Regard sur la poésie Native American – John Rollin Ridge : un héritage lourd à porter ….

John Rollin Ridge (Yellow Bird, Cheesquatalawny)né le 19 mars 1827 à New Ecota, alors capitale du pays Cherokee, membre de la nation Cherokee, est le fils de John Ridge et petit-fils de Major Ridge, deux personnages de sinistre mémoire pour certains Cherokees puisqu’ils avaient signé en 1836, sans la présence de tous les leaders Cherokees, le traité de New Ecota .

Ce traité cédait au gouvernement américain le territoire Cherokee à l’est du Mississipi, et cela conduira à la déportation des Cherokees en Oklahoma, un épisode sombre de l’histoire connu sous le nom de « trail of tears », la piste des larmes. Son père avait bénéficié d’une éducation occidentale car Major Ridge avait voulu démontrer aux blancs qu’il était prêt à adopter leurs manières « civilisées », prouver que les Indiens étaient capables de faire aussi bien dans tous les domaines que n’importe quel occidental. Le père de John Rollin épousa donc la fille blanche du directeur de la Foreign Mission School où il avait brillamment fait ses études.

John Rollin à l’âge de douze ans, alors qu’il vivait désormais en Oklahoma sur la réserve allouée aux Cherokees, assista au meurtre de son père, meurtre organisé par le leader John Ross, un de ceux qui n’avait pas voulu signer le traité de New Ecota et qui considérait la famille Rigde comme traître à son peuple. Sa mère quitta la réserve avec son fils et partit pour Fayetteville en Arkansas pour se mettre à l’abri. John Rollin fit des études dans des établissements  pour « blancs », il étudia le droit et pendant ses études il commença à publier des poèmes, en parallèle il devint juriste. 

En 1849, John Rollin Ridge se trouva en présence de David Kell, un sympathisant de John Ross qu’il pensait être impliqué dans le meurtre de son père. Une querelle éclata et John Rollin tua David Kell. Bien que l’argument de l’auto-défense fût recevable, Ridge préféra s’enfuir dans l’état du Missouri pour éviter le procès. L’année suivante il partit en Californie rejoindre les mineurs attirés par la ruée vers l’or, mais la vie de mineur lui déplut, aussi il commença à écrire des poèmes publiés dans des magazines californiens, il rédigea également des essais pour le compte du parti démocrate. 

John Rollin Ridge, premier auteur amérindien publié.

Il plaidait contre le racisme et défendait la politique d’assimilation des Indiens d’Amérique ainsi que son père l’avait fait ; comme ignorant la réalité des traités non respectés, il semblait encore faire confiance au gouvernement américain malgré les violations des droits des Indiens. Plus tard ses prises de position seront critiquées, en effet John Rollin Ridge avait possédé des esclaves en Arkansas, et il exprimait son avis que les Indiens de Californie étaient inférieurs aux Indiens d’autres nations ou tribus. Ces contradictions n’empêchèrent pas à son livre The Life and Adventures of Joaquin Murieta de remporter un succès certain. Considéré comme le premier roman écrit par un Indien, ce livre fait le portrait d’un jeune mexicain courageux et travailleur venu tenter sa chance aux Etats Unis. À travers le récit le lecteur prend conscience du racisme régnant, et des lois discriminantes, comme la Foreign Miner’s Tax Law, qui, de fait décourageait les mexicains à devenir mineur, pour eux l’espoir de trouver de l’or ne rimait pas avec fortune. Et ces discriminations menaient certains à la violence, ils basculaient dans le banditisme ainsi que Joaquin, dépeint comme un gentil garçon très respectueux, y compris des femmes, le deviendra.

Cherokee Almanac : John Rollin Ridge.

Après la guerre civile, à la fin des années 1860, John Rollin Ridge ralliera le parti sudiste Cherokee et se rendra à Washington DC pour tenter de renégocier avec le gouvernement, la restitution des territoires Cherokees, car les confédérés avaient promis que les Indiens d’Amérique obtiendraient un état qui leur serait propre s’ils gagnaient la guerre… encore une promesse en l’air, jamais le peuple Cherokee, ni aucun autre peuple Indien, ne fut autorisé à créer un état indépendant. Par ailleurs, John Rollin Ridge blâmait les abolitionnistes d’avoir provoqué la guerre et il était opposé au président Lincoln.

Pendant des années il occupera le poste de rédacteur au journal Daily National en Californie. Il mourra le 5 octobre 1867, seulement âgé de quarante ans. Sa veuve fera publier ses derniers poèmes à titre posthume chez Henry Payot & Company.

La poésie de Ridge est qualifiée de romantique, elle laisse transparaître la difficulté de vivre avec une double identité, une double culture. Clamant son identité Cherokee, ne cherchant pas à l’effacer, il était pourtant favorable à la politique d’assimilation qui tuait cette culture et la langue Cherokee. Le conflit interne permanent est à la source même de son élan poétique. C’est un homme profondément divisé qui dans sa poésie nous fait part de ses espoirs d’unité, aussi bien individuelle qu’à l’échelle du pays : il croit en la promesse de l’expérience démocratique, là où des Indiens plus « clairvoyants » ou plus méfiants avaient compris que la société dominante était profondément raciste et que la « démocratie » telle que pratiquée était inégalitaire. C’est pourquoi le professeur de littérature Edward Whitley, spécialiste de la littérature du 19ième siècle et de Walt Whitman en particulier, a pu dire que John Rollin Ridge était un écrivain « white arboriginal », c’est à dire un Indien blanchi. Il ne fut pas un novateur, il suivit le courant romantique, cherchant à offrir une expérience mystique et transcendantale. Il évoque souvent les formes idéales de la femme, une muse, la mémoire irrévocablement perdue, mais dans le but de donner un sens politique à cette esthétique poétique.

John Rollin Ridge : lieu de sépulture.

“Mount Shasta”, ce poème de John R Ridge, fut publié à plusieurs reprises et dans des journaux qui n’étaient pas destinés à des Indiens d’Amérique. La dernière strophe du poème rend compte des étapes à dépasser pour que la Californie devienne prospère. Ce poème méditatif, lyrique, introduit des thèmes politiques là où un lecteur embarqué dans l’expérience romantique ne l’attendait pas. La figure de cette montagne californienne présentée avec les attributs habituels de majesté est cependant solitaire et glacée, comme indifférente au sort des humains, mais pourtant elle voit, elle a une conscience. Cette montagne deviendra plus loin dans le poème, l’esprit de la loi. Conscient des dérives dues à la ruée vers l’or, John R Ridge croyait en un système légal pur, transparent, impartial, implacable en ce qu’aucune émotion n’y a sa place, et qui élèverait le genre humain vers une vie morale avec des principes de vie héroïques, voire donquichottesque… Mais sachant son appartenance à la nation Cherokee et son implication dans l’assimilation des Indiens et autres cultures émigrées aux USA, il lui fallait cette croyance d’une contrepartie moderne à l’abandon de valeurs tribales, bien souvent pas moins morales ou éthiques, pas moins démocratiques, d’ailleurs !  

MOUNT SHASTA

Behold the dread Mt. Shasta, where it stands
Imperial midst the lesser heights, and, like
Some mighty unimpassioned mind, companionless
And cold. The storms of Heaven may beat in wrath
Against it, but it stands in unpolluted
Grandeur still; and from the rolling mists upheaves
Its tower of pride e’en purer than before.
The wintry showers and white-winged tempests leave
Their frozen tributes on its brow, and it
Doth make of them an everlasting crown.
Thus doth it, day by day and age by age,
Defy each stroke of time: still rising highest
Into Heaven!

     Aspiring to the eagle’s cloudless height,
No human foot has stained its snowy side;
No human breath has dimmed the icy mirror which
It holds unto the moon and stars and sov’reign sun.
We may not grow familiar with the secrets
Of its hoary top, whereon the Genius
Of that mountain builds his glorious throne!
Far lifted in the boundless blue, he doth
Encircle, with his gaze supreme, the broad
Dominions of the West, which lie beneath
His feet, in pictures of sublime repose
No artist ever drew. He sees the tall
Gigantic hills arise in silentness
And peace, and in the long review of distance
Range themselves in order grand. He sees the sunlight
Play upon the golden streams which through the valleys
Glide. He hears the music of the great and solemn sea,
And overlooks the huge old western wall
To view the birth-place of undying Melody!

     Itself all light, save when some loftiest cloud
Doth for a while embrace its cold forbidding
Form, that monarch mountain casts its mighty
Shadow down upon the crownless peaks below,
That, like inferior minds to some great
Spirit, stand in strong contrasted littleness!
All through the long and Summery months of our
Most tranquil year, it points its icy shaft
On high, to catch the dazzling beams that fall
In showers of splendor round that crystal cone,
And roll in floods of far magnificence
Away from that lone, vast Reflector in
The dome of Heaven.
Still watchful of the fertile
Vale and undulating plains below, the grass
Grows greener in its shade, and sweeter bloom
The flowers. Strong purifier! From its snowy
Side the breezes cool are wafted to the “peaceful
Homes of men,” who shelter at its feet, and love
To gaze upon its honored form, aye standing
There the guarantee of health and happiness.
Well might it win communities so blest
To loftier feelings and to nobler thoughts—
The great material symbol of eternal
Things! And well I ween, in after years, how
In the middle of his furrowed track the plowman
In some sultry hour will pause, and wiping
From his brow the dusty sweat, with reverence
Gaze upon that hoary peak. The herdsman
Oft will rein his charger in the plain, and drink
Into his inmost soul the calm sublimity;
And little children, playing on the green, shall
Cease their sport, and, turning to that mountain
Old, shall of their mother ask: “Who made it?”
And she shall answer,—“GOD!”

     And well this Golden State shall thrive, if like
Its own Mt. Shasta, Sovereign Law shall lift
Itself in purer atmosphere—so high
That human feeling, human passion at its base
Shall lie subdued; e’en pity’s tears shall on
Its summit freeze; to warm it e’en the sunlight
Of deep sympathy shall fail:
Its pure administration shall be like
The snow immaculate upon that mountain’s brow!

∗∗∗

Voyez le redoutable Mt Shasta, il se tient
Impérial au milieu de moins hauts sommets, solitaire et
Froid, comme quelque esprit non passionné.
Les tempêtes du ciel peuvent le frapper 
Furieusement, mais avec grandeur il se dresse immobile 
Vierge ; et depuis le roulis des brumes il élève
Sa fière tour encore plus pure qu’avant.
Les averses d’hiver et les tempêtes aux ailes blanches laissent
Leurs tributs gelés sur son front, et lui 
Font une couronne éternelle.
Donc jour après jour, âge après âge, faites-le
Défiez chaque coup du temps tout en vous élevant,
Le plus haut dans le ciel ! 

 Aspirant à l’altitude sans nuage de l’aigle
Aucun pied humain n’a souillé son flanc neigeux ;
Aucun souffle humain n’a embué le miroir glacé qu’il
Tend à la lune, aux étoiles et au soleil souverain.
Les secrets de son sommet chenu ne nous deviennent
Peut-être pas familiers, sommet sur lequel le Génie
De cette montagne construit son trône glorieux !
Loin soulevé dans le bleu infini, il
Encercle, de son regard suprême, les vastes
Territoires de l’ouest, qui s’étendent sous
Ses pieds, en des tableaux de sublime repos
Qu’aucun artiste n’a jamais dessiné il voit les collines
Gigantesques paisiblement se dresser
En silence, et qui dans la longue distance
Se rangent par ordre de grandeur. Il voit la lumière solaire
Jouer sur les torrents dorés glissant
Par les vallées. Il entend la musique de la grandiose mer solennelle
Et surplombe l’immense vieux mur occidental
Pour regarder le berceau de la Mélodie éternelle !

 Lui-même toute lumière, sauf quand un très auguste nuage
Étreint quelque temps l’interdiction qu’est sa forme
Froide, cette montagne monarque répand son ombre
Puissante sur les pics plus bas,
Qui, comme des intellects inférieurs à quelque grand
Esprit, par contraste se montrent dans leur petitesse !
Tout au long des mois estivaux de notre
Année la plus paisible, il pointe son axe glacé
En l’air, pour saisir les rayons étincelants qui tombent
En pluies de splendeur autour de ce cône en cristal,
Au loin elles roulent en flots de magnificence,
A l’écart de ce vaste Réflecteur solitaire dans
Le dôme du ciel
Immobile sentinelle surveillant le val
Fertile et les plaines ondoyantes en dessous, l’herbe
Se fait plus verte. Dans son ombre, douce éclosion
Les fleurs. Purifiants puissants ! Depuis ses flancs
Neigeux les brises froides sont dispersées vers les « foyers
Paisibles des hommes », qui abritent à ses pieds, et aiment 
Observer sa forme vénérée, oui là
Réside la garantie de la santé et du bonheur.
Puisse-elle gagner les communautés bénies 
À des sentiments et à des pensées plus nobles—
Le merveilleux matériel symbole des choses
Éternelles ! Et je devine bien comment, dans les années futures
Le laboureur à l’heure suffocante au milieu
Du sillon de son champs fera une pause, il essuiera
La poussière à son front, et avec révérence 
Il admirera ce pic vénérable. Le gardien de troupeau
Freinera sa monture dans la plaine, et abreuvera
Son âme la plus intime du calme sublime ;
Et les petits enfants, jouant sur la pelouse s’arrêteront
De pratiquer leur sport, et se tournant vers cette vieille
Montagne demanderont à leur mère : Qui l’a créée ?
Elle répondra — « Dieu ! »
Cet état doré prospèrera, si comme
Son mont Shasta, la loi souveraine se soulève
Dans une atmosphère plus pure—si haute
Que le sentiment humain, la passion humaine à sa racine
Reposeront domptés ; même des larmes de pitié sur
Ses sommets gèleront ; même le soleil de profonde
Sympathie échouera à le réchauffer :
Sa pure législation sera comme  
La neige immaculée sur le front de cette montagne !

Pour continuer dans le registre nostalgique et pour souligner le déchirement d’un être hybride, Indien mais cherchant à satisfaire les critères occidentaux pour se faire accepter dans une société hypocrite faisant semblant de promouvoir l’intégration alors qu’elle est fondamentalement raciste, voici cette « chanson » de la douce jeune-fille Indienne. Rêve romantique et refuge pour celui qui regrette certainement certaines valeurs et une qualité de la vie « à l’Indienne », tout en reconnaissant sa perte tant la vision du poète ne voit possible qu’une petite île pour sauver la part Indienne et de son être et de l’Amérique en entier.

SONG -- SWEET INDIAN MAID

Oh come with me, sweet Indian maid,
My light canoe is by the shore --
We'll ride the river's tide, my love,
And thou shalt charm the dripping oar.

Methinks thy hand could guide so well
The tiny vessel in its course;
The waves would smooth its crests to thee,
As I have done my spirit's force.

How calmly will we glide, my love,
Thro' moonlight drifting on the deep,
Or, loving yet the safer shore,
Beneath the fringing willows creep!

Again like some wild duck we'll skim,
And scarcely touch the water's face,
While silver gleams our way shall mark,
And circling lines of beauty trace.

And then the stars shall shine above
In harmony with those below,
And gazing up and looking down,
Give glance for glance, and glow for glow.

And all their light shall be our own,
Commingled with our souls, and sweet
As are those orbs of bliss shall be
Our hearts and lips that melting meet.

At last we'll reach you silent isle,
So calm and green amidst the waves, --
So peaceful, too, it does not spurn
The friendly tide its shore that laves.

We'll draw our vessel on the sand,
And seek the shadow of those trees,
Where all alone and undisturbed,
We'll talk and love as we may please.

And then thy voice will be so soft
'T will match the whisper of the leaves,
And then thy breast shall yield its sigh
So like the wavelet as it heaves!

And oh! That eye so dark and free,
So like a spirit in itself!
And then that hand so sweetly small
It would not shame the loveliest elf!

The world might perish all for me,
So that it left that little isle;
The human race might pass away,
If thou remainedst with thy smile.

Then haste, mine own dear Indian maid,
My boat is waiting on its oar;
We'll float upon the tide, my love,
And gaily reach that islet's shore.

∗∗∗

Oh viens avec moi, douce jeune-fille Indienne
Mon canoé léger est près de la rive —
Nous chevaucherons le courant de la rivière, mon amour,
Et tu charmeras la rame ruisselante.
 

Il me semble que ta main pourrait si bien guider
La course de ce petit vaisseau ;
Les vagues adouciraient leurs crêtes pour toi,
comme je l’ai fait pour la force de mon esprit.

Comme nous glisserons calmement, mon amour,
À la lueur de la lune dérivant sur l’eau profonde,
Ou, préférant la berge plus sûre,
Sous les saules rampants !

Comme des canards sauvages nous frôlerons,
Et rarement toucherons le visage de l’eau,
Alors que des rayons d’argent marqueront notre passage,
Et des lignes concentriques de beauté traceront.

Et puis les étoiles au-dessus brilleront
En harmonie avec celles dessous,
Regardant en haut et en bas,
Echangeront coup d’œil pour coup d’œil, brillance pour brillance.

Alors toute leur lumière sera la nôtre,
Emmêlée à nos âmes, et aussi doux
Que ces cercles bénis seront nos
Cœurs et lèvres qui fondant se rencontreront.

Enfin nous t’atteindrons île silencieuse,
Si calme et verte au milieu des vagues, —
Si paisible aussi, elle ne rejettera pas
Le courant qui lave amicalement ses berges.

Nous tirerons notre vaisseau sur le sable,
Chercheront l’ombre des arbres,
Là-où seuls et tranquilles
Nous parlerons et aimerons autant qu’il nous plaira.

Ensuite ta voix sera si basse
Qu’elle coïncidera avec le murmure des feuilles,
Ensuite ta poitrine rendra son soupir
Pareille à la vaguelette quand elle se soulève !

Oh ! Cet œil si sombre et libre,
Si pareil à un esprit !
Et puis cette main si douce et petite
Qu’elle ne ferait pas honte au plus adorable des elfes !

Le monde entier pourrait périr,
S’il ne me laissait que cette petite île ;
Le genre humain pourrait mourir,
Si tu restais arborant ton sourire.

Donc hâte-toi, ma chère jeune-fille Indienne,
Mon bateau et ses rames attendent ;
Nous flotteront sur le courant, mon amour,
Et gaiement atteindrons les rivages de l’île.

La poésie sans nul doute a joué un rôle thérapeutique dans la courte vie de John Rollin Ridge, capable de transformer l’historique et les traumas, personnels ou impersonnels, en une expérience de beauté et de vérité. Le premier vers du poème ci-dessous fait référence aux paroles de Moïse disant : « j’ai été un étranger en terre étrangère », mais cela est aussi la vérité inscrite, non sans une certaine amertume si l’on en croit certaines déclarations, dans la chair même du poète, qui à plusieurs reprise a dû déménager, a dû quitter le territoire Cherokee et se mêler à une société qui ne voulait pas de lui malgré ses efforts d’intégration et sa relative réussite sociale. D’où un mouvement de nostalgie parfois en pensant au temps de son enfance heureuse à New Ecota. Ridge rêvait d’un territoire Cherokee indépendant gouverné par des Cherokees qui auraient abandonné certaines de leurs coutumes pour adopter certaines mœurs occidentales considérées comme progressistes. Mais ainsi qu’il l’a écrit, en plus des politiques militaires impitoyables menées par le gouvernement, il y avait des conflits entre les Cherokees eux-mêmes : « to see the fire-brand of discord and contention hurled in their midst, to blast and whither their energies and almost effectually to cancel all the good which they had wrought themselves, was truly a painful contrast, and a heartrending sight. »(Constater les brandons de la discorde et de la tension précipités en leur sein, pour faire exploser et affaiblir leurs énergies, et suffisamment efficacement pour annuler tout le bon qu’ils avaient forgé eux-mêmes, contrastait douloureusement et ce fut véritablement une vision déchirante)

THE HARP OF BROKEN STRINGS

A STRANGER in a stranger land,
Too calm to weep, too sad to smile,
I take my harp of broken strings,
A weary moment to beguile;
And tho no hope its promise brings,
And present joy is not for me,
Still o'er that harp I love to bend,
And feel its broken melody
With all my shattered feelings blend.

I love to hear its funeral voice
Proclaim how sad my lot, how lone;
And when, my spirit wilder grows,
To list its deeper, darker tone.
And when my soul more madly glows
Above the wrecks that round it lie,
It fills me with a strange delight,
Past mortal bearing, proud and high,
To feel its music swell to might.

When beats my heart in doubt and awe,
And Reason pales upon her throne,
Ah, then, when no kind voice can cheer
The lot too desolate, too lone,
Its tones come sweet upon my car,
As twilight o'er some landscape fair
As light upon the wings of night
(The meteor flashes in the air,
The rising stars) its tones are bright.

And now by Sacramento's stream,
What mem'ries sweet its music brings --
The vows of love, its smiles and tears,
Hang o'er this harp of broken strings.
It speaks, and midst her blushing fears
The beauteous one before me stands!
Pure spirit in her downcast eyes,
And like twin doves her folded hands!

It breathes again -- and at my side
She kneels, with grace divinely rare --
Then showering kisses on my lips,
She hides our busses with her hair;
Then trembling with delight, she flings
Her beauteous self into my arms,
As if o'erpowered, she sought for wings
To hide her from her conscious charms.

It breathes once more, and bowed in grief,
The bloom has left her cheek forever,
While, like my broken harp-strings now,
Behold her form with feeling quiver!
She turns her face o'errun with tears,
To him that silent bends above her,
And, by the sweets of other years,
Entreats him still, oh, still to love her!

He loves her still -- but darkness falls
Upon his ruined fortunes now,
And 't is his exile doom to flee.
The dews, like death, are on his brow,
And cold the pang about his heart
Oh, cease -- to die is agony:
'T is more than death when loved ones part!

Well may this harp of broken strings
Seem sweet to me by this lonely shore.
When like a spirit it breaks forth,
And speaks of beauty evermore!
When like a spirit it evokes
The buried joys of early youth,
And clothes the shrines of early love,
With all the radiant light of truth!

∗∗∗

La harpe aux cordes cassées

ÉTRANGER en terre étrangère,
Trop calme pour sangloter, trop triste pour sourire,
Je prends ma harpe aux cordes cassées,
Un moment d’épuisement à envoûter ;
Et bien qu’aucun espoir sa promesse n’apporte,
Et que la joie ambiante ne soit pas pour moi,
Immobile au-dessus de cette harpe j’aime me pencher
Éprouver sa mélodie brisée
De tous mes sentiments éclatés mélangés.

J’aime entendre sa voix funèbre
Proclamer combien mon sort est triste, combien solitaire ;
Et quand mon esprit se fait plus sauvage,
J’aime référencer son ton plus sombre, plus profond.
Et quand mon âme plus follement luit
Au-dessus des épaves gisantes qui l’entourent,
Au-delà de la position mortelle, haute et fière,
Pour ressentir sa musique monter en puissance,
Je suis rempli d’un étrange plaisir.

Quand mon cœur bat de doute et de crainte,
Que la raison pâlit sur son trône,
Alors, quand aucune voix douce ne peut réconforter
Le bien trop désolé, trop seul,
Ces tonalités m’arrivent tendres sur ma voiture 
Comme le crépuscule sur un paysage clair,
Comme la lumière sur les ailes de la nuit
(Le météore étincelle en l’air,
Les étoiles s’élèvent) ces tonalités sont brillantes.

Et maintenant au bord du torrent de Sacramento,
Quels doux souvenirs sa musique procure —
Les vœux d’amour, ses sourires et ses larmes,
Sont suspendus au-dessus des cordes cassées de la harpe.
Elle parle, et au milieu de ses peurs, rougissante
La splendide se tient devant moi !
Pur esprit dans ses yeux découragés,
Et comme deux colombes ses mains pliées !

De nouveau elle respire—et à côté de moi
Elle s’agenouille, avec une rare grâce divine—
Puis une pluie de baisers sur mes lèvres, 
Elle cache nos bisous de ses cheveux ;
Ensuite tremblant de délice, elle jette
Son être splendide dans mes bras,
Comme si surpuissantes,  elle cherchait des ailes
Pour la cacher de ses charmes conscients.

Elle respire encore une fois, courbée par le deuil,
L’éclat a quitté ses joues définitivement,
Tandis que, ainsi que mes cordes de harpe cassées maintenant,
Il contemplait sa forme en frissonnant !
Elle tourne son visage inondé de larmes,
Vers lui afin que le silencieux se penche au-dessus d’elle,
Et au nom des douceurs d’autres années,
Elle le supplie encore, oh, de l’aimer encore !

Il l’aime encore—mais l’obscurité tombe
Sur ses chances à présent ruinées,
Et c’est son exil condamné à fuir.
Les rosées, comme la mort, déposées sur son front,
Et froide la sensation de son cœur
Oh, cesse—mourir est agonie :
C’est plus que la mort quand les bienaimés partent !
Alors puisse cette harpe aux cordes cassées
Me sembler douce sur cette rive désolée.
Quand tel un esprit elle point,
Et de plus en plus parle de beauté !
Quand tel un esprit elle évoque
Les joies enfouies de la prime jeunesse,
Et habille les autels d’un amour précoce
De toute l’éclatante lumière de la vérité !

Si la harpe aux cordes cassées représente le pays Cherokee désormais dépecé et distribué aux colons, si elle représente les différentes tendances conflictuelles au sein du peuple Cherokee, ou encore si elles représentent la culture Cherokee qui du fait de la déportation en Oklahoma n’a plus les moyens de prospérer et de faire entendre son chant unique, on peut parier que le « sacrifice » de John Rollin Ridge, le choix politique de son père et grand-père, ne lui ont pas apporté la paix souhaitée. Reste à louer une attitude qui ne cherche pas à se présenter comme victime mais qui essaie de chercher une solution pour l’avenir, bien que secrètement, regrettant le passé.

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (48) : Gustave Roud

Les œuvres complètes de Gustave Roud paraissent enfin aux éditions Zoé, en 4 volumes réunissant les 10 livres d'oeuvres poétiques, les traductions, le journal et tous les textes de critique. Les français vont-ils enfin découvrir un de nos plus grands écrivains lyriques du XX ème siècle ?

Depuis longtemps, Gustave Roud est honoré à sa juste dimension dans son pays, la Suisse romande. Né en 1897, il est très vite devenu un acteur culturel helvétique majeur. Installé avec ses parents dans une ferme de Carrouge, il n'a jamais quitté sa maison, arpentant la contrée, participant aux travaux des champs, photographiant ses amis paysans. Dès 1915, ses premiers poèmes ont dit son incurable solitude. « Je serai celui qui va seul au crépuscule / seul -en pleurant, par les routes du crépuscule... » « Seul à tout jamais », dans la souffrance d'une homosexualité impossible à vivre pleinement.

Mais cette solitude, nous dit-il, lui « rendait le monde ». Adieu, le premier livre paru en 1927, célébrait avec une ferveur intense, les villages, les champs, les paysages du Haut Jorat, où chaque marche lui offrait de goûter une véritable communion. Les notes, consignées au fil des promenades et des saisons dans de petits carnets, recopiées dans le Journal (1916-1976), reprises souvent dans les livres achevés, regorgent de sursauts, de rencontres, d'admirations. Et c'est d'abord avec la terre et les plantes que se passe la communion :

Aux haltes, meilleure que l'herbe fraîche à nos pieds en sang, plus douce que l'ombre où l'on s'allonge, nous buvions la couleur des feuillages, comme iune gorgée d'eau ce vert profond (…) Communion, échange, mots insuffisants, c'est incorporation qu'il faudrait dire... (Feuillets)

Gustave Roud, Oeuvres complètes, Editions ZOE, 4 volumes, 5056 pages, 85 euros.

Les corps des jeunes paysans s'accordent au paysage contemplé. Le Journal abonde en désirs inassouvis et en tentations. Le désir est comme transcendé par « l'innocence sublime parce qu'éternelle » que Roud perçoit en chacun. Pour un moissonneur, en 1941, célèbre « les moissonneurs pris dans leur toile blanche comme de grands anges maladroits :

Tu ne disais rien, les lèvres seulement entrouvertes sous le dur crin d'or, une main dans la mienne, l'autre enroulée au manche de ta faux. 

Le poète est ainsi hanté par ces présences frôlées, ces témoins d'un « Paradis dispersé » selon la vision de Novalis, que Roud étudiait et traduisait. Ces présences devenues avec le temps de doux fantômes, dont la vie n'est pas moins proche et sensible :

                  Où es-tu ?

                   Est-ce que tu ne peux plus entendre ce cri ? Est-ce que tu ne peux me dire si tu respires encore, si ton cœur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore, m'est refusée ?

                  Le jour où je n'en pourrai plus d'attendre, je retournerai vers l'oiseau et cette fois, je l'appellerai comme ce soir je t'appelle. Son cœur est plein de pitié (…) Il m'écoutera. Il écoute ce que les morts lui disent, toutes les paroles des voix sans lèvres. Il porte aux vivants les messages des morts. Il écoutera tout ce que je pourrai lui dire et il s'envolera vers toi. 

Ce sont des instants d'éternité que saisit Gustave Roud, il accède alors, par eux, à une « vie profonde et pure », grâce à l'intercession de ceux qu'il désire. Il les réunit tous en quelque sorte sous le nom d'Aimé, à la fois « homme de chair » et créature « d'une transparence de cristal. » Ils appartiennent à  un monde voué à la disparition, à une Campagne perdue, comme l'évoque le dernier livre paru en 1972, 4 ans avant la mort de Roud. C'était un monde de lenteur et de cadences paisibles, où le poète avait le sentiment de toucher là à la « vraie vie ».

Monde défunt, que le regard intérieur, aidé par la mémoire, retient dans ce qu'il a d'essentiel et d'éternel. Rien n'est perdu, quand la Poésie vient sauver l'éphémère, l'instant suprême qu'un certain état extrême de l'âme et du corps a pu connaître. C'est là toute la foi « terrestre » de Gustave Roud, qui nous confie dans Requiem, son livre le plus composé (1967), le plus émouvant sans doute :

Oui, j'ai été cet homme traversé. Les doigts noués au mince tronc d'un frêne adolescent (j'en sens encore la lisse fraîcheur à mes paumes), j'ai soutenu de tout mon corps l'irruption de l'éternel, j'ai subi l'assaut de l'ineffable, j'ai vu la vraie lumière, la même, baigner toutes ces choses périssables autour de moi, leur infuser une splendeur de symphonie. 

Présentation de l’auteur




Francis Coffinet, Le signe vertébral sécable

Poésie et Fictionnalisme scientifique

Ou cette part du souffle glissée dans la mort que l’on incise.

***

1/ Si l’on considère la substance de notre lendemain comme l’unique possibilité de  nous identifier dans le temps, nous pouvons alors tenter par le subterfuge de la langue poétique d’en entrouvrir la chambre, que nous définirons comme secrète : glissement à l’intérieur de notre bouche d’un caillot de verbe qui pourra  déployer dans notre corps fractal et fictionnel  [éternel ] le principe actif romanesque, la formule chimique: le sel des possibles. 

Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.

L’écriture comme nouvelles tables de la loi revient, conglomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous  fixe ainsi  un coin dans le cœur - et  le tient entrouvert - 
Elle vampirise le vide  et nous assure une descendance  réelle dans la pensée. 

2/  Le jour où nous pourrons mesurer les constantes sanguines de nos rêves nous remonterons le fleuve des morts.

La fiction est en quelque sorte un art quantique, et la rétine  est pour chacun «  la boîte de Schrödinger ». Qui  se risque à briser l’oeil connaîtra la fin de l’histoire. 

Dans l’enlèvement de Patrocle par Achille de Fussli / on assiste à un combat cosmique où à l’inverse des  stratégies déployées en ce monde la fiction aspire  notre vie et notre sang.

« Visite l'intérieur de la terre ». · « En rectifiant ». · « Tu trouveras la pierre cachée. » peut on entendre dans la tradition.

« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux 

Il faut non seulement analyser toutes les combustions mais sans relâche jeter la fiction  dans le foyer du réel pour l’alimenter et tenter la mise en orbite du sens.

"Patience, patience, patience dans l'azur ! Chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr !" écrit Paul Valéry- Notre histoire c’est aussi  cette patiente observation de la germination des symboles… [ à regarder longuement mûrir la foudre  on en devient le maître plus que la victime].

3/ Mâcher la fiction comme du kath, en écraser les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le système nerveux central. 

Ainsi nous conduisons le Vaisseau fantôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fictionalisme à hauteur du réel - et nous pouvons répondre au chant des fées qui nous appelle.

Paul Éluard introduit une phase quasiment chorégraphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être »  / ainsi il existe une sémantique génitrice dans l’écriture, ( une captations d’image(s) et de racines  qui équivaudrait, par un geste de la main, à la capture d’un papillon  en plein vol - / au réveil nous en gardons les traces sur les doigts/.
Figer  le vivant à hauteur de lévitation et de mythologie comme un lac d’huile nous  met à l’arrêt tel un  fixeur devant le réel.

***

Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavillon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wernicke, là où se forment, en quelque sorte, la lave et  la compréhension du mot. Voilà ce qui initie le nourrisson à la durée et à la construction du soi.
Un monde de chair nommé croît dans le jardin des fictions . Mais il faut le nommer et le renommer sans cesse afin qu’il persiste.

Concept percé au foret le jour ou transmis comme un onguent par  imposition du verbe la nuit. Golem et cataplasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se battre avec la fièvre [ derme, épiderme et organes] comme avec un tigre.

4/ Mutation de l’être / lent déplacement  dans l’espace mental, il n’en tient qu’à nous que la chorégraphie du mot ouvre un geste, une échappée dans le monde physique. Le léviathan sommeille toujours à nos pieds. 

Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la secousse tellurique qui dessinent notre futur par frottis. 

L’épistémologie, c’est le babil des dieux.

Une symbolique des arcanes de la sémantique et de la grammaire qui à chaque fois  donne un tirage différent.

Ce nouveau codex recèle sur le recto de chaque page les griffures écrites et sur le verso la cristallisation de la matière même du vivant. Le papier qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction. 

***

Le livre de la grande science humaine se tiendra là, ouvert,  tant que quelqu’un pourra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aiguisée qui à la fois pourrait lui ouvrir les veines et lui permettre en même temps la découpe de chacune des pages. 

Toute la substance du temps , selon saint Augustin, tient dans l'instant indivisible qu'est le présent.

***

« C’est l’alouette ou c’est le Rossignol ?  » écrit Shakespeare dans Roméo et Juliette bien avant que Deleuze et Guattari ne songent à mêler ( dans la philosophie du rhizome) le chant des deux oiseaux donnant ainsi tous  trois la réponse dans une même trille. 

***

Poèmes extraits du Signe vertébral sécable

Le corps non exempt de corps

et l’œil :  petit cadran qui implose

 sous la ligne de flottaison du visible.

Premier principe alchimique :

à chaque fois que tu me tournes le dos, une saison se fane -

ou bien : 

en raclant les cellules de l’intérieur de la bouche 

on y trouve ton schéma, ta crête biologique-

ou encore : 

ouvrant une toute petite trappe dans ta joue

                       j’y glisse un destin à ton insu. 

  ∗

Une langue pour désapprendre,

une langue, à l’inverse du baiser,

 pour dénouer une à une les 

                                   bandelettes du sens.

Ligature

 

parole dissoute 

 

lumière criblée de sel

 

petit ange lingual.

 

Grain de fleur et pression sur la phalange de la tendresse-

 

l’aube évide le jour de sa matière

 

- dans chacun de tes os résonne l’une de tes vies –

 

quatre baies posées sur ton corps suffisent à m’en ouvrir les portes.

Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-

une chirurgie sans fin

où chaque corps touché reste en équilibre sur le fil –

je mords la chair

j’ouvre les deux plaies

j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-

le poids de chaque organe est un code chiffré :

même densité pour le cœur, l’âme et la rétine.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Michel Gendarme, Les Poèmes Arrangés (Le fils du muet n’a pas la parole), extraits

Cette poésie parle de ce qui est en lisière, de ce qui peut être vu depuis un refuge du point de vue d'un être indéfini, caché, par besoin, par survie Son refuge est une forêt dans laquelle il enfouit sa vie Dans laquelle il s'enfuit De laquelle il ne peut s'enfuir vraiment Alors il longe ce qui le sépare des hommes Les sons, les allures, les rires, les gestes, les mots séparent Voir sans être vu, entendre sans être écouté, jouer sans y être appelé L'être maudit a pour lui la confession intérieure et les actes de solitude Cette poésie exprime la crainte que le monde atteigne par trop de folie l'être démuni de naissance.

Avertissement : les mots entre parenthèses ne sont pas lus, mais leur présence est nécessaire, les mots en italiques restent ainsi.

10

ainsi arriver marais et flaques trouver ramasser inventer des choses bruits des rayons lumière dans les yeux devenir petit minuscule c’est le silence de l’eau avec des éclats de chatoiement des odeurs de lune alors marcher par l'ennui les dents mordent ma langue marcher par l'ennui les dents cassent en morceaux marcher par l'ennui briser des branches (casser) rompre des planches fouler les orties massacrer les orties les orties ennemies trancher les têtes puis les corps écraser les pousses admirer le lieu du combat s'assoir sur une souche pleurer là sans savoir sans eau qui coule, dans nuit attendre dans cabane demain je grimperai en haut des arbres voir le soleil admirer plaine le clocher du village vers l'école prendre route vers sur la grande route vers sur la très grande route noire route dessinée (de) les lignes blanches zozotantes (ou)… longues parfois (très)… dessous les arbres saisir les nuages

11

les mains de l'homme de fer la poigne empoigner secouer secouer secouer la souffrance ça commence un jour jour précis l'instant de brute ça devient brute c'était mais devient alors (et) ça s'appelle la la brute coups le mal grimaces cassures brisures rien à briser le rien qui dit qui fait ça suffit à tuer ça du bonheur on est dans bonheur puis d'un coup frayeur le corps meurt de ça il meurt le mouvement meurt la grâce quand elle et qu'elle la grâce non non plus jamais plus élégance... parfois si encore un peu elle danse en elle dernière joie joie... dans dans cabane je vois encore (sa) la joie le vent des robes elles tournoyaient je riais... dans forêt les arbres dansent c'est elles et chantent... je ralentis je freine je stoppe comme si comme si je restais je moi dans le mouvement de ses robes

12

ils gagnent le terrain mangent la terre bonne bétonnent goudronnent ça on sait ils arrivent avec leur vitesse sûrs des moteurs de vie la leur une mécanique d'anges anges détournés de l'attente déjouée leur esprit des anges tordus (des) anges perverses des anges ont ils ont mangé la loi les cathédrales elles protègent leurs mandibules croch(ues)ets les gargouilles dirigent recrutent repèrent crachent les petits je je les appelle les petits ils cavalent alors aux ordres aux ordres je me suis réfugié oui un réfugié ne plus quitter ça la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude être immobile mais pas immobile je suis mes mots mes mots mes mots

13

je fais plus vite plus mieux (que) le temps du jour avant le jour pour être prêt (avant) toujours avant toujours j'éclaire tout les étoiles qui les appelle(nt) qui le matin avec le réveil rayon le réveil soleil du chasseur du luisant des nuits avec des voyelles avec des consonnes (à) avec des sons la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude (que) le temps les vagues de géant j'en ai devine mes mots mes mots mes mots mes mots

14

je ne songe pas pas à moi pas à moi mais pas à moi un barouf du barouf du fracas même l'orage ne fait pas ça ô rage ma colère je ris quand l'éclair je ris quand tonnerre quand la grêle je me marre j'entends le cristal archange déluge de chant d'étoiles 

ici l'eau fait ça si on veut sur des bateaux de glace sur des voiliers de l'été feuille de noix coquille radeaux de chêne plouf plaf pluf toc coulé re-coulé dépanné sauvé font ça les livres aux couleurs inventent les mares ce qu'on fait là 

ça explose là-bas je sais mille bombes dix mille j'entends plus j'entends plus (geignent) ça geint les ruines ruines décharnées les corps fumées fantômes aux écoles les sons les rires les souvenirs muets j'entends plus le chien le chat vente vent ce n'est plus un souffle en haleine, charogne, les nuées les mouches des monceaux des monceaux

au bord (de) regarder la peau de l'eau attendre l'eau à soi attendre l'eau à soi c'est ça mais là-bas immense incroyable immense les yeux ne s'arrêtent pas le loin est loin loin loin sans jamais d'arrêt tirer l'eau à soi la plage l'immense mare salée c'est ça

des monceaux gémissants des vers, plein, le ventre ouvert geint et ça coule un liquide du fiel noir ça coule un son diable sa peau écorchée peu à peu ça s'ébruite ça se déshabille en sang caillotte et bulles ça pourrit avec des sons bruits de ça ça pourrit sur les champs de ça une guerre les nuées carillonnent de leurs ailes il suffit d'elles (de) elles sept mouches pour un nuage un silence ça n'existe plus

(et) je ramasse aux champs les chutes de voix célestes

15

gouttes qui font ding dong
poings défaits mains ouvertes
posées sur la terre posées vers le ciel
mains de gouttes (clignent) de chatouillis
mains libres de pluie de gouttes mains nénuphars
des mains libellules

il me reste la guirlande du rêve
ange grenadine
elle est venue là et
elle chante rit
je mire la lumière dans ses yeux
stop
puis les mots les gestes
stop
rien
juste dans l'éclat
juste un éclair

nous aurons les gestes minimum pulsations infimes les sons du cœur des vaisseaux à fleur de peau avec des fleurs les toisons d'or

il y a une vie qui bouge partout sous les écorces dans un caillou ça grouille même à la queue de la comète

16 et 17

grand arbre mon ami je t'embrasse mais tu grattes

une bête sent la fourrure la terre feuille sauvage (d')étoiles filantes incandescentes dans le corps les yeux lâchent des balancelles stop la magie stop elle parle elle sourit bouge ne fait plus la lumière (parle s'enfuit) explique raconte elle ment ajoute ça multiplie ça soustrait elle additionne elle divise (perd je perds) elle montre sa tête ses bras ses jambes sa chair rose ses yeux bruns ses cheveux tous frisés elle met du bleu des bleus sur ses ongles du vert sur les orteils bijoux au cou à la cheville (les doigts) des bijoux (les) diamants avec de l'or encore les améthystes et les rubis encore les émeraudes (et) en chrysalide

elle cache puis elle laisse une trace quand partie loin elle disparue une bague comme en toc tic toc accrochée dans le rayon soleil contre la pendule tic tac j'attends un mirage sans lumière je plie et je replie bras jambes corps têtes pieds mains lesoreilles même ferme tout ça et pose ça en rond sur les fougères oranges

des millions et une fourmis bavassent elles torturent le cadavre encore dans la vie elles (déchirent) découpent arrachent (piétinent acidifient) percent et boivent et rongent, le cadavre hurle des faux cris, (ce sont) elles qui tchatchent qui montent au ciel le (un) vrombissement des maux humains les bouffent les digèrent les crachent en sons incroyables tuent les oreilles

moi j'entends tout ça assis moi plié contre l'arbre (j')écoute les peurs humaines toutes les terreurs mondiales de la nuit moderne je me plaque contre le tronc (j')ouvre grand ma gueule et (je) mords l'arbre

un hellébore de fin d'hiver (elle) tombe dernier(s) (r)appel(s) (l')avant le (à) présent

 18

donne-moi de la gaieté l'univers (en) dans la poche une pierre un pétale une écorce donne-moi que ça et toujours que ça chante des instants de trésor à garder siroter l'été réchauffer l'hiver je fixerai la lune je peindrai la lune je la frôlerai la lune elle me fera une note suspendue en attendant que le requiem s'élève

19

le maître me donne à moi (moi) contre le radiateur la bonne place c'est (ce) qu'il faut trouver toujours avec des gommettes (et des) les images les mots des autres les additions des autres ah les récitations ah les récitations les mots des récitations les images des récitations écho des mots des récitations ah les images des récitations  ah les images des récitations longtemps en écho même en récréation écho des images et des mots à dessiner sur le sol des faux mots des fausses images

allongé je regarde le ciel venir établir l'ordre je croyais que la terre elle allait vite si vite quand le vent et ça filait dans le ciel les nuages ils défilaient si vite sans bruit le vent si mais les nuages non ils imitaient les sons des songes m'emmenaient loin dans la terre à l'intérieur(e)

 20

tu veux jouer aux billes je suis bon aux billes (bonne bille) (bonnes billes) le champion peu s'affrontent je pique toutes les billes (car champion) peut pas perdre car champion le terrain connu gratté du regard promenade des doigts du doigté paf la bille dedans au pied de la racine (un) tilleul (doit) dix billes vingt billes gagnées les belles (billes) agates (belles) brillent elles s'amoncellent petite vasque au pied de l'arbre nid de billes richesse des lumières mettre la bille entre les doigts s'éblouir au soleil il y a des mondes là-dedans si je bouge si je tourne des mondes magiques des planètes interdites (seules connues seules) je les gagne toujours alors perdent déçus eux pleurent eux jalousent eux voudraient les billes les planètes les cieux du(e) magicien jamais me les prennent mes agates eux boudent s'éloignent ne jouent plus jamais (longtemps longtemps) car eux savent mon armée mes galaxies de couleur

moussaillon, à l'abordage de la vie ha ! ha ! tout droit, courir, sauter, berlinguer dans tous les sens ! bourlicoter avec espoir, c'est quoi (l'espoir) ? la peau s'éveille ! les fantômes (ils) rapetissent ! sympa ! belle journée ! ce sera comme ça, avec le cœur ! vas-y mets(-y) la joie !

 

 

 




Franck Bouyssou, 5 poèmes

Tu veux mimer une saison morte
être un bois flotté sur une plage en hiver
un grincement de porte, une couleur sur un mur qui ne sépare pas

ce qui est là pour être là
que rien ne traverse

arrière-pays qui ne manque à personne
mais dont l'absence mutilerait l'apparence du monde.

∗∗∗

À portée du temps
tu façonnes un lieu avec des mots
couverts du silence des rivières
boisés comme un rêve en novembre

où le seuil est une ombre qui danse
dans l'espace mesuré d'une page non écrite

et tu attends, errant,
que l'encre bleue de l'enfance se lève
et vienne mourir sur les fleurs de ta tombe.

∗∗∗

Tu trembles d'un incessant refrain
qui du dedans cherche une fenêtre
au bord de ton corps grillagé

tu ne vois plus ni la tourterelle
ni le visage des saisons ni le garçon qui t'appelle
du fond de sa forêt

prisonnier d'un printemps sans oiseaux
tu te répètes comme cette goutte
dans le ventre de l'évier

automate rouillé criant au bord du vide.

∗∗∗

Tu sens l'odeur chaude de la pierre
prêt à te brûler aux ailes de l'été

dans la chambre moite
               un après-midi de sable
                               emplit ton sommeil

une gorgée de bleu comme une griffe
dans une carrière d'ombres

tu te délectes – animal assoiffé de feu !

Tu saisis toute la densité du temps
sincère intervalle
                          où passe
                               l'impeccable clameur de ton être
renonçant à vivre ou à mourir.

∗∗∗

On t'a parlé une langue de sable
tu as su l'aube, le vent, la dune
le ciel à côté du ciel réparer la beauté

et cette main errante
dans l'abîme du jour

cherchant un reste de nuit
au fond d'un sarcophage.

Présentation de l’auteur




Philippe Leuckx, Christophe Pineau-Thierry, 12 poèmes inédits

Foudre et fulgurance
tout fut signe
dès le premier regard
la beauté de tes yeux
l'accueil de ta voix
nous parlions la même langue
et nos poèmes avaient
le même goût de vivre
j’ai l’impression
de te connaître
de longtemps
nous avons la même main
pour cueillir le don
et le désir de nous comprendre
loin en nous

∗∗∗

face à l’adversité
qui s’empare de chacun

avec toi pour ami
je m’engage sur la voie

je sens ta présence
parmi ces étoiles

qui à mes côtés
brillent pour éclairer

ce magnifique chemin
qui s’offre à nous

∗∗∗

Ta belle voix douce
rameute les étoiles
vers le cœur

tu cherches à mieux
voir je t’accompagne
en pleine lumière

j’ai besoin de ta main
pour écrire le soutien
et retenir tes mots

∗∗∗

quand le sort s’acharne
que les combats s’engagent

avec l’épée de nos mots
nous écrivons le chemin

avec pour seule lumière
le sens de nos vies

∗∗∗

Je recueille tes mots
à l’aune de l’amitié

le chemin est lent
devant

parfois un peu de gêne
m’égare

les amis osent-ils
tout se dire ?

ta vie en tout cas
m'importe

∗∗∗

les mots ont aussi à nous dire
les joies de nos présents

quand l’horizon s’éclaire
accompagné par les anges

et que nos vies filent si pressées
de retrouver l’origine du monde

∗∗∗

Si mes mots peuvent
être ce velours pour toi
et si la confiance
dont tu m’honores
ne prend aucune ride
je vais devant
les yeux fermés
cœur ouvert
pour sabrer la voie
du renouveau
demande moi l’impossible
je serai là
sans défaut

∗∗∗

l’impossible est un chemin
emprunté par les heureux

les oiseaux nos regards
qui portent au plus loin

les bienfaits de l’amour
et l’espoir du lendemain

c’est le chemin des amis
qui voyagent en confiance

pour rire ensemble de la vie
et écrire ce qui rassemble

∗∗∗

Oui nous nous ressemblons
et nous rassemblons
pour l’autre
ces mots
baumes peut-être
quand le tourment
torpille le cœur
nos mots pour que l’autre
vive mieux
se soulage de vivre

∗∗∗

ces mots qui viennent de loin
de cet autre qui me ressemble

installé sur une terre brûlante
bercé par le chant des cigales

j’invite le gris-bleu de ton ciel
veillant sur les contrées du nord

à rafraîchir mon âme errante
et ainsi apaiser ses tourments

∗∗∗

Te rappelles-tu
ce n’est pas si loin
puisque c’est proche
en nos cœurs
nous avons décidé
l'un et l’autre
d'emprunter le chemin
d'unir nos mains
aux mots de l’entente
j'ai trouvé des réponses
grâce à toi
je t’ai assuré
de ma fidèle présence
et toi de même
tu t’es engagé
et je suis heureux
de te ménager la voie

∗∗∗

au cœur de nos mots
émerge le projet

d’une quête
d’une vie apaisée

de découvrir le sens
de nos rêves cachés

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur