’incarne dans la multiplicité des registres du vivant, depuis le plus concret, comme celui d’une simple baratte à beurre, jusqu’au mythe d’Orphée, jouant pour Eurydice. En lisant Tourner, Petit précis de rotation, on se rappelle aussi que l’écriture de Béatrice Machet a pris naissance dans sa pratique de la danse. C’est son rythme qu’elle convoque avec ses arabesques, ses sauts et ses glissés, jusqu’à accomplir une éblouissante fusion.

Une expérience de l’évaporation puis de la condensation. Les bonnes intentions distillées redescendues en pluie. Fine. Pénétrante qui vrille la réalité. Du verbe désirer.  / Cela fera-t-il présence ?  Un livre à lire et à relire, dans le chatoiement des reflets et des ombres qui s’y déploient.

Présentation de l’auteur




Iran : la répression s’abat sur les écrivains !

Chers amis, poètes et écrivains du monde entier,

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur la vague d’arrestations et de condamnations à de lourdes peines de prison qui touche depuis des années les poètes et écrivains iraniens, mais qui a pris une ampleur sans précédent depuis le déclenchement du mouvement populaire de dénonciation du régime dictatorial régnant dans le pays.

Je joins à ma lettre une première liste de ces écrivains touchés par la répression, avec des renseignements précis pour certains d’entre eux, en attendant d’en savoir davantage sur d’autres.

J’appelle à une grande vague de dénonciation de la terreur que fait régner le régime iranien, et de soutien aux écrivains emprisonnés ou poursuivis pour leurs écrits, ou pour avoir exprimé librement leur opinion sur la situation qui prévaut dans leur pays.

Faut-il rappeler que la vie de ces femmes et de ces hommes est réellement menacée ?

Est-il besoin de réaffirmer que notre rôle d’écrivain comporte aujourd’hui plus que jamais le devoir impératif d’élever notre voix pour dénoncer l’écrasement des libertés partout où la barbarie piétine toutes les valeurs qui nous poussent à écrire ?

∗∗∗

Liste des poètes et écrivains concernés

 

علی اسداللهی

M. Ali Asadollahi

Poète, étudiant en littérature persane

Né en septembre 1987

Date d'arrestation : 21 novembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

علیرضا آدینه

M. Alireza Adineh

Poète

Né en janvier 1975

Date d'arrestation : 30 novembre 2022

 

_________________________________________________________________________________________________________________

آیدا عَمیدی

Mme Aida Amidi

Poète

Née le 14 janvier 1982

Date d'arrestation : 5 décembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

آرش گنجی

M. Arash Ganji

Auteur et traducteur

Né en 1986

Date d'arrestation : 1er novembre 2021

 

_________________________________________________________________________________________________________________

امیرحسین بِریمانی

M. Amirhossein Berimani

Poète, écrivain et réalisateur

Né le 27 mars 1997

Date d'arrestation : 29 septembre 2022

Condamné à cinq ans de prison

_________________________________________________________________________________________________________________

آتفه چهارمحالیان

Mme Atfe Charmahalian

Poète

Née en 1981

Date d'arrestation : 3 octobre 2022

Libérée sous caution le 13 décembre 2022, jusqu'à l'audience du tribunal.

Le Prisonnier de Christian Gehry.

_________________________________________________________________________________________________________________

امیرحسین آتش

M. Amirhossein Atash

Poète

Date d'arrestation : 22 octobre 2022

 

_________________________________________________________________________________________________________________

آرش قلعه گلاب

M. Arash Ghalegolab

Écrivain et journaliste

Date d'arrestation : 26 mai 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

بهروز یاسمی

M. Behrouz Yasmi

Poète

Né le 31 mai 1968

Date d'arrestation : 17 octobre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

بنفشه کمالی

Mme Banafche Kamali

Poète

Date d'arrestation : 24 septembre 2022

Le Prisonnier de Christian Gehry.

_________________________________________________________________________________________________________________

فرهاد میثمی

M. Farhad Maithami

Auteur et traducteur

Né le 17 novembre 1969

Date d'arrestation : 31 juillet 2018

_________________________________________________________________________________________________________________

هادی حکیم شفایی

M. Hadi Hakim Shafaei

Écrivain

Date d’arrestation : 1er octobre 2022

 

_________________________________________________________________________________________________________________

کیوان مهتدی

M. Keyvan Mohtadi

Auteur et traducteur

Date d'arrestation : 9 mai 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

محمود طراوت روی

M. Mahmoud Taravatroy

Poète

Date d'arrestation : 1er novembre 2022

Le Prisonnier de Christian Gehry.

_________________________________________________________________________________________________________________

مونا برزویی

Mme Mona Borzoui

Poète

Née le 9 mai 1984

Date d'arrestation : 28 septembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

محسن زهتابی

M. Mohsen Zéhtabi

Écrivain

Date d'arrestation : 21 septembre 2022

Le Prisonnier de Christian Gehry.

_________________________________________________________________________________________________________________

مژگان کاووسی

Mme Mozhgan Kavossi

Écrivaine

Date d'arrestation : 22 septembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

نگین آرامش

Mme Negin Aramesh

Traductrice

Date d'arrestation : 23 septembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

پوران ناظمی

Mme Puran Nazémi

Écrivaine

Date d'arrestation : 18 septembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

روزبه سوهانی

M. Roozbe Sohani

Poète

Né en 1985

Date d'arrestation : 5 décembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

سجاد رحمانی ماسال

M. Sajjad Rahmani Masal

Poète

Né en 1985

Date d'arrestation : novembre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

سعید مدنی

M. Saeed Madani

Écrivain et sociologue

Né en 1959

Date d'arrestation : 25 avril 2022

Condamné à 9 ans de prison

_________________________________________________________________________________________________________________

سعید هلیچی

M. Saeed Halychi

Écrivain et poète

Date d'arrestation : 19 octobre 2022

_________________________________________________________________________________________________________________

سیدنوید سید علی اکبر

M. Syed Navid Syed Ali Akbar

Auteur et traducteur

Né en 1981

Date d'arrestation : 16 octobre 2022

Le Prisonnier de Christian Gehry.




Reha Yünlüel, à travers les images…

Reha Yünlüel réalise. Il donne vie, il capture sans emprisonner, des visages, dans la série de vidéos de poètes filmés pour son Anthologie audiovisuelle des poètes vivants accessible sur sa chaîne YouTube, et des paroles, puisqu’il recueille aussi des mots avec lesquels il écrit de la poésie. Son dernier recueil, Rehaïkus , est paru en août aux éditions du petit Véhicule.

Diplomé de la faculté de droit de l'Université d'Istanbul et avocat, il a travaillé en tant que chargé de cours à l'Université de Marmara. Puis il est venu vivre en France, à Strasbourg, où il devient tour à tour et simultanément éditeur adjoint de la revue littéraire et culturelle Imece, fondateur du groupe de discussion sur la poésie şiirpostasi avec Ergin Şehirli, poète (son premier recueil, L'Oiseau tombant de la cathédrale est publié chez Virtuel yayinlari à Istanbul en 2000), fondateur  et éditeur de la revue d’art et de langue bachibouzouck.com,  et artiste car il à plusieurs expositions de photographies et réalise des documentaires et des court-métrages. Reha Yünlüel façonne le monde, s’en empare, le regarde et le transmets.

Il a accepté de répondre à nos questions au festival des Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée cet été, en 2022.

 

∗∗∗

 

Photo des Une  © Yakup Naziff Yünlüel.




CHEVEUX AU VENT… un projet poético-humanitaire et participatif d’Antje Stehn

Capelli al vento – cheveux au vent,  n'est pas seulement le titre de l'installation d'Antje Stehn, c'est aussi la performance poétique artistique participative en soutien aux femmes d’Iran (lire l’appel à textes ci-dessous) qu’elle propose de créer tous ensemble réunis, femmes et hommes. C’est à ce projet que Recours au poème, comme Jeudidesmots.com s’associent et vous présentent sur leurs sites respectifs, en attendant une présentation conjointe de l'oeuvre d'Antje Stehn lors du marché de la poésie à Paris, en juin 2023.

Artiste visive et poète allemande, née à Fribourg, elle a étudié à l’Accademia di Belle Arti Brera a Milano, avec les professeurs Ferrara et Esposito. Installée en Italie, elle vit et travaille à Naggio, sur le lac de Côme, et à  Milan. En tant que poète, elle fait partie du Réalismo terminale , un mouvement de poètes, artistes, et autres, qui s’inspire du manifeste homonyme publié par Guido Oldani en 2010. Ce mouvement s’ouvre toujours plus largement à toutes formes d’expression les plus variées, réunissant des architectes, des musiciens, des gens de théâtre et du spectacle… Du manifeste de la peinture terminale émerge l’idée disruptive de la “perspective renversée? Antje anime aussi le collectif poétique international Poetry is my passion, qui promeut la diversité linguistique culturelle et le multilinguisme dans le contexte des communautés internationales vivant à Milan. C’est ainsi qu’elle gère la rubrique  « Milan, une cité multilingue » sur le magazine TAMTAMBUMBUM. En tant qu’artiste, elle crée des installations et des performances à partir de matériaux naturels, dont les derniers sont Rucksack (sac à dos) et Capelli al vento.

L’artiste-poète-plasticienne ces deux oeuvres, Capelli al vento et Rucksack, a Global Poetry Patchwork comme dérivant l’une de l’autre. Cette dernière a fait l’objet d’une installation artistique  qui a été présentée au Piccolo Museo della Poesia Chiesa di San Cristoforo, à Piacenza, Italie et qui se compose de deux macro-œuvres : une installation comportant un grand sac, le Sac à dos, fait de sachets de thé séchés et une exposition de courts poèmes. Une installation en boucle audio permet au public d’écouter les voix de poètes récitant dans leur langue maternelle. L’œuvre rassemble un grand nombre de personnes, de lieux, de visions, de langages, soulignant la valeur de la proximité, si significative en ce moment historique marqué par la distance et l’enfermement, par la précarité aiguë du réseau humain.

.

Rucksack – Le thé et la poésie : 

.

Voici comment l’artiste explique cette première œuvre : 
Les sachets de thé ont une longue histoire qui remonte au XVIIIe siècle, lorsque les chinois ont commencé à coudre des petits sachets carrés pour mieux préserver l’arôme des différents thés. Les sachets de thé continuent d’être l’un des plus petits contenants que nous utilisons et trouvons dans chaque maison. Les sacs de transport ont été parmi les premiers outils utilisés par les femmes et les hommes pour transporter des objets et des souvenirs.

Nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs, mais en réalité les cueilleurs étaient prédominants, étant donné que 80% de leur nourriture provenait de la cueillette de graines, racines, fruits dans des filets, des sacs et dans tout type de récipient léger. Les sacs étaient des outils importants pour le transport des marchandises, hier comme aujourd’hui, car on peut voir des sacs utilisés comme conteneurs de courses dans les supermarchés. C’est pourquoi nous avons décidé de placer le sachet de thé au centre de l’attention, comme cœur d’une rencontre culturelle, et le Sac à dos comme trace de notre lien avec la nature et la migration.

Cependant, on ne peut que se demander pourquoi la représentation de grandes scènes de chasse prédomine sur les parois des grottes plutôt que des personnes occupées à récolter et à transporter des sacs pour collecter de la nourriture ? Cette question s’est également posée à Ursula K. Le Guin, une écrivaine de science-fiction qui a écrit la soi-disant théorie de la fiction du sac de transport, basée sur la théorie du sac de transport de l’évolution humaine par l’anthropologue Elizabeth Fisher. Le Guin a noté qu’il est difficile de raconter une histoire sur la façon dont les graines sont extraites de la peau, jour après jour de la même manière. La chasse, en revanche, est une véritable aventure, pleine de dangers et de surprises, son apothéose finale étant la mise à mort, lorsqu’un énorme mammouth, par exemple, tombe à terre. C’est un matériau pour une histoire d’action et c’est ce que nos ancêtres se sont probablement dit assis autour du feu. Mais aussi tragiquement, elle marque le début de la normalisation de la violence et d’un récit centré sur elle.

L’acte de rassembler, en revanche, avait peu de potentiel narratif ; au mieux, il convenait à une poésie traitant du monde en marge, dont peu se soucient. Pourtant, à y regarder de plus près, la poésie nous parle d’un autre regard sur le monde, d’une alternative au monopole généré par une seule histoire.

.

Cheveux au vent, un projet féministe intégratif

.

Antje, créatrice de ce premier voyage passionnant, lance un appel pour un nouveau projet, plastique et poétique, et livre les deux premiers poèmes qui l’ont amenée à lancer une nouvelle œuvre : voici le premier,

Cheveux au vent

 

Chaque jour avec courage une femme

lâche ses cheveux au vent, brûle son voile

défier les matraques et les balles

pour la liberté de toutes

chaque jour une dictature étouffe dans le sang

celle qui prend la parole pour réclamer une vie digne

dénoncer l'apartheid de genre

chaque jour remontent à la surface les cadavres d'une histoire déjà vécue

et l’une d’entre elles hurle "je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne,

Je suis le premier ministre, nous sommes les frères d’Italie"

(traduction Marilyne Bertoncini)

La première femme au pouvoir

compare l'avortement au féminicide

et d'autres femmes applaudissent

 

Comment nouer les lambeaux de sens

dans cet enchevêtrement feutré

peut-on devenir encore une plante grimpante?

penser de façon tentaculaire

serpenter

vers le prochain, vers le village

vers l'humanité ?

Ce jardin qui est le nôtre était ici avant nous

avant la semaison

avant de disposer les semis en rangées

avant de séparer les malades et les saines

maintenant toutes poussent dans toutes les directions

elles rivalisent au lieu de fusionner

elles appellent à la paix chacune dans son coin

être un individu n’est pas un privilège

ni penser au singulier

le jardin fut créé

pour l'ensemble

Le second poème d'Antje Stehn,  Femminicidio, a été lu à Milan, à l'auditorium Magnete, le 25 novembre lors de la journée contre les violences faites aux femmes ; vous pouvez l'entendre dit par Antje sur le lien ci-contre :

.

C’est enfin un poème d’ELHAM HAMEDI, traduit par Antje Stehn et Mari, qui lance le projet. (Cette poète iranienne, artiste multimédia, conservatrice internationale et membre permanent de l'Association scientifique iranienne des arts visuels, diplômée en recherche artistique de l'Université de Yazd, a eu plusieurs expositions individuelles et collectives en Iran et à l'étranger.)

CESSEZ-LE-FEU

 

Ne tirez pas sur moi !!

Je voulais juste laisser tomber mes cheveux sur les épaules d'un jardin

L'oiseau tombe des fissures de la fenêtre

et le cœur du mur s'écroule dans le pesant battement l de l'anxiété

‏quand ton coup de feu gémit dans mon coeur ‏

 

Ne tirez pas sur moi !!

Ma peau voulait juste sentir un peu de soleil

mes cellules fatiguées voulaient s’abriter à l'ombre d'une fleur

elles voulaient juste embrasser les lèvres de l'eau

 

Ne tirez pas sur moi !!

Le renversement peut devenir une nouvelle création

Une balle en plomb peut être comme la balle d’un enfant

qui joue dans mon coeur

Et ce rêve à l'envers peut être notre rêve éternel,

qui désormais trouve refuge dans les ruelles de l'enfance

à travers les rues de sang.

 

ne  tirez pas sur moi !!

Mes cheveux malades sont morts depuis longtemps

Enterrez les balles de plomb auprès de mes cheveux

peut-être nourriront-ils la terre

et un jour des balles en plastique pousseront-elles

elles savent la technique du jeu des souvenirs

dans les cheveux des poupée.

 

Traduction Marilyne Bertoncini  à partir de la version en anglais Antje Stehn et Mari

 

Appel à contributions : 

Notre « appel aux arts » rassemble tant d'adhésions !

Chers amis du sac à dos de Global Poetry Patchwork,

nous vous invitons à envoyer vos poèmes pour un nouveau projet de performance artistico-poétique qui se déroulera autour de l'oeuvre intitulée

                                                   CHEVEUX AU VENT /CAPELLI AL VENTO, devient une œuvre poético-artistique collective dédiée au courage des hommes et des femmes iraniens et à leur lutte dramatique.

Après le meurtre de Mahsa Amini, une jeune fille kurde de 22 ans battue à mort par la police des mœurs parce qu'une mèche de cheveux dépassait de son voile, des femmes iraniennes ont protesté en se coupant les cheveux et en brûlant des hijabs dans les rues. Capelli al Vento souhaite idéalement les rejoindre et soutenir leur combat, leur cri « FEMMES, VIE, LIBERTÉ ».

il commence maintenant, à l'occasion de la Journée internationale contre la violence à l'égard des femmes, et se terminera le 8 mars avec la première représentation, le parcours créatif de CAPELLI AL VENTO, une œuvre poético-artistique collective dédiée au courage des femmes iraniennes et à leur se battre.

Après le meurtre de Mahsa Amini, une jeune fille kurde de 22 ans battue à mort par la police des mœurs parce qu'une mèche de cheveux dépassait de son voile, des femmes iraniennes ont protesté en se coupant les cheveux et en brûlant des hijabs dans les rues. Capelli al Vento souhaite idéalement les rejoindre et soutenir leur combat, leur cri « FEMMES, VIE, LIBERTÉ ».

Biologiquement, les cheveux n'ont qu'un rôle de "régulateur thermique", sur le plan social, ils jouent au contraire une fonction d'importance fondamentale dans le langage corporel, ils sont un symbole de force et de sensualité, et ont également la capacité d'exprimer un nombre infini de significations dans la sphère culturelle, religieuse, sociologique et anthropologique. L'histoire du voile et des cheveux cachés est très imbriquée au fil des siècles : même dans la culture et la tradition des peuples méditerranéens, la tête des femmes a souvent été cachée par le voile.

Le titre de l'oeuvre, "Cheveux au vent", nous renvoie à un topos récurrent de la poésie allemande. Il a été inventé au début du XIXe siècle par la première poétesse allemande, Annette von Droste-Hülshoff, dans le poème Am Turme, où l'auteur libère ses cheveux et, comme une ménade, les lâche au vent. Un acte jugé rebelle, inacceptable en son temps. Ce topos a été repris par Ingeborg Bachmann (https://www.recoursaupoeme.fr/ingeborg-bachmann-toute-personne-qui-tombe-a-des-ailes/    )  dans Le Chant d'une île (in Toute personne qui tombe à des ailes, Poésie/Gallimard, p.330 et suivantes), et par plusieurs autres poètes.

L'Appel aux arts !

Nous appelons les poètes et poétesses à participer au WIND HATS PROJECT en envoyant leurs écrits, ou vidéos, qui seront exposés avec l'œuvre d'Antje Stehn et en feront partie intégrante.

Tous les participants sont également invités à lire leurs poèmes lors des différentes représentations programmées ; pour ceux qui vivent loin ou à l'étranger, les lectures seront projetées sur un écran vidéo.

 

La première représentation aura lieu le 8 MARS, JOURNÉE DE LA FEMME, à Milan, dans l'espace théâtral QUARTAPARETE, à la gare Porta Vittoria.

 

En mai, l'installation fera partie d'expositions collectives à Milan et Plaisance. D'autres répliques sont prévues pour des dates et des lieux à définir

COMMENT PARTICIPER ?

Envoyez un e-mail avant le 1.2.2023 avec :

  1. un court poème (max 10-15 lignes) sur le sujet, dans votre langue maternelle et, si possible, une traduction en anglais ou en italien par un locuteur natif.
  2. une courte biographie de 3 lignes de vous.
  3. une vidéo réalisée avec un téléphone mobile (horizontalement) où vous lisez le poème avec un son clair. Les vidéos créatives sont les bienvenues.

 

Adressez le mail à :

canoe@inwind.it (ceux qui souhaitent envoyer un manuscrit contactent Antje Stehn par e-mail pour demander l'adresse postale)

Abonnez-vous à la chaîne Rucksack sur YouTube pour avoir une idée de ce qu'ont fait les autres poètes du projet Rucksack.