Ángelos Sikelianós, Le Visionnaire

Lorsqu'on referme le livre de  Sikelianós, le premier mot qui vient à l'esprit est ferveur, celle dont il fait preuve à mettre en vers son pays comme l'entière Humanité ; un désir de communion qui embrasse aussi bien l'humain que le divin, une célébration à hauteur de ces enjeux : incommensurable. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que les poèmes soient longs, parfois très longs (une trentaine de poèmes seulement sur plus de cent pages pour ce choix qu'a opéré le traducteur Michel Volkovitch). Il n'est pas rare non plus qu'une phrase ait besoin de plus d'une dizaine de vers pour se déployer ; elle est ample comme la mer, habitée comme elle de remous, déferle.

Tel un homme laissant l'étreinte de sa femme,
car était juste sa soif de mourir,
car il était un champ dont les épis frémissent
profondément, courbés par la rafale
cette invisible faux qui passe au-dessus d'eux,
un homme désirant le faucheur qui viendrait
couper les épis mûrs et les coquelicots
- il désirait aussi l'étreinte de sa femme,
léger son sang, fraîche sa veine, une torpeur
silencieuse, on eût dit éternelle, l'a pris,
imprégné jusqu'au fond par l'esprit de la terre ;
de la lune la lueur traversait sa paupière
tels des nuages printaniers, et les étoiles
allégeaient son esprit, pareilles à des larmes,
il avait les paisibles monts au loin pour gardes ;
l'esprit de l'homme et son corps se touchaient
il n'avait plus sur lui l'ombre du moissonneur,
étendu sur le dos il ne voyait nul signe,
mais dans un lent coup d’œil, des fonds sans fin ;
et moi aussi, dans ma veille éternelle,
debout, mes yeux ouverts se tournant vers le ciel,
j'éclaire au fond de moi et reflète les monts...

Ángelos Sikelianós, Le visionnaire, éditions Le miel des anges, 2022, 109 pages, 12 €.

Ce long extrait du poème Tumulus (une seule phrase de vingt-deux vers) témoigne de cette communion multiple (chair et esprit, homme et nature, vie et mort), allie de manière lumineuse choses concrètes et évocation spirituelle, symbolisme et esthétisme.

Jeune homme, Ángelos Sikelianós(1884-1951), bien qu'inscrit à la Faculté de Droit d'Athènes, dont il ne suit pas les cours, est inexorablement attiré par les arts, d'abord le théâtre puis la poésie. Il voyage à travers la Grèce, mais aussi à Rome, à Paris... À partir de 1923, germe en lui l'idée de fraternité universelle, bien plus large que celle qui serait réservée aux seuls êtres humains. Ainsi, dans le poème Voie sacrée, contant la rencontre d'un bohémien qui fait danser assez cruellement une ourse et son petit, il a cette réflexion :

Et en marchant, mon cœur gémissait :
« Viendra-t-elle un jour, ou jamais, l'heure
où les âmes de l'ourse et du Tsigane
et la mienne, que je crois Initiée,
se feront fête ? »

En 1906, chez la danseuse Isadora Duncan, il rencontra une communautés d'expatriés américains qui avaient décidé de vivre comme les Grecs de l'Antiquité, dans une ambiance mystique qui séduira le jeune Ángelos. Cette empreinte se retrouvera fréquemment dans ses poèmes et jusque dans sa vie, avec son « projet delphique » : persuadé que Delphes, où il réside, peut redevenir, comme dans l'Antiquité, un centre spirituel qui dépasserait les différences entre les peuples, il conçoit tout un programme (comprenant la création d'une Université) auquel sont conviées nombres de personnalités. Des Fêtes delphiques, largement subventionnées par son épouse, sont organisées. Il y accueille le compositeur Richard Strauss en mai 1927. Le poète Georges Séféris y viendra en 1929. Des représentations de théâtre antique sont données. Mais ce projet, pour intéressant qu'il fût, ruina le couple. Ces données biographiques sont importantes pour comprendre l'engagement, jusque dans son écriture poétique, de  Sikelianós. Quelques titres de poèmes parlent d'eux-mêmes quant à la référence au monde antique et à ses mythologies : Les chevaux d'Achille, Anadyomène (une note nous apprend que ce terme signifie « Qui a jailli des eaux » et fait allusion à la naissance de Vénus, Je voyage avec Dionysos, Dédale, etc.

[…] Ta voix,
la voix d'un dieu émergeant du sommeil,
voix de la « grande ivresse », appellera soudain
les morts vers le soleil et sa chaleur,
tandis que se penchera sur Ton berceau
l'ombre de Ta vigne unique toute-puissante,
mon doux enfant, mon Dionysos, mon Christ !

Sikelianós n'hésite pas, dans sa vocation enthousiaste à tout rassembler, à relier Jésus et le fils de Zeus. Cette sorte de syncrétisme correspond à l'universalisme de l'auteur qui embrasse tous les domaines.

Oui, c'est là,
sur un cap de Leucade,
où les galets sont nets,
polis comme des œufs de pigeon par la vague,
que je T'ai connue, Athéna,
au corps d'adolescente, à la pensée légère !

Comme deux galets qu'on lance
sur la mer immobile,
le cercle de l'un 
entrant dans l'autre
sans qu'ils se brisent,
Tu es entrée dans mon âme
comme l'âme d'une sœur dans son frère !

Rappelons que Sikelianós est né à Leucade. Il associe son histoire personnelle ici avec celle de la déesse, en une osmose comme celle des ronds dans l'eau, générés par des cailloux qu'on y jette.

Le traducteur a parfois tenté, avec succès, le pari de la rime dans le texte français,

Ce qui reste léger en ce monde, il suffit
du four des sensations pour le changer en nid,

quand le soleil ne peut allumer mon désir
à lui seul, ni le feu les ossements rôtir...

C'est la petite fleur face au portail fermé,
c'est l'eau du puits par quoi l'hiver est tempéré.

Si la poésie messianique d'Ángelos Sikelianós est entièrement colorée d'emphase, il faut, pour avoir une chance de l'apprécier, se laisser porter par ce flot généreux.

Le terme grec Ο αλαφροΐσκιωτος (titre de son premier grand poème lyrique, écrit lors d'un voyage en Égypte, traduit par Le visionnaire, titre repris dans ce choix de textes opéré par Michel Volkovitch), concentre en lui plusieurs notions, celles de pur, naïf, marqué par le destin, mélange d'élection surnaturelle et d'inadaptation à la vie. Nous verrons, quant à nous, chez ce visionnaire, un poète à l'écriture certes en décalage avec la modernité d'un Séféris par exemple, un homme dont le souffle a voulu s'accorder à celui du divin.

Présentation de l’auteur




À la racine de la Terre : une poétique — Entretien avec Régis Poulet

Régis Poulet est enseignant et chercheur, géologue, docteur ès lettres, et naturaliste par passion. Depuis 2013 il préside l’Institut international de géopoétique, mais il est également poète et auteur d’essais transdisciplinaires.  Il a accepté d'évoquer avec nous la Géopoétique, et sa pratique de l'écriture, en lien avec cette posture herméneutique et existentielle.

Recours au poème : Comme nous tous, nos lectrices et lecteurs sont confrontés à une crise climatique et civilisationnelle qui n’en finit plus de faire naître des inquiétudes, des alarmes et, en réaction, des essais de réponse. Depuis quelques années, fleurissent des néologismes qui se présentent comme des réponses à nos problèmes. Pour nous en tenir à ceux qui semblent les plus proches des préoccupations de notre revue, et sans vouloir donner dans l’exhaustivité, nous pouvons mentionner la géopoésie et la géopoétique. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs de Recours au poème ce qui distingue l’une de l’autre ?
Régis Poulet : En préambule à cet entretien, que je vous remercie de m’accorder, je voudrais préciser que la géopoétique ne se présente pas comme une solution à nos problèmes. Ceux-ci surgissent toujours, selon les mots de Kenneth White, dans un espace étriqué et disparaissent dans un espace plus large. La géopoétique n’est pas dans le problématique, elle ouvre un espace mental, existentiel, élargi.

Kenneth White, Panorama géopoétique, Entretiens avec Régis Poulet.

Parmi les pistes que vous avez évoquées, vous avez fait un choix draconien qui nous ramène à trois racines. Si vous le permettez, j’ajouterai, pour la discussion, une quatrième racine fréquemment rencontrée, en mentionnant l’écopoétique comme autre néologisme. Ainsi nous trouvons-nous avec éco-, géo-, -poésie et -poétique. La question des racines n’est pas négligeable, puisqu’elle nous permet, au-delà de la radicalité — notion souvent mal comprise et dévoyée — de toucher au fondamental. Il est très difficile de dire ce qui est fondamental, si ce n’est la capacité à penser sereinement à partir de la base, lorsque tout ce qui est accessoire a été éliminé, lorsqu’on a procédé à un large désencombrement. Ce travail, Kenneth White, l’inventeur de la théorie-pratique géopoétique, l’a mené dès les années 1950 à partir d’une expérience fondatrice sur la côte ouest de l’Écosse où il a grandi. Il s’agit d’une part du nomadisme intellectuel, et d’autre part, plus tard, de la géopoétique — les deux formant un continuum.
Ainsi Kenneth White a-t-il développé et approfondi la figure du nomade intellectuel, cet esprit qui passe d’époque en époque, de culture en culture, à la recherche, dans l’histoire de l’humanité, d’éléments de culture qui pourraient permettre de faire émerger une culture complète — prenant ici ce qui manque là, et inversement, et ainsi de suite…
Recours au poème : À quelles nécessités répond l’invention de ce concept ?
Régis Poulet : La Crise de l’esprit proclamée par Paul Valéry au début du XXe siècle a notamment marqué la fin des prétentions de l’Occident à montrer la voie au reste de l’humanité, le terme de ce que White a appelé « l’Autoroute de l’Occident », à savoir une pensée héritée de Descartes et une science héritée de Newton donnant à la vieille métaphysique les moyens modernes de ses antiques ambitions : diviser le monde en sujets et objets, donner à l’homme les moyens techniques d’une mainmise sur le monde. Au-delà de sa fréquentation des Avant-gardes avec des auteurs tels qu’André Breton ou Antonin Artaud, Kenneth White s’est rendu compte que d’autres voies, aux marges, existaient et que d’autres voix s’étaient fait entendre, aux limites des seuils de perception de la culture dominante en Occident : c’est ainsi de Victor Segalen (que White a fait sortir de l’oubli en 19791), de Henry David Thoreau, et aussi de la littérature celte ancienne. Mais le nomade intellectuel qu’il devenait s’est tourné vers d’autres cultures, en Asie notamment, avec les philosophes taoïstes (au temps où l’intelligentsia maoïsait), les penseurs jusqu’au-boutistes indiens tels que Nagarjuna (un Pyrrhon du Gange), des poètes en apparence aussi dissemblables que l’auteur tibétain des Cent Mille chantsMilarepa et le maître japonais du haïku Basho. Ce nomadisme-là nous a permis de passer outre l’opposition entre Orient et Occident qui structurait la pensée européenne depuis des siècles2. Poursuivant son nomadisme chez les Amérindiens et leurs cousins Tchoutches et Aïnous, White a mis en évidence une culture circumpolaire héritée du Paléolithique autour de la figure du chamane et, incidemment, une vaste aire culturelle euramérasiatique notamment caractérisée — c’était l’objet de sa recherche et c’est la réponse à votre question — par un rapport plus riche au monde3. Disons qu’entre Rimbaud affirmant que « la vraie vie est absente » et la proclamation par des scientifiques (en 2021) du passage à l’Anthropocène vers le mitan du XXe siècle, Kenneth White avait senti l’impérieuse nécessité de construire, patiemment, méthodiquement mais avec des fulgurances poétiques, une pensée qui permette une profonde réconciliation du monde et de l’humanité — sur des bases qui seraient universelles et non plus seulement occidentales — même si c’est depuis là que parle White. Il a écrit une thèse d’état sur ce sujet, dont il a tiré plus tard L’Esprit nomade (1987).
Le nomadisme intellectuel fournit à la théorie et à la pratique géopoétiques des bases universelles ou plutôt, pourrait-on dire, ubiquistes. Non pas selon une transcendance qui s’étendrait au-dessus de toute l’humanité, mais selon une immanence faisant qu’elle serait vraie à partir de chaque lieu vers les autres lieux.

Régis Poulet, Le vol du Harfang des neiges —
des grottes peintes à la géopoétique.

Recours au poème : J’en reviens à ma question initiale sur géopoésie et géopoétique. Je cite le livre de Jean Malaurie, De la pierre à l’âme : « … je me laisse emporter par la géopoésie des formes, et je m’abandonne à l’écoute intérieure. Et les éléments que j’ose appeler les esprits purs de l’univers ne tardent pas à être au rendez-vous. » En quoi la géopoétique diffère-t-elle de la géopoésie évoquée par Jean Malaurie ?
Régis Poulet : Je n’oubliais nullement votre question initiale, ni mon recours aux racines pour l’expliciter. Avant de plonger vers elles, je propose de me situer au niveau des contingences de la vie. À quelques mois d’écart, Kenneth White et Jean Malaurie ont publié leur autobiographie : respectivement Entre deux mondes (Le Mot et le reste, 2021) et De la pierre à l’âme (Plon, 2022), dans la collection « Terre humaine » que Malaurie a créée en 1954. Si vous avez lu celle de Jean Malaurie, vous ne pouvez savoir que les deux hommes se connaissent parce qu’il n’y est aucunement question de Kenneth White. Au contraire de Malaurie, White évoque sa relation avec « le bientôt célèbre géographe et anthropologue arctique »4, au début des années 50, et ses trop humains aléas. La première fois que White prononça en public le terme de ‘géopoétique’, c’était le 26 février 1979, lors d’un montage poétique intitulé « Le monde blanc — itinéraires et textes ». Jean Malaurie y assistait, en tant que spécialiste du monde inuit. Celui-ci reprit d’ailleurs le mot, dans la revue Diamant noir (printemps 1983), pour évoquer la relation entre un groupe d’hommes, leur créativité et son habitat naturel. White considère que c’est la première fois, à sa connaissance, que le discours scientifique et le discours poétique se rencontraient en lien avec le terme de géopoétique. Mais White lui-même indique déjà chercher à « penser la géopoétique dans un contexte plus large, plus mondial »5.
Ainsi en 1979 Malaurie entendit-il parler de géopoétique et reprit-il lui-même le mot en 1983 dans le contexte inuit, avant de mentionner récemment le concept sous la forme de géopoésie, en des termes qui montrent que sa conception en est restée à celle de Diamant noir sur les terres blanches des Inuits : le vocabulaire (« écoute intérieure », « esprits purs de l’univers »), et l’attitude (« je me laisse emporter », « je m’abandonne ») font écho à l’animisme de ce peuple arctique et ne rompent pas avec un certain spiritualisme.
Entre 1979 et aujourd’hui, par comparaison, Kenneth White a élaboré sous le nom de géopoétique toute une théorie-pratique, sur laquelle nous aurons, je pense, l’occasion de nous pencher plus longuement.
Venons-en à la question des racines…
Procédons par cercles concentriques de plus en plus larges. L’idée générale de ces quatre néologismes est de réconcilier ce qui est de l’ordre du monde naturel et ce qui est de l’ordre de la pensée. D’un côté poésie versus poétique, de l’autre éco- versus géo- — si l’on considère qu’il faille rester, bien entendu, dans l’alternative, et que deux éléments ne peuvent être vrais en même temps. Là, on sortirait de la logique bivalente qui fonde la philosophie depuis Aristote, ce qui est possible.

De la poésie, on a donné de nombreuses définitions, mais toutes se rapportent à un art du langage. Le mot même de ‘poésie’ vient du latin poesis, qui l’applique exclusivement à l’art littéraire. De l’épique au lyrique, la poésie a rencontré tous les registres, abordant même, plus rarement, à partir de la Renaissance, la connaissance scientifique.

Le mot ‘poétique’, quant à lui, renvoie à quelque chose de plus large et de plus profond, qui tient à une étymologie lointainement partagée avec ‘poésie’, celle de poiein (« faire, créer »), dont seul ‘poétique’ a conservé la valeur, qu’on retrouve dans nous poetikos, l’expression employée par Aristote pour désigner « l’esprit créateur ». Sans restriction de genre ou de domaine, ‘poétique’ réfère à la notion de ‘création’.

Les deux autres racines, éco- et géo-, sont souvent en concurrence lorsqu’il s’agit de nommer de nouvelles approches : ainsi ai-je cité écopoétique, mais il existe aussi écocritique, etc. Cela tient bien évidemment à la prise de conscience — très récente pour beaucoup d’entre nous — des enjeux environnementaux. L’écologie, qui sert de référence à ces disciplines qui ambitionnent de tenir compte des problématiques environnementales dans la création, est une science essentielle et déjà ancienne (elle a été inventée par Ernst Haeckel au XIXe siècle). Comme le rappelait Kenneth White, la géopoétique n’est pas en concurrence avec l’écologie :

« Disons d’abord, rapidement, que l’écologie, bien comprise, est incluse dans la géopoétique. C’est, en termes géologiques, une des couches de la géopoétique. Voilà pour la perspective verticale. Pour ce qui est de la perspective horizontale, la géopoétique se situe à quelques stades en avant de l’écologie. »6

La racine éco- (du grec oïkos) a pour sens la maison, la famille. En plus d’être actuellement utilisée dans tous les contextes possibles, cette racine marque surtout un lien historique avec la domestication intervenue au moins depuis le Néolithique, et avec elle, un étrécissement de la vision du monde, de la perception de sa richesse et de la qualité de vie.
Par comparaison, la racine géo- a un lien direct et fort à la matérialité de la Terre. Si nous nous intéressons au sens de « géê » (γέη) en grec ancien, nous constatons que son champ lexical est large, comme dans d’autres langues indo-européennes (élément ; monde ; pays ; sol producteur ; minerai ; poussière), mais aussi qu’il provient du verbe « engendrer » « gígnomai » (γίγνομαι) — comme « natura » et « phusis » qui dérivent de verbes synonymes. Ces trois racines ont des liens très profonds où se dit la capacité native des êtres et des choses de ‘faire’, de ‘créer’ — ce qui est étymologiquement le sens de ‘poétique’.
A l’échelle de l’histoire humaine, qui n’est certes pas seulement celle des idées et encore moins celle des sociétés, la racine géo- porte ainsi une plus grande force non seulement transformatrice mais surtout fondatrice que n’en recèle la ‘maison’. 

Régis Poulet, Planktos (Postface de Kenneth White) / Nancy, Isolato éditeur, 96 pages /19 euros / ISBN : 978-2-35448-045-5, 2018.

La raison en est assez simple : alors que la maison (éco-) est liée à son entour, dont elle peut avoir une vision panoramique, la terre (géo-) n’est pas perceptible en sa totalité, même depuis l’espace, à cause de sa rotondité. Fonder une nouvelle étape du chemin de l’humanité sur le géo- permet de lier l’individu non seulement au sol qui le porte, non seulement au paysage qui s’étend horizontalement et verticalement jusqu’à faire le tour du globe, mais aussi au cosmos dont la Terre est une partie.
Recours au poème : Kenneth White rappelle dans la préface du Plateau de l’Albatros, paru en 1994 chez Grasset et sous-titré Introduction à la géopoétique, que dans son essai L’Esprit nomade, publié en 1987, une section intitulée Éléments de géopoétique proposait une définition : « …il ne s’agit ni d’une ‘variété’ culturelle de plus, ni d’une école littéraire, ni de la poésie considérée comme un art intime. Il s’agit d’un mouvement qui concerne la manière même dont l’homme fonde son existence sur la terre. Il n’est pas question de construire un système, mais d’accomplir, pas à pas, une exploration, une investigation, en se situant, pour ce qui est du point de départ, quelque part entre la poésie, la philosophie, la science. » La physique quantique rejoint la géopoétique, car elle considère que l’Énergie de l’Univers est présente dans chaque élément vivant ou non, et dans le vide qui ne l’est, donc, pas. La géopoétique est-elle un moyen d’exprimer ces découvertes, d’en imprégner nos vies, et la manière dont nous existons et créons ?
Régis Poulet : La matrice de la géopoétique, je l’ai évoqué, remonte aux années d’enfance et d’adolescence de Kenneth White sur la côte ouest de l’Écosse, entre l’arrière-pays d’une lande marquée par le retrait des glaciers, et la façade atlantique ouverte sur le grand large. Tout un univers de saisissements pour une intelligence et des sens en éveil. Au fil de ses études en Europe, début de ses années de nomadisme intellectuel, il a commencé à voir de plus en plus clairement comment construire une pensée non seulement en accord avec la Terre, mais qui y trouve de quoi faire émerger un monde. Le concept de géopoétique lui est venu lors d’un voyage au Labrador, comme il le raconte dans La Route bleue (1983). Dans L’Esprit nomade, comme vous le rappelez, la dernière section est consacrée à la géopoétique. White n’a eu de cesse, depuis, d’explorer ce champ du Grand travail émergeant comme une pensée nouvelle et vivifiante, notamment avec Le Plateau de l’Albatros (1994) — qui reste une introduction à la géopoétique — jusqu’à Au large de l’Histoire (Le Mot et le reste, 2015) ou Les leçons du vent (Isolato, 2019).
Le mot clef, en effet, est celui de mouvement. La théorie-pratique géopoétique est une exploration qui débute dans un espace où confluent poésie, philosophie et sciences et qui s’aventure dans des terra incognita, dans les espaces blancs de l’esprit, aux frontières du vide…
Avant la physique quantique, qui est une grande théorie moderne, d’autres esprits ont affirmé l’omniprésence de l’énergie, même dans le vide. Pour cela, il faut se tourner vers des pensées comme le bouddhisme, qui n’est pas une pensée de l’Être, ou vers le taoïsme — qui a influencé le bouddhisme indien à son arrivée en Chine. La géopoétique a des affinités avec ces pensées lorsqu’elles sont à la fois très attentives à la réalité du monde, capables d’une grande subtilité et ouvertes sur leur dehors. C’est pour cela que la géopoétique n’est pas et ne sera jamais un système. Un entretien de 2014 avec Kenneth White s’intitule Une cosmologie de l’énergie7 — l’on n’enferme pas l’énergie dans un système, il lui faut circuler — d’où le mouvement géopoétique.
Pour en venir à la question de l’expression, qui est essentielle et qui retrouve celle de la poétique, Kenneth White a eu plusieurs formules. Comme je l’ai laissé entendre tout à l’heure, la géopoétique ne se limite pas à la poésie, ni même à l’expression littéraire. Il existe un art géopoétique8, une musique géopoétique9, une architecture géopoétique10, mais c’est bien sûr l’expression littéraire qui illustre le mieux ce qu’est la géopoétique, grâce à l’œuvre de Kenneth White. Elle se déploie dans trois genres dont il a l’habitude de présenter l’articulation ainsi : l’œuvre est une flèche dont les pennes, qui donnent la direction, sont les essais, dont la tige, qui chemine à travers les territoires, sont les waybooks et dont la pointe, qui touche au vif de l’existence, est la poésie. Je commenterai quelques formules qui exposent ce qu’est l’écriture géopoétique et qui pourront intéresser vos lecteurs.
« Ni le moi, ni le mot, mais le monde. »
Par cette formule, Kenneth White insiste sur une poésie qui n’est ni un art intime, ni un pur jeu verbal, mais qui est tournée vers le dehors, vers le monde qui nous porte — attitude poétique et philosophique.
« Information, enformation, exformation. »
De l’ouverture au monde résulte (et réciproquement) la connaissance du monde, tout particulièrement par les sciences. Les sciences privilégiées par la géopoétique sont celles qui s’intéressent à la nature de la Terre, comme la géographie et la géologie, mais la connaissance du vivant et de ses relations — qu’on peut appeler écologie dans le premier sens du terme — est capitale aussi (tous les lecteurs de Kenneth White auront en tête les multiples signes d’une présence animale et végétale dans son œuvre). Cette information, longue à collecter, ne doit pas être un
fardeau. Nietzsche opposait deux types d’érudits : le chameau, qui souffre sous le poids de son savoir, et le tigre, auquel son gai savoir permet de bondir avec une souple énergie. Ainsi, toute l’information doit être assimilée pour former une vision du monde, une enformation, une ‘intériorisation’ sans subjectivisme, sans état d’âme, sans émotivité, sans moralisme. Après quoi le géopoéticien11 s’attache à l’expression des formes du monde et de son rapport au monde : l’exformation. On se trouve alors, précise White, sur « un terrain des limites, des lisières, des confins, des marges […] l’exformation consiste à ouvrir le texte, violemment ou discrètement selon les occasions, au chaos et au vide »12.
« Landscape, mindscape, wordscape. »
Cette formule propose une approche plus visuelle du travail géopoétique, à partir de la présence dans le lieu. Il faut connaître le lieu, le territoire où l’on vit ou que l’on traverse. Par l’effet des rapports complexes entre le lieu et la parole13 se forme un ‘paysage mental’ pour l’expression duquel il ne reste plus qu’à trouver les mots (et les silences) appropriés.
« Eros, cosmos, logos. »
Avec cette dernière formule, White dit que la présence au monde est non seulement faite d’information, de situation dans un monde ouvert, mais aussi, pour le plaisir de vivre, d’un rapport érotique au monde — par quoi il faut comprendre une faculté à percevoir et à s’éjouir des saisissements du monde naturel sous tous ses aspects. Le monde peut alors devenir un cosmos. Souvent ce mot évoque les espaces extraterrestres. Il n’est pas question de les nier, mais notre monde est (pour longtemps encore) la Terre, qu’il nous faut réapprendre à habiter. Ce plaisir nous vient quand nous sommes capables de jouir de la beauté (c’est un des sens de cosmos) d’un monde qui est un ordre chaotique : « Si monde signifie le modèle fixe de perception et d’existence auquel le non-poète s’adapte plus ou moins pathologiquement, le poète vit et pense dans un chaos-cosmos, un chaosmos, toujours inachevé, qui est le produit de sa rencontre immédiate avec la terre et avec les choses de la terre, perçues non comme des objets, mais comme des présences. »14
Eros, c’est l’expérience esthétique du monde, des points de vue physique et mental, c’est une ouverture à la belle totalité du cosmos — dont la racine signifie « l’univers » et « la beauté ». Erosreprésente aussi l’énergie vitale.
Cosmos, c’est à la fois la belle totalité et le lieu où elle s’expérimente : Géê, la Terre — belle totalité en elle-même ; mais cosmos est aussi pour White le lieu où peut naître un monde. C’est ce que vise la géopoétique par l’expression d’une logique érotique, par une parole dense et intense issue de la phusis (la nature) : la création d’un monde humain en harmonie joyeuse avec le monde naturel.
Logos, c’est la manifestation de la puissance de la phusis dans l’esprit et son expression15.

Recours au poème : En quoi la poésie s’inscrit-elle dans le projet politique que propose la géopoétique ?
Régis Poulet : Kenneth White a grandi dans un milieu très politisé, avec un père cheminot et socialiste, où les discussions allaient bon train. Plus tard, au début des années 60, de retour pour enseigner à l’université de Glasgow, il fonda le Jargon Group, dont le but revendiqué était une révolution culturelle — la révolution culturelle de Mao fut proclamée quelques années plus tard, en 1966 — ou plus exactement une refondation de la culture. Trotskistes et nationalistes affluèrent et repartirent aussi vite, constatant que le propos de White était plus culturel que politique. Il en va de même de la géopoétique. On aurait cependant tort de considérer que White n’a pas de vision politique, seulement, elle ne s’exprime pas dans des problématiques mais dans un espace plus large, celui de la géopoétique, où les problèmes disparaissent. Il a récemment développé ce propos dans un bref essai intitulé Lettre ouverte du Golfe de Gascogne, qui est une critique du pragmatisme politique, sous l’angle suivant : « C’est parce que la ‘Grande éducation’ était considérée comme trop difficile, et parce que, dans les faits, on n’en pratiquait souvent que la caricature qu’on a mis à sa place le socioculturel »16.
Recours au poème : Vous dirigez l’Institut international de géopoétique. Quels auteur.e.s accueillez-vous, et quel est le travail collégial mené afin de faire connaître la géopoétique ? Quels sont vos projets ?
Régis Poulet : L’Institut international de géopoétique, fondé en 1989 par Kenneth White, entre dans sa trente-quatrième année d’existence. J’ai le plaisir et l’honneur de le présider depuis dix ans. Trois décennies, pour un mouvement de cette nature — comparable au surréalisme ou au situationnisme — c’est énorme. Cela tient à la puissance de l’idée géopoétique qui sous-tend l’œuvre entière de Kenneth White, et cela tient à sa personnalité à la fois généreuse et exigeante, solitaire et cordiale autour desquelles se sont rassemblés, pour un court ou un long cheminement, de nombreux compagnons de route. Ces femmes et ces hommes sont d’horizons divers, intellectuellement, géographiquement, sociologiquement. Mais tous ont senti la combinaison rare d’un écrivain qui parcourt le monde, l’aime, le voit disparaître sous l’immonde, qui tire de ses réflexions des analyses radicales et vivifiantes, et enfin, bien sûr, d’un poète qui ouvre la voie vers une réconciliation avec le monde. Parmi ces compagnons de route, un certain nombre sont des auteur.e.s inspirés par l’œuvre de White, en divers lieux du monde. Chacun suit sa voie propre sur le chemin de la géopoétique, à la façon des alpinistes du Mont Analogue de René Daumal, sans perdre de vue le sommet.
En 1996, sept ans après la fondation de l’Institut, est intervenue la seconde étape du développement stratégique de l’Institut : l’archipélisation. Je cite White dans Entre deux mondes : « Il s’agissait de la création de centres autonomes connectés. L’Institut, auquel tous ces centres étaient affiliés, resterait la source essentielle d’énergie intellectuelle, la référence première et la principale instance administrative, mais ces centres demeureraient indépendants. Je le fis pour plusieurs raisons : éviter les lourdeurs d’une administration centralisée, dynamiser le réseau, avoir des groupes travaillant en contact direct avec des contextes spécifiques, dans l’esprit [d’une] localisation ouverte. […] J’étais parfaitement conscient des dangers de cette archipélisation : dilution du concept, dispersion de l’idée, développement d’ambitions personnelles pour exploiter les avantages que l’idée et le mouvement de la géopoétique avaient procurés, au détriment de la cohésion et de la concordance. »17
En 2016, face au constat de l’impossibilité de contrôler ne serait-ce que l’utilisation du mot ‘géopoétique’, aussi bien dans que hors de l’archipel, nous avons décidé de laisser voguer l’idée et de procéder à l’océanisation de l’Institut, lequel est devenu la référence, le phare si vous voulez, de la géopoétique radicale, celle qui a le potentiel pour refonder un monde.
Tous les membres de l’Institut sont d’abord des lecteurs de Kenneth White, avec lesquels il a d’ailleurs souvent eu des échanges épistolaires. C’est une tâche que je mène également de mon côté, en répondant à des questions, en orientant vers des lectures. N’oublions pas non plus que tout livre est une lettre adressée à des inconnu.e.s. Certains répondent, d’autres non, mais le mouvement géopoétique se construit à auteur d’individus, par la lecture et la réflexion. Pour ce qui concerne le bureau de l’Institut, nous sommes une petite équipe soudée qui travaille surtout autour de l’organisation et des projets.
Lorsque j’ai pris la succession de Kenneth White à la présidence de l’Institut, mon premier objectif a été de rendre la géopoétique — ou tout au moins ses textes fondamentaux — plus largement accessible. C’est la raison pour laquelle notre site web est en huit langues. Cela nous a permis de faire connaître la géopoétique au-delà des mondes francophone et anglophone, où sont publiés la plupart des livres de Kenneth White. Ces dernières années, un pays a tout particulièrement manifesté son intérêt pour la géopoétique : le Brésil. J’ai participé en septembre dernier, à Salvador de Bahia, au premier « Séminaire international de géopoétique » organisé au Brésil ; fin 2022, Kenneth White et moi avons mené avec une universitaire un entretien pour une revue brésilienne. Un nouveau centre géopoétique brésilien a depuis manifesté le désir d’être en contact avec l’Institut. Notre volonté est de faire connaître encore plus largement la géopoétique.
Le développement de la géopoétique est étroitement lié à certains lieux que les White — Kenneth et Marie-Claude, sa traductrice, également photographe — ont fréquentés : Valgorge, en Ardèche, et Trébeurden, dans les Côtes-d’Armor. Valgorge est la commune où se situe la maison des Lettres de Gourgounel (197918), petite ferme que les White ont habitée temporairement à partir de 1961. C’est à Gourgounel (nom du lieu-dit) que la géopoétique s’est élaborée dans l’esprit de Kenneth White. Quant à Trébeurden, c’est La Maison des marées (2005) ou L’Ermitage des brumes (2005), c’est l’Atelier atlantique où vivent et travaillent les White depuis les années 80 et où la théorie géopoétique s’est développée. Nos projets s’inscrivent dans ces deux lieux. En 2019, nous avons inauguré une « Maison géopoétique Kenneth White » à Valgorge, inauguration surtout symbolique puisqu’un vaste événement viral a tout mis à l’arrêt, et nous sommes en train de relancer ce projet. A Trébeurden, les choses sont déjà bien avancées puisque nous organisons les 15 et 16 juillet 2023 les premières « Rencontres géopoétiques Kenneth White » sur la superbe Côte de Granit Rose. Le programme sera publié au printemps sur le site de l’Institut, dans les « Nouvelles géopoétiques », mais les grandes lignes en sont déjà connues : nous proposerons des conférences (notamment de Kenneth White), des lectures, des expositions, des films et un concert. Cet événement est ouvert à toutes et tous et nous espérons que vos lectrices et lecteurs seront présents en nombre.

Le nomadisme intellectuel de Kenneth White en Orient International, Conference on Kenneth White RSE-Funded Research Network in Existential Philosophy and Literature Franco-Scottish Literary Exchanges: Translation, Diaspora and Nomad Thought, 1er décembre 2018.

A paraître en 2023 : Régis Poulet, Gondawana, Nancy, Isolato.

Notes

[1] Grâce à son étude Segalen, théorie et pratique du voyage (Alfred Eibel, 1979).

[2] Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin, j’ai longuement étudié ces aspects dans ma thèse de littérature comparée au titre d’inspiration nietzschéenne L’Orient : généalogie d’une illusion (PU du Septentrion, Lille, 2002). Quelques chapitres y sont consacrés à Kenneth White. Plus tard, je suis revenu sur ce sujet, notamment pour la revue Europe (numéro de juin-juillet 2010) : « Orient et Occident : la révolution tranquille de Kenneth White » qu’on peut lire sur le site de l’Institut international de géopoétique ; et lors de divers colloques (notamment « Du mandala à l’atopie — l’expérience urbaine extrême de Kenneth White »).

[3] Je précise également que White a exploré la plupart des lieux géographiques qu’il évoque, mais certains lieux de l’esprit n’existent plus que ou n’ont jamais existé ailleurs que dans des œuvres lues ou vues.

[4] Kenneth White, Entre deux mondes, Le Mot et le reste, 2021, pp. 191-192.

[5] Kenneth White, L’Esprit nomade, Grasset, Le Livre de Poche, 1983, p. 396.

[6] Kenneth White, Panorama géopoétique, entretiens avec Régis Poulet, ERR, 2014, p. 24.

[7] Kenneth White, Une cosmologie de l’énergie, entretiens avec Laurent Brunet, Revue Lisières, 2014, n°27.

[8] Voir les collaborations de Kenneth White, notamment pour la réalisation de plus de cent livres d’artistes ; voir également les écrits sur l’art de White, comme son magnifique Hokusaï ou l’horizon sensible — prélude à une esthétique du monde (Terrain vague, 1990 ; L’Atelier contemporain, 2021).

[9] C’est un sujet sur lequel je travaille.

[10] Le Centre chilien d’études géopoétiques est tout particulièrement axé sur l’architecture.

[11] ‘Géopoéticien’ (sur le modèle du logicien qui suit le logos du monde) s’impose sur ‘géopoète’ de la même façon que ‘géopoétique’ s’impose sur ‘géopoésie’. Deux citations pour documenter cela : « C'est ici que le nomade intellectuel se mue en géopoéticien — je dis géopoéticien, comme on dirait logicien ou mathématicien, afin d'indiquer à la fois une sortie des ornières et des marécages de ce que l'on nomme ordinairement « poésie » de nos jours, et un champ de langage général où pourraient se retrouver ces langages séparés que sont ceux de la science, de la philosophie et de la poésie », Kenneth White, extrait du discours inaugural de la 25ème Biennale de Poésie, Liège, 2007. « C'est une des raisons pour lesquelles je tiens à dire « géopoéticien », et non pas « géopoète », mot qui laisserait la porte ouverte à toute une poésie vaguement géographique (préférable certes à tant de fantaisies personnelles, mais ne menant pas très loin), mais, surtout, mot restrictif, qui cantonnerait la géopoétique dans la poésie alors que son champ d'application est beaucoup plus étendu », Autre Sud, n°45, Juin 2009, p. 37.

[12] Postface de Kenneth White à mon recueil Planktos (Isolato, 2018).

[13] Je cite ici le titre d’un essai de Kenneth White qui permet d’aborder la question (Le Lieu et la Parole — entretiens 1987-1997, Éditions du Scorff, 1997). Celles et ceux qui voudraient prolonger la réflexion liront avec profit : Kenneth White & Jeff Malpas, The Fundamental Field — Thought, Poetics, World (Edinburgh University Press, 2021).

[14] Kenneth White, La Figure du dehors (1ere éd. Grasset, 1982), Marseille, Le Mot et le reste, 2014, p. 53.

[15] C’est ce que fait White dans le poème « La logique de la baie de Lannion », où la « logique » en question est celle du Logos des Présocratiques — ou Primordiaux comme il les nomme (in Les Rives du silence, Mercure de France, 1997).

[16] Kenneth White, Lettre ouverte du Golfe de Gascogne — quelques propos insolites sur la société, la culture et la vie de l’esprit, Éditions Zortziko, Faire/Face n°1, 2021, p. 45.

[17] Op. cit., p. 448.

[18] La première publication, en anglais, est cependant antérieure de treize ans : Letters from Gourgounel (Jonathan Cape, 1966).

Présentation de l’auteur




Point de chute, la Revue !

La revue Point de Chute en est déjà à son cinquième numéro – sixième même si l’on compte le numéro zéro – et comme à chaque fois les poèmes qu’elle porte sont plein de la singularité de leurs auteur×ices. À chaque nouvelle parution, on déambule dans une « cabane » à la résonnance différente, assemblée avec soin par Joep Polderman, Victor Malzac et Stéphane Lambion.

Point de Chute

 ... est née au printemps 2020 d’un désir commun de jeunes poètes d’offrir à celles et ceux qui comme eux tâtonnent, un abri, une cabane dans laquelle reprendre son souffle, l’espace d’un instant. Tout est question de rythme, de cadence, de ponctucadence : il ne s’agit pas de s’attarder mais de s’y ressourcer pour mieux repartir – et revenir. Cette cabane, nous la reconstruirons ensemble chaque automne et chaque printemps. 

Sans paratexte, autre que les biographies des poetes×ses et une citation en guise d’édito, les mots sont donnés à lire dans la pureté de leurs échos. Les textes s’enchaînent en un déroulé fluide, « Peu de notes, des percussions surtout – à peine le bruit des mots qui chutent. » 

Revue Point de chute, sommaire n°5, 70 pages, 7 €.

Résolument contemporaines, les voix de ce numéro placé sous l’égide d’Annie Ernaux cisèlent leurs textes. Les mots sont simples, les langues percutantes « C’est un truc tu sais de l’ordre de ce qui tient » écrit Margaux Lallemant au début de son poème. Les styles sont nets, affirmés, différents. Plusieurs des poetes×ses abrité×es ont une pratique de la lecture et de la performance de poésie. Lors du lancement organisé à la librairie EXC, leurs voix ont occupé l’espace ; celle de Camille Ruiz, habitant au Brésil, s’est même donnée en poème sonore brûlant et aérien diffusé parmi les lectures, tout aussi incarnée qu’elles. On croise aussi dans cette cabane Héloïse Brézillon qui officie notamment à Mange tes mots dont elle est la co-fondatrice et où ses vers à l’intensité métallique tiennent chaque fois la salle en haleine, ou encore Norah Benarrosh Orsoni adepte des performances radiophoniques, souvent collectives.

Point de chute propose aussi à chaque nouvelle parution de faire traverser des poèmes qui n’existaient pas en français. On découvre les vers mystiques et sensuels de Viola Lo Moro, poétesse italienne traduite par Sara Balbi di Bernardo et la poésie spiralaire, parfois trash de Toby Sharpe traduite de l’anglais par Samuel Ferrer.

Héloïse Brézillon – « Les lieux qui m’ont sculptée ont perdu leur tranchant »

sur la table chêne
les mandibules des guêpes
déchiquètent mon enfance
en petits bouts
mordus
il y a
dans le son de la cloche d’alpage
le bourdon des voix de mes années 90
à table rentre il va neiger tu vas
attraper froid il faut la vinaigrette
pour les endives

 Camille Ruiz – « Terre rouge »

c’est dans un second temps
que vient l’odeur une vague
de mort endormie
dans une boîte en carton
cachée sous la bruyère

le duvet est blanc-neige-des-cimes
le sang rouge-cardinal autour
de la plaie se décompose
un tout petit animal
un chiot peut-être
sa tête est recouverte
par une serviette éponge
je dis mon chien ne regarde pas et il regarde
impossible de pleurer car les fourmis ont soif

« Corps célestes » – Toby Sharpe traduit par Samuel Ferrer

la prochaine éclipse solaire visible depuis Londres aura lieu le 29
mars 2025,
et dans huit minutes l’alarme de mon coloc se déclenchera,
et je l’entendrai cuire des oeufs sous une hotte rouillée.
en 1997, ma mère me donne le bain dans la salle de bain ambre,
des bulles de savons se mélangeant aux bénédictions dont je ne
connais que le son,
pendant qu’au travers des siècles
mes ancêtres s’enveloppent d’espérances,
des bergers offrant leurs troupeaux à l’horreur

La traversée, comme à chaque fois, anime et rassure, on en ressort empreint de fraicheur et du désir de continuer à construire.




Emmanuel Échivard, Avec l’ombre

Avec l’ombre est résolument le journal d’un voyage dont la direction est annoncée dans la citation de René Char qu’Emmanuel Échivard appose en exergue de son œuvre :

Il faut s’établir à l’extérieur de soi, au bord des larmes et dans l’orbite des famines, si nous voulons que quelque chose hors du commun se produise, qui n’était que pour nous.

 Le point de départ de ce voyage « au bord des larmes et dans l’orbite des famines » est un lieu précis (une maison et son jardin) où subsiste une relation fantasmatique entre une figure féminine aux multiples visages (jardin, figure maternelle, femme aimée, enfance, ville, etc.) qui n’est définie que par le pronom « elle », et un « tu » tantôt féminin, tantôt masculin, à tel point indéfini qu’il devient universel. Cette relation occupe entièrement la première partie du recueil, À travers l’ombre. C’est ici que le poète rend compte de la véritable lutte que le « tu » engage avec « elle », une lutte qui comporte notamment de lourdes défaites : « Tu es / enterré vivant. // Elle, elle se tient au cœur. […] Elle te retient au sol. » (p. 26) Ce voyage à travers l’ombre d’une mémoire peuplée de « ronces » (p. 25 et 78) peut avoir également la douceur trompeuse de la nostalgie (« Loin de ton / jardin, tu te perds », p. 22) et de sa parole (« Déposés sur la table de la cuisine, il y a autour de / toi des mots de tous les jours, des mots simples, / sans adjectif, mais qui te font tenir debout. // Ne quitte pas ton lieu, disent-ils », p. 72), qui ne peut que tuer dans l’œuf toute velléité de fuite. Pour avancer, le « tu » doit accepter de perdre quelque chose : « Il faudrait accueillir la disparition des couleurs, / rester fixé au gris du mur, y lire les fissures, s’y / reconnaître, y faire naître sa joie. » (p. 31)

Délesté de la « gravité du monde » qu’« elle » incarne, le « tu », nouvel Ulysse, peut se « laisse[r] enfin porter » vers un « nouvel équilibre » (p. 60), qui consiste à aller à la rencontre de l’autre. 

Emmanuel Edchivard, Avec l'ombre, Cheyne, 2019, 96 pages, 17 €.

C’est en présence « des compagnes de disette » (p. 52) que le « tu » peut se rendre compte du fait que sa quête n’est pas solitaire (« qui cherchez-vous ? », ibid.). Fort de ce constat, le « tu » aperçoit enfin son salut : « Au bout de l’impasse, une étroite venelle part à / l’aventure. » (p. 56) Fort de ce constat, il peut « habiter [s]a solitude » (p. 29), en paix avec l’ombre qui le hantait, car elle a enfin un nom (à chacun le sien), elle a fructifié : « Elle se donne. // Dis son nom ! / Ou plutôt // appelle-la. // On goûte une mûre / au milieu des ronces. » (p. 78)

C’est d’ici – nous sommes dans la deuxième partie, au titre ouvertement proustien, À l’ombre des jours fastes – que l’on peut quitter la « basilique » (p. 84) de la mémoire avec ses plaies et ses blessures, que l’on peut habiter « une maison de brique » (ibid.) avec l’autre (« ton amie » est le nouveau personnage de cette deuxième partie). C’est à cette condition-là que l’on peut accueillir le « nouveau rythme » (p. 92) qu’incarne l’autre, tout en étant prêt à composer avec la nouvelle ombre, la nouvelle « faille [qui] s’est ouverte » (p. 89).

Être relationnel par définition, l’être humain se doit de composer avec l’ombre pour atteindre ce « hors du commun » dont parlait Char dans la citation initiale. C’est toute la leçon de cette dramaturgie de la présence au monde que nous livre Emmanuel Échivard.  

 

Présentation de l’auteur




Spered Gouez, l’Esprit sauvage, n°28/31ème année : L’Incertitude pour principe

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'après 31 ans, L'Incertitude ne peut être qu'un paramètre qui ne concerne en rien cette belle revue Spered Gouez, qui peut se pencher sur le concept ainsi qu'elle a abordé une pléiade d'autres thématiques, en toute altérité.

"A l'origine de Spered Gouez, il y a surtout un besoin d'explorer tout ce qui constitue notre Bretagne intérieure, d'affirmer sa géographie, ses éléments, son imaginaire et sa mémoire comme univers mental. Nous voulons puiser notre source sous le signe d'Armand Robin dans cette Bretagne universelle, non localisable, à la fois enracinement et errance, relier l'acte d'écrire à notre appartenance au monde, à la terre, revendiquer la Bretagne comme port d'attache permettant de larguer les amarres, en refusant l'enfermement, le repli sur soi."

Depuis 31 année, Marie-Josée Christien mène la route de cette revue qui dénombre 325 auteurs publiés en 28 numéros et 3 ouvrages hors-séries, et insuffle cet Esprit Sauvage, qui,  "s'il a un rapport évident avec Armand Robin, l'esprit sauvage est également une référence à l'oeil sauvage d'André Breton,  une parenté avec le son sourd, mat et  puissant   de la Bretagne sauvage et primitive dont parlait Gauguin, lui qui se définissait comme sauvage. C'est aussi, par dérision, un clin d'oeil humoristique, car nous sommes encore traités de sauvages et de barbares par un certain microcosme politico-intellectuel. Spered Gouez a le souci constant de ne pas être une simple addition de textes, mais de faire un oeuvre collective qui ait du rythme et du souffle, de créer une synergie pour que vive dans nos pages cet esprit sauvage qui se réfère à l'esprit et à l'imaginaire, qui parte du sol et de la terre nourricière."

 

Spered Gouez, L'Esprit sauvage, n°28, sous la direction de Marie-Josée Christien, Brest, 2022, 145 pages, 16 €.

Fondatrice, Responsable de rédaction et maquettiste, Marie-Josée Christien porte et transcrit sa Bretagne natale, et promeut sa langue vernaculaire, et sa littérature, à l'identité flamboyante, image des paysages de cette région unique et magnifique. 

Mais la Bretagne est un point de départ, un lieu d'où l'équipe regarde et accueille le monde, ainsi qu'en témoignent le sommaire de ce numéro qui affiche en couverture des photos de Aïcha Dupoy de Guitard, une Escale qui nous offre un dossier de Louis Bertholom sur Djamile Mama Gao, poète du Bénin, un Points de vue, Sève noire pour voix blanches de Jean-Louis Bernard (éditions Alcyone), lu par Jacqueline Saint-Jean, Marie-Josée Christien et Valérie Canat de Chizy, un Avis de tempête / Taol kurun qui décline une carte blanche à Monique W. Labidoire pour un billet d'humeur.

D'autres points de rendez-vous rythment la revue : Mémoire / Koun : François-René de Chateaubriand (Saint-Malo, 1768 - Paris, 1848) par Yannick Pelletier, des Chroniques sauvages : Nuits d'encre , chronique de Marie-Josée Christien : sous réserves des articles sur des livres de Fabien Clouette, Jean-Luc Le Cléac'h, Salah Al Hamdani, Patrick Picornot, Alain Lacouchie, Anna Jouy, Tahar Bekri, Hervé Martin, Cécile Aurimont, Béatrice Marchal, Christophe Dauphin, Lydia Padellec, Christian Bulting, Pierre Tanguy, Claire Fourier, Pierre Louarn, Patricia Godard, Marie-Hélène Prouteau, Jean-Claude Touzeil & Yvon kervinio, Passages , chronique de Guy Allix : articles sur des livres de Gérard Cléry, Gilles Baudry, Bruno Sourdin, Jean-Pierre Siméon ; des Vagabondages : notes de lecture par Claude Serreau, Jacqueline Saint-Jean, Eve Lerner, Pierre Tanguy, Louis Bertholom, Bruno Geneste, Patrice Perron.Sur des livres de Lydia Padellec, Chantal Couiliou, Gérard Le Gouic, Marie-Françoise Hachet de Salains, Jean-Paul Kermarrec, Christine Guénanten, Guénane, Jean Lavoué et un CD d'Eve Lerner ;  un Épilogue du cycle Armand Robin : Armand Robin, une histoire familiale en creux, par Gilles Ourvoie ; deux dossiers : Tamm-Kreiz, un focus sur Colette Klein, servi par un dossier  signé  Marie-Josée Christien, et la thématique du numéro, L'incertitude pour principe, illustrée par des poètes comme Guy Allix, Cécile Belleyme, Louis Bertholom, Jacques Bonnefon, Marie-Claude Bourjon, Christian Bulting, Valérie Canat de Chizy, Carole Carcillo Mesrobian, Marie-Josée Christien, Chantal Couliou, Lorenzo Foltran, Christine Kervéadou, Jean-Luc Le Cléac' h, Nelly Lecoq, Ghislaine Le Dizès, Antoine Leprette, Pierre Louarn, Philippe Mathy, Lydia Padellec, Damien Paisant, Patrice Perron, Jacqueline Saint-Jean, Sydney Simonneau, Murielle Vanderplanke.

Ces rubriques sont servies par une mise en page aérée, qui allie la légèreté d'un papier  crème et une typographie claire à caractères de belle taille, ponctuées par  les photographies des pages intérieures sont de Philippe Mathy et Cécile Belleyme.

Autant dire que Spered Gouez est un lieu où d'édifient, se croisent, se partagent, des voix et des poésies, du monde, accueillies par cette équipe, forte de ses années d'existence et de l'identité magnifique de cette terre d'observation, de vie et de création qu'est la Bretagne. 




PHŒNIX N° 38 – GIANNI D’ELIA

« Delusione ? Il est malaisé de transformer la désillusion en force stimulante. » : c’est sur cette interrogation sous la plume du rédacteur en chef, Karim De Broucker, que s’ouvre ce Numéro 38 de la revue Phœnix. Son dossier élaboré par Franck Merger et Luigi Sanchi consacré au poète italien Gianni D’Elia fait le lien entre l’héritage de la pensée de Pier Paolo Pasolini, écrivain du célèbre article du 1er février 1975 d’ Il Corriere della Sera ré-intitulé « La disparition des lucioles » et le réinvestissement de la critique de Georges Didi-Huberman, auteur de l’ouvrage philosophique titré, quant à lui en écho, « Survivance des lucioles ». Comme si le passage des « illusions perdues » résonnait en exhortation à reprendre le flambeau de l’écriture, ce à quoi s’est toujours appliqué le disciple pasolinien Gianni D’Elia dans la fréquentation de l’œuvre du maître avec lequel il a partagé les luttes sociales des années soixante-dix, ce qui n’a jamais empêché chez lui par ailleurs l’ouverture au présent, à l’accueil, à la rencontre.

Réitérant sa question en présentation : « Mais enfin, à quoi ça sert, la Poésie ? », Franck Merger donne quelques clés au lecteur : « On glanera dans ce dossier quelques éléments de réponse : à ressentir, à exprimer avec un langage particulier et à faire ressentir ce qui autrement serait au mieux froidement analysé ; à créer une communauté humaine unie par une expérience et un langage communs ; à unir les vivants à leurs morts et à leur présent ; à permettre qu’adviennent la musique ou un peu de silence… »

À cette « communauté humaine », les pages suivantes dévoilent l’entretien précieux de Gianni D’Elia et Luigi Sanchi, traduit par ce dernier. Elles évoquent tant la naissance de la vocation littéraire que les lectures fondatrices, la conception propre à l’auteur de la poésie, le travail de l’écriture, les engagements politiques et les expérimentations stylistiques… Tel « Un incroyable cadeau », le texte qui l’accompagne n’est autre que la traduction par Filomène Giglio d’un entretien que Gianni D’Elia donna en novembre 2015 au journal Il Resto del Carlino. Il révèle l’importance d’une photographie extrêmement chère à celui qui l’a reçue, trouvée « dans le portefeuille de Pasolini le jour où il a été assassiné »… Le témoignage de la liaison entre Ninetto Davoli et Pier Paolo Pasolini, tel un cri d’amour dans cette nuit atroce !

Revue Phoenix - N° 38, hiver 2022, 14 €.

S’inscrivant ensuite dans La littérature de ma patrie, la Brève rhapsodie civile de l’Italie Poétique d’après Dante, Campanella, Leopardi, Saba, Pasolini et Roversi démontre comment depuis le mythe du combat entre les frères Romulus et Rémus, l’Italie dès lors « fratricide » a été jusqu’à présent incapable d’une révolution véritable qui supposerait une destruction de l’ancien, autrement dit un « parricide », mais le poète italien ne renonce pas cependant à « L’écrin du rêve » : « Pourtant, nous avions un rêve, / non seulement jouir / du jour présent, mais / la joie aussi de le partager avec les autres, / avec les compagnes et compagnons de lutte, / tu te souviens ? » Signe également d’un compagnonnage artistique, la Lettre à Gianni D’Elia de Mario Richter fait vibrer la formule affectueuse de son adresse en fraternisation véridique : « Très cher Gianni, ». Reprenant par la suite à son compte la question initiale, Filomène Giglio se demande à son tour : « Mais enfin, à quoi ça sert, traduire la Poésie ? ». Elle sous-tend sa volonté de « ressentir, penser, tisser : traduire la poésie de Gianni D’Elia ». Enfin, le dossier s’ouvre sur deux poèmes inédits de Gianni D’Elia, traduits par Filomène Giglio et Franck Merger, faisant de la figure du « Poète » « Le versificateur / Du futur antérieur » et évoquant comment « La musique du temps » « Ramène à l’inachevé… »

Dans le « Partage des voix » entremêlant paragraphes en prose et strophes en vers,  Fabrizio Bajec, Marilyne Bertoncini, Alain Brissaud, Aodren Buart, Alain Fabre-Catalan, Christophe Forgeot, Christophe Frionnet, Myrto Gondicas, Bernard Grasset, Pierre Landete, Claude Tuduri  tissent les fils  de leurs textes respectifs…  Ainsi dans deux poèmes, « Poète-cormoran », en hommage à Tristan Cabral, et « Palingénésie », sur les œuvres croisées de la sculptrice Michèle Brondello et du peintre  Marcel Alloco, Marilyne Bertoncini interroge la matière des œuvres – mots, plâtre ou toile – et son impact sur la création artistique et sa finalité : « La toile panse-t-elle aussi l’imperfection du monde ? »

 Exploration également des arts plastiques, la prose poétique de Bernard Grasset questionne la démarche d’Aurélie Nemours, en empruntant des citations à ses écrits pour nourrir sa propre pensée, sondant l’énigme de la création : « « La vie est dans l’être ». Nuit et lumière. De l’éclat du silence jaillit le sens. Jour de fête, de calme allégresse. L’expérience a le sceau du brasier. Pureté du ton, encre de l’aurore. « Il faut choisir le mystère. » »

Quête d’absolu qui anime également le parcours de Maryse Gandolfo avec Gérard Neveu dont Louis Rama donne « Éclairage » de « La correspondance inédite de deux jeunes poètes – Une découverte », de 1943 à 1944 ! D’abord sa correspondante émerveillée, avant de devenir la compagne et la collaboratrice du peintre Pierre Ambrogiani, pendant 14 ans, puis collectionneuse d’œuvres d’art, elle s’affirme non seulement figure marquante du monde de la peinture à Marseille mais encore et avant tout poète ! En témoignage de cette première rencontre qui restera néanmoins amour idéalisé de Gérald Neveu pour sa jeune égérie, Maryse Gandolfo compose des poèmes ratifiant leur histoire commune et traçant dans ce dernier un chemin nouveau, celui d’un salut possible au-delà de la séparation envisagée : « les désespoirs sont inutiles / une autre Vie / une autre Ville. »

Invité des « Voix d’ailleurs », Umberto Piersanti, présenté par Cristina Bizzarri, et traduit par Monique Baccelli, dont les thèmes de prédilection sont d’une part, le temps différent, et d’autre part, les lieux perdus. Du moment magique de la contemplation d’un paysage après l’ascension d’une montagne à celui d’un retour à un lieu de mémoire, chargé de l’histoire tant familiale que personnelle du poète, son écriture condensée à l’essentiel semble graver, dans certains des poèmes choisis, l’instant crépusculaire, le soir d’une vie, ce retour aux racines : « ce sont les arbres secs, / douloureux, / seul qui a longtemps souffert / dans la vie / revient toujours ici / et tourne autour / avant que le soleil ne descende / et obscurcisse tout »...

En écho dédoublé, en double « génie du lieu », à juste titre, « Génie d’Oc », François Bordes propose dans « NOIR DE NUIT » le portrait en miroir de « JOË BOUSQUET PAR JACQUES HENRIC » : « Le Sud. Aux confins de l’Occitanie, à quelques kilomètres des terres catalanes. Départementale 627. Un homme du Sud conduit, seul dans la splendeur. » : cet homme, c’est Jacques Henric. Il aperçoit « la lointaine masse des Corbières » : « Pays ascétique et pur, mystique et hérétique, dissident en diable qui a porté et vu vivre l’un des plus grands poètes du vingtième siècle » : cet homme, c’est Joë Bousquet, « l’homme foudroyé, frappé par une balle sur le champ de bataille en 1918. », « l’homme fracassé, le poète à la colonne vertébrale brisée, au sexe inerte qui pourtant, envers et contre tout réinventa un art de dire et de vivre l’amour. » Double visage dans la traversée de cette nuit d’errance au cours de laquelle Jacques Henric verra également sa vue se voiler avant la guérison du regard, nuit commune, nuit en partage, nuit complice annonciatrice de la levée du soleil, œil réparateur !

Aube sur les presqu’îles d’une parole en « Archipel », les « Sporades » : Pascal Gibourg, « Besoin d’envol » où remonte sans cesse cette parole naissante : « Les mots viennent d’un lieu incertain, telle une eau souterraine, une source inexpliquée. »,  Jean-Paul Rogues, « La neige au crépuscule » où l’expérience glissante au soir qui descend rend cette même parole rare : « Il est alors très dur de se mettre à parler, de retrouver les mœurs d’un langage qui semble en état de fabrication à côté de la consistance terrible des choses. », Katia Bouchoueva, « Petites criques de charme » où l’auteur confie : « J’y ai trouvé aussi de courtes et belles / paroles dans les platanes / deux petits oiseaux perdus (à qui ? à vous ?) », Maud Thiara, « Tu écris sur toile à cerf-volant » où s’entend « ta langue de pierre / où muer peut-être », Anne Mulpas, « Ciel-qui-lit (lecture de Juin sur Avril de Elke De Rijcke) » où l’on perçoit : « L’émotion tisse les fils de la pensée. »

Jacques Lucchesi, en critique d’ « Arts », se livre, quant à lui, à un panorama de trois expositions récentes : Hôtel de Caumont : Raoul Dufy et l’ivresse de la couleur, Art-O-rama, 16ème édition, Vues sur la mer au Musée Regards de Provence, où la sagacité du jugement se conjugue à l’élégance du style, tandis qu’André Ughetto s’exerce au « Grappillage N°7 » rendant tout le suc de sa récolte en grappillant des ouvrages récents : Arnaud Villani, Petites vignettes érotiques, chez Unicité, L’Exigence de la chair, poèmes de Nathalie Swan, aux éditions de Corlevour, Dits de la pierre, de Bernard Fournier, chez La Feuille de thé, et enfin, Vers l’apocalypse, de Jean-Luc Steinmetz, au Castor Astral… La revue PHŒNIX N°38 s’ouvre alors aux diverses autres « Lectures » par leurs multiples lecteurs avisés : Etienne Faure, Gérard Blua, Philippe Leuck, Murielle Compère-Demarcy, Michel Ménaché, Franck Merger, Karim De Broucker, Nelly Carnet, Anne-Lise Blanchard, Jean-Pierre Boulic, Nicolas Rouzet, Claude Berniolles, André Ughetto, Nicolas Jaen, Lénaïg Cariou, Anne Gourio, Charles Jacquier, Jean-Paul Rogues… À travers cet amour partagé de la poésie, ouvrons encore le partage par la formule conclusive de l’avant-propos de Karim De Broucker : « Difficile de pratiquer la poésie sans amour, ou d’aimer sans poésie… Paul Éluard lui aussi voyait les deux ne former sur ces cartes que le flux d’un unique océan : « L’amour la poésie ». »

 




Sélima Atallah, Petit fossile moulé dans la torpeur d’été

la peau rouge tiraille après une journée à la mer
le corps est vidé malgré les siestes qui se sont succédées sur les fwet ensablées. face à la chaleur de l’air aucune chance de survie sans le secours de la mer. de l’eau qui coule du matin au soir
humidifie la peau et irrigue les artères
entre les deux rives reliées en trainées de carbone annuelles
le jeu des différences
des montagnes si arides qu’elles semblent désertiques d’un côté plus tellement blanches mais encore vertes de l’autres

à l’aéroport de Tunis déjà la familiarité qui attendrit et irrite et le chaos habituel du tapis de bagages et sinon tout cela se ressemble comme toujours

 

suffocation à la table où les nœuds se serrent sous les amas de livres
les mots s’enchaînent et effleurent la gueule de bois
devenue si habituelle
qu’elle advient sans même boire
noyant
la matière sous un gris de brume

l’air est moite
le visage luisant comme celui d’un×e autre qu’on ne reconnait plus
la nesma
déspérément attendue
se refuse sans cesse
disparait dès qu’elle affleure

l’espoir de la voir assécher la sueur nourrit le manque d’elle

 

la peau pique et tiraille
brunit de part en part
et les traces du maillot comme une fringue blafarde
la sueur propre suinte des pores dilatés
tandis que le soleil brochette les organes 

c’est du feu et pourtant il détend et rassure
enlevant tout le poids d’une année à Paris
c’est le seul endroit
où le corps maladroit
trouve un peu de quiétude
sans l’ennui de la vie qui n’a jamais sa place
sans le rêve d’en être qui se heurte aux hauts murs
ils creusent à l’intérieur
pleins de la haine du vide
rien ne reste du rêve de gravir les empires

ils sont creux des mensonges
des non-dits qu’on répète
des trous assimilés
comme pleins de vertus
et dans l’entre deux rives
la traversée carbone
affiche le mythe dans une clarté d’aumône

lézard sur le sable la peau se fait souffrance
et l’on se sent vivant enfin pour un instant
on dirait que maintenant la mort est trop loin
et le corps trop là même s’il se liquéfie
il fait beaucoup trop chaud
la chair semble fondre
mais elle n’importe plus
le corps n’est plus qu’une partie du décor
l’amant enlacé
au sol de Pompei

et puis les commentaires
litanie incessante
mouch normal el s5ana
3omri ma rit
yesser
yesser s5ana
trop
trop chaud
intolérable

de pièces en pièces
clims et ventilos
tempèrent les demeures et réchauffent les villes
et les douches vrombissent et vident les nappes vides

alors à chaque goulée qui coule dans le gosier
se dire que peut-être dans quelques années
il n’y aura plus rien
juste de l’air sec
qui charbonnera le corps
petit fossile moulé dans la torpeur d’été

quand le champs de ruine
spolié comme une charogne
deviendra champs de cendre
infertile et mortel
que fera-t-on
des corps des indigènes 

7170 Tunisien×nes sont arrivé×es illégalement en Italie entre janvier et juillet 2022
39285 toutes nationalités confondues
plus d’un million de Tunisien..nes vivent déjà à l’étranger
presque un dixième de la population totale du pays

combien serons-nous dans les cales de fortune
quand il fera trop chaud et qu’il n’y aura plus d’eau
que fera-t-on du corps des enfants
du corps de mes parents et de mes grands-parents
de tous les corps qui n’auront pas pu traverser
bdounet ajdedi wes7abi
chnowa dhanbhom
condamné×es car né×es du mauvais côté
celui où les papiers closent le monde

je pourrais me sauver
nemchi wen5alihom
mais que feront ces corps
enchaîné×es à leur rive
tous ces corps
dont la vie ne vaut rien

sillonner le monde n’est qu’à la portée
des corps dont les aïeux
ont cru
pouvoir
le posséder

c’est déjà beaucoup de se lever tous les matins
de se lever et de prendre la route du travail
de l’école
de la vie qui continue
qui continuera peut-être sans vous

le café sifflé en vitesse
et les clopes qui grillent les poumons
champs de feu les poumons
labourés tous les ans à coup de cendres infertiles

tous les jours prendre la route qui ne mène à rien d’autre
qu’au creux du rien qui vous a vu naître
car vous n’êtes rien
jamais vous n’avez été plus
qu’un mythe
un mirage

en vous il n’y a rien de vrai
rien qui tient

en vous il y a le mensonge
en vous il y a l’autre
dans vos mots
dans vos fringues
dans votre crâne rasé
l’autre
la haine de l’autre
la haine de soi
la haine de la terreur qui vous écrase
et l’amour du joug qui s’abat

vous n’êtes rien sans le joug
sans l’idée que votre rive ne suffit pas
sans l’idée que vos ancêtres sauvages doivent tout à l’autre
qu’en fait l’envahisseur vous a fait du bien
et que ce n’est pas si mal
de ne pas parler la langue de ses ancêtres

qu’est-elle d’ailleurs cette langue folle faite de navires sanglants
cette langue qui se transforme de tout ce qu’elle emprunte
qui n’est pas officielle
mais qui vous habite
et habite le pays d’où vous venez et ses rues et ses tablées
cette langue dont on dit qu’elle n’existe pas
qui est un mythe
un mirage politique
comme vous

on vous a toujours dit que vous étiez mieux autre
car
votre corps n’est rien

un masque blanc parlant dans un français bourgeois 
propre et cultivé poli comme un galet
il est l’incarnation
du bougnoule intégré

mais le corps reste brun et se heurte à la loi
sa naissance fait de lui un être qui demande
et à qui on peut
à tout moment
dire

non

votre corps n’est rien
il pourrait mourir au fond de la mer morte
devenir humus
et fumer les abysses
de ses rêves échoués

votre corps n’est rien
votre corps marche mort
de rive en rive il erre
sans pouvoir s’arrêter

il pourrait nager
longtemps acharné
et il arriverait
du bon côté de l’eau
un uniforme blanc l’accueillerait alors
et le renverrait
à sa rive fardeau

elle est belle pourtant
elle pourrait être rêve
si on ne l’avait pas
vidée de son histoire
condamnée à devenir
un pays où les lois
mettent les corps en bas
de l’échelle des droits

les lois sont le mythe
les corps sont réels
mais le mythe met des corps
au-dessus d’autres corps

la terre est à tous×tes
et pourtant les corps meurent
car des lois leur refusent
le droit à la survie

un noyé se débat pour toucher le rivage
un brûlé court fou jusqu’à trouver de l’eau
et quand les bombes tombent
les corps fuient les débris
mais les frontières sont là
pour interdire la fuite
des murs coupent la terre qui devrait être libre
des corps uniformes vérifient les papiers
et les corps sans voix sont renvoyés là-bas
là où la mort de loin ne touche pas pareil

un×e migrant×e mort×e est un×e grand×e brûlé×e abandonné×e aux flammes jusqu’aux râles d’agonies qui trouent ses poumons âcres

ce n’est pas la vie
ce n’est pas normal
c’est là où la justice devient illégale
c’est comme va le monde dans son ordre insensé 
mais c’est de la folie
un délire partagé
où les murs tuent
qui s’engagerait en mer                                               
qui irait à la mort
si sa terre n’était pas qu’un champ de ruine gâché
qui partirait sans croire que les sien×nes ne valent rien 
que lui-même ne vaut rien
un corps ensauvagé
pleins des trous de l’histoire aux mensonges vérifiés
pleins du creux de ne pas être
un corps qui vive libre

mon corps ne compte pas
les corps des mien×es non plus
je viens d’une rive spoliée où nous vivons sans droits
les traces fondent sur le sable
elles sont trop délicates
et meurent sous les remous
et ainsi va la vie
quelques gouttes d’amour
dans une flaque de mort
corps désirs et rêves
disparus dans la nuit  

bientôt on ne saura plus que vous avez été
bientôt on ne saura plus qu’Autre vous a bercé
que vos rêves sont à lui
vos désirs les siens
et vos luttes mourront
dans le reflux des vagues

bataille chaque jour
mais à la fin toujours
vous êtes l’autre de l’autre
læ barbare droit et fier

sauvage éduqué×e
au sang traître à sa race
au sang traître à son cœur
à la marche du monde
cyborg de l’histoire
bug dans la matrice
marqué du sceau du sang
de la trace du joug
et des mots de l’école
qui remplacent les vôtres

l’école de la France
civilise les élites
les lave de la honte
qui coule dans leurs veines
car il manque à leur sang
les gouttes qui donnent le monde

dans mon sang il y a
les traces de l’Afrique
les traces de l’Asie
l’Arabie la Turquie coulent toutes dans mes veines
mais ma bouche
ma bouche
ne parle que la France
ma bouche se croit française
a honte de ne pas l’être
déteste cette honte
et rage contre la France
elle rage contre elle-même
quand remonte la honte
et elle s’insulte alors
avec les mots de l’autre

ma bouche ne connait
que les mots de l’autre
cel×lui qui ne veut pas de moi
qui ne veut pas que je dise
qu’iel ne veut pas de moi
qui veut que je l’ouvre
en quête de becquée
que je la ferme servile
prosterné×e à ses pieds

alors si tête haute je refuse le joug
je me lève le matin avec la peur au ventre
je me lève le matin je regarde ma chambre
le poster de Magritte acheté à Bruxelles
la femme à moitié nue
à moitié corps nuages
et je rêve au jour où on me condamnera
à rentrer au pays
qui ne me suffit pas

quand je ne pourrai plus voir de tableaux de corps nus
quand Bruxelles ne sera qu’un lointain souvenir
emporté par les files d’attentes des consulats
par les visas accordés seulement pour quelques mois
qu’on arrête de demander après trop de refus
parce que ça fait mal
parce que ça coûte cher
parce qu’on n’a pas besoin de Bruxelles pour survivre
parce qu’on n’a pas besoin des quais de Seine bondés les soirs chauds d’été

ça pue les quais de Seine
ça pue le métro
qui s’enchaine au boulot et au dodo
devient une purée de rêves déçus
qui suinte la haine de soi et les relents de bière
je hais les quais de seine
Paris Plage me dégoûte
c’est la chose la plus triste
la plus éloignée d’une plage que j’ai jamais vue
mais je sais que le jour où mon corps ne pourra plus y être
je me rappellerai de la chaleur du sol
qui fera bientôt fondre les semelles en plastiques
dans l’air fermé comme une fournaise dantesque
où flotte le pollen à toutes les saisons
et les effluves de pisse et de weed des rues sales

les rues où j’ai rêvé qu’un jour moi aussi
je serai

enfant de la France

parce que
je le suis
déjà
même si elle ne me reconnait pas

et chaque fois
chaque fois que j’ouvre les yeux dans mon lit parisien
chaque fois que je vois toutes les années passées dans ma ville
dans la seule ville où je me sens être en vie
je me rappelle que tout ça
ne tient qu’au fil du titre de séjour
du changement de statut
de l’APS barbare qui efface l’histoire 

ma vie ne tient qu’au fil
des mots bureaucratiques et administratifs
qui font de vous
un chiffre
une donnée
une ligne qu’on pourrait à tout instant
biffer

que ferai-je
des livres qui s’amoncellent en monticules dans mon appartement du 14ème arrondissement

combien de cartons peut-on porter les mains menottées au fond d’un vol charter

dans mon ventre un poing
un poing creusé
car je ne sais pas
je ne comprends pas
je ne sais pas pourquoi
je n’ai pas le droit

car je ne comprends pas
pourquoi
l’autre m’a marqué×e
sans vouloir m’adopter

qu’en dites-vous cher×es parents de mon dos courbé et de ma tête roide
étaient-ce vos rêves pour moi
quand comme toutes les élites
vous m’avez confié×e à l’école de la France

Présentation de l’auteur




Marie-Josée Christien, Choix de textes

Affolement du sang (extraits)

Je voudrais dire la vie
et je dis la douleur

Quelque chose en moi
s’est éteint.

*

Chaque fois au bord
de me taire
dans la nausée des heures

le vide ouvert
sous les mots
où tout se pétrifie

il n’y a rien
à attendre
que l’attente.

*

A Claire Fourier
(en écho à son  roman Les silences de la guerre)

Se taire
n’est pas convoquer
le silence

c’est l’usurper.

*

La vie incertaine
noue nos illusions
à nos ombres

Tout ce qui fut
n’est que sable
qui fuit
du creux de nos mains.

*

Sans bruit sans trace
chaque mot pèse
de son poids de vie

lancine
ruisselle
dans le corps

comme fou
dans la chaleur
du sang en cru.

*

Ce n’est qu’un chemin
pris par mon sang
un long évanouissement

le peu qu’il me reste
quand les mots se font rudes

je n’ai plus
pour me réchauffer
que le vertige
des points de suspension
accaparés par l’attente.

Extraits de Affolement du sang (Al Manar, 2019)

∗∗∗

Les extraits du temps

La fenêtre s’ouvre
un écran immense où se tord la nuit
des lambeaux s’échappent
Le reflet du monde va s’éteindre
bien plus loin

La suite des jours est incertaine
l’air se met à vibrer
quand le sanglot de la nuit cesse
le temps est soudain clair
comme une goutte d’eau

Et le calme du ciel
épuise le courage
qui soulevait nos mains.

*

Les forces du chagrin
ont atteint leur limite
et mon désir glisse sur la ronde
du temps
mon cœur obscur
jeté aux crevasses du doute
l’œil inquiet qui regarde
de temps en temps
par-dessus l’épaule du soir
si rien ne vient
à la rencontre des regards détournés

Tout est tiède dans l’air
Tout est froid dans le cœur
c’est un mélange de mort et de lumières
où les pétales sans odeur
claquent contre les murs où somnole la fièvre.

*

Le froid resserre l’étau
des passions clandestines
dans les dentelles tamisées
je dirai le chagrin
qui tissait ma lumière

C’est l’ardeur de vivre
qui dirige
la peur de perdre
de jouer son sort
au moindre bruit

Je n’espère rien du néant
Je n’oublie pas le présent
auquel il me faut tenir tête.

In Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Prix des Bretons de Paris 2009

∗∗∗

Marais secrets

C’est ici
une vieille terre
aux noires écorchures
qui s’effacent dans la brume

un territoire de traces fossiles
d’une forêt immémoriale

le souffle acide
d’un pays caché.

*

L’œil rivé
à chaque pas
qui s’enfonce
dans la tourbe spongieuse

on marche
comme on prie

dans l’apesanteur des sèves
et l’escapade des genêts.

*

Le cœur bat
plus calmement
dans l’immobilité
des marais silencieux
toute pensée est plus lente.

*

Les roseaux
se mesurent à la patience

la vie insiste
persiste

silencieusement.

*

Têtes basses
les joncs battus
de vent glacé
sont les rescapés opiniâtres
d’un continent englouti

en dormition.

*

Des saules tortueux
dessinent
des idéogrammes
dont on aurait oublié
le sens.

*

Le marais
se fige
comme une immense flaque
dans le paysage sans couleur
résistant vaillamment
aux ruissellements.

*

C’est une eau immobile
que rien
ne distrait

la litanie de nos pas
n’atteint pas ses secrets.

Extraits de Marais secrets, Les Editions Sauvages, 2022

 

∗∗∗

A propos de poésie 

     Ce que je cherche dans la lecture d’un poème ? Le tremblement qui le traverse.

     La poésie est ce qui fait sens avec nos sens, avec ferveur.

     Le poème est à destination de l’œil et de l’oreille.

     La poésie n’a pas pour but d’expliquer le monde mais de le vivre intensément, et par là espérer
le comprendre.

     Le  poème fait sens, mais n’a pas de message à délivrer.

     La poésie ne demande pas d’être déchiffrée ni comprise, mais éprouvée.

     La poésie réside en ce va-et-vient continu entre l’intériorité et l’extériorité. C’est pourquoi elle
mêle si bien en elle voix personnelle et voix collective.

     La poésie affronte toutes les questions qui bousculent les certitudes. Elle porte ainsi en elle
l’essence de la vie.

     Ceux qui associent la poésie à la rêverie et à l’imaginaire en sont bien éloignés.  Que dire de
ceux qui en parlent comme d’une détente ou d’un loisir !

     La poésie a pour domaine le réel et bien au-delà.

     Si un poème ne tient que par quelques artifices, il n’a aucune raison d’être.

     La poésie a une lecture polysémique, mais malgré tout, que de contresens quand le lecteur se
met à imaginer ce que l’auteur a voulu dire.

     Un poème ne peut pas être lourd de sens. Sous sa gravité apparente, il y a au contraire tant de
directions à explorer qu’il ne peut être réduit à la certitude d’un seul sens.

      Je n’aime pas le mot recueil  pour désigner tout ouvrage de poésie. Il sous-entend que l’auteur
a recueilli  ses poèmes dans l’ordre chronologique de leur écriture. Or, dans la plupart des ouvrages
poétiques authentiques, il n’en est rien : leur architecture est organisée, composée, structurée.

     La malédiction de la poésie est d’avoir été enfermée dans la littérature, et avec elle, dans la
sphère culturelle.

     La musique pour la voix du poème est un écrin qui la protège et la met en lumière.

     N’est pas automatiquement poète celui ou celle qui a écrit quelques livres de poésie.  C’est
avant tout aux lecteurs et aux critiques d’en juger.

     La poésie n’a pas à divulguer. Au contraire, elle a à préserver, à garder secret pour ceux qui
sauront découvrir.

     La langue n’est pas le sujet du poème. Elle est seulement le matériau qui le sublime.

     La poésie n’est pas un supplément d’âme. Elle est l’âme même.

     Ne pas confondre vivre en poésie et vivre de la poésie.

     La poésie est un état de veille.

     Le poème est ce qui résiste de plus humain de nous.

     Un vrai poète se reconnaît à sa capacité de sortir de lui-même et de dépasser l’horizon de sa
propre parole, à son généreux désir  de partage.

     Les poètes belges me semblent d’une fantaisie pure, absolue. Celle des poètes bretons est plus
mélancolique, plus grave.

     Une poésie qui ne s’adresse pas aux êtres humains, qui se complait dans l’incommunicabilité,
est inutile, infondée. Sinon, on pourrait se satisfaire de poèmes écrits par une intelligence artificielle.

     J’aime les auteurs qui me parlent à l’oreille, qui me chuchotent d’âme à âme.

     L’écriture d’un poème commence toujours par l’émotion et doit également se clore dans
l’émotion. Le long processus de sa genèse doit rester invisible et indétectable au lecteur.

     Et si la poésie était la langue du silence ?

 

Extraits de Petites notes d’amertume (Les Editions Sauvages, 2014)
et de Eclats d’obscur et de lumière (Les Editions Sauvages, 2021)

∗∗∗

Généalogie de la matière

In memoriam Michel Baglin

« La vie, c’est la matière à son niveau le plus structuré.»
Hubert Reeves

Nous ne connaîtrons les réseaux
du cosmos
qu’en perçant les mystères
de notre corps

tous les itinéraires
tous les appels
nous mèneront alors
là où nous verrons
ce qu’avant nous
on ne voyait pas.

*

Au peintre  Francis Rollet,

La blancheur des galaxies
passe par la lumière
des ténèbres
croise
les laminaires célestes

dans une enveloppe de silence.  

*

A Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et poète

La nuit en silence
ramène
l’éternité
à un trou noir

guettant la moindre lumière
où se profile
le souffle
d’une froide illumination stellaire.

*

 L’œil magnétique

 A Aurélien Barrau, astrophysicien et poète
Au photographe du ciel Laurent Laveder

Soutenu
par l’arche
des ganivelles

en silence

le regard
se projette
au cœur de la galaxie

magnétique

la pensée
voit
l’extrême mouvement
des astres.  

Extraits de  Généalogie de la matière, en cours d’écriture

Présentation de l’auteur




Regard sur la poésie Native American : Kenzie Allen, « Celle-Qui-Va-Seule-en-Jouant-de-la-Musique », ou la prise de responsabilité.

(Les poèmes sont reproduits grâce à l’aimable autorisation de l’auteure, qu’elle en soit remerciée).

 

« Je vois la poésie, et l’écriture, comme une responsabilité. La responsabilité envers ce que vous produisez dans le monde et envers les gens du monde. » Ainsi s’exprime Kenzie Allen, toute jeune artiste aux multiples talents, membre de la nation Oneida (Oneida du Wisconsin, elle appartient au clan de la Tortue), donc membre de la grande confédération Haudenosaunee (gens de la longue-maison) connue comme la confédération Iroquoise (formée, en plus de la nation Oneida, des nations Seneca, Cayuga, Mohawk, Onongada, et Tuscarora). Elle partage son temps entre Toronto où elle enseigne, la Norvège où elle a vécu plus jeune, et la réserve Oneida à Green Bay dans le Wisconsin. Elle s’est faite remarquée en remportant le prix de la découverte (92NY discovery prize), puis le prix James Welch qui récompense un poète Indien, le littoral Press Poetry Prize, et enfin le 49th Parallel Award de poésie. Elle a concentré ses recherches universitaires sur la poésie visuelle et documentaire, la cartographie littéraire, et enfin la mise en œuvre de la souveraineté des nations Indiennes par le biais d’un travail créatif.

Son dernier projet de poésie incorpore l’histoire et les histoires intergénérationnelles liées aux mouvements migratoires diasporiques et aux déplacements forcés, incorpore les traditions des Indiens Haudenosaunees et des extraits d’archives comme ceux du pensionnat pour Indiens de Carlisle. Elle aime user de procédés multimodaux. Elle a obtenu une maîtrise d’écriture créative, un doctorat d’anglais, et une licence d’anthropologie. Elle est aussi photographe à ses heures.

Son idée de la poésie documentaire est liée à son ambition de poète, quelqu’un-e qui doit jouer les rôles d’interlocuteur culturel. Il-elle doit être un-e interprète débordé-e par son imagination, et doit s’engager, il-elle est un-e militant-e. Kenzie dit trouver de la joie dans le fait d’être une descendante des Indiens Oneidas, elle dit trouver la poésie dans la communauté. Elle dit que la poésie et la musique constituent sa force. Sa grand-mère était une chanteuse d’opéra, et son nom Oneida signifie Celle-Qui-Va-Seule-en-Jouant-de-la-Musique.

La musique, la musicalité, sont ce qui relie et se réfère au langage quel que soit le medium utilisé. Elle affirme aussi que la poésie vit dans une expérience de communauté, que le pouvoir qu’elle acquiert se fait par l’intermédiaire des connexions créées dans une communauté, que les lectures de poésie sont des incarnations du souffle et des rythmes du poème, qui la laissent médusée et qui ont un fort impact sur elle. Elle dit aussi que la poésie est un autre moyen de comprendre, un autre outil de compréhension, que dans l’espace d’un respir la poésie vous fait traverser différents paysages, qu’elle est le contraire de la compartimentation : « What I love about poetry is the wholeness it affords » (ce que j’aime à propos de la poésie, c’est la complétude qu’elle offre. »

Le premier titre du poème qui va suivre était : Plus d’Indien calme, que des éclairs. Publié dans le magazine the Paris Review,  le titre a été modifié en :

 

Calmes comme des éclairs

Et reçue de toi je l’ai conservée comme une mise à mort,
mon nom, mon héritage, ma rancœur
et le petit trou derrière l’épaule

où je peux être blessée. La longue-maison
en allumettes que j’ai taillée, les ormeaux
la remplissant attachés avec des cheveux, des tasses Utes

à café peintes et des tortues en fer un feu de paille
d’identité, un œil en amande surveillant
entre les bibliothèques blanches

et les photographies de villes, vergers,
tombeaux, une vieille planche à repasser
abandonnée dans la rue devant notre ancien logement,

des bougies que j’ai allumées à Lisbonne pour toutes les femmes
que j’avais aimées. Des animaux qui ne sont plus
avec nous. Des animaux qui ne sont plus

à nous. Une telle étendue de paysage dont je ne
peux pas m’occuper, farouche comme un visage d’enfant,
émietté sous la sécheresse,

bordé de sel. J’ai conservé le nénuphar,
comment les médecines étaient données
au Clan de l’Ours, la Donneuse de nom,

comment ses paroles m’avaient
rendue plus sombre. La bague en turquoise
et comment les esprits sont satisfaits

que l’on donne cela qui avait été
tellement admiré, la sweetgrass*
dans mon tiroir à chaussettes, l’exact volume

d’air que mes poumons et mon ventre
peuvent contenir alors que j’essaie d’en respirer
et d’en avaler sa douceur. Chaque perle, chaque boucle

de chaque collier trésor—
j’ai gardé les piquants de porc-épic
dans ma gorge, je laisse l’eau me noyer

chaque nuit dans mon canoé
fond-de rivière, je suis funambule
depuis  mon arrivée sur terre,

depuis qu’ils ont fait monter le sol
et fabriqué une île ceux qui n’ont pas
péri dans le plongeon. Depuis que l’île a rampé

jusqu’à devenir continent, j’ai été
coquille et mémoire, calendrier et foyer.

 

Sweetgrass : Hierochloe odorata, aussi connue sous les noms de foin d'odeur, avoine odorante, hiérochloé odorant ou herbe aux bisons, est une plante herbacée vivace de la famille des Poacées, originaire de l'hémisphère Nord

 

Quiet as Thunderbolts

And I kept it from you like a kill,
my name, my legacy, my shoulder
chip and the small hollow beneath

where I can be wounded. The Longhouse
I whittled to matchsticks, abalone
filling up with hair ties, Ute painted

coffee mugs and iron turtles a pan-flash
of identity, an almond eye watching
from between the white bookcases

and photographs of cities, orchards,
graves.
A lonely ironing board
left to the street outside our old place,

candles I lit in Lisbon for all the women
I have loved. Animals who are no longer
with us.
Animals who are no longer

ours. So much landscape I can’t
tend to, wide as a child’s face
and crumbled in drought,

rimmed in salt. I kept the Water
Lily, how Bear Clan was given
the medicines, Namegiver,

how she made me darker
with her words.
The turquoise ring
and how it pleases the Spirits

to give that which has been
so admired.
The sweetgrass
in my sock drawer, the exact volume

of air I can fit in my lungs and belly
as I try to swallow and breathe
its sweetness.
Every bead, every

loop of every treasure necklace—
I kept porcupine quills
in my throat, I let the water drown me

every night in my river-bottom
canoe.
I’ve been sleepwalking
since I got to this earth,

since they brought up the soil
and made an island, those who did not perish
in the dive.
Since the island crawled

into a continent, I’ve been
shell and memory, calendar and hearth.

 

Ce poème montre combien l’identité Indienne prend de plus en plus de place dans la conscience de Kenzie. La fin du poème célèbre cet héritage Indien en faisant allusion au mythe de la création, en montrant la fierté ressentie mais aussi les épreuves que subissent les Indiens encore aujourd’hui. Kenzie dit que sa famille a subi les conséquences de la politique d’assimilation mais elle n’a jamais renoncé à sa part d’héritage Indien, et elle a été transmise aux enfants.

The 92nd Street Y, New York., lecture par Kenzie Allen.

Kenzie se rappelle que durant son enfance, elle se trouvait assaillie par les stéréotypes négatifs plaqués sur les Indiens, et clamer son identité Indienne était un acte de courage. D’où ce “I kept it from you like a kill” (cette identité conservée comme une mise à mort). Ce poème est une façon de dire stop, arrêtons les clichés, cessons de prétendre savoir ce que c’est d’être Indien, façon de témoigner et d’affirmer que l’indianité n’est pas une valeur figée, qu’il n’y a pas une indianité unique. Et que quel que soit l’endroit sur terre où elle voyage, Kenzie emporte la sweetgrass afin d’avoir toujours avec elle l’odeur de la réserve Oneida dans l’état du Wisconsin, car où qu’elle soit elle est Oneida. Le titre quant à lui encourage les Indiens à être fiers et à assumer leur héritage, leur identité Indienne. Elle les encourage à ne pas ressembler au cliché de l’Indien imperturbable au visage fermé, ils doivent désormais envoyer des éclairs, ils doivent rayonner.

Un poème publié récemment (septembre 2022) dans le prestigieux magazine POETRY, intitulé End of the Trail-Fin de la piste, évoque l’auteure et sa mère dans la maison de la grand-mère après son décès. La réflexion sur ce qui dure, ce qui cesse ou ce qui s’évanouit, la réflexion sur la possibilité de chacun de prendre le relais sous l’œil des anciens afin que l’histoire à la fois commence et se perpétue, mènent à la compréhension et au consentement de l’auteure : elle assume l’héritage, avec enthousiasme et conviction, elle prend les rênes désormais.

Fin de la piste

Simple reproduction, vous pourriez la transporter,
Vous pourriez la porter dans vos bras ;

Suffisamment petite—                     mais je tombe en ruine,
                                                              je m’érode, à ses pieds.

 

J’ai grandi sur ce sol, dans la maison de ma grand-mère.
Sur chaque surface une statue. Sur chaque mur

des chefs enturbannés, des femmes avec des bébés sur le dos
recueillant de l’eau,

des hommes à cheval qui montrent le chemin
dans une neige épaisse. Comme si notre maison était un musée,

comme si le musée te voyait enfin
             dans tous les sens,

et pourquoi pas—collecter aussi les Russels, Millers et Wyeths.
Ce que chacun de nous savait de nous

dans ce qui restait.

Je demande qui a récupéré les Remingtons, les copies,

quand elle est morte.

Juste un autre Indien
affalé sur son cheval.

comme si je pouvais

                                              dans plus que la mémoire

détenir l’objet en l’air,
une urne, tremblante,

 une photographie que vous ne pouvez pas vraiment faire sortir
 

comme cette Bible qui a reposé à côté d’elle
de très nombreuses années, a survécu à une guerre nouvelle ;

a survécu aux bombes ;
mais les bombes ont apporté l’inondation,

et maintenant le livre des martyrs est taché ;
ne parle qu’au travers des marges

sur les bords. Tout le monde faisait ça
à l’époque—me dit-on,

tu tiens l’objet en l’air. Vous questionnez.
Aucune histoire ne sort.

En ces années de tranquillité,
rien que les archives ;

pas de photos d’enfance, pas de langage
camouflé dans le coin de la page—

il reprend seulement son souffle,
il leur survivra tous,

il est, après tout,
fait de pierre.

Fin ou infini ?
J’voudrais pouvoir vous l’dire—

Cette silhouette particulière,
un bronze verdissant au fil des ans—

 

la plaque est si petite.
Aucune explication ne convient.

Pas de sol plus ferme
sculpté dans les coins.

 

Dans le grand fauteuil en cuir qui était son trône,
elle montrait du doigt chaque cadre penché, dis-moi :

 L’Indien en Sa Solitude
est de travers

Le Dernier des bisons,
Dernier des Mohicans

Tous ces derniers
dureront plus que nous deux.

N’oublie jamais,
même si tu le pouvais, 

qui tu es.
Leurs yeux surveillent

depuis les murs, depuis les tombes.
Ce n’est pas la fin.

Parfois les histoires t’attendent
pour commencer.

À qui cela appartient-il à présent,

demandé-je à ma mère, qui sait le chemin
que chaque poinçon de bijouterie a suivi,

le Wedgwood, Frankoma*, toutes les petites statues,
mais elle ne sait pas où c’est parti,

les rênes délicat en cuivre que je peux encore sentir
se courber sous mes mains,

les pistolets parfaitement
forgés, la torsion des vertèbres

du cheval, les sabots
qui labourent

en un mouvement brillant


pareil au métal qui pourrait bien bondir
de la plinthe.

Charles Marion Russell est l’un des plus grands peintres de l'ouest américain avec quelque chose comme 2 000 tableaux représentant les cow-boys, les Amérindiens et les paysages du Far West de la fin du XIXᵉ siècle.
Jacob Miller (1810 -1874) est connu pour ces tableaux représentant des trappeurs et des Indiens d’Amérique engagés dans le commerce des fourrures.
Andrew Wyeth est un célèbre artiste américain spécialisé dans les peintures réalistes de personnes et de paysages
Frederic Sackrider Remington (1861-1909) fut un peintre américain, dessinateur et sculpteur qui représenta l’ouest américain.
Wedgwood : fabrique de poterie et de faïence
Frankoma : poterie

 

End of the Trail    

Mere reproduction, you could carry it with you,
you could carry it in your arms;

small enough—                                            but I crumble,
                                                                  erode, at its feet.

 

I grew up on this ground, in my grandmother’s house.
On every surface, a statue. Every wall

with cloth-turbaned chieftains, women gathering water
with babies on their backs,

men on horses who point the way
deep in snow. Like our home was the museum,

                                           as though the museum saw you
                                                 every which way, at last,

and why not—collect the Russells, Millers, Wyeths*, too.
What any of us knew of us

in the what was left.

I ask who got the Remingtons, the replicas,

when she passed.

Just another Indian
slumped on his horse.

 

As though I could

                                              in more than memory

hold the object aloft,
an urn, trembling,

a photograph you can’t quite make out
 

like that Bible which has lain beside it
so many years, survived a newer war;

survived the bombs;
but the bombs brought on the flood,

and now the book of martyrs is water-stained;
speaking only through the edges’

marginalia. Everyone did that
in those days
—I’m told,

you hold the object aloft. You ask.
No stories issue forth.

In those years of quiet,
nothing but the archives;

no childhood photographs, no language
tucked in the corner of the page—

he is only catching his breath,
he’ll live past them all,

he is, after all,
made of stone.

End or enduring?
Wish I could tell you—

—this particular silhouette,
a bronze greening over years—

the placard is so small.
No explanation fits.

No firmer ground
sculpted in the corners.

In the great leather armchair that was her throne,
she’d point out every tilted frame, tell me:

The Indian in His Solitude
lies crooked.

The Last of the Buffalo,
Last of the Mohicans,

all that last
outlasting us both.

Never forget,
even if you could,

who you are.
Their eyes still watch

from the walls, from the graves.
This is no end.

Sometimes the stories wait for you
to begin.

To whom does it belong now,

I ask my mother, who knows the path
every stitch of jewelry has taken,

the Wedgwood, Frankoma, all the little statues,
but she doesn’t know where it’s gone,

the delicate copper reins I can still feel
bend beneath my hands,

the perfectly wrought
pistols, horse spines

twisting, hooves
churning

in brilliant motion
                                                                                          like the metal might fair leap
                                                                                                     from the plinth.

 

Dans le poème suivant, publié par la revue Apogée, Kenzie dénonce avec une ironie mordante, la façon dont les scientifiques véhiculent et transmettent les stéréotypes à travers les siècles. Leurs conclusions inévitablement servent la doxa en vigueur et placent toujours l’occident du côté des civilisations avancées ; ou encore plaident pour la théorie du passage en Amérique par le détroit de Behring par des populations asiatiques afin d’expliquer l’origine des populations Indiennes, faisant de ces dernières des groupes colonisateurs comme n’importe quels autres, minimisant ainsi l’illégalité de l’invasion européenne.

Bonk! Performance Art Series presents: poet, Kenzie Allen. February 25, 2017, Racine, Wisconsin.

 

Détermination d’affinité raciale

Une arrête nasale galbée, un maxillaire arrondi
et cette pression d’une incisive dentelée,

celle-ci est asiatique (selon toute probabilité). Nous ne pouvons en être certains
quand seul un os reste, mais comparez

la longueur ulnaire, la saillie mandibulaire, ces signes
de l’origine. Mongoloïde, caucasien, morphes alternatifs des orbites
leur douce inclinaison pour que baignées de soleil, elles soient couvertes,

à la façon dont Draw Girls Around The World* expliquait
le réalisme ethnique. Faites-lui des lèvres larges et pleines
donnez-lui de belles hanches et des épaules étroites
définissez son muscle donc. Ils ne disent pas
qu’il démarre du squelette, en fragments de fragments
ou que les 0,02 gramme pourraient être une erreur de l’utilisateur
ou pourraient signifier que vos ancêtres vous ont envoyé en aval de la rivière
dans un panier. Il n’est en rien fait mention de la variabilité
et comment à chaque fois que vous regardez son crâne

il change, comment vous ne pouvez pas vous-même vous enlever la peau
et poser des questions à votre corps.

Draw Girls Around The World : Dessiner les filles du monde entier (serait un manuel imaginaire)

Determination of Racial Affinity

A shapely nasal spline, rounded maxilla
and that flick of a scalloped incisor,

this one is Asian (in all likelihood). We can’t be certain
when only bone remains, but compare

ulnar length, mandibular jut, these caveats
of origin.
Mongoloid, Caucasoid, alternate morphs
for sun-soak, overcast, sweet tilt of the sockets

the way Draw Girls Around The World explained
ethnic realism. Make her lips large and full,
give her beautiful hips and tiny shoulders

define her muscle thus. They don’t say
it starts in the skeleton, in fragments of fragments
and the .002 gram that could be user error

or could mean your ancestors sent you down the river
in a basket, nothing mentions variability
and how every time you look at that skull of hers

it changes, how you can’t pull off your own skin
and ask your body questions.

 

Si les poèmes de Kenzie Allen ont un caractère militant et documentaire ainsi qu’elle le réclame, elle porte cependant une véritable attention à la nature et elle s’est retrouvée à surveiller une forêt en Oregon l’été dernier(état dévasté par les incendies en 2022). Cette responsabilité plus la beauté des paysages, l’observation des oiseaux, des fourmis, etc.,  lui donne le sentiment de vivre une vie pleine de sens. Dans un des poèmes qui lui ont valu de remporter le prix  de la découverte, elle parle d’un daim, dont le nom en Oneida suggère l’idée de paix, il est vu comme « le paisible ». Il regarde son reflet dans les lacs, il craint les loups capables de « dévorer le monde », et se demande ce que c’est que la paix, ou même ce qu’elle a pu être. On sent que par un processus d’identification l’auteure se voit en daim, elle ne veut pas se promener seule en forêt, elle a conscience d’être une proie possible pour les chasseurs ou prédateurs de tous ordres. Un autre poème récompensé est un lipogramme, c’est-à-dire un poème d’où sont exclues certaines lettres. Dans ce poème, Kenzie s’en tient aux seules treize lettres que la langue anglaise et la langue Oneida partagent. Le titre du poème est : Même le mot Oneida ne peut s’écrire en langue Oneida, ce qui est un formidable symbole de la façon dont les cultures Indiennes ont été effacées par la colonisation et les politiques d’assimilation.

Kenzie a participé au premier volume d’une anthologie dont le titre est Embodied (Incarnées). Il s’agit d’un livre de poésie traitée par la bande dessinée, à caractère féministe. Cette anthologie présente des visions du corps aussi bien mystiques que douloureuses, joyeuses ou extatiques ou ancrées… Il s’agit d’une collaboration entre artistes de bandes dessinées et de poètes femmes représentantes de genres différents allant de la cis au trans en passant par non-binaire.

On l’a compris, cette jeune-femme fera son chemin sur des routes pluridisciplinaires qui lui permettront et de montrer ses divers talents, et de coller au rôle de poète tel qu’elle le comprend, en assumant et son identité Oneida et sa responsabilité de citoyenne appartenant à deux nations. Ainsi que l’auteure Sioux Oglala Layli Long Soldier l’a exprimé dans son livre Whereas (traduit en français sous le titre Attendu que aux éditions Isabelle Sauvage), c’est investie de cette double citoyenneté qu’elle doit écrire, se faire des amis, manger, travailler, écouter, observer et qu’elle doit constamment vivre.

Présentation de l’auteur




Une maison pour la Poésie 2 : La Maison de Poésie Transjurassienne : entretien avec Marion Cirefice

En ce matin d’hiver 2023, il est midi au cadran solaire de la Maison de la Poésie Transjurassienne, nichée dans le village de Cinquétral, à 850 mètres d’altitude. L’inscription dorée du cadran nous invite à « Lire pour rester libre » … 

C’est dans cette belle maison que Marion Cirefice me reçoit pour me parler de l’association Saute-Frontière et de la Maison de la Poésie Transjurassienne qu’elle co-préside aujourd’hui avec sa sœur, Elisabeth.

Marion, j’imagine qu’on ne crée pas une maison de la poésie sans de profondes motivations qui remontent loin dans l’enfance peut-être… Pourrais-tu nous tracer les trajectoires multiples de ton parcours de vie, dont je commence à comprendre qu’il est particulièrement riche de chemins de traverse, et original…

Dès mon berceau, j’ai baigné dans le monde du théâtre, à Lyon, ou mon père Louis CIREFICE était metteur en scène et acteur et a fondé le théâtre des Marronniers. Il a passé sa vie sur les planches, ma mère Miette a mis dans mon berceau et celui de ma sœur les beaux jouets de la littérature et de la poésie. 

 

Cette enfance heureuse et cultivée m’a portée :  dès les années 70, j’ai volé de mes propres ailes et fondé ma compagnie de théâtre « le théâtre de l’œil nu » et nous avons sillonné pendant dix ans les villages de la Drôme avec un théâtre de proximité.

 Mais je n’ai pu résister, après un voyage en Islande à l’appel du grand Nord… », après avoir co-écrit avec ma mère Miette une fiction nordique, destinée à devenir un film d’animation, j’ai décidé de monter un projet plus vaste pour une Bourse d’études auprès des Affaires culturelles du Nord Québec. Et la grande aventure a commencé !

Au cours de mon premier séjour hivernal, j’ai rencontré des artistes Inuits à Inukjuaq ( Nunavik – Nord Québec) et nous avons réalisé avec Yanni Amittuq un ouvrage commun, mon histoire illustrée par ses propres dessins. 

De retour en France, j’ai choisi de me former auprès de Jean Rouch en cinéma documentaire. J’ai étudié l’Inuttitut à l’UQAM, et suivi un cursus de culture Arctique auprès de Jean Malaurie, au centre d’études arctiques.

J’ai choisi de finaliser ce cursus par une maîtrise en muséologie à l’UGAM (Montréal),

Cela m’a permis de repartir en 1990 dans le Nord Québec et de réaliser en fin d’études mon film « Le Lien » ou autrement dit en Inuttitut … « Attaattatsiaralu, Annaannatsiaralu : nos grands-pères nos grand-mères ».

On trouve déjà là deux de tes grands fils conducteurs qui t’on amenée plus tard à créer un lieu tel que la Maison de la Poésie Transjurassienne : la transmission et l’oralité ?

Oui, ces deux pôles m’ont toujours passionnée : la transmission d’une génération à une autre, par l’oralité entre autre, et les échanges d’une culture ou d’une civilisation à une autre, valeurs que je ne cesserai de développer au sein des rencontres et événements de la Maison de la Poésie Transjurassienne.

Revenue fin 1991, à Cinquétral, dans la maison familiale du  Jura dont on sait qu’à ses heures les terres deviennent une petite Sibérie… je cherchais comment articuler mes rêves et la réalité, mes passions et la nécessité de vivre… je pense alors à lier une recherche ethnologique antérieure, sur les ateliers de tuyaux de pipe familiaux de Cinquétral avec l’actualité économique. Je crée l’agence ARTHIS et entre 1992 et 2005, je propose aux acteurs économiques locaux mes compétences d’ethnographe et de muséographe. L’idée est de les aider à valoriser leurs productions en les faisant connaître du grand public. Lier culture et économie, quoi de plus passionnant ?

Je collabore alors avec l’Hôpital de Morez, le parc naturel régional du Haut-Jura, la tournerie-tabletterie, les fabricants de boutons, de jouets. J’invite des artistes à devenir les médiateurs de ces confluences. Je soutiens la mise en valeur des Savoir-faire de la Montagne Jurassienne… »

Qu’arrive-t-il en 2005 qui justifie l‘arrêt de ta S.A.R.L ARTHIS ?
Des courants… des synergies… en 2001 l’association Saute-Frontière avait posé les bases d’un partenariat littéraire à parts égales avec la Suisse, pays de quatre langues…. En 2005, je deviens salariée à plein temps de l’association et responsable du projet d’ensemble. Je vais dès lors m’orienter vers les langues, les écritures, les échanges etc…. Le roman ouvrit la voix avant de laisser la place à la poésie tout entière. Un premier cycle de 5 ans de Pérégrinations se déroula sur l’Arc Jurassien, enjambant le mur-frontière de pierres sèches, et enlaçant des écritures alémaniques, italiennes et françaises. De grandes voix classiques y sont portées (Bouvier, Cendras, Jaccottet, Ramuz) qui ouvrent la voix aux contemporains, (Lovey, Tâche, Matthey etc.).
Le professeur honoraire de littérature Romande à l’université de Lausanne, Doris Jakubec incite l’équipe de Saute Frontière à travailler la poésie, la traduction et les recherches en archives.

La première résidence d’auteur accueille Yves Laplace photographe écrivain. Elle se déroule entre les Rousses,  Foncine-le-Haut, Chapelle des Bois et la Vallée de Joux.
Les pérégrinations poétiques sont lancées, des kilomètres de paysages franco-suisses seront arpentés par un public tant local, que Suisse ou même Rhône-alpin, à l’écoute de grands auteurs contemporains, tout d’abord de littérature puis définitivement de poésie. 
Combien de kilomètres arpentés pendant ces 4 premières années ? 
150 kilomètres ! Au point qu’il nous a semblé nécessaire de nous sédentariser et de localiser les événements à Cinquétral même. Le lieu de la Maison de la Poésie Transjurassienne sera pérennisé après le bon conseil de Joël Bastard, poète des Monts Jura, qui nous a suggéré de rejoindre la fédération européenne des Maisons de Poésie… La maison de la Poésie Transjurassienne (en clin d’œil à l’épreuve sportive de ski nordique éponyme) est née.
C’est donc la création d’un lieu spacieux, chaleureux, pouvant accueillir un public nombreux, avec une bibliothèque bientôt remplie des ouvrages de poésie ayant éclairé de nombreux visiteurs… quelles aides as-tu reçues à ce moment de ton entourage local ? 
En 2009, à la faveur d’un changement électoral aux municipales, la ville de Saint-Claude nous a offert son partenariat. Les contacts avec le musée de l’Abbaye, et la Médiathèque donnèrent aussi beaucoup de force à nos projets et favorisèrent le rapprochement avec les habitants de la communauté de communes Haut-Jura Saint-Claude.
Nous avons pu porter  la poésie sonore et les lectures dans les lieux du paysage par les auteurs eux-mêmes… 
Ta passion pour le voyage et le différent, « l’autre », te fait-elle souvent changer de thématique ? 
Non, les thématiques des rencontres se construisent toujours sur 6 mois, pendant lesquels les auteurs sont en résidence, d’une année à l’autre.
En 2015, le thème abordé avec l’artiste-auteur Frédéric Dumond est celui des glossolalies, en lien avec les ateliers allophones, la classe UPE2A de la Cité scolaire de Saint-Claude, les élèves en classe option deuxième langue Turc, et l’espace Mosaîque.  Il se crée également le Chœur Ouvrier, et les partenariats avec la Médiathèque se pérennisent.
Avec la chef de chœur du Chœur Ouvrier, Stéphanie Barrarou, nous créons un groupe de chant en langues qui intègre des demandeurs d’asile.
Quel chemin entre l’Arctique et le Jura ...?
Les idées brassées dans le Grand nord m’accompagnent toujours. Je suis convaincue de l’importance majeure des liens que nous devons maintenir, tant par la transmission que par la confrontation des langues, des civilisations, des philosophies différentes. Les grandes questions planétaires qui nous assaillent désormais doivent être abordées avec des outils planétaires et nous devons échanger ces outils, il n’est que temps…
Et en 2020…à ton départ en retraite… tout s’est-il arrêté ?  
Pas du tout ! C’est tout le contraire ! Retraite ce n’est pas se mettre en retrait, c’est re-traiter ce que l’on a fait dans sa vie mais d’autre façon, avec d’autres moyens à inventer.
En revanche, la fin des Pérégrinations, avec la dernière résidence de Fabienne Swiatly, a été contemporaine de l’épidémie de Covid et il a fallu faire face. J’ai à nouveau privilégié l’oralité, avec les émissions de radio de RCF JURA (seul canal par lequel on pouvait encore intervenir, puisque la vie sociale s’était arrêtée). 
S’est aussi posé la question du devenir de la bibliothèque de la Maison, constituée année après année, lors des pérégrinations poétiques et des résidences, et abondée également par le fonds théâtral de ma sœur, metteur en scène. 1500 ouvrages de poésie et littérature et 1000 sur le théâtre…
Nous avons mis en lien ce fonds, grâce à une base numérique, avec le réseau des médiathèques Haut-Jura Saint-Claude et le réseau départemental JUMEL.
Nous travaillons aussi sur le site internet www.sautefrontiere.fr , vitrine majeure des événements portés par la Maison, la Médiathèque et le Musée de Saint-Claude, sans oublier les associations locales.
Nous allons poursuivre les rencontres et les échanges entre corps sociaux habituellement éloignés, voire même étrangers , comme par exemple le monde des éleveurs, celui des forestiers et celui des écrivains, des plasticiens…
Nous voulons plus que jamais interroger notre rapport au vivant… 
Nous savons que la poésie est un outil majeur dans la transformation du monde qu’il nous incombe de porter… génération après génération. 
Retrouverais-tu encore et toujours ton Grand Nord dans les terres du Haut-Jura ?
Oui, quelque part, je suis toujours en Arctique, le pays des grands espaces, des rencontres improbables, des quêtes inépuisables. »
Si en un mot tu devais te définir, quel serait-il ? 
Activiste.

Marion Cerefice

Née à Lyon en 1953, Marion Cirefice entame dès la fin de ses études secondaires une carrière dans le théâtre. Elle sillonne la Drome avec sa compagnie « Le théâtre de l’œil nu » jusqu’en 1985, date à laquelle elle s’élance vers le Grand Nord, le Quebec, dans un voyage fondateur de son parcours à venir.

1987-1990 Études de la langue Inuit à l’INALCO,ethnologie avec Jean Malaurie au Centre d’Études d’Arctiques et cinéma direct avec Jean Rouch. 

1991 - Maîtrise de nouvelle muséologie à l'université du Québec à Montréal (UQAM) 

1992 - Retour dans le Jura. Création de l'Agence ARTHIS - Mise en valeur des savoir-faire de la Montagne jurassienne avec les acteurs locaux du monde économique (pipe, bouton, tournage sur bois , émail etc..) de l'éducation (lycée des arts du bois de Moirans-en-Montagne), des métiers d'arts au niveau international et de la culture ( musée d'archéologie de Lons-le-Saunier - association Arts tournage et culture lavans-les-Saint-Claude) 

1997 - ARTHIS est sélectionné par le Conseil général du Jura pour réaliser la muséographie d e l'Aire du Jura 

2000 Création de la SARL ARTHIS / Juste Comme avec 4 artistes plasticiens et musiciens. Dissolution  en décembre 2005

2001 - Création de l’association SAUTE-FRONTIERE pour porter le projet transfrontalier des Pérégrinations poétiques dans les Montagnes du Jura dans le cadre d'un programme Interreg qui perdurera jusqu'en 2019. 

2009 - Création à Cinquetral de la Maison de la Poésie Transjurassienne qui accueille le projet associatif de Saute-frontière 

Janvier 2020 : Avec un nouveau statut de retraitée bénévole et activiste, développement de la bibliothèque associative de la Maison d ela poésie transjurassienne

Maintien des événements en lien avec la poésie, au sein même de la Maison de la Poésie Transjurassienne et avec des partenariats locaux réguliers.

EN JEU LA POÉSIE ! Rencontre-lecture, lecture-promenade, lecture-inédite, randonnée-lecture, apéro-poétique, lecture-performance, lecture-déambulation, lecture-concert, rituel-poétique autant de façons de dire, de lire, de découvrir ensemble et autrement les Montagnes du Jura. 2012.