Machinations pour un dernier opus : FPM hors série

Jean-Claude Goiri l'a annoncé, voici le dernier numéro de FPM, revue littéraire exclusivement réservée à la création contemporaine, dont la première publication  date de 2014.

FPM, Festival Permanent des mots, est une revue de création littéraire dans laquelle les auteurs jouent avec les cadres, les tabous et les normes afin de convoquer un monde où le mot est une arme d'insurrection pour la connaissance de l'autre et de soi.

La poésie, l'art et la philosophie nous permettent une révolution intérieure radicale, une trans-formation, qui nous fait accepter ou refuser nos aliénations intimes et collectives, sans notion de bien ou de mal, simplement pour s'affirmer ou s'effacer devant l'inévitable "autrui".

Alors : Nous topographions nos territoires afin d’en abolir les frontières. Parce que rencontrer l’autre, c’est se soulever tout à fait.

Le sommaire de ce hors série papier, le dernier, propose des voix très différentes : Olivier Bastide, Tom Buron , Luigi Carotenuto, Sébastien Cochelin, Sandrine Davin, Brigitte Giraud, Alain Henri, Jacques Cauda, Jacques Sicard, Muriel Modély, Myriam OH, Pierre Rosin, Fabrice Schurmans, Jérémy Semet, Perle Vallens, Corrine Le Lepvier pour les images et les collages...

Habituellement publiée en format numérique sur Calameo, nous avions oublié l'allure incroyable de cette revue lorsqu'elle s'habille de papier, ici en noir et blanc,  format A5, imprimée sur de l'ivoire 90g. Ce dernier  numéro montre ce dont Jean-Claude Goiri est capable, lorsqu'il s'agit de créer des livres. Car les livres, chaque livre, tous les livres, toutes les publications qui portent le sceau Tarmac, sont beaux. Mais il ne s'agit pas de beauté consensuelle, mais d'une singularité remarquable.   Ils font sens, allient l'image aux pluralités sémantiques jamais figées de toutes les acceptions possibles des textes publiés. Ici, donc, comme ailleurs, cette dernière éditions de la revue FPM, Machinations, est belle de tout ceci.

"Beaux" également les nombreux textes qu'elle propose, parce que chacun, poème, prose, ou tout ceci en même temps, se distingue des autres, s'y rallie par cette seule qualité : former épaisseur, soustraire toute littéralité du substrat de la langue, et comme de petites entités uniques et ouvertes aux autres, constituer cette globalité rarement façonnée d'un fascicule où rien ne manque, et d'où rien ne pourrait être soustrait. Sans autre paratexte que la table des matières, et la page de titre de la revue, toute latitude leur est offerte pour déplier leurs univers, ponctués par les collages de Corinne Le Lepvrier.

Machinations, FPM Hors série Papier, novembre 2022, 112 pp., 12 euros.

Dispositif qui nous permet sans heurts de passer d'un imaginaire à l'autre, d'un parole à l'image, et de laisser grandir notre étonnement, voire émerveillement, face à certaines voix proposées !

Zelda Bourquin, La Nonne :

Alors chaque dimanche, moi, je fête le jour de la 
Seigneure

Au nom de la mère
De la fille
Et de la Sainte Esprit

Sous mon voile
Mes cheveux brûlent de dire
La prison verbale
Des vœux de silence
Pas seulement dans le couvent
Mais partout à l'extérieur, pour les femmes, le couvent est généralisé, partout
Et le voile, on le porte toutes
Voile poudré de chez Guerlain, pour une peau de bébé,
Voile anticellulite de chez Garnier pour une peau lisse à l'endroit des cuisses
Voile de mariée pour enfanter à coup sûr
Et dire je l'ai réussite cette vie finalement

Sébastion Cochelin, HARD NEWS 2020, L'interview (en direct !) (en duplex !) (en exclu !)

HARD NEWS...

 

[ le ministre de la cohésion du territoire et des remontées structurelles dénonce une tentative insidieuse de faire de lui un bouquet missaire ] ça ne nous gêne pas du tout non en fait le gouvernement se met juste à la page c'est le sens de l'histoire il n'y a pas de ligne rouge de franchie on est en retard c'est l'heure de la météo dans quelques instants nous reviendrons sur cette GROGNE des fonctionnaires maintenant c'est la météo avec les pompes à chaleur Loborées

JINGLE 1 / BILBOARD IN 1 / JINGLE 1 OUT / BILBOARD OUT DU IN 1 JINGLE OUT / METEO 1 AM 2 FAI 

Brigitte Giraud :

On ne sait pas dire le soleil tombé n'importe où.
Le soie a failli, petite fille !
                       Que faire de nos mots de guingois ? De nos cheveux écorchés
comme des chevaux ?

On voudrait courir.   On ne court pas.
On voudrait crier.      On ne crie pas.
Et qui viendrait,
quand l'esprit dit au corps : "Parle en mon nom. Parle haut."

 

Tom Buron, Lait de panthère (Suds) :

 

Entre l'écume et la griffe,
il s'immole l'estomac d'admettre
à cette meute de grands migrants du sablier
n'avoir pu prendre la vie de la monture agonisante
Que c'est une drôle de varappe jusqu'à l'arachnoïde 
Que chaque croix dans la nuit est universelle
et que le vautour aussi
aime le lait de panthère.

Amel Zmerli :

L'ennui, c'est un art. L'ennui n'est pas un acte. L'ennui, c'est mon beau frère avec son hamburger, plus facile à manipuler qu'une console de jeu. Ma patiente innocente aime le lait de riz et le lait de soja. Les parapluies sont de retour pour que tout ça reste au sec. Les cailloux ne sont plus ce qu'ils étaient.

Rien d'autre que le texte pour témoigner du texte, que les extraits pour rendre compte de l'ensemble.

Grande revue à laquelle il faut rendre hommage, grand Monsieur auquel il faut témoigner de notre gratitude pour ouvrir des chemins vifs et neufs à la Littérature. Machinations, FPM Hors série !




Revue Dissonances n°42, mai 2022

Si on ne connaissait pas les subtilités ou les choix radicaux de Dissonance, on s’étonnerait du présent numéro au style plutôt funéraire : fond noir et lettres dorées à l’appui. Une contre-illustration dans la lignée dissonante ?

Quoiqu’il en soit, les « sans-dents » et les «  fafs » sont aujourd’hui désormais  invités à boire le champagne pour l’anniversaire des vingt ans de cette revue, invités  à remplir la coupe sans préciser la marque du vin proposé cette vague de l’humour noir ? Sabrons donc sans sabre ! Après avoir également sabré le champagne et multiplié les extravagants alléluia, les auteurs de ce numéro 42 ont su abandonner leurs délires à l’écriture. La muse éthylique propose une belle cuvée ! Un bonheur à déguster avant l’ivresse. Les lecteurs éméchés participent au banquet. Pourquoi pas moi en lisant ?

Ainsi les chiens et les écrivains éthylisés (néologisme) « lapent » déjà  le champagne renversé sur le tapis - Etienne Michelet et Côme Fredaigue, découvrent la « neuro mâchoire inférieure vidée ou presque des dents du fond (..) des yeux noirs démentent aussitôt, regard abimé, vertige dans lequel, elle pourrait nous entraîner » (Côme Fredaigue). Les élucubrations plaisantes et débordantes d’excès sont agrémentées par les élégantes illustrations pointillistes d’Anne Mathurin, confortant le thème alcoolisé de la rédaction, le symbole du champagne : « la frontière s’estompe entre sa tradition, son image raffinée, son gout subtil et la vulgarité de l’excès, à la nôtre ! ». Brigitte Fontaine, elle,  décrit le « décorum voilé de noir et d’or (évocation de l’énigmatique couverture peut-être sans certitude qui s’appelle l’aurore) ».

Dissonances #42, Champagne, mai 2022, 56 pages, 7 euros.

Où sont les « profondeurs pétillantes où plus rien n’existe ? Hors de ces « profondeurs pétillantes » hormis, « le fameux péril jaune » selon Rigodon de Céline…

Traversant le rideau de mégots et de cendre, un auteur se souvient (Arthur Le Reste- Juliard) du discours tenu en 1974 par le poète Odysséas Elytis. Ce poète, coutumier du poète Brautigan, connu pour ses excès de bar, révèle à la fois son amour du champagne tout en lui opposant son animosité envers les buveurs, les invités réunis pour le Nobel, des « pompeux snobinards » ! ... Il est vrai que malgré les choix de cette médiocre année 1974 - Johnson et Martison - auront autant de place dans l’histoire de la littérature « que deux glaçons creux vers les courants chauds avec leur petite ombrelle en papier plantée dans le cul » !!! Et nous, lecteurs et lectrices, versons-nous vite une coupe de champagne pour la route ! Mea culpa au champagne !

Dissonances lance déjà le prochain thème du numéro 43 « trans ». Je transpire déjà, transpercée par l’urgence de rendre la copie trans avant la date-butoir du 24 juillet…  Il me faudra ingurgiter au minimum un jeroboam avant ; à moins que le moine bénédictin transsexuel… Dom Pérignon n’ épouse enfin la transgenre, une Veuve Clicquot  !!! Mumm !




Revue Malpelo n°4

Malpelo, c’est tout un symbole. Si L’undicesima copia (le onzième exemplaire) – nom de la maison d’édition – se réfère à Kafka1, le nom de la revue, quant à lui, est un clin d’œil à la nouvelle de Giovanni Verga2, histoire d’un enfant maltraité à cause de la couleur de ses cheveux, sorte de lointain cousin de notre Poil de carotte.

Mais pourquoi avoir choisi ce nom : Malpelo ? L’enseignant, documentaliste et critique de cinéma Demetrio Salvi, son fondateur, s’en explique dans le numéro un de la revue. Malpelo, donc, parce que le vérisme de Verga, c’est aussi « l’attention à l’autre, participation, regard politique, engagement culturel, civil et social. Une instinctive révolte contre ce qui ne nous plaît pas, le plaisir de mettre à mal les incontournables implications logiques, l’envie de se divertir et de bousculer, si nécessaire, ce qui s’oppose à notre plaisir : ce sont les éléments déclencheurs qui nous ont convaincus de baptiser de cette manière irrévérencieuse une revue que nous voulons vivante, vitale, vive, à contre-courant quand cela a du sens d'être à contre-courant, curieuse et prête à rechercher le plaisir où qu'il soit ».

Ainsi est née Malpelo, jeune revue littéraire bimensuelle, à Naples, en septembre 2021. Elle est ouverte à la prose mais aussi à la poésie, secteur confié à Bernardo Rossi. Thématique, la revue se présente sous forme d'un agréable livre de plus de deux cents pages, illustré par un(e) artiste qui diffère à chaque numéro. On peut y lire une trentaine de textes d'auteurs connus ou moins connus, souvent napolitains et romains mais du fait de son audience nationale elle accueille volontiers les auteurs de toutes les régions d'Italie. Et pas seulement. En effet, Malpelo est aussi ouverte à l’international (les textes reçus doivent toutefois être écrits ou traduits en langue italienne).

Revue Malpelo n°4, mars 2022, Éditions L’Undicesima copia, 200 pages, 10 euros.

Ce numéro 4 intitulé Fiabe, racconti e storie (fables, contes et histoires) offre à la lecture, entre autres, des textes d’Elio Pecora, Antonio Spagnuolo, Enrico Fagnano, Wanda Marasco, Francesco Papallo, Ciro Tremolaterra, Demetrio Salvi, Bernardo Rossi et me fait une nouvelle fois l’honneur de publier plusieurs de mes poèmes. Les illustrations, en noir et blanc, sont de Rosa D’Avino, plasticienne qui aime conjuguer tradition et formes contemporaines, réalité fascinante du passé et possibles évolutions du présent et surtout raconter la vie à travers ses créations quel qu’en soit le genre, quelle qu’en soit la matière.

Malpelo ? Une revue de création de qualité, interactive, respectueuse des auteurs aussi bien que des lecteurs… un « espace qui fait place, aussi, à ceux qui sont en dehors d’une dynamique commerciale de l’écriture »3.

Notes 

  1.  « André a vendu onze livres. J’en ai acheté dix. Je voudrais vraiment savoir qui a le onzième » Franz Kafka. Phrase inscrite en bas de chaque sommaire de Malpelo.

     2. Rosso Malpelo, paru pour la première fois en 1878.

     3. Demetrio Salvi, Malpelo  n.1 page 10




Vous prendrez bien un poème ?, la feuille poétique de Françoise Vignet

La Lettre créée et gérée par Francoise Vignet « Vous prendrez bien un poème », circule gratuitement à un rythme hebdomadaire auprès d’un réseau d’abonnés qui ne cesse de s’élargir1.

Françoise Vignet nous a raconté l’histoire singulière de cette Lettre. Nous sommes en janvier 2011 : elle commence à partager les poèmes qu’elle aime et à  les offrir à ceux qu’elle appelle "les miens", ses amis proches, amis familiaux, amis de voyages, amis voisins, et autres. Des personnes dont les modes de vie sont fort diversifiés.

Elle trouve alors dans ce projet une manière « d'étoffer son retour en poésie » et  « d'inscrire le poème au fil des jours », mais  aussi de briser l'isolement de la grande campagne où elle vient alors tout juste de s’installer.

Page du livre d'artiste du "Journal de mon talus" de Françoise Vignet avec une aquarelle © Claudine Goux.

Dans ce contexte, « le plus simple, le plus accessible, le moins onéreux était bien de procéder par courriel ». Mais lorsqu’une lectrice lui fait savoir qu’elle ne peut recevoir le format du fichier de la Lettre, elle opte pour un envoi en pleine page. Le poème est véritablement envoyé et pris en plein visage. Le « poème au visage », comme elle l’appelle, est « infiniment plus judicieux qu'un poème en dossier joint, que l'on ouvrirait "tranquillement", c'est-à-dire que l'on oublierait sans doute ». Et si le poème choisi ne dépasse pas une page, en principe, son auteur est diffusé pendant deux semaines, ce qui permet de découvrir sa poésie. « Mon désir, dit-elle, est bien d'adresser le poème à beaucoup, à qui veut bien l'écouter ou même le survoler ». La diversité du lectorat étant pour elle une donnée infiniment précieuse pour la vitalité de cette feuille poétique, « vitalité discrète, d'ailleurs » précise- t-elle.

Il fallait bien sûr donner un titre à cette Lettre : « Je ne voulais surtout pas d'esprit de sérieux, plutôt une invite familière, quasi-ordinaire, légère... voire plaisante ». Au départ, elle propose Vous prendrez bien un petit poème ? « pour ne pas trop effaroucher le lecteur », dit-elle, jusqu’à ce que l’un d’entre eux  lui fasse remarquer que  l’adjectif "petit", non seulement « minimise  « le geste » du partage poétique mais plus encore  ne s’adapte pas à la publication  de "grands" poètes.

La Lettre est lancée. Elle diffuse des poèmes édités à compte d’éditeur ou en revue : « tous les poèmes arrivent assortis de leur référence précises, ce à quoi je tiens beaucup. Tous viennent d'ouvrages et de revues tangibles en leurs feuillets. Je refuse les inédits... cela deviendrait tout autre chose, un tout autre travail. Sauf lorsqu’un poète et lecteur reconnu me l'adresse ». Françoise Vignet est claire sur ce point, il  s’agit pour elle « d’une exigence de qualité ».

Les poèmes choisis sont des « coups de cœur » : « cette feuille doit demeurer un espace de liberté, à l'abri des injonctions » précise-t-elle. « C’est le poème qui me choisit. Quitte à laisser en attente tel ou tel auteur pour lequel je serai disponible plus tard ». 

Dès les premiers envois, des lecteurs réagissent, ce qui justifie alors la création d’un Courrier des lecteurs qui fonctionne depuis maintenant 11 ans. Ils encouragent le projet, le soutiennent. Ainsi, en août 2011, le poète et éditeur Gaston Puel manifeste son intérêt avec enthousiasme : «  les poèmes assez courts conviennent à ces voyages que vous dirigez. Et de savoir que ces petits écrits rebondissent et repartent vers une autre destination, me paraît la meilleure amitié envers le texte. Peut-être est-ce (dans le triste terrain actuel) la plus vivante des « revues » que vous avez créée ! Le « Web » est, de plus, un excellent facteur »

Le point de vue des lecteurs est essentiel. Ils donnent  leur point de vue, partagent des émotions, mais aussi transmettent des informations sur des recueils qu’ils ont particulièrement aimés, ou encore sur des actualités poétiques, ou artistiques. Une lectrice écrivait que le « poème de chaque semaine était devenu un moment très important dans son existence (son père s'acheminait vers la mort) ». Voilà qui parle » remarque Françoise Vignet « de la force que transmet le  poème, de la qualité du silence intérieur qu'il crée, de l'espace respirable qu'il propose ».

Notons  encore ce lecteur qui, en mars 2012, cite Philippe Jaccottet qui évoque « des espèces de voyageurs » (..) dont les « pas (sur les chemins du dehors ou du dedans) dessinent, indépendamment de toute appartenance à un groupe, et de tout programme, gratuitement, un réseau qu'on voudrait aussi invisible et aussi fertile que celui des racines dans la terre. (...)  On n'en tire aucune vanité, on en parle à peine, on n'enrôle ni n'excommunie personne, on ne se croit pas autorisé à faire à personne la leçon : mais la conscience, ou le rêve de ce réseau est notre moins fragile appui. »

Très vite, les éditions Multiples, L'Arrière-Pays, la revue Friches ou encore Les Cahiers de la rue Ventura  s’intéressent  à l’initiative et  proposent régulièrement un staff de poètes , de revuistes et d’éditeurs, qui seront eux-mêmes diffusés au fil du temps, « ce qui sensiblement va modifier le lectorat et la portée de cette Lettre ».

Suivra alors une anthologie en ligne, dont les accès sont privatifs et gratuits, de façon à ce que chacun puisse lire les poèmes antérieurement diffusées.

Et ainsi le cercle s’élargit, les poèmes circulent, la poésie « touche », appelle, traverse l’Hexagone, en dépasse les frontières (UK, USA)

Aujourd’hui la Lettre compte 142 abonnés-lecteurs, pour certains poètes.

Le carton d'anniversaire rassemble les noms des poètes diffusés ces onze dernières années. Un beau panorama qui privilégie la poésie contemporaine : Mais « les "voix" sont variées », dit-elle, « même si j’ai tendance à exclure la poésie expérimentale ».

L’essentiel n’est-il pas que le poème vibre pour le lecteur, comme une présence intense, attendue, ouverte  à ce qui le déborde et l’excède. C’est peut-être même sa seule justification,

Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or 
de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous 
qui tient éveillés le courage et le silence.

René Char Feuillet d'Hypnos2

Notes

  1. Demande d’inscription à adresser à : vignetfrancoise@gmail.com
  2. inRené Char, Oeuvres complètes, Introduction de Jean Roudaut. Editions La Pléiade, 1983, p.176.

Image de une : page du livre d'artiste du "Journal de mon talus" de Françoise Vignet avec une aquarelle © Claudine Goux.




Décharge 185

Ce qui frappe en premier, de ce numéro de printemps 2020, est ce visage, en couverture, tout en matière et en couleurs de l’artiste syrien Kazem Khalil qui propose, pour la revue, dix portraits d’une force prodigieuse et un nu dont Jeanne Delestré tire un merveilleux texte p.78-81 (Audace expressionniste. Gestes nerveux et spontanés, les nuances d’acrylique sont étalées avec la mobilité permise par la technique du couteau.).

Décharge 185 s’ouvre sur la chronique de Georges Cathalo « Phares dans la nuit » consacrée aux éditions La Boucherie littéraire – le visage peint par Kazem sur la page en miroir, charnel et sanguin, en est un beau reflet. Suit un ensemble dédié à Lambert Schlechter, une note de Jacmo et 13 proseries inédites. Des poèmes de Jacques Ancet qui créent un écho étrange (prophétique ?) du confinement que nous avons vécu de mars à mai 2020 « Entrer Sortir » (Dehors ressemble à une gueule ouverte)  ; textes de Peter Wortsman et un entretien avec ce poète et traducteur New Yorkais ; puis, des poèmes de Michel Bourçon (Écrire / c’est consentir à la neige / pour parvenir au feu), Jacques Robinet, Bruno Berchoud, Christian Bulting, Sanda Voïca (je continue : / retourner la terre dans le jardin / et écrire), François de Cornière (D’autres poèmes continueront / de s’accrocher à mes jours / à mes nuits), Marilyse Leroux. « Les chroniques du Furet » avec Chloé Landriot qui nous parle des cabanes à partir de sa lecture de Nos cabanes de Murielle Macé, « la poésie comme moyen de construire des cabanes – de trouver des façons de vivre dans un monde abîmé ».

Un dossier intéressant dans la rubrique « Les Ruminations » de Claude Vercey sur « Un nouveau paysage éditorial » où six éditeurs expliquent pourquoi ils ont fait le choix « déraisonnable » de publier de la poésie.  Des notes de lectures de Jacmo qui invitent à découvrir et à lire de nombreux recueils. Articles, recensions, le Choix varié de Décharge font de cette belle revue, riche et vivante, un rendez-vous incontournable pour les amoureux de la poésie !




La revue AYNA

À l’heure actuelle, il n’existe pas sur le web français de site spécialisé qui fasse connaître la poésie turque contemporaine. Le public français a de plus en plus d’intérêt pour les romans turcs, l’augmentation du nombres de romans traduits en français le montre, mais il ne dispose pas de suffisamment d’ouvrages pour avoir un aperçu de la création poétique turque.

Ayna signifie miroir en en  turc. La revue se veut en effet le miroir de la poésie turque en direction du public francophone. Le fait que la revue Ayna soit  en version bilingue franco-turque et qu’elle présente les textes en langue originale lui donne également la vocation d’être un lieu miroir entre les langues et les cultures.

Ayna est une revue qui permet à tous, francophones ou turcophones, d’avoir accès à un panel de poètes contemporains reconnus. Elle a été créée en 2013 par Claire Lajus, traductrice et poète.

Cette revue numérique est gratuite et met en ligne des poèmes originaux, leurs traductions, leurs enregistrements sonores et des entretiens avec les poètes. Elle met également à disposition du public l’actualité des événements poétiques en Turquie et donne des focus sur certains poètes ou ouvrages.

Vingt  poètes sont actuellement présentés dans la revue. Des lectures publiques sont aussi organisées pour apporter la parole des poètes au plus près des gens.

Ayna a pour objectif à moyen terme de présenter une base de données suffisamment importante pour constituer un espace de référence pour toutes les personnes intéressées par la poésie turque.




Point de chute, la Revue !

La revue Point de Chute en est déjà à son cinquième numéro – sixième même si l’on compte le numéro zéro – et comme à chaque fois les poèmes qu’elle porte sont plein de la singularité de leurs auteur×ices. À chaque nouvelle parution, on déambule dans une « cabane » à la résonnance différente, assemblée avec soin par Joep Polderman, Victor Malzac et Stéphane Lambion.

Point de Chute

 ... est née au printemps 2020 d’un désir commun de jeunes poètes d’offrir à celles et ceux qui comme eux tâtonnent, un abri, une cabane dans laquelle reprendre son souffle, l’espace d’un instant. Tout est question de rythme, de cadence, de ponctucadence : il ne s’agit pas de s’attarder mais de s’y ressourcer pour mieux repartir – et revenir. Cette cabane, nous la reconstruirons ensemble chaque automne et chaque printemps. 

Sans paratexte, autre que les biographies des poetes×ses et une citation en guise d’édito, les mots sont donnés à lire dans la pureté de leurs échos. Les textes s’enchaînent en un déroulé fluide, « Peu de notes, des percussions surtout – à peine le bruit des mots qui chutent. » 

Revue Point de chute, sommaire n°5, 70 pages, 7 €.

Résolument contemporaines, les voix de ce numéro placé sous l’égide d’Annie Ernaux cisèlent leurs textes. Les mots sont simples, les langues percutantes « C’est un truc tu sais de l’ordre de ce qui tient » écrit Margaux Lallemant au début de son poème. Les styles sont nets, affirmés, différents. Plusieurs des poetes×ses abrité×es ont une pratique de la lecture et de la performance de poésie. Lors du lancement organisé à la librairie EXC, leurs voix ont occupé l’espace ; celle de Camille Ruiz, habitant au Brésil, s’est même donnée en poème sonore brûlant et aérien diffusé parmi les lectures, tout aussi incarnée qu’elles. On croise aussi dans cette cabane Héloïse Brézillon qui officie notamment à Mange tes mots dont elle est la co-fondatrice et où ses vers à l’intensité métallique tiennent chaque fois la salle en haleine, ou encore Norah Benarrosh Orsoni adepte des performances radiophoniques, souvent collectives.

Point de chute propose aussi à chaque nouvelle parution de faire traverser des poèmes qui n’existaient pas en français. On découvre les vers mystiques et sensuels de Viola Lo Moro, poétesse italienne traduite par Sara Balbi di Bernardo et la poésie spiralaire, parfois trash de Toby Sharpe traduite de l’anglais par Samuel Ferrer.

Héloïse Brézillon – « Les lieux qui m’ont sculptée ont perdu leur tranchant »

sur la table chêne
les mandibules des guêpes
déchiquètent mon enfance
en petits bouts
mordus
il y a
dans le son de la cloche d’alpage
le bourdon des voix de mes années 90
à table rentre il va neiger tu vas
attraper froid il faut la vinaigrette
pour les endives

 Camille Ruiz – « Terre rouge »

c’est dans un second temps
que vient l’odeur une vague
de mort endormie
dans une boîte en carton
cachée sous la bruyère

le duvet est blanc-neige-des-cimes
le sang rouge-cardinal autour
de la plaie se décompose
un tout petit animal
un chiot peut-être
sa tête est recouverte
par une serviette éponge
je dis mon chien ne regarde pas et il regarde
impossible de pleurer car les fourmis ont soif

« Corps célestes » – Toby Sharpe traduit par Samuel Ferrer

la prochaine éclipse solaire visible depuis Londres aura lieu le 29
mars 2025,
et dans huit minutes l’alarme de mon coloc se déclenchera,
et je l’entendrai cuire des oeufs sous une hotte rouillée.
en 1997, ma mère me donne le bain dans la salle de bain ambre,
des bulles de savons se mélangeant aux bénédictions dont je ne
connais que le son,
pendant qu’au travers des siècles
mes ancêtres s’enveloppent d’espérances,
des bergers offrant leurs troupeaux à l’horreur

La traversée, comme à chaque fois, anime et rassure, on en ressort empreint de fraicheur et du désir de continuer à construire.




Dans la lignée de Wisława Szymborska ? Une nouvelle voix de la poésie polonaise

Jeune poétesse polonaise, Krystyna Dąbrowska (née en 1979) a déjà publié cinq volumes de poésie et reçu trois prix prestigieux, le Prix Kościelski et le premier Prix Szymborska en 2013, puis le Prix littéraire de la ville de Varsovie en 2019. Photographe, diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, elle traduit de l’anglais vers le polonais, notamment la poésie de Louise Glück et de Nuala ni Dhomhnaill. Depuis son début poétique en 2006, elle a été publiée dans de nombreuses revues et traduite en vingt langues. Cette année a vu la parution de son cinquième volume en polonais, Miasto z indu [La ville en indium], et son premier volume en anglais, Tideline [Bord de mer] qui contient des poèmes de ses quatre premiers volumes: Biuro podróży [L’Agence de voyage]; Białe krzesła [Les Chaises blanches]; Czas i przesłona [Temps et ouverture]; et Ścieżki dźwiękowe [Les Bandes sonores].

Plutôt que de suivre une école ou un style, Krystyna Dąbrowska aborde la poésie d’une façon tout à fait naturelle. Une image s’impose à elle, puis le poème apparaît de lui-même, au cours d’une promenade, en nageant. Nouveau-né, il a sa personnalité, sa forme et son rythme surprennent la poétesse. Né de l’observation des objets et des êtres qui nous entourent, il transforme les détails du quotidien, s’éloignant de la poésie concrète ou intime. Cette longue gestation entre distanciation et cordon ombilical sous-tend toute la démarche poétique de Krystyna Dąbrowska. Partant d’une expérience ponctuelle, le discours poétique s’applique à des questions existentielles telles la solitude, l’identité, et la survivance, s’étoffe de souvenirs vécus (personnellement ou indirectement à travers les lectures, les récits familiaux, et en général, l’acquis culturel) et devient une grande fresque collective, temporelle, et spatiale.

photo © Krzysztof Dubiel.

En tissant ce réseau physique, émotionnel, et métaphysique, Krystyna Dąbrowska fixe l’instantané en permanence poétique. Mais elle ne s’arrête pas là : l’on retrouve dans sa vision l’étonnemment émerveillé et malicieux d’un Erik Satie, et cette façon discrète dont Wisława Szymborska met le monde à l’envers. Ainsi nous apprenons à repenser les choses et les êtres par une poésie qui nous transforme en profondeur, et ajuste notre perspective presque à notre insu.

Ce contrepoint entre soi et l’autre pose la question de la relation à l’Autre. Le cordon ombilical invisible qui nous relie au monde extérieur, tel celui qui empêche un chien libre de toute entrave de s’éloigner du bord de la mer, exerce sur nous une attirance inévitable et mystérieuse. Fétus de paille, nous voyageons entre notre solitude et celle de l’Autre, entre le froid et le chaud, entre la lune et le soleil, voyage qui parfois nous accorde un parfait équilibre d’équinoxe.

Ni hermétiques ni anecdotiques, les poèmes de Krystyna Dąbrowska sont structurés comme des scènes de film ; ils nous imprègnent tout à la fois de l’image et du message. Qu’il s’agisse de vendre aux morts des billets de voyage vers les rêves des personnes aimées, de répondre aux « questions d’insécurité » des sites internet, ou d’appréhender la ville du Caire à travers sa population de chèvres, la poétesse recherche la simplicité qui caractérise les œuvres des grands artistes. Ses « scripts » conduisent à une multitude de corridors souterrains, palimpsestes et rhizomes.

Krystyna Dąbrowska, 'Spowiedź'.

À part « Bandes sonores » traduit par Isabelle Macor dans Po&sie (No. 170, 2019), cette présentation et les cinq traductions qui suivent sont les premières à présenter au public francophone l’œuvre de Krystyna Dąbrowska, que nous remercions ici pour sa gracieuse permission et collaboration.

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Textes traduits par Alice Catherine Carls

Les chaises blanches

 

Le quotidien en poésie se doit d’être comme ces chaises
en plastique blanc devant le mur des Lamentations.
C’est sur elles, non dans de somptueux fauteuils,
que prient les vieux rabbins
en touchant du front les pierres du mur.
D’ordinaires chaises en plastique  --
femmes et hommes s’y hissent pour
se voir au-dessus de la clôture qui les sépare.
Et la mère du jeune qui célèbre sa bar-mitzvah
monte sur une chaise et arrose de bonbons
son fils qui quitte l’enfance.
Le quotidien en poésie se doit d’être comme ces chaises
qui disparaissent pour faire place
au cercle de la danse le soir du Shabbat.

 

∗∗

Frère et soeur

 

Une vieille femme danse le flamenco.
Ses mouvements recèlent une ancienne légèreté.
Grande, maigre comme un héron bossu,
elle a une jupe à volants et des joues creuses.
La vieille femme exécute la danse d’une jeune fille
qui a été tuée pendant la guerre. Son numéro fini,
elle se démaquille, enlève sa perruque
et sa robe, enfile un pantalon, une veste
et devient celui qu’elle est hors scène:
un homme, le frère de la morte.
Le vieil homme rentre chez lui.
Des bribes du passé il s’est fait un cocon,
photos, affiches, coupures de journaux.
Tout autour, les robes qu’il coud:
oiseaux multicolores, exotiques.
Et le portrait de sa soeur – il y dépose des fleurs.
Célèbre couple de danseurs, adolescents
ils sillonnaient l’Europe avant la guerre.
Puis ce fut le ghetto, la fuite, la séparation.
Il s’était juré de survivre uniquement
pour l’incarner par la danse.
Le vieux danseur se fait du thé. Silence.
C’est l’heure où s’éteignent les lumières.
Il ira dormir dans un moment, mais tel qu’il est,
ni costume ni fard, il tape du pied devant la cuisine
au rythme du bruit sec des castagnettes.

 

∗∗

 

D’où regarder pour te voir?
De près ou de loin? Et depuis quelle époque?
Quand je recule en essayant de te saisir
de la tête aux pieds comme un tableau sur son chevalet,
je sens que c’est toi qui me toise,
me change, ajoute ou enlève la couleur.
Tantôt je te regarde dans les yeux, tantôt je regarde par tes yeux,
quand tu dors ou que je rêve à toi
je cherche de nouveau un détail – objet, geste, mot,
en attendant son éclosion-explosion qui sera toi.
Tant de points de vue, et moi au point mort,
entortillée dans le fil par lequel je voulais les lier.
Et je ne sais pas si tu es le fil                                
ou l’éclair du ciseau qui le coupe.

 

∗∗

Sculpture pour aveugles

 

Au musée d’art où règne le regard,
se trouvent des statues pour aveugles.
Les mêmes dont les visiteurs
ne peuvent s’approcher de trop près:
qu’un pied dépasse la ligne rouge,
qu’un nez s’avance vers le vide
du nez antique – et c’est l’alarme.               
Tu n’as que le droit de regarder jusqu’à devenir
les globes oculaires de pierre sur antennes
que l’on sort de la tête grecque marmoréenne
et que les aveugles regardent avec leurs doigts.
Ils touchent des cicatrices
sur le ventre de la jeune cycladienne,
un combat de dragons sur l’envers
d’un miroir coréen.
Ils reconstruisent ce qui est apparu mille ans
avant notre ère en disant: cruche, gobelet,
et en versant le vin.
Sorties des vitrines, enfilées sur des cordons,
des billes font tinter dans leurs mains
profits, pertes et transactions louches.
Un heurtoir leur prête son poids
et se souvient de la porte.

Essaie donc de l’ouvrir les yeux bandés –

 

∗∗

Hier j’ai vu un chien au bord de la mer

Hier j’ai vu un chien au bord de la mer,
un jeune chien noir que son élan entraînait dans l’eau
qu’il mordait et labourait puis dont il sortait furieusement
pour trotter au bord de l’eau, s’arrêter, avancer, toucher du nez
l’ourlet d’une vague, en humer prudemment le creux,
avançant une patte, jouant avec la mer et l’agaçant
comme s’il voulait provoquer un mastodonte.
Mets-lui sa laisse.
Pas nécessaire, la mer lui sert de laisse.
Hier j’ai vu un chien au bord de la mer:
il essayait de mordre la ligne argentée de l’eau,
revenait vers les dunes-décharges, galopait sur le parking.
Il avait à peine rattrappé un gobelet en papier sur la jetée
et déniché quelque chose de noir dans le sable –
que la mer l’attirait avec une secousse,
et le chien revenait en un clin d’oeil vers les vagues,
secouant les gouttes métalliques de son collier.

Présentation de l’auteur




Deux visages féminins, deux poètes celtes

Deux femmes nées au début du XXème siècle et décédées à un an d’intervalle, elles portent le même prénom à la signification symbolique : « le messager », toutes deux héritières de Orphée, le messager, le médiateur et voyant privilégié. Chacune a vu la nature à la façon baudelairienne « comme une forêt de symboles », poètes enracinées en Bretagne rurale, riche de pierres celtiques, de forêts, de contes, de mythes et de chansons populaires, elles surent célébrer et révéler le monde tel qu’elles le voyaient.

Anjela Duval ne quitta jamais sa ferme de Traon An Dour sur la commune de Vieux-Marché dans le pays du Trégor. Angèle Vannier née en bord de mer à Saint-Servan près de Saint-Malo, ira jeune femme et jeune épouse vivre un temps à Paris, mais elle choisira de retourner seule vivre dans la demeure familiale Le Chatelet à Bazouges-la-Pérouse en Ille-et-Vilaine.

Le bonheur d’être dans la nature et de vivre dans une société rurale traditionnelle

« La terre est comme mon deuxième corps », « Celui qui n’a pas de terre, n’a pas de racines » (Anjela Duval), elle restera attachée à ses quelques arpents de terre hérités de ses parents, toute sa vie, elle les cultivera : « Je n’aimais que les campagnes, les campagnes si belles de ma Basse-Bretagne », « Mes vers je les écris avec le soc de ma charrue / Sur le chair vive de mon Pays de Bretagne sillon après sillon ». Elle écrit la nuit tombée et puise ses mots dans cette terre qu’elle cultive. Elle est émerveillée par cette nature avec laquelle elle est en communion : « Faut pas lésiner sur sa peine à propos de la terre, parce que la terre, elle rend à mesure qu’on lui donne. » 

La terre bretonne est aussi essentielle à Angèle Vannier qui chante les éléments, la voix des arbres, l’esprit des pierres, l’âme des animaux. Elle aussi sait qu’il faut puiser dans ses racines pour nourrir sa poésie riche de légendes et de mythes bretons.

« Emportez-moi dans la charrette pauvre et nue / Avec le grand vieillard et la femme et l’enfant / Emmenez-moi crever l’oraison des étangs / Des étangs noirs pétris de charme et de cigües. »1

Deux âmes celtes

« Je suis profondément celte » Angèle Vannier2

Revenue en Bretagne lorsque la cécité la frappe, elle va s’inscrire dans la tradition des bardes dont on dit que beaucoup étaient aveugles ; comme eux, accompagnée du harpeur Myrdhin (Merlin en français)3 elle ira de ville en ville, en France et à l’étranger dire et chanter ses poèmes, elle en français, lui en breton.

Pour Anjela Duval la langue bretonne est aussi une terre dont elle se sent exilée, l’interdiction de parler breton à l’école fut une blessure. La forme en breton de son prénom qu’elle adopte en 1966, affirme son choix identitaire. Dès les années 60, elle écrit en breton sur des cahiers d’écolier4, dans un style entre le breton littéraire et le breton populaire : « Le breton coulait de sa plume avec une énergie et des expressions savoureuses en jaillissaient sans cesse. » (Ronan Le Coadic)

L’écriture essentielle

Deux œuvres nées de la fragilité, l’écriture est alors essentielle pour continuer à vivre : « Pour ce qui est de moi, ma vie est un miracle de tous les jours, je me tiens debout que par habitude. » (Anjela Duval). Très jeune, elle est atteinte d’une maladie des os qui la fera souffrir toute sa vie. Elle qui a sacrifié sa vie affective et choisi de rester à la ferme pour s’occuper de ses parents, connaît une profonde dépression à leur disparition. L’écriture la sauve, avec des accents proches de Marie Noël, elle affirme : « Je veux devenir une petite poétesse, tel est le désir de mon cœur ici-bas. » et conseille : « Achète-toi plutôt un crayon, vois-tu / (tu en auras trois pour dix-huit sous) / Tu trouveras du papier en quantité/ Où tu voudras. Autant que tu voudras / Et assieds-toi pour écrire ». Elle vit en ermite, l’écriture est pour elle un don qu’elle fait aux autres. Quand la célébrité viendra, comme un apostolat, elle prendra le temps de répondre à chaque courrier qui lui est adressé. Elle écrira à des poètes comme Gérard Le Gouic, ils échangeront des lettres et cartes postales de 1973 à 1980.5

La maladie est aussi une des fragilités de Angèle Vannier, opérée sans succès d’un glaucome à 22 ans alors qu’elle est en 3ème année de pharmacie, elle devient aveugle, retourne à Bazouges-la-Pérouse et se réfugie dans la poésie : « Il me semble que ma vie et ma poésie ne font qu’un ». La cécité est une épreuve, mais aussi une force, car elle est pour elle un éveil permanent : « La cécité, bien vécue, serait peut-être cet état perpétuel de transposition et tout est presque vécu au niveau poétique ».

La fragilité est pour ces femmes un chemin vers le dépouillement qui permet d’atteindre l’essentiel et la poésie traduit cet essentiel.

L’éloge de la simplicité et de la lenteur

Leur poésie emprunte aussi le chemin de la simplicité et de la lenteur. « J’ai vécu comme au XIXème siècle (…) Je n’ai jamais eu l’électricité dans cette maison. Quand j’ai perdu la vue l’électricité n’était pas encore installée. » (Angèle Vannier)

Angèle habite une belle demeure, mais il n’y a rien de superflu. Une simplicité encore plus grande règne dans la ferme de Anjela Duval qui vit une situation proche de la grande pauvreté.

Si Angèle Vannier n’a rien perdu de sa féminité, Anjela elle ne connaît aucune coquetterie : « Elle apparaissait austère, sévère, avec un bonnet recouvrant une chevelure à la diable avec jupe et sarrau noirs. Elle allait d’un pas d’homme, sans grâce, en sabots. » (Roger Laouenan)6

Toutes deux vivent en écoutant le rythme des éléments, et peuvent ainsi se mettre à l’écoute de ce qu’elles sont. Anjela paysanne sait attendre et regarder, elle ne se met à écrire qu’à 55 ans, riche de ce temps passé à regarder et à aimer cette terre qu’elle cultive.

La demeure d'Angèle Vannier, Le Chatelet, © Nicole Laurent- Catrice.

Un chemin essentiel pour ensuite se tourner vers les autres. Cette femme qui a arrêté l’école à 12 ans, seule dans sa ferme comprend une grande partie des questions qui se posent aujourd’hui à l’humanité, elle se pose des questions d’ordre environnemental, dans son poème Sahara, elle évoque déjà la déforestation et le changement climatique. Elle construit, pour y répondre, une philosophie de la vie qu’elle exprime dans sa poésie et « elle a su … mettre sa vie en accord avec sa vision poétique et mystique du monde jusqu’à en mourir » (Ronan Le Coadic)

La cécité impose aussi à Angèle Vannier la lenteur, celle du geste. Une cécité favorise l’écoute pour ensuite grâce l’écriture, traduire des sensations physiques intenses. Elles ont su se mettre à l’écoute de ce monde charnel qui les entoure ; pour elles, écrire : c’est retrouver l’incarnation.

Une poésie de l’engagement

La poésie permet à Anjela d’apporter sa contribution à la lutte pour la défense de l’identité bretonne et la reconnaissance de son peuple. Elle s’engage dans la défense d’une Bretagne autonome ; en 1979, elle écrit au procureur de la cour de sûreté de l’Etat, et apporte son soutien aux jeunes autonomistes incarcérés pour l’attentat de Roc’h-Trédudon. Fidèle à elle-même, elle montre un esprit de résistance : « Je ne puis pas beaucoup pour cette génération, mais elle m’est chère, c’est la Bretagne de demain. Mon cœur souffre de leur souffrance. J’ai mal à ma Bretagne, moi la triplement demeurée : demeurée bretonne, demeurée chrétienne, demeurée terrienne. »7

Anjela, Angèle deux femmes qui éveillent les consciences, revendiquent la richesse culturelle bretonne : « Je n’ai pas envie que les celtes aillent envahir tous les pays. Je laisse aux autres le droit de s’exprimer dans leur propre langue et mythologie. Qu’on nous laisse nos couleurs, nos formes, nos rêves, notre relation au monde en considérant que nous pouvons l’enrichir. » (Angèle Vannier)8

Portrait d'Anjela Duval.

Très vite la reconnaissance

Dès son retour à Bazouges-la-Pérouse lorsque la cécité la frappe et avant de rejoindre la capitale pour quelques années encore, elle fait une rencontre essentielle. Théophile Briant qui anime la revue poétique Le goéland est réfugié dans son village, il apprend qu’elle écrit et il vient la trouver : « Il m’a mise au monde, il a accouché de moi en tant que femme et en tant que poète… »9. Elle s’efforcera de mettre en pratique son conseil : « Fouille tes racines, fouille ta nuit, ton âme est celte, découvre-la ». Il préface en 1947 son premier recueil : Les songes de la lumière et de la brume, en 1950 Paul Eluard préface L’Arbre à feu ed Le Goéland. Ses textes sont connus du grand public, elle écrit des chansons qui sont interprétées par Edith Piaf, Catherine Sauvage, Suzy Delair10. Elle rencontre le public et ses spectacles et lectures sont nombreux de 1946 à 1980, en France et à l’étranger11, elle participe à des émissions de radio et de télévision.

Anjela Duval entrée tardivement en écriture en 1960, publie dès 1962 dans des revues bretonnes de références : Ar Bed Kelteik et Barr-heol12. En 1971 André Voisin réalisateur à l’ORTF va à sa rencontre pour son émission les conteurs et met en lumière cette femme de l’ombre. D’autres émissions suivront à la BBC et dans diverses émissions étrangères. Personne ne reste indifférent à cette femme authentique, habitée par l’expression poétique, nourrie de son identité.

Deux poètes majeures

Ces deux poètes celtes sont des figures majeures de la poésie bretonne, elles rayonnent aujourd’hui encore 40 ans après leur disparition. Les publications se multiplient après leur mort, en 1990 paraît chez Rougerie une anthologie de poèmes choisis (1947-1978) de Angèle Vannier, son amie la poète Nicole Laurent-Catrice en 2017 lui consacre un essai : Demeure d’Angèle Vannier ed Sauvages.

En 1998 sur l’initiative de l’universitaire Ronan Le Coadic est créée l’association Mignoned Anjela afin de sauvegarder et de diffuser l’œuvre d’Angela Duval; en 2000 paraît son œuvre complète, la première d’un poète breton : Oberenn glok ed Mignoned, les textes bretons sont traduits en français par le poète Paol Keineg. Des chanteurs contemporains reprennent les textes de Anjela en 2012, le groupe breton Unité Maü dédie à Anjela son Chant de la terre, son poème Karantez vro (l’amour du pays) mis en musique par Véronique Autret est chanté par Nolwenn Leroy dans son album Bretonne. Leurs œuvres s’inscrivent dans la grande tradition de la littérature celte, celle des bardes, une poésie de l’écrit mais aussi de l’oralité qui a su se nourrir des contes et des légendes.

Cette réflexion de Paul Eluard à propos de l’œuvre de Angèle Vannier convient aussi à celle de Anjela Duval : « Je la tiens pour un très grand poète…Angèle Vannier rejoint tout naturellement Max Jacob, c’est-à-dire Morven-le-Gaëlique et Saint-Pol Roux. C’est une bretonne authentique…On la sent en plein accord avec la nature…féérique simplicité qui donne à tout ce qu’elle écrit la couleur des brumes nacrées et claires de sa terre natale »

 Elles furent et restent deux poètes majeures de la littérature celtique et française, bretonnes authentiques, en accord avec la nature, elles font désormais partie de cette culture qu’elles ont l’une et l’autre aimée et défendue.

Notes

1. Emportez-moi, in : Le songe de la lumière et de la brume ed Savel 1947
2. Rythmes visages Paroles d’Angèle Vannier Les Cahiers d’Ere 1995
3. Myrdhin était l’un des 3 harpeurs professionnels de Bretagne, il sillonnait le monde pour transmettre la musique celte. Il a dirigé les rencontres internationales de harpes celtiques à Dinan.
4. 40 cahiers d’écolier seront retrouvés à sa mort.
5. Anjela Duval lettres à Gérard Le Gouic ed Berlobi
6. Anjela Duval Une voix prophétique : Ar Men n° 56 janvier 1994
7. Fin de la lettre au procureur citée par Jean Lavoué in, Voix de Bretagne le chant des pauvres ed L’Enfance des arbres (p.97).
8 et 9 . Rythmes visages Paroles d’Angèle Vannier, les Cahiers d’Ere (1995)
10. Le chevalier de Paris chanson interprétée par Edith Piaf, reprise par Frank Sinatra, Yves Montand, Marlène Dietrich et Bob Dylan.
11. La Vie tout entière spectacle conçu avec Myrdhin sera joué à travers l’Europe.
12. Anjela Duval publie dès les années 60 des articles dans la revue AR Bed Keltiek dirigée par Roparz Hemon et dans Barr-heol dirigée par l’abbé Marcel Klerg.

       

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Trois poèmes de Yin Xiaoyuan

Yin Xiaoyuan, poète militante  au sein du mouvement qu’elle a fondé pour une littérature qui transcende les genres, anime aussi l’EPS  « Encyclopedic Poetry School », créé par elle en 2017. Elle fédère un groupe dynamique de jeunes poètes chinois à l’origine de nombreuses actions internationales,  qui propose de nouveaux paradigmes pour le mélange des genres amplement ouvert aux cultures internationales, transformant  l’écriture par des juxtapositions linguistiques acrobatiques, l’introduction de sujets scientifiques innovants, de références à des sub-cultures variées (rock, rap, jeux vidéos…), des emprunts linguistiques (Yin Xiaoyuan est aussi polyglotte et traductrice) et des thématiques historiques bousculées par des  représentations étonnantes et non linéaires de la réalité, promenant le lecteur d’un lointain passé anté-historique à des spéculations sur un futur de science-fiction. Un ensemble, traduit par Marilyne Bertoncini, a été publié ici sous le titre "Les Mystère d'Elche"

∗∗∗

 

Trois poèmes de Yin Xiaoyuan

 

Traduction Cécile Ouhmani

Centripetal Force

The city, in the distant golden jungle of a magnificent sunset,
Now radiating light, now gliding
Below zero. A coast road against faint streaks of dawn is a symbol of
The elapse of time. Mine diggers in cotton or linen
Passed by, basket on shoulder, 

 Baring their birch-hued teeth. Whirring wheels underneath you
In whiffs of zephyr, were like bulls in
A field of wheat. A pat of butter, and a flask of tea tree oil
Were what you carried in your pocket, to sooth the mocking axis,
When you flipped dust of all things off

From your leather gauntlets. ‘Her jewelry and glances are as old as
Roots of banyan trees. Through a wormhole she communicates with the city
Three hundred years ago…’ Bizarre songs they sang.
You founded yourself still. Fallen leaves rolled up 
When you lowered your ride, and tilted laterally
So it became a fire-breathing butterfly, going to war,
Which you reined back from a cliff,
Hoofs in air.

 

Force centripète

La ville, loin dans la jungle d’or d’un couchant magnifique,
Rayonne de lumière et glisse
En-dessous de zéro. Une route côtière, quelques touches d’aube, symbole du
Du temps qui passe. Des mineurs en coton ou en lin,
leur panier sur l’épaule,

Leurs dents couleur de bouleau. Les roues bruissent
Dans la brise, des buffles dans
Une rizière. Une noix de beurre, et une fiole d’huile d’arbre à thé
Dans ta poche, pour apaiser l’axe de la roue
Quand tu secoues la poussière des choses

Avec tes gants de cuir. « Ses bijoux et ses regards sont vieux comme
Les racines des banyans. Par le trou d’un ver elle communique avec a ville
D’il y a trois cents ans... » Ils chantent des chants étranges.
Tu restes calme. Des feuilles tombent et tournoient.

Tu t’es courbée avant de basculer sur le côté,
Alors un papillon de feu est parti en guerre
Tu l’as retenu au bord de la falaise,
Sabots en l’air.

 

 

 

 

 

 

 

∗∗∗

Quantum Walk

Man with [ginger-hued fingers][standard biological clock][recluse mind][decrepit lungs] Man with [jade-hued fingers][Oversped biological clock][moderate mind][fresh lungs] Man with [jade-hued fingers][disordered biological clock][fractured mind][stout lungs]

HE formulated them as above until the scarlet scrawl zigzagged
Beyond the ever-stretching wall, while between the curves he remarked  
In smaller font size: ‘Only for reference as gender-specific samples,’
Applied equally to females, even humans in preceding or subsequent historical stages.’ Quanta without features

Longan-shaped-skulled ones, swirling blind, taking in wisps of smoke, and aroma of wheat
Then dissolved into differentiated data. ‘Appearing like rolling date code stamp,
They formed digits of various numerals, with inherent DNA fragments within,  
Snaky bones (almost phenomenal), and got the label
‘Superposed State’. Braided into a binary plait

Thin and diaphanous, suspended vertically,
They bided their time. Later claimed to be shaped like spinning tops
Instead of coins with heads and tails. They disentangled themselves
Into different positions. This time they were observed

On a two-dimensioned basis. honeycomb pattern in the bullseye – men in [equilibrium state] 9 Points- men in [particular states] 7 & 8 Points- men barely classed as [existing] 2 to 6 Points- all men known to us

 

Promenade quantique

Un homme avec [des doigts couleur de gingembre][une horloge biologique standard][l’esprit d’un reclus][des poumons décrépits] Un homme avec [des doigts couleur de jade][une horloge biologique en surrégime][un esprit moyen][des poumons jeunes] Un homme avec [des doigts couleur de jade][une horloge biologique en désordre] [un esprit dérangé][des poumons forts]

Il les a formulés comme ci-dessus jusqu’à ce que zigzague le griffonnage écarlate
Au-delà du mur qui s’étirait toujours plus, pendant qu’entre les courbes il notait
Dans une police de taille plus petite : « Seulement comme référence d’échantillons spécifiques à chaque genre, »
Appliquée indifféremment aux femmes, même aux humains à des stades historiques précédents ou ultérieurs. » Des quanta sans traits

Avec des crânes en forme de longane, tourbillonnant à l’aveuglette, absorbant des volutes de fumée, et une odeur de blé
Se sont ensuite dissous dans des données différenciées. « Sous l’apparence d’un cachet du code de date mobile
Ils formaient les chiffres de nombres variés, avec les fragments d’ADN inhérents à l’intérieur,
Des os sinueux (presque phénoménaux), et obtenaient l’étiquette
« État superposé ». Tressés en une natte binaire

Fine et diaphane, suspendue verticalement,
Ils attendaient leur heure. Affirmèrent plus tard être formés comme des toupies
Au lieu de pièces avec un côté pile et un côté face. Ils se démêlaient
Et prenaient différentes positions. Cette fois ils étaient observés

 Sur une base à deux dimensions, avec un motif octogonal dans le mille – des hommes en[état d’équilibre] 9 Points- des hommes dans [des états particuliers] 7 & 8 Points- des hommes à peine classes comme [existants] 2 à 6 Points- tous les hommes connus de nous

 

 

 

∗∗∗

Ode to Prime Numbers

    Your name is ‘le seul’.
    Undeconstructible, and enigmatically unyielding.
    As straight as a feather, vividly white as well, is the fragment of bone in the depth of entwined source codes. You never know since when the lips of the cognoscenti started testing on you: They longed to know how the fluttering sequences of binary numbers smell, which scintillate between positive and negative infinity. Ambery? Or just intoxicatingly oriental?
    Their coarseness hampered their forlorn attempt to reach you; their lust to disassemble left them nothing but despair and dirty, worn gloves.
   Just as what Alphonse de Polignac once said: There is a mirror image of you in the fathomless universe, forever 2 degrees apart from where you are located. You almost felt her sometimes… You have spared no vision or hearing in your exploratory search for her: yet you sank into an ocean of molecules -- banal replicas of one another, and then a moor of double helixes blooming and withering ephemerally. All you could see is waving hyphae, stretching along fissures between clusters of stars, whose glimmers tasted so antiquely astringent!
    You were chosen out of all others since you were a ripe embryo. Time-roughened hands with sophisticate calmness, combed through and smoothed out kernels of corn, like what Fate did to centillion bytes of data. The blazing ibis from the east condescended to them like a flash of wisdom –- devoutly before her they winnowed away chaff and dust, while you clung to the center of the giant mesh, like a rare butterfly… They let you nestle up among their fingers, held you to the light and murmured with a Mediterranean accent: “Ciao!”   
    The streets that have supplied you with all colors and sounds of life are in a parallel system to theirs. When you saunter down to the seaside, hands in pockets, local people approaching you with buckets of olives and sardines can not actually meet you, as if you were walking past this place at different times of a day. They indulge in their neon nights while you embrace your sapphire days. Gradually you turn from strangers to dancing partners, lovers and then rivals, in the revelry of darkness!  
    Growth curves of everything are invisible but to the stars: they appear as emerald waves, rising from feebleness to robustness, soaring marvelously, and then plunging, increasingly close to zero. Just as what the frequency of prime numbers reveals, they end up in decay as you end up in solitude. You are destined to be the last celestial body over seven thousand miles of graveyards.
    [Voiceover 1] when you glanced away beyond tracks of time, suddenly he came into view, emerging from underneath surface of the ethereal, gleaming with vigor and tenacity. Those attributes of his do not perish with the body, or even with the soul. He is incarnated everywhere, in weather, energy, and even Zen. A roots-stems-leaves theory could never demystify the origin of him or the canopy above, which could be traced back to Hadean time.
    [Voiceover 2] Compared to the entire history of time, phantasmagoric voices rustling through those lines are nothing but drops of liquid in vascular bundles of the universe. Ears which hear them would turn away shyly like autumn leaves. When there drip out mercury, whoever its sound reaches will be doomed.
     [Voiceover 3] It has been kept secret, that the Fate of human race had been long predicted, by the final scale the convex meniscus rose to.

Ode aux nombres premiers

      Votre nom est « le seul ».
      Impossible à déconstruire et énigmatiquement inflexible.
      Aussi droit qu’une plume, et d’un blanc vif, le fragment d’os dans la profondeur de codes sources entrelacés. Tu ne sais jamais quand les lèvres des experts ont commencé à te tester : Ils brûlaient de savoir ce que sentent les séquences mouvantes de chiffres binaires, qui scintillent entre l’infini positif et négatif. L’ambre ? Ou juste un parfum oriental qui vous monte à la tête ?
       Leur rugosité gênait leur tentative sans espoir de t’atteindre ; leur ardent désir de se défaire ne leur laissait que le désespoir et des gants sales et usés.
      Comme Alphonse de Polignac l’a dit une fois : Il y a une image miroir de toi dans l’univers sans fond, toujours à deux degrés d’où tu te trouves. Tu l’as presque éprouvée parfois… Tu n’as épargné ni vision ni écoute dans ta quête exploratoire pour la retrouver : pourtant tu as sombré dans un océan de molécules – des répliques banales des unes et des autres, et puis une étendue de doubles hélices fleurissant et se desséchant de façon fugace. Tout ce que tu voyais était de l’hyphe qui ondoyait, s’étendait le long de fissures entre des amas d’étoiles dont les lueurs avaient un goût ancien et âpre !
      Tu as été choisi parmi tous les autres parce que tu étais un embryon à maturité. Des mains endurcies par le temps et d’un calme sophistiqué, dégageaient des grains de blé en peignant et en lissant, comme le Destin l’a fait pour des quintillions d’octets de données. L’ibis flamboyant venu de l’Est s’est incliné devant eux tel un éclair de sagesse – devant elle, ils ont dévotement séparé la balle et la poussière, pendant que tu t’accrochais au centre du filet géant, comme un papillon rare… Ils t’ont laissé te blottir entre leurs doigts, t’ont tenu à la lumière et murmuré avec un accent méditerranéen : « Ciao ! »
       Les rues qui t’ont fourni toutes les couleurs et les bruits de la vie sont un système parallèle au leur. Quand tu flânes jusqu’au bord de mer, les mains dans les poches, les gens du pays qui s’approchent de toi avec des seaux d’olives et de sardines ne peuvent pas vraiment te rencontrer, comme si tu passais cet endroit à différents moments de la journée. Ils se font plaisir avec leurs nuits de néon pendant que tu embrasses tes journées de saphir. Petit à petit tu les transformes d’étrangers en partenaires de danse, d’amants en rivaux, dans les festivités de l’ombre !
      Les courbes de croissance sont invisibles sauf aux étoiles : elles apparaissent comme des ondes émeraudes, qui s’amplifient, faibles puis robustes, s’essorent à merveille, et puis plongent, de plus en plus proche de zéro. Exactement comme ce que révèle la fréquence des nombres premiers, elles terminent dans le déclin comme tu termines dans la solitude. Tu es voué à être le dernier corps céleste sur sept mille miles de cimetières.
      [Voix off 1] quand tu as jeté un coup d’œil au-delà des traces du temps, il est soudain apparu sous la surface de l’éther, luisant de vigueur et de ténacité. Ces attributs qui sont les siens ne périssent pas avec le corps, ni même avec l’âme. Il est incarné partout, dans le climat, l’énergie et même le Zen. Une théorie racines-tiges-feuilles ne pourrait jamais démystifier son origine ni la canopée au-dessus de lui, qui pourrait remonter à l’époque hadéenne.
      [Voix off 2] Comparées à l’histoire entière du temps, les voix fantasmagoriques qui bruissent à travers ces lignes ne sont rien que des gouttes de liquide dans les faisceaux vasculaires de l’univers. Les oreilles qui les entendent se détourneraient timidement comme des feuilles d’automne. Quand du mercure s’égoutte, quiconque en entend le bruit sera damné.
      [Voix off 3] Il a été tenu secret que le Destin de la race humaine a été prévu de longue date, selon l’échelle finale du ménisque convexe.

 

 

Pour en savoir plus sur Yin Xiaoyuan , l'article de Marilyne Bertoncini : Yin Xiaoyuan : Les Mystères d’Elche

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