Dans le corps irrésolu du poème : entretien avec Francis Coffinet — Le bruit des mots n°4

Francis Coffinet est un artiste multidisciplinaire, un acteur, et, surtout, un poète. Ce qui fait la puissance de sa poésie, c’est son exploration d’une poétique du corps, qu’il interroge également grâce à d’autres vecteurs artistiques tels la peinture, la photographie… Sa démarche artistique est profondément marquée par une sensibilité à la corporéité et à la façon dont le corps humain peut devenir un moyen d'expression poétique.

Mais n'évoquer que cet aspect de son travail serait éminemment réducteur. Plus que jamais, la langue se libère, convoque sa fonction autotélique pour accueillir les possibles sémantiques que seule la poésie peut offrir aux mots. Et, alors, le corps devient carte solaire, lieu d'élaboration d'une cosmogonie unique qui n'existe que lorsque l'acte d'écrire est à l'œuvre. Qu'est-ce que l'acte d'écrire, me demanderez-vous ? Peut-être est-ce un désir agissant, celui de mettre en péril le sens, la facilité du sens, pour demander l'impossible au langage, parce que l'on espère l'ouvrir comme une boîte de Pandore, pour voir ce qu'il recèle d'absolu. C'est ce que réalise Francis Coffinet, lorsqu'il écrit. 

Présentation de l’auteur




Regard sur la poésie « Native American » : Ofelia Zepeda : fille du désert, elle parle le désert

Rédaction et traduction de Béatrice Machet

 

Ofelia Zepeda est née en 1954, dans la partie sud-ouest de l’état d’Arizona sur la réserve des Indiens Tohono O’odham, c’est-à-dire « les gens du désert » (environ 34 000 personnes). Les conquistadors espagnols avaient baptisé ce peuple les Papagos, terme péjoratif et méprisant qui signifie les mangeurs de haricots. Ils vivaient à l’origine dans le désert de la Sonora et ont eu à subir les campagnes de christianisation forcée, auxquelles ils ont opposé des épisodes de révolte et de résistance aux 17ième et 18ième siècle.

Du fait de leur environnement, ils avaient adopté un mode de vie semi-nomade, entre des villages bâtis près des champs pour surveiller les récoltes en été, et des villages bâtis en montagne près des cours d’eau, occupés seulement l’hiver. Aujourd’hui le territoire des Tohono O’dham est partagé entre Mexique et États-Unis, le mur que Donald Trump a fait ériger empêchant les 2000 personnes vivant du côté mexicain d’aller honorer leurs morts enterrés du côté américain (la construction du mur est une violation internationale des droits de l’homme). Cette séparation a donné lieu à des cérémonies de protestation en 2017 notamment. Jusqu’alors  les Tohono O'odham avaient un permis spécial pour continuer à circuler librement des deux côtés de la frontière, via neuf portes réparties sur 120 kilomètres.  Dans la langue des Tohono O’dham le concept de frontière n’existe pas, il n’y a pas de mot pour la dire ou la penser.  Sur ce territoire, dans le paysage du peuple du désert, se détache leur montagne sacrée: le mont Baboquivari, situé en Arizona, aux États-Unis.

La poétesse o'odham Ofelia Zepeda lit ses poèmes au festival du livre de Tucson en mars 2012. Les mots o'odhams reflètent les sons des cailles du désert. Vidéo de Brenda Norrell Censored News http://www.bsnorrell.blogspot.com.

Ofelia, qui raconte qu’elle est née dans une cabane, de parents analphabètes qui ne parlaient pas l’anglais,  a grandi au contact de travailleurs migrants qui s’échinaient dans des champs de coton, et malgré la proximité de gens aux mœurs différentes, sa communauté O’odham n’a pas changé son organisation tribale, n’a pas abandonné ses valeurs. Ofelia raconte aussi que pour rendre visite à ses grands-parents qui vivaient du côté mexicain,  elle franchissait régulièrement cette frontière entre les deux états.

Dans un extrait de son poème "Birth Witness", la poétesse Ofelia Zepeda, membre de la tribu Tohono O'odham, explore le caractère sacré de sa langue face à la bureaucratie gouvernementale. Producteur/Réalisateur : Nina Shelton. Vidéaste/monteur : John DeSoto.

La poésie d’Ofelia Zepeda est le fruit de la relation vieille de milliers d’années d’une communauté humaine avec son environnement. Elle est aussi la continuité de traditions orales passées dans l’écriture. Elle relate la succession des saisons, les rythmes du désert,  l’importance de l’eau très marquée avec la danse des nuages, avec la pluie qui est à la fois bénéfique et pourvoyeuse de vie mais aussi cause d’inondations et destructrice de vies. Dans son recueil intitulé Ocean Power, Ofelia Zepeda montre à quel point les gens du désert sont vigilants et observent la météo, comment le climat forge leur mode de vie. Le livre développe une partie plus consacrée à la vie personnelle de l’auteure qui réfléchit aux contrastes entre traditions et nouvelles façons de vivre. Une autre partie se penche sur l’hiver et sur la réponse des humains à la lumière ou à l’air. La dernière partie s’occupe de la nature des femmes, et de l’ancienne relation des Tohono O’odham avec l’océan, la façon dont cette relation impacte encore le présent de ce peuple. Au final le lecteur aura plongé dans le quotidien de ces Indiens du sud-ouest américain.

SOMEONE SAID IT IS GOING TO RAIN

Someone said it is going to rain.
I think it is not so.
Because I have not yet felt the earth and the way it holds still
in anticipation.
I think it is not so.
Because I have not yet felt the sky become heavy with moisture of preparation.
I think it is not so.
Because I have not yet felt the winds move with their coolness.
I think it is not so.
Because I have not yet inhaled the sweet, wet dirt the winds bring.
So, there is no truth that it will rain.

 

B ‘O E-A:G MAṢ ‘AB HIM G JU:KĬ

B ‘o ‘e-a:g maṣ ‘ab him g ju:kĭ.
Ṣag wepo mo pi woho.
Nañpi koi ta:tk g jewed mat am o i si ka:ckad c pi o i-hoiñad c o
ñenḍad.
Ṣag wepo mo pi woho.
Nañpi koi ta:tk g da:m ka:cim mat o ge s-wa’usim s-we:ckad.
ag wepo mo pi woho.
Nañpi koi ta:tk g hewel mat s-hewogim o ‘i-me:
Ṣag wepo mo pi woho.
Nañpi koi hewegid g s-wa’us jewe
Mat g hewel ‘ab o u’ad.
Nia, heg hekaj o pi a’i woho matṣ o ju:.

 

Quelqu’un a dit qu’il allait pleuvoir

Je ne le pense pas.
Parce que je n’ai pas encore senti la terre, sa façon de se tenir immobile
par anticipation.
Je ne le pense pas.
Parce que n’ai pas encore senti le ciel se préparer, devenir lourd d’humidité.
Je ne le pense pas.
Parce que je n’ai pas encore senti les vents, leur fraîcheur se mouvoir.
Je ne le pense pas.
Parce que je n’ai pas encore respiré la douce poussière mouillée que les vents apportent.
Donc, il n’y a rien de vrai dans l’affirmation qu’il va pleuvoir.

Ce poème écrit en anglais et dans la langue tribale, dit la connexion au paysage, dit l’expérience des sens, la connaissance du climat d’un territoire. Il témoigne d’un mode de vie où l’on passe beaucoup de temps dehors, où l’on est conscient des mouvements qui s’opèrent dans l’environnement, ce qui est nécessaire dans une région où l’été apporte des orages, des tempêtes de poussières, il faut être vigilant, les changements rapides créent même une certaine tension chez les gens qui doivent être prêts à agir selon les circonstances et les variations de la météo. Ils savent ce qui arrive avant, après la pluie et savent ce qu’ils doivent faire en conséquence. Le poème suit la forme des chants traditionnels  O’Odham, avec des répétitions ; chants qui parlent souvent de l’environnement et qui ont la particularité d’être élogieux, qui mettent l’accent sur les bonnes choses à dire à propos des animaux, des nuages, ce qui est agréable et profite à tout le monde. Les O’odham, surtout en été, passent du temps à observer les nuages au-dessus des montagnes, commentent leur presence, leur aspect, sans savoir bien à quel moment il va pleuvoir. Les nuages peuvent ne faire que passer, être détournés, la pluie ne frappe pas forcément le sol, même si l’été est en quelque sorte le temps de la mousson pour les Indiens du sud de l’Arizona. La tante d’Ofelia, tout comme sa mère, disaient facilement que les nuages sont des menteurs. Observer les nuages n’est pas un passe-temps dans ces regions, il est important de pouvoir anticiper quand la pluie tombera. Vivre dans un désert donne une importance toute particulière à la pluie.

Professeure de linguistique à l’université d’Arizona, Ofelia Zepeda maîtrise sa langue O’Odham au point d’écrire sa poésie dans les deux langues, anglais et langue maternelle tribale. Elle a écrit une grammaire de la langue des Tohono O’odham et participe à des programmes visant à ce que de jeunes Indiens de toutes les nations puissent maîtriser leurs langues. Elle a dirigé le programme des études amérindiennes, elle co-dirige l’institut de développement des langues Indiennes d’Amérique. Elle est aussi l’éditrice en chef de la série Sun Tracks , collection consacrée à la littérature des Indiens d’Amérique pour le compte des éditions University of Arizona Press, une importante maison d’édition au catalogue très impressionnant. Elle enseigne également, ponctuellement, l’écriture créative. Elle est membre du comité éditorial The Smithsonian Series of Studies in Native American Literatures.  

Voici un poème qui, comme le précédent au sujet de la pluie,  dit l’importance de la relation aux forces de la nature qu’entretiennent les Indiens d’Amérique. Et comme il se doit, l’expérience est liée aux histoires, aux mythes, le vent n’échappe pas aux récits et pragmatiquement les Tohono O’dham offrent leur interprétation, leur explication, disent le monde et enseignent les particularités propres aux vents qui balaient le sud-ouest américain.

WIND - VENT

Le vent faisait tourner mes habits rudement autour de moi,
il me frappait,
sa dureté me faisait mal.
Le vent était fort ce soir là.
Il réussissait à souffler dans mes habits, à les plaquer contre moi.
Au contraire des autres, je me délecte de lui.
J'ouvre ma bouche et je respire en lui.
C'est un air nouveau,
de l'air venant de très loin,
de cieux intouchés,
de nuages pas encore formés.
Je respire à plein poumons ce vent.
Je pense que je sais un secret, ce n'est que l'acte d'ouverture
de ce qui est encore à venir.
Je le vois arriver de loin.
Un mur brun de poussière et de saletés,
des débris mouvants qui ne sont que d'anciens instants,
débris vieux d’un siècle.
Tous ramassés en une danse chaotique. 
La poussière s'installe dans mes narines.
Elle s'amalgame à l'humide dans ma bouche.
Elle se dépose sur ma peau et son duvet de poils.

Souvenirs de Père, comment il s'asseyait devant la maison
pour regarder le vent venir.
D'abord il le sentait, puis il le voyait.
Il disait, "le voilà,"
à peu près de la même façon que s'il avait vu une personne se détacher sur l'horizon.
Il s'asseyait.
Laissant le vent faire de lui ce qu'il voulait.
Il le frappait de ses grains de sable.
Cela créait une fine couche tout autour de lui.
Pour finir, quand il n'en pouvait plus supporter davantage
il entrait en trombe dans la maison, les paupières fermées,
faisant barrage aux larmes prêtes à lui nettoyer les yeux
Nous riions tous de son étrange apparance.
Lui aussi se délectait du vent.
C'était là le plus qu'il pouvait s'approcher de lui,
pour se joindre à lui, pour le connaître, pour savoir ce que le vent transportait.
Mon père disait," regardez c'est tout, quand le vent s'arrêtera,
la pluie tombera."
L'histoire continue.
Vent eut des ennuis avec les villageois.
Sa punition fut qu'il devait quitter le village pour toujours.
Quand il reçut sa sentence d'exil
Vent rentra chez lui et fit ses bagages.
Il prit ses vents bleus.
Il prit ses vents rouges.
Il prit ses vents noirs.
Il prit ses vents blancs.
Il prit ses vents secs.
Il prit ses vents humides.
Et en faisant cela il prit par la main
son amie qui était aveugle.
Pluie.
Ensemble ils partirent.
Très peu de temps après les villageois trouvèrent leurs cultures mourantes.
Les animaux disparaissaient,
et ils souffraient de faim et de soif.
Les gens réalisèrent, ce qui est à leur honneur, qu'ils s'étaient trompés
en éloignant Vent.
Et comme pour toute faute épique cela demanda des événements épiques
pour essayer de ramener Vent.

Pour finir ce fut un menu filet de dune
qui donna le signal du retour de Vent.
Avec son amie, Pluie, il ramena le vent sec,
le vent froid,
le vent humide,
le vent frais,
mais dans sa hâte,
il oublia
le vent bleu,
le vent blanc,
le vent rouge,
et le vent noir. 

Les quatre vents principaux, Yellow, Blue, White, et Black sont les vents qui ont fait ce que la terre est aujourd’hui. Par exemple, dans la mythologie Apache (qui compte douze vents), le vent jaune a donné la lumière, et le vent blanc l’a nuancée de brume. Le vent noir a sculpté la terre, créé les canyons, façonné rochers et cailloux. (N.d.T)

Voici deux autres poèmes, extraits du recueil OCEAN POWER,  qui illustrent bien l’habitude prise par les Indiens vivant sur les réserves, au contact des éléments et de la nature, d’observer l’environnement et de se situer dans le cycle des saisons jusqu’à en faire partie. En même temps Ofelia Zepeda développe sa poésie des petits riens du quotidien, qu’elle relie et associe aux souvenirs. Souvenirs qui lui sont chers et qui donnent sens, qui offrent une identité, une appartenance, comme un refuge, comme une maison où il fait bon vivre.

LARD FOR MOISTURIZER - Du saindoux en guise de crème hydratante

Je remonte les stores à la verticale,
j'essaie de capturer la lumière du sud.
Le soleil est maintenant arrivé au coin sud.
Le vent de décembre est froid
il magniffie la faiblesse de la lumière solaire.
Cette lumière contraste douloureusement
avec la chaleur brûlante d'il y a trois mois.
J'évoque cette chaleur maintenant, sans pouvoir vraiment m'en souvenir.
J'accueille la douce tiédeur du soleil hivernal.
Avec cette lumière je pense à chez moi, à l'activité qui se déplace vers le côté est
        de la maison.
pour en hiver profiter du faible soleil.
Mon père s'assied des heures de ce côté et fait des petites réparations.
Ma mère et son matériel de lessive déménage de ce côté-là aussi.
Elle se penche au-dessus de ses bassines, le dos tourné vers le soleil.
Ses bras vont et viennent, elle lave et tire sur les rayons du soleil.
Mes soeurs et moi étendons le linge,
nous sommes reconnaissantes qu'il ne pleuve pas.
Le soleil et le vent d'hiver sèchent les habits rapidement.
Les seules victimes de ce travail sont nos mains.
Eau chaude, eau froide de rinçage, vent froid et doux soleil de séchage.
En tant que personnes vivant à l'extérieur nos parents
trouvent un léger soulagement dans l'usage de crèmes hydratantes pour la peau.

Notre famille faisait la fortune de la marque Jergens et de ses ouvriers disions-nous.
Tôt en décembre les crèmes faisaient du bien, mais en janvier et février nous étions
      prêts pour des solutions plus radicales, de la paraffine.
Nos parents chaque nuit se couchaient avec une légère couche de gras luisante sur
       leurs mains et leur visage.
Nous en faisions autant.
Un confort épidermique minimal.
Mes soeurs et moi riions de notre tante qui ne s'embêtait ni avec les crèmes
ni avec la paraffine, elle utilisait du lard carrément.
Nous la voyions tous faire ça.
Quand elle faisait sa pâte à tortillas
la dernière étape était de graisser chaque boule constituée.
Alors qu'elle terminait, elle se frottait les mains avec tous les restes de saindoux
      comme elle l'aurait fait avec une crème.
Ma soeur l'imite et exagère sa gestuelle.
Elle nous montre comment elle masse ses mains, ses bras et son visage,
puis soulève sa jupe et frotte ses bruns genoux gercés avec une bonne poignée de
     saindoux.

KITCHEN SINK- Evier de cuisine

La lumière traverse bizarrement la porte vitrée de la cuisine.
Je peux voir les saisons changer dans l'évier de ma cuisine.
Le mouvement du soleil est assombri dans cet évier.
Pendant l'après-midi  l'évier est baigné de lumière.
Pas forcément le bon moment pour moi de faire la vaisselle.
Plus tard en été il y a une sensasion d'urgence à voir l'ombre s'allonger et
        commencer à s'incliner
alors que le soleil commence à border l'extérieur de l'évier.
Je prétends que la lumière du soleil va dans l'égout.
La lumière ne peux pas être arrrêtée par la bonde.
Elle s'insinue et pénêtre le joint là où l'eau ne passe pas,
elle devient part de l'obscurité qui est toujours part des égouts et des tuyauteries.
L'hiver arrive. L'air est certainement déjà plus frais.
Je le sais grâce à mon évier.

Les poèmes d’Ofelia Zepeda nous permettent souvent de nous projeter dans l’univers rural de son enfance, et nous devinons la condition modeste de ses parents, mais nous sentons aussi de combien d’amour et d’attention elle était entourée : elle se rappelle un jour humide de décembre, quand dans la cabine chauffée du camion de son père, elle attend le bus de l’école, et tous deux regardent les nuages de pluie se former:

nous regardons dehors les champs
où le brouillard s’accroche au sol

… au chaud dedans
le camion ayant travaillé depuis quatre heures du matin.

Et ses sensations opèrent à la façon de la madeleine de Proust. Dans un poème intitulé Smoke in Our Hair(fumée dans nos cheveux), l’odeur de la fumée venue de son feu de bois ramène des souvenirs et s’attarde dans ses cheveux, Ofelia Zepeda écrit :

peu importe la distance que nous parcourons / nous transportons cette odeur avec nous

Dans certains poèmes, Ofelia Zepeda manie l’humour et l’ironie, par exemple elle portrait les touristes venus regarder des Indiens danser, Indiens qui dansent pour gagner leur vie. Les  touristes s’attendent à des expériences particulières, se trouvent fascinés, viennent avec leur idée de l’Indien idéal, imaginent l’Indien vivant à un niveau spirituel élevé, mais ils sont aussi condescendants ou méprisants. Dans un court échange entre un touriste et un danseur Yaqui, le premier demande :

Que font-ils avec l’argent que nous leur jetons ?

Et le second de répondre :

Oh, ils le partagent simplement entre les chanteurs et
le danseur. 
Ils emmèneront probablement  le garçon au McDonald’s
manger un burger et des frites.
Les hommes s’en jetteront une bien fraîche.
Il fait chaud aujourd’hui vous savez. 

On devine la déconvenue du touriste déstabilisé par le prosaïque de la réponse !

Pour conclure, en accord avec la poète Navajo Laura Tohe et le critique Danker, qui qualifie les poèmes d’Ofelia de « song-poems » (poèmes-chants), on peut affirmer que la poésie d’Ofelia Zepeda est une expression de résistance, d’abord parce qu’elle écrit en Tohono O’odham, ensuite parce que l’anglais lui sert à véhiculer, à nous enseigner la vision du monde de son peuple. Ses écrits sont une plaidoirie pour une esthétique et une éthique ancrées dans les traditions propres à un peuple lié organiquement à son environnement, au point que cérémonies et rituels lui rendent hommage et le chantent. 

Présentation de l’auteur




Jean-Pierre Védrines, Artaud et les constellations

« 1924. Je vous écris Jacques Rivière. Un homme se possède par éclaircies et même quand il se possède vraiment il ne s’atteint pas tout à fait. Je me creuse dans le poème. Je suis ailleurs. Qui me dira comment me penser dans l’autre, dans le regard de l’autre, dans le corps de l’autre ?

À travers le feu qui me brûle, la mort est sourde à mes appels. Je n’ai pas assez de mots. Je suis encore vivant, mais je ne suis rien. » : c’est ce cri dans l’écriture que trace Antonin Artaud dès cette correspondance fondatrice, reprise dans la réécriture redéployée par le poète et lecteur Jean-Pierre Védrines, qui permet de sertir une définition-joyau du grand Artaud : « arbre désastre », « Homme enflammé », « pierre noire », « obscur diamant », dès les premières lignes s’ouvrant sur l’identification, la confusion possible, l’abolition permise à travers le « je » de l’écriture, réunissant dans un même devenir-squelette Antonin Artaud et Jean-Pierre Védrines : « Mais que suis-je devenu ? Une tache d’eau ? Un corps décharné qui retentit de sa peau tendue ? En ce moment je rédige, peut-être pour moi seul, le texte de mes paysages désolés, de mes rivages oubliés. Entre mon corps et ma langue, je remarque que le néant envahit peu à peu mon écriture, encrasse mes pores, mes vertèbres, mon squelette. »

Le poète portant le langage à incandescence, dont une des formules-clés reste également une proposition définitoire de la vie-incendie : « La vie est de brûler des questions. », se voit donc placé sous le signe du feu en échappatoire, dans le portrait dressé par filiation : « Je suis dans ma propre prison un errant aux cheveux de feu » ; « La question est, je vous l’annonce, « où commence l’enfermement, où s’arrête la vie », car comment, oui comment, relier le corps au texte, comment aller vers l’infini, emmuré vivant.

Jean-Pierre Védrines, Artaud et les constellations, Éditions des Deux Rues, 2022, 60 pages, 13 €.

Je vous écoute, lecteurs, parler de mon écriture illisible, du retour éruptif de la poésie dans mes cahiers, de mon chant désespéré. Chaque jour, ma chair brûle, ma chair alimente le feu captif, le feu qui danse. » Le portrait du supplicié se fait autoportrait en miroir à travers ce dédoublement de personnalité entre le lecteur ou l’auteur : « Est-ce encore moi qui parle, est-ce Antonin Artaud ? Mon corps n’est plus qu’un lourd délire, mon corps blessé, je ne sais trop comment. Membrane dans la nuit utérine, on ne me réparera jamais. Pour toujours je suis une cruche vidée de son vin, oubliée dans son temple, le poète et sa révolte. »

Ce vif ardent, dans sa triple déclinaison « la vie, la mort, l’amour », irradie toute la lecture-réécriture de la poésie d’Artaud à travers la projection de la figure tutélaire dans l’univers pictural des plus grands peintres dont le poète a souvent si bien parlé dans son œuvre : Paolo Uccelo ? « Il fait noir. Je m’approche de Paolo. Dis-moi, Paolo Uccelo, dans les gouffres de quels rêves as-tu connu la mort de l’enfer ? » Lucas Van den Leyden ? « Dans cet enfer, Lucas Van den Leyden, je me cherche toujours. Mon odyssée est double : je suis l’homme noir frappant à la porte et le Père-Roi, l’image vivante. » Vincent Van Gogh ? « Le monde n’est qu’un rêve perdu, mais ces corbeaux, Vincent, au-dessus des blés ont du noir de truffe sur les ailes : ils en appellent à l’ombre du voyage, au silence régénérateur venu te vêtir. »

Ce rapport à la peinture, jusque dans la déclinaison de la palette intérieure de la poésie même d’Antonin Artaud, fait de celui qui à la fois écrit et peint, selon l’étymologie grecque, un zographos, à la rencontre du peintre et de l’écrivain du vivant, de la vie personnifiée à travers le visage multiforme et multiple du poète ainsi que des myriades d’étoiles qui gravitent autour de lui, dont l’activité de dessinateur, de peintre, de guetteur de traces et d’univers se fait éloge de l’acte libérateur de peindre unissant, résolument, Jean-Pierre Védrines à Antonin Artaud dans toutes les nuances de couleurs possibles sur le fil de cet exercice d’hommage et de transfiguration singulière : « Peindre pour moi c’est retrouver mon origine. D’abord la ligne corporelle vibre, solitaire aussi frémissante que la mort. Puis la force prodigieuse de l’océan des couleurs, profonde et douce comme son âme, me saisit. Le tableau, dilapidé au vent de la fournaise, active une circulation en devenir, une autre forme de vie. Je m’innerve de fils tendus et de vibrations intenses. Mon corps pulsé, aux lignes rythmées, s’évade. Mon corps blanc, naissant de ces lignes s’élargit à la dimension de l’univers. Je l’aperçois dans l’éclair de la foudre.

La main, lorsque je peins me transfigure, c’est elle qui va vers la vie, brise le carcan et me libère. Couleur, je suis la couleur vibration de la vie. Rose chair, vert santé, azur foudroyé, soleil folie, gris marais. »

Présentation de l’auteur




Dimitris Pérodaskalakis, entre réalité et mythe il y a la poésie

Dimitris Pérodaskalakis est né à Héraklion en Crète en 1965. Il est professeur de lettres et enseigne le grec ancien et le latin à l’Université de Crète. Il a publié jusqu’à présent une monographie intitulée :Sophocle : Spectacle tragique et passion humaine, Gutenberg, 2012 et six recueils de poésie : Dans le blanc et dans le noir, Gavrielidis, 2005, Avec l’Etranger, Gavrielidis 2008, Sur la terre noire, Gavrielidis 2012, Jeu ouvert, Gavrielidis 2015, Le Sphynx envoyait un email, Gavrielidis 2018 et Ecriture hors jardin, Koukkida 2022.

Dimitris Pérodaskalakis appartient à la génération des années 90, comme on appelle les poètes qui ont publié peu avant ou peu après le début du nouveau millénaire. Cette génération a été appelée « Génération invisible » dans l’Anthologie de la génération des années 90 des éditions Mandragoras. La production poétique de cette génération évolue principalement sous le prisme du modernisme sans toutefois que l’on puisse parler encore d’autres éléments communs ou d’un courant commun prédominant qui façonne de manière unique son identité.

Les caractéristiques de la poésie de Pérodaskalakis sont : son noyau existentiel, l’expérience vécue, la collision de l’éphémère et de l’éternel, l’allusion ironique, la contemplation philosophique, la production d’images naturelles, le symbolisme social et politique, le dialogue avec l’humain et le divin, l’intertextualité en général, dans une langue qui comporte ses éléments de sens et de culture, sans expérimentation postmoderne dans l’expression. Ce que recherche Pérodaskalakis est le rythme intérieur du langage poétique et la clarté dans la représentation linguistique, laquelle cependant ne prive pas le poème de sa profondeur et de son étendue conceptuelles.

Le dialogue avec les mythes grecs anciens constitue la marque de cette intertextualité et de sa réflexion poétique, dont le fruit est le recueil Le Sphynx envoyait un email (Gavrielidis, 2018). De ce recueil sont tirés les poèmes qui ont été traduits pour la revue Recours au poème.

Δημητρης Περοδασκαλακης, Η Σφίγγα έστειλε email, Εκδοσεις Γαβριηλίδης, 2018 - Dimitris Perodaskalakis, Le Sphynx envoyait un email, Editions Gavrielidis, 2018.

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ΟΜΗΡΟΥ ΕΠΙΣΚΕΨΙΣ

Είναι φορές που ο Όμηρος με το μπαστούνι του τυφλού
- μεγεθυμένο αντικλείδι του αινίγματος -
σπρώχνει τις πύλες και εμφανίζεται στην αγορά

Δεν χάνεται στους πολυδαίδαλους των άστεών μας δρόμους
–εδώ δεν χάθηκε μες σε χιλιάδες στίχους -
έβαζε πάντα τα σημάδια του
Όσο για τ’ αυτοκίνητα
καλά γνωρίζει τον τροχήλατό τους ήχο
από τ’αμάξια και τα άλογα στην Τροία
Ούτε και στο λιμάνι κινδυνεύει
όλη τη θάλασσα τη χώρεσε στ' αυτιά του
τον ξέρει τον υδάτινο παλμό

Έτσι βαδίζει μες στην πόλη
πιάνει κουβέντα και ρωτά αν άλλαξαν τα χρώματα του κόσμου
Ύστερα βγάζει απ' το κούφιο του μπαστούνι μικρά αντικλείδια
για το χέρι καθενός

Ώσπου το βράδυ ολόφωτος μπαίνει στο αστικό
και επιστρέφει στους Κιμμέριους

VISITE D’HOMERE

Il est des fois où Homère, muni de la canne d’aveugle
- double agrandi de la clé de l’énigme –
pousse les portes et paraît dans l’agora

Il ne se perd pas dans le dédale des rues de nos villes
- il ne s’est pas perdu dans des milliers de vers –
il plaçait toujours ses repères
Quant aux voitures
il différencie bien le son de leurs roues
des chars et des chevaux de Troie
Sur le port non plus il n’est pas en danger
il a entré la mer entière dans ses oreilles
il connaît la vibration de l’eau

Ainsi il marche dans la ville
il entame une conversation et demande si les couleurs du monde ont changé
Ensuite il sort de sa canne creuse de petits doubles de clé
qu’il met dans la main de chacun

Jusqu’à ce qu’au soir tout illuminé il entre dans le bus urbain
et revienne chez les Cimmériens

*

ΤΟ ΠΑΙΓΝΙΔΙ ΤΟΥ ΟΙΔΙΠΟΔΑ

Μεγάλωνε στην Κόρινθο
όμως ποτέ δεν είχε φύγει από τη Θήβα
τον έπαιρνε στ' αμπέλια ο θετός πατέρας του την εποχή
         του τρύγου

Κρυβόταν ο μικρός Οιδίποδας στα κλήματα
και με τα άλλα τα παιδιά σε σκανταλιές παράβγαινε
αγαπημένο του παιγνίδι η τυφλόμυγα στο αμπέλι

Ώσπου μια μέρα τού είπε ένας μεθυσμένος σε τραπέζι
πως ήταν γιος πλαστός
                                      κι έγινε το παιγνίδι μοίρα

LE JEU D’ŒDIPE

Il grandissait à Corinthe
cependant il n’était jamais parti de Thèbes
son père adoptif l’emmenait dans les vignes à l’époque des vendanges

Le petit Œdipe se cachait dans les ceps
et avec les autres enfants il rivalisait en bêtises
son jeu préféré, le colin-maillard dans la vigne

Jusqu’à ce qu’un jour un ivrogne à table lui dise
qu’il était un enfant supposé
                                et le jeu est devenu destin

*

ΜΙΑ MYTHOS ΓΙΑ ΤΟΝ ΑΧΙΛΛΕΑ

Ένιωθε διαφορετικά από μικρός στο ένα του ποδάρι

Στης φτέρνας του την άκρη ώρες ώρες
κοκκίνιζε τόσο πολύ το δέρμα
που νόμιζε ότι θα χυνόταν όλο του το αίμα

Παραπονιότανε συχνά πως μούδιαζε
γι' αυτό και ο γιατρός τού είχε πει
χρόνια στην Τροία που βρισκόταν
να περπατά στις αμμουδιές ξυπόλητος
χωρίς σανδάλια και περικνημίδες
(τον πίεζαν ως φαίνεται στα άκρα)

Έτσι μια νύχτα που είχαν ησυχάσει οι στρατοί
και το φεγγάρι ασήμωνε τις όχθες
ο Αχιλλέας με γοργή περπατησιά πήγε στην παραλία

Είχε μια λάμψη ατέλειωτη ο Σκάμανδρος
που του μαγνήτιζε το βήμα
εκεί τον έκοψε γυαλί από μπουκάλι μπίρας

Δεν ήταν του Απόλλωνα τα βέλη
αυτή είναι η μόνη αλήθεια για τη φτέρνα

 

UNE BIERE « MYTHOS » POUR ACHILLE

Il sentait une différence depuis tout petit à l’un de ses pieds

Au bout de son talon par moments
la peau devenait si rouge
qu’il pensait que tout son sang allait couler

Il se plaignait souvent de fourmillements
c’est pourquoi même le médecin lui avait dit
les années où il se trouvait à Troie
de se promener sur les grèves pieds nus
sans sandales ni jambières
(elles le serraient semble-t-il aux extrémités)

Ainsi une nuit où les armées étaient au repos
et que la lune argentait les rives
Achille d’une démarche rapide est allé à la plage

Le Scamandre avait une lueur sans fin
qui aimantait son pas
là il s’est coupé avec un tesson de bouteille de bière

Ce n’était pas les flèches d’Apollon
telle est la vérité, la seule, à propos du talon

*

ΑΡΧΑΙΑ ΔΙΑΦΩΝΙΑ

Γέροντας πια κι αδύναμος ο Σόλωνας
ωστόσο πάντοτε φιλομαθής
θέλησε την καινούργια τέχνη του Θέσπιδος να δει

Στο τέλος της παράστασης τον ρώτησε αν ντρέπεται
που τόσα ψεύδη αραδιάζει από το άρμα στους πολίτες
Σαν του απάντησε ο Θέσπης πως είναι μόνο ένα παιγνίδι
χτύπησε έξαλλος ο Σόλωνας με το μπαστούνι του τη γη:
«Είναι επικίνδυνο να παίζεις με τα πράγματα»

Τον κοίταξε τότε βαθιά στα μάτια του ο Θέσπης
και με την ίδια αυστηρότητα του είπε:
«Ποιος παίζει με τα πράγματα, ξέρεις εσύ καλύτερα από μένα
γι' αυτό γυρνώ με την καρότσα μου στις αγορές
άδεια πραγματικότητα φορτώνω

Αυτή η αλήθεια θα μας αφανίσει»

ANTIQUE DESACCORD

Désormais vieillard et faible Solon
cependant toujours désireux d’apprendre
voulut voir le nouvel art de Thespis

A la fin de la représentation il lui demanda s’il avait honte
de débiter autant de mensonges depuis son char aux citoyens
Comme Thespis lui répondit que c’était seulement un jeu
Solon hors de lui frappa la terre de sa canne :
« Il est dangereux de jouer avec les choses »

Thespis le regarda alors profondément dans les yeux
et avec la même fermeté lui dit :
« Qui joue avec les choses, toi tu le sais mieux que moi
c’est pourquoi je tourne avec mon chariot dans les agoras
je charge une réalité vide

Cette vérité nous dévastera ».

*

ΑΙΑΝΤΑΣ ΠΟΙΗΤΗΣ

Ιδανικός αυτόχειρας
καλά ήξερε το σφάγανό του

με αυτό εξάλλου τη ζωή του έγραφε
όταν ξιφομαχούσε
Κι άλλοτε πάλι
με ορμή το δόρυ του πετούσε
αντένα που 'σκιζε το χάος

Τίποτε και κανέναν δε φοβόταν
μόνο το γέλιο των ανθρώπων
Όσο κι αν έκλεινε τ' αυτιά του
γάργαρο εκείνο τρύπωνε

Ώσπου ένα απόγευμα κοιτάχτηκε σε δίκοπο καθρέφτη
και φλόγισε Ιούλιο ο νους του

Σε καφενείο ζήτησε μια παγωμένη βυσσινάδα

Κι έτσι κρυστάλλινος
με ανταύγειες ήλιου χτυπημένος
έπεσε στον κορμό του ευκάλυπτου απείρου

 

AJAX POETE

Suicidé idéal
il connaissait bien son épée
avec elle d’ailleurs il écrivait sa vie
quand il se battait

Et parfois aussi
avec fougue il jetait sa lance
antenne qui déchirait le chaos

Il ne craignait rien ni personne
seulement le rire des hommes
Il avait beau se boucher les oreilles
ce rire vif se faufilait

Jusqu’à ce qu’un après-midi il se regarde dans un miroir à double tranchant
et que son esprit enflamme juillet

Dans un café il a demandé un sirop de griotte glacé

Et comme de cristal
frappé des reflets du soleil
il est tombé sur le tronc de l’eucalyptus infini

*

Η ΚΟΡΗ ΤΟΥ ΑΙΣΧΥΛΟΥ

Η τραγωδία έχει τον πατέρα της
έτσι οι Αθηναίοι είπαν τον Αισχύλο

Νέον ακόμη τον είχε επιλέξει ο Διόνυσος
γι' αυτό και σώθηκε σε τόσες μάχες με τους Πέρσες

Η κόρη του μεγάλωνε κι άρχισε τα ταξίδια
από τον Καύκασο ώς τη Γέλα
Πάντοτε όμως με συγκίνηση θυμόταν την οδό Ομήρου
εκεί την έστελνε ο πατέρας της
είχε κουλούρια φρέσκα με σουσάμι

Τα χρόνια πέρασαν, ήρθανε δύσκολοι καιροί
κι όταν η κόρη ορφάνεψε
κατέβηκε ο Διόνυσος στον Άδη να ξαναφέρει τον πατέρα

Είχανε σωρευτεί χρέη πολλά

 

LA FILLE D’ESCHYLE

La tragédie a son père
c’est ainsi que les Athéniens appelaient Eschyle

Dionysos l’avait choisi encore jeune
c’est pourquoi il a été sauvé dans tant de combats contre les Perses

Sa fille grandissait et commençait les voyages
du Caucase à Gela
cependant toujours avec émotion elle se souvenait de la rue Omirou
c’est là que son père l’envoyait
il y avait de petits pains ronds frais au sésame

Les années ont passé, sont venus les temps difficiles
et quand la fille est devenue orpheline
Dionysos est descendu dans l’Hadès pour ramener le père

S’étaient accumulées beaucoup de dettes

Présentation de l’auteur




Rencontre avec Cécile Guivarch : De la terre au ciel

Cécile Guivarch est poète, et créatrice d'une revue de poésie incontournable, qu'elle diffuse généreusement, et où elle crée le lieu d'u. travail pluriel, et de publications ouvertes à de multiples voix, Terre à ciel. Elle a publié plus d’une dizaine de recueils depuis 2006 ; parmi ses dernières publications, citons : Un petit peu d’herbes et de bruits d’amour, éditions l’Arbre à paroles, 2013, Du soleil dans les orteils, éditions La porte, 2013, Renée, en elle, éditions Henry, 2015, S’il existe des fleurs, éditions l’Arbre à paroles, 2015, Sans abuelo Petite, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2017, et dans de nombreuses revues comme Contre-Allées, Décharge, Sitaudis, Incertain regard et participé à plusieurs anthologies et recueils collectifs. Nombreux sot donc ses engagements, limpide son sourie. Elle a accepté de répondre à nos questions. 

Cécile, tu as créé le site de poésie en ligne Terre à ciel. Quand, et surtout pourquoi ? Comment t’est venue cette envie de porter et d’offrir ainsi gracieusement la poésie ?

Chère Carole, Terre à ciel est née en 2005. Dix-huit ans ! Cette aventure est donc arrivée à sa majorité. Je n’en crois pas vraiment mes yeux, mes oreilles. Et pourtant. Au départ, j’avais pour projet d’offrir aux internautes un site de poésie dans lequel on aurait pu trouver une grande majorité de poètes contemporains. J’imaginais une sorte d’encyclopédie. En cliquant sur le nom d’un poète on peut lire des extraits de ses livres, sa biographie, sa bibliographie. J’avais envie de donner envie aux internautes de lire de la poésie.

De découvrir des auteurs, des univers. De leur donner la soif d’en découvrir plus. De pouvoir assouvir leur soif. Cela m’est venu de mes propres recherches en poésie. Au début des années 2000, j’ai découvert l’œuvre de Roberto Juarroz puis celle de Paul Celan. Ces poètes m’ont éclairée sur ce que la poésie pouvait m’apporter, sur ce qu’elle pouvait apporter à d’autres. A partir de ce moment, j’ai voulu tout savoir de la poésie, alors je suis allée dans les librairies, les médiathèques et j’ai cherché sur le net tout ce que je pouvais lire. J’avais surtout envie de découvrir des poètes contemporains et au début des années 2000 il n’existait que peu de sites de poésie. C’est de ce manque qu’est née Terre à ciel.    Je pensais qu’en quelques mois j’aurais répertorié tous les poètes contemporains existants, mais dix-huit ans plus tard ce n’est pas vraiment fini ! Et c’est bon signe ! La poésie est vivante ! La poésie est en mouvement.
Comment conçois-tu tes numéros ? Et comment Terre à ciel a-t-elle évolué ?
Au départ, Terre à ciel était donc conçue pour être un site personnel, un répertoire de poètes contemporains. Mais vite j’ai eu envie de parler de mes lectures, d’y intégrer des notes de poésie, de publier des voix amies émergentes… Des personnes ont commencé à m’envoyer des contributions que j’ai accepté de publier. Je trouvais que cela permettait d’élargir ma vision de la poésie. Puis vers 2009, je crois, des amis poètes, je nomme Sophie G. Lucas et Sabine Chagnaud, m’ont demandé s’il était possible de m’aider… C’est comme cela que Terre à ciel est devenue une équipe… C’est comme cela que nous avons commencé à fonctionner comme une revue. D’autres personnes nous ont rejoints par la suite… Sabine Huynh, Roselyne Sibille, Armand Dupuy, Roland Cornthwaith, Christine Bloyet, Mélanie Leblanc, Jean-Marc Undriener, Clara Regy, Isabelle Lévesque, Florence Saint-Roch, Françoise Delorme, Sabine Dewulf, Olivier Vossot  et tout récemment Justine Duval… Certains membres ont été de passage et ont apporté énormément à la revue. D’autres traversent les années à mes côtés et c’est un plaisir. Nous concevons les numéros tous ensemble. Déjà par le choix des jeunes poètes que nous mettons en avant. Nous recevons des contributions par la boîte de contact du site ou parfois nous sollicitons des extraits auprès de poètes que nous remarquons. Puis nous concevons les numéros au fil des rencontres, dans les festivals, les salons, au fil de nos lectures, de nos découvertes.  Des contributeurs extérieurs nous font également des propositions. Nous restons ouverts, c’est cela qui fait l’esprit de Terre à ciel.

Clip a été réalisé à partir du recueil Tourner Rond écrit par Cécile Guivarch et édité par la ©ollection Petit Va ! En 2023. Lecture par l’auteure enregistrée en 2023. Création sonore Rémy Peray. Réalisation et montage L'écrit du son.

© Centre de créations pour la jeunesse Collection Petit Va !

Tu es poète. Pourquoi la poésie ?
La poésie car elle sert à exprimer ce que je ne pourrais faire sans elle. La poésie est le moyen de rendre compte des plus profondes émotions et sensations. De les libérer. Elle est l’écriture du corps autant que celle de l’âme. Elle permet également d’avancer, d’ouvrir l’esprit, d’accepter ce qui fait peur. Elle garde l’empreinte du présent mais se souvient aussi du passé, de ceux qui nous ont précédés. Elle permet une grande liberté et un constant travail sur la langue. La poésie est vraiment riche et vivante. Elle aide à mieux vivre.

La poésie peut-elle affirmer, et donner à voir, une fraternité, est-elle le lieu d’un rassemblement humaniste qui dépasse toute frontière ?
Oui, j’en suis assez convaincue. La poésie permet de rassembler. La poésie n’a pas de frontière et en même temps elle rend compte de ce qui se passe dans le monde. La poésie est un relai, elle témoigne. Je suis presque convaincue que si tous les enfants lisaient de la poésie, peut-être il y aurait moins de haine dans ce monde, moins de guerres. Je dis « presque convaincue » car est-il possible de refaire l’homme ?
Que peut-elle transmettre ?
Elle peut transmettre de beaux messages. Aider à mieux vivre. Accepter ce qui est inacceptable. A comprendre. Elle aide à réfléchir. Car si on ne comprend pas toujours un poème, il infuse en nous une réflexion. Nous amène à nous questionner là où on ne se posait plus de questions. Elle nous prépare à perdre aussi. La poésie parle de la vie mais aussi de la mort.

La revue de poésie en ligne Terre à ciel - https://www.terreaciel.net/

Penses-tu qu’elle soit lue, et fréquentée, surtout par les plus jeunes ?
Pas suffisamment à mon goût. Déjà remarquons que les rayons poésie dans les librairies ne sont pas forcément les plus garnis, et ne représentent pas toujours ce qui s’écrit de nos jours en poésie. Heureusement au programme du bac de français est entrée la poétesse Hélène Dorion. Certains professeurs font du bon travail auprès des plus jeunes et ont compris l’intérêt de le faire. Je pense par exemple au travail que Michel Fievet, professeur de poésie et éditeur à L’Ail des ours, a fait avant son départ en retraite auprès des jeunes. Mais je pense aussi que la plupart des professeurs de français ne connaissent pas suffisamment la poésie contemporaine, ou n’osent pas assez sortir du programme de l’Éducation nationale. Or la poésie, c’est un entrainement.
Et les jeunes auraient bien besoin d’elle. Je salue le beau travail du Central National pour l’Enfance de Tinqueux qui organise des événements autour de la poésie pour les jeunes et publie revues et livres qui leur sont dédiés. Je pense par exemple au travail de Bernard Friot qui écrit pour les jeunes. Sabine Zuberek Kotlarczik et Sabine Dewulf ont également créé le Prix Pierre Dhainaut du Livre d'artiste dans l'Académie de Lille, qui s'adresse à tous les élèves depuis la primaire (CM1-CM2) jusqu'au lycée, en 1ère. C’est une superbe initiative pour faire lire de la poésie aux jeunes, surtout lorsque l’on sait qu’elles voudraient l’étendre au niveau national. Et j’oubliais, j’ai été lauréate du Prix Poésyvelynes en 2017 pour mon livre S’il existe des fleurs, paru aux éditions L’Arbre à paroles, ce prix est l’occasion pour des collégiens lecteurs de décerner un prix à un livre de poésie et donc de la diffuser. Nous avions été heureux avec mon éditeur quand nous sommes allés à la remise du prix de constater qu’un élève avait dérobé un livre sur l’étalage, nous aurions pu crier « Au voleur ! » mais non ! Nous étions heureux que la poésie intéresse cet élève. Je pense aux salons, aux festivals de poésie, mais qui ne sont peut-être pas assez fréquentés en dehors d’un public d’avisés… mais l’espoir n’est pas vain… car dans ces endroits parfois des rencontres se font avec des personnes qui ne connaissaient pas la poésie. Espérons gagner ainsi de nouveaux lecteurs !    
As-tu des témoignages, des retours de lecteurs ?
Oui, de nombreux témoignages. Les lecteurs de Terre à ciel sont contents d’y trouver beaucoup de choses à lire. Notamment on me parle beaucoup de l’esprit d’ouverture de Terre à ciel et d’y trouver des idées de lectures.
Comment diffuser la poésie, plus encore, et permettre aux gens de se rassembler autour du poème ?
Déclamer dans la rue ! Distribuer des poèmes dans les boîtes aux lettres. Lire un poème chaque soir au JT de 20 heures ! Mettre à disposition des poèmes dans les salles d’attente. La RATP le fait déjà avec son concours de poèmes. Je trouve cela formidable ! Il devrait y avoir un poème affiché à chaque coin de rue, dans toutes les vitrines, sur toutes les boîtes aux lettres ! Soyons nous-mêmes des poèmes !
Les guerres se multiplient sur la planète. Comment la poésie peut-elle aider à l’édification d’un monde pacifique et serein ? Que peut le poème ?
Les guerres… Nous poètes nous assistons. Impuissants. Témoins. Nous écrivons. Crions. Décrions. Dénonçons. J’ai l’impression que nous sommes si petits face à ces horreurs, face à ces guerres qui sans cesse recommencent. Je ne sais pas si le poème peut beaucoup pour la pacification. Ou alors il faudrait que ce soit la poésie qui passe au JT de 20 heures. Et non pas la guerre. Notre monde, les médias, ne nous font voir que les mauvaises choses, on nous maintient dans un climat constant de peur et de haine. Je suis convaincue que si les médias nous montraient la beauté du monde, la richesse des interactions entre les hommes, la bienveillance et l’altruisme, le monde serait bien plus beau. Car le monde est beau si on le regarde de plus près et dans ce qu’il a de beau.  
Et demain ? Des numéros particuliers en vue, des actions ? Ta poésie ?
Cela continue. Le prochain numéro est pour mi-décembre. Il y aura notamment une anthologie organisée par Florence Saint-Roch : « Brasser les cartes ». Ensuite ce sera le numéro d’avril puis celui de l’été. Nous sommes passés de 4 numéros annuels à 3. C’est du travail, de l’investissement et nous avons nos vies personnelles et professionnelles. Pour ma poésie, je viens de publier trois livres cette année : Tourner rond, dans la collection Petit VA ! du centre national pour la poésie jeunesse de Tinqueux, un livre qui a été écrit notamment en réaction à la guerre en Ukraine. Sa mémoire m’aime, aux éditions des Carnets du Dessert de Lune, un livre sur les deux dernières années de vie de ma maman atteinte d’Alzheimer. Partir vient tout juste de paraître à L’Atelier des Noyers, un livre en collaboration avec l’artiste Alexia Atmouni, très beau. Et voilà, la suite s’écrit en marchant. Merci Carole !     
Merci Cécile ! 

Présentation de l’auteur




Chroniques musicales (11) : Gaëtan Roussel, l’orpailleur de Louise Attaque à Est-ce que tu sais ?

À la question « Que cherches-tu ? » (dans sa version anglaise, « What are you looking, are you looking for ? »), ce grand arpenteur de la chanson française répond en orpailleur, au tamis des mots, pour y trouver l'or de ses mélodies, de la formation pop rock de ses débuts tonitruants jusqu'à la trace si personnelle des chansons existentielles de son dernier album Est-ce que tu sais ?: « D'un geste circulaire / T'as misé l'univers / Orpailleur / Orpailleur hors pair ».

S’il participa aux arrangements de l’album ultime d’Alain Bashung, Bleu pétrole, y apportant son savoir-faire rythmique soutenant la voix du maestro, il fut également convié par ce dernier en personne à poursuivre parallèlement à ses projets collectifs une carrière solo. L’artisan des ritournelles entêtantes aux messages touchants de douceur, de vraie tendresse, qu’il est devenu, fut d’abord le chanteur à l’interprétation âpre et habitée de la musique survoltée de Louise Attaque, dont le nom peut s’interpréter en clin d’œil malicieux au prénom de Louise Michel, figure féminine de l’émancipation en politique libertaire… Un grand succès populaire, qui ne s’est pas démenti depuis, accompagna leur premier album, carte de visite électrique pour ses musiciens, eux aussi « hors pair », déroulant autant de titres en pépites où l’arrachement emporte ces écorchés offrant une poésie à fleur de peau, si ce ne sont les nerfs à vif, de Ton invitationJ’t’emmène au vent à Cracher nos souhaits : « Elle est vieille mon histoire / J'suis pas le premier à penser ça / J'en ai rien à foutre tu sais quoi on va quand même / Faire comme ça on va cracher nos souhaits »…

"Est-ce que tu sais ", extrait du nouvel album de Gaëtan Roussel "Est-ce que tu sais" maintenant disponible : https://gaetanroussel.s-ib.link/estce...

Si « toute cette histoire est bien ancrée dans [nos] mémoire[s] », les commencements glorieux ont servi à la découverte de tout cet univers à la fois quotidien et hors normes, tour à tour tourmenté ou apaisé, où se mêlent donc les sentiments et les anecdotes de chacun, à l’écoute des albums, les uns après les autres, à travers lesquels les auditeurs invités à ce voyage sans fin, tendent l’oreille, leurs propres pulsations cardiaques toujours portées vers la note juste, telle échappée du bruit et de la fureur d’un rock emmenant encore son public fidèle, réuni au fil des dates de tournée, pour des concerts de liesse, entre embrasements fulgurants et accalmies retrouvées : Comme on a dit, À plus tard crocodile, Anomalie

… Extrait du dernier disque de ce groupe majeur, l’hommage au thème de Léo Ferré, Avec le temps, semble faire le pari ainsi de la durée, évoluer mais ne jamais renier d’où l’on vient, se transformer pour changer l’ordre du monde plutôt que ses désirs, pourtant rester fidèle à condition d’aller de l’avant, en défaisant peu à peu la laisse des empreintes anciennes, à la rencontre de nouveaux liens qui seraient toujours libérateurs : « Aimer sur un seul pied / Sans savoir où poser / Ses lèvres ou ses pensées / Si seulement j'avais / Avec le temps fort nécessaire / Avec les yeux sous la lumière / Avec les mains / Ça c'est les nerfs / Avec le temps fort nécessaire »…

Né de la parenthèse de Louise Attaque, le duo entre le chanteur et le violoniste à la base de l’expérience de Tarmac dont le nom signifie à la fois goudron (le revêtement) et piste d’atterrissage, fraie un chemin tant à des morceaux strictement instrumentaux tels certains de L’Atelier qu’à des hymnes au cosmopolitisme, au décloisonnement Des Frontières aux Pays / Tordu Tour du Monde et au déchiffrage de Notre Époque résonnant comme « une porte close », à ouvrir enfin… Fort de toutes ses expériences musicales, Gaëtan Roussel ose alors, en 2010, avec la parution de son premier album personnel, Ginger, s’offrir une voix/voie en solo, dont le single Help Myself (Nous ne faisons que passer) se révèle une ode entraînante et entêtante au transitoire, au fugace, à l’éphémère, ce qui donnera le « la » de ses explorations si humaines de notre condition commune, cette toile de fond de sa production suivante, d’Orpailleur à Est-ce que tu sais ? en passant par Trafic, faisant l’éloge de La Simplicité et la Poésie du quotidien, sachant qu’en chaque être, Dedans il y a de l’or, avant d’envoyer, en appels à l’horizon, ses questions intimes sur notre finitude, la vie, la mort, et le sens que nous y cherchons, en faisant de nous des éternels débutants, dans l’envoûtant Tu ne savais pas : « Tu n'savais pas que tu naîtrais un jour / Avec une face, un profil / Sur un continent, sur une île / C'était comme ça la nuit / C'était comme ça le jour / Tu n'savais pas que tu naîtrais un jour »…

Orpailleur · Gaëtan Roussel, provided to YouTube by Universal Music Group.

Et s’il est un artiste qui sache faire de l’accident un possible, du fugitif, une trace, de la rencontre, un chant, c’est en effet cet orfèvre qui a su allier sa propre voix à tant d’autres, émergentes, souvent féminines, qu’il s’agisse de celle d’Hoshi à laquelle il trouve un charme fou, de celle de Camélia Jordana dont il tire la photo, cliché autant troublant que familier de la grâce de l’interprète, quand il ne s’agit pas d’un chant à l’unisson de celle (rèche) masculine et de celle (suave) féminine, à moins que ce ne soit l’inverse, au mélange des deux pour n’en faire plus qu’une, accidentellement tienne et mienne, définitivement nôtre, sur l’album Accidentally Yours, du projet Lady Sir, duo de blues rock français ainsi composé de Rachida Brakni et de Gaëtan Roussel, proposant alors la richesse d’un alliage, où se partage à la fois le singulier et l’universel, passerelle entre les genres et les cultures, mêlant les langues en anglais, français ou arabe, entre racines et aspirations, union mystérieuse dont la sensualité à quatre mains et deux cœurs tend vers l’épure de la chanson parfaite où tutoyer l’amour : « Toi est-ce que tu m'emmèneras loin? / La nuit se lève le jour s'éteint / Est-ce vrai que la vie ne vaut rien ? / Toi est-ce que tu m'emmèneras loin ? / Toi est-ce que tu me prendras la main ? / Le jour se lève la nuit s'éteint / Est-ce vrai qu'il est long le chemin ? / Toi est-ce que tu me prendras la main ? »

Accidentally Yours · Lady Sir, provided to YouTube by Universal Music Group.

Image de Une : couverture de l'album Est-ce que tu sais ?




Timba bema, Corps humains, Makossa

Corps humains 

Corps humains
Aimants aimés
Noyés, dérivés
Corps rivés, écartelés
Monolithes jetés à la face des soleils rouges
Pénitences

Dans ces labyrinthes froids du destin
Chemins de terre qui s’amorcent et se perdent dans leur propre haleine brumeuse
Où se précipitent ceux que la faim, ceux que la soif poussent comme des troupeaux sans bergers 
en quête de verts pâturages
En quête de bonheur, de communion, d’effusion
À la belle saison

Le ventre plein et le cœur satisfait

Ouvrent les douleurs de la digestion
Pénitences
Vous avez mangé l’herbe sur les versants rocailleux de la montagne
Vous avez bu l’eau de la source qui serpente ses flancs dénudés par les soleils et par les vents
A présent souffrez
Chaque seconde de bonheur, de communion, d’effusion
Qui vous sera accordée
Sera payée au prix du sang qui est le quintuple du prix des larmes

A présent souffrez !
C’est la belle saison, les tempêtes se sont calmées
La douleur est cet ancêtre qui ne sait pas se tenir sage
Elle refuse l’immobilité et appelle le geste, la gesticulation
Elle refuse le silence et appelle le cri rauque, le cri puissant, sauvage, de la bête transpercée par 
la flèche du chasseur
Lèvres ouvertes, gorge déployée, s’échappe de son corps pantelant la signature sonore du refus, 
de l’ultime révolte avant la disparition, l’effacement
Dans ces labyrinthes froids du destin

Pénitences
Monolithes jetés à la face des soleils rouges
Noyés, écartelés
Corps rivés, dérivés
Aimants aimés
Corps humanisés

Le temps de partir, poème et musique par Timba Bema.

Makossa 

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, mola
Na dipa dipane
Lam dikossa

 

Les eaux grises du fleuve charrient des gerbes éparses de tristesse chlorophylle
Cuites et recuites par le soleil radial, comme ces crânes orphelins des coiffures anciennes qui 
portaient rêves, perles et imaginaires agencés selon les codes intimes de l’horizon
Et ces visages, ces torses, ces peaux que la lame affûtée du scarificateur, autre nom divin du 
poète qui, sur le papyrus des corps, écrit les signes qui alignent astres et destins dans une 
danse à cinq temps – murmuration
Ils étaient devenus, sans le savoir, des corps sans tête, des corps sans rêves qui s’échinent sous 
les eaux impassibles, sous les nuages
Le sable brûlait leurs pieds pour une moisson que jamais ne récolteraient leurs mains, encore 
celles des enfants nés de leurs enfants
Le jour était le règne du labeur, des coups de fouet, coups de pied, coups de gueule, le temps 
du sang vert et de l’angoisse, de l’arc bandé, du piège tendu, du filet rapiécé que l’on jette au 
hasard des marées pour quelques poissons qui dormiront sur la glace en attendant la faim du 
soir et ses charbons ardents
Le retour de la lune, vêtue de sa légendaire robe d’argent
Le bois empilé dans la cour brûle de mille feux – étincelles, claquements
L’accordéon
La guitare
Une bouteille en verre – deux baguettes – et c’est la joie !

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, a dou
Na dipa dipane
Lam dikossa

Oublié le soleil
Le dos courbé
Oublié le lendemain, le recommencement de la douleur
Seule compte l’heure de la lune
La vérité de la nuit que raconte les pincements de la guitare
Ici la vérité des ombres que raconte la voix tiraillée de l’accordéon
Et celles des femmes témoins, femmes totems qui pleurent les larmes que les hommes n’osent 
pleurer par pudeur
Pleurez pour nous, mères ! Vous qui savez la douleur de l’enfantement, vous savez le prix de 
la vie
Pleurez pour nous, sœurs et chimères ! vous qui savez le secret des saisons et le goût de 
l’amertume lorsque l’orage qui précède la pluie ne balaie pas les feuilles mortes 
dans la cour
L’amertume que les corps soudain debout expulsent par les pores et les narines, les cris et les 
roulements des pieds

Longue le mba ndutu bwambi
Essele mba, a dou
Na dipa dipane 
Lam dikossa

Un extrait de la lecture performance de Les seins de l’amante, le poème de Timba Bema, à l’atelier de mademoiselle F lors du Miam Miam Festival 2019

Présentation de l’auteur




Revue la forge

Telle que la présente son responsable de publication, Réginald Gaillard, dans son Liminaire. Un même souci du langage, la forge, héritière, sans nul doute, de la mythologie antique du lieu secret d’Héphaïstos dans lequel le dieu créait des armes exceptionnelles et de magnifiques bijoux, se veut d’emblée un rendez-vous crucial de lecture, d’écriture, de pensée de la création contemporaine comme elle s’élabore aujourd’hui : « la forge est un creuset où l’on fond des métaux pour créer des alliages, avant de les couler dans des moules aux formes diverses.

Qu’importe la forme, pourvu qu’on ait l’ivresse poétique à même de nous étonner, nous déplacer, nous élever, nous donner à penser. »

Sensible tant à la diversité formelle qu’à la richesse des écrits, si la forge s’avère le miroir de la poésie avant toute chose, et publication de poésie seule et souveraine, si elle accueille d’abord poèmes D’AILLEURS ET D’ICI, pour reproduire les titres de ses deux rubriques, elle est également source de partage de réflexions d’un intérêt majeur sur le processus de la créativité, notes, essais, articles invitant ensuite à explorer LA FORGE DU POETE, coulisses de ce théâtre où l’intime et le monde se rencontrent, se révélant être la forge des artisanes et des artisans, des artistes du verbe dont Héphaïstos, ce dieu fragile et fort à la fois, pourrait être une des figures essentielles, au même titre que le plus emblématique Orphée…

Editions de Corlevour, la forge, revue de poésie, 1 octobre 2023, 270 pages, 22 €. 

Répondant à la nécessaire question, vitale, pour toute amatrice, tout amateur de lettres, D’où vient le poème ?, Christian Viguié, Jean-Claude Pinson, Jacques Vincent, David Lespiau, Adeline Baldacchino y révèlent les secrets de fabrication, les processus d’élaboration, les enjeux à l’œuvre dans les écritures poétiques, en donnant un éclairage résolument ancré dans le présent et tourné vers l’avenir des régimes de l’inspiration, pour reprendre le titre de l’essai de Jean-Claude Pinson invitant à en distinguer deux conceptions : celle de l’idée antique que l’on retrouve dans sa définition platonicienne, et celle d’un régime nouveau, non plus simplement experimentum mundi comme nous pouvons l’expérimenter dans la technique du « haïku », mais  étincelle aux prémices du « moment de la forgerie » !       

Prenant en compte la littera, la littérarité, la littérature, qui fixe les ratures, les repentirs comme les trouvailles, les fulgurances du travail à l’écrit, Adeline Baldacchino transforme, dans son article La forge du poème, la question métaphysique d’où vient le poème en question génétique et générique du comment, interrogation aussi cruciale que passionnante, espace vital où la pensée et la langue se mêlent afin de tenter de trouver, peut-être, un langage de l’émotion digne de ce nom, dont nous, œuvrant à la quête de tels alliages, serions les orfèvres contemporains : « Le poème se fabrique dans cet espace d’imprudente lucidité que nous lui accordons. Il est la seule preuve que nous détenions de notre pouvoir de changer les mots, à défaut de changer (immédiatement) la vie et le monde. Il est donc à la fois le premier pas, la condition, l’argument et la démonstration. Il rassemble au sein d’une seule logique oxymorique, celle de l’émotion distinctement sensuelle et sémantique qu’il provoque, tous les moyens promis par les conteurs, les chamanes et la littérature depuis que les chants ont été gravés au calame sur des tablettes d’argile, aux alentours de 6000 ans avant notre ère (au moins, rien n’interdisant à la rêverie de poursuivre bien plus loin la chronologie des textes perdus). »

Enjeu politique dont la formule finale revient, in fine, à Adeline Baldacchino, dont nous pouvons apprécier tant la profondeur des analyses que la subtilité des poèmes : « on faisait des boucles dans les cheveux / de maman c’était comme d’en faire / dans les courbes invisibles du destin / la trajectoire commençait de s’écrire / le livre est-il ouvert / et l’encre invisible ? » Effacement des traces et trajet de notre propre finitude à laquelle la belle revue la forge donne tout son éclat, tous ses éclats, ses armes-pensées et ses bijoux-poèmes, tous ses joyaux sans cesse remis sur l’établi à la réflexion éthique / esthétique d’envergure : « Le poème n’a pas à être engagé ou dégagé, il ne peut qu’éveiller l’engagement intime, l’élan de vie qui débouchera, ou non, sur un engagement collectif, extérieur à notre vertige narcissique et tourné les autres. »




Les Cahiers du Loup bleu

Avec leur collection Cahiers du Loup bleu, les éditions Les Lieux-Dits proposent de gracieux livrets de poésie dont la couverture et la quatrième de couverture s'ornent chacune d'un dessin représentant l'animal qui donne son nom.

C'est Romuald Sam qui illustre ainsi toutes ces bêtes autour de Romain Fustier. En vingt-quatre poèmes, tous construits de la même architecture (six tercets), l'auteur décline à la fois des paysages auvergnats et les pensées qui l'animent. Les descriptions ne sont pas seulement précises, mais évocatrices assez pour qu'on se sente doucement embarqué.

troupeau de vaches
dans un virage traversant la route
avec le soir

 le gilet fluo
de l'éleveur visible très vaguement
sur la chaussée

un chien déboule
taché de noir parmi les bovins
marqués de même

la journée avachie
se relâche mollit tel un commis
après le labeur

les pâtures ont
des besaces pleines d'algues vertes
de vagues herbeuses

 je laisse passer
les bêtes pareilles au temps lent
qu'elles incarnent

 

Romain Fustier, toutes ces bêtes autour, Les Lieux-Dits éditions, 2023, 30 pages, 7 €.

La compagne est évoquée, prétexte elle aussi à poème, par sa présence et ses actes : tremper ses mains / dans l'eau descendant la rivière / qu'elle apprécie // elle m'avoue / qu'elle ne pouvait y résister / les y plongeant.

De légères licences de langue émaillent parfois le poème ; ainsi pour évoquer le couple : chemin des noisetiers / elle je profitons de notre vue / sous le plateau ou encore témonymie et nysecdoque pour métonymie et synecdoque. Également l'apparition d'un mot-valise : les racines branches / au cours du trajet nous tâtonnions / trottinions nous hâtant // tâtrottinions en file / rang l'un derrière l'autre / dans le noir ou un verbe latin dont on entend instantanément le sens : je suis parvenu / à audire ce jeu d'instrument / ouïr son bruit ; une liberté qui gagne la syntaxe : une terre rouge / d'épopée au départ du hameau / elle remarque-t-elle.

Tout cela sans excès, au service de la justesse du propos :

[…]

ligne de crête
de coq des monts aux confins
en arrière-plan
sommes des envoleurs
qui nous envolons dans le paysage
croquant l'horizon 

Autre exemple : la rivière tombe / avec la fraîcheur et nous achevons / de nous louvifier

 Un lyrisme discret parcourt le livre, sans rien appuyer, c'est le grand talent de Romain Fustier que de nous emporter avec lui dans son voyage poétique, à travers le quotidien d'un temps de vacances où tout peut sembler familier, mais autre aussi.

une chauve-souris
qui volette derrière la baie vitrée
de notre chalet

les ailes battent
sur le balcon elles giflent agitent
l'air frénétique

leur réalité tangible
paraît se fondre en l'étrangeté
reste pourtant palpable

me paraît décalée
incarner je ne sais quelle force
de vie jaillissante

partout sans cesse
cette nuit douce avec ses souffles
que je fabule

avec ses froissements
de membrane ainsi que de tissu
dans l'obscurité

Et c'est cette élégance sans ostentation que je retiens après la lecture de ce très beau recueil.

[…]

pas d'agitation
autour où la région reprend haleine
savoure sa paix

rien de mesurable
cette manière seulement de se tenir
dans le secret

le regret bientôt
de la lune coiffant les conifères
à notre départ

***

Le deuxième ouvrage de cette collection dont je souhaite rendre compte s'intitule Lettres, 2020 ; il est le fruit de deux poètes : Jean de Breyne et Anna Fitzgerald, avec un dessin de Sylvie Durbec.  Les poèmes de chacun alternent à quelques exceptions près et l'on reconnaît facilement qui est l'auteur, les initiales des prénoms (A et J) étant mentionnées en en-tête. Le titre du livre est plutôt trompeur de mon point de vue : j'imaginais une sorte de correspondance poétique, un échange épistolaire, mais n'ai pas trouvé de vrai lien, ou si peu, dans ce sens – un poème qui réponde au précédent, par exemple. Pour autant, les poèmes n'en sont pas moins intéressants, la forme varie : le plus souvent des retours à la ligne, des strophes, parfois de petits pavés denses. On aura ainsi à lire une sorte de notations du quotidien, de choses concrètes, récit toujours sous-tendu de questions plus existentielles et un rapport à la langue qui, par des contorsions appropriées, affirme ce questionnement.

Ce poème de  Jean de Breyne me semble une illustration pertinente :

Et le vent très fort sait se lever
Et l'on ne sait qui ainsi le lance
Et même après l'aube il faut se couvrir
Et même bien autrement qu'était la veille
C'est donc un son si ce n'est un bruit
On ne veut pas accorder un son au vent
Il est dans le feuillage et c'est là qu'il bruit
Accompagnement du souffle, et voilà qu'on avance ?
Et nous y revenons donc, et nous demeurés là cherchant à dire ?
Et nous traversons, - tiens voilà encore à chercher
L'air, le temps, la rue, l'Histoire
La langue est un vrai bonheur, il faut la parler
Je vous souhaite cela parler votre langue
On ne sait qui ainsi la lance, d'entre les lèvres
Et même la porte avec la main.

Jean de Breyne et Anna Fitzgerald, Lettres, 2020, Les Lieux-Dits éditions, 2023, 28 pages, 7 €.

De même, dans les premières pages, du livre, dans une forme plus elliptique, Anna Fitzgerald, dans le sillage (métaphorique?) du vent qui se lève, écrit :

De voler, de vivre
Je m'en veux
d'avoir tant
attendu
de vivre
de voler
attendre
le temps
c'est le temps
de tenter
de vivre

le vent
se lève
je -
je –
je ---

Le poète Lorand Gaspar écrivait dans Approche de la parole (Gallimard, 1978) : « Le moment le plus exigeant de la poésie est peut-être celui où le mouvement (il faudrait dire la trame énergétique) de la question est tel - par sa radicalité, sa nudité, sa qualité d’irréparable - qu’aucune réponse n’est attendue plutôt, toutes révèlent leur silence. » Notre autrice américaine, Anna Fitzgerald, le décline, dans le poème d'ouverture, de cette façon :

doigts
sur les cordes

mais silence
gris mouvement
poudreux et partant

le silence que je

kill-joy*

tel silence que je
trace

* kill-joy : rabat-joie, trouble-fête

Jean de Breyne n'est pas en reste : un sujet que je ne veux pas répéter // alors silence ? // mais je veux que soit !

Le livre se lit, se relit, dans le labyrinthe des énonciations : l'air, l'autour, pour ce qu'il vaut, la peine, par une de ces portes, le / tout autour, les poutres s'étirent, le silence s'accumule, stock, / hangar, magasin de silence, le voir, la fin se questionne, merci je dis (Anna Fitzgerald)

Merci je dis, moi aussi.

***

 

Le troisième opus de cette collection pour le premier trimestre 2023 est signé Dominique Sampiero. Cet auteur a beaucoup publié : poésie, nouvelles, romans, littérature jeunesse, théâtre ; il a également écrit des scénarios pour le cinéma, notamment pour Bertrand Tavernier.

 Le titre, On écrit un poème pour embrasser, est significatif de l'intention. Il faut entendre, je crois, le verbe embrasser sous plusieurs acceptions : étreindre certes, mais aussi saisir quelque chose dans son ensemble, concevoir et englober et ce, par les méandres du poème.

Cette vieille légende est comme un baiser. La langue tourne en rond
dans la bouche. Puis avec les mots dans la bouche de l'autre.

Cet échange de cercles d'une bouche à l'autre, c'est le poème.

Le mouvement du poème, tout simplement.

On écrit un poème pour embrasser. Retourner au cercle, d'une
bouche à l'autre, par l'antique baiser du temps.

 

 

Dominique Sampiero, On écrit un poème pour embrasser, dessin de Christiane Bricka,  Les Lieux-Dits éditions, 2023, 42 pages, 7 €.

Cette posture de communion avec le monde et de son dire interroge la langue : sa force, et son impuissance dans le même temps à tout révéler.

Et si tout à coup, par volte-face
nous faisions langue ce couteau
qu'on nous plante dans le dos
à chaque mensonge des puissants

Et qu'une seule phrase
contienne autant de ciel
qu'une flaque pour imaginer
enfin que nous sommes
devenus des demi-dieux ou des ogres
c'est selon

L'auteur n'idéalise pas le poème mais dénonce nos impostures de tyrans, nos égoïsmes :

Nous prenons au sérieux nos ego
d'artiste, nos bégaiements de serpent
nos ricanements de prières

[…]

complices de cette indifférence qui laisse décapiter
des incroyants, brûler des enfants sous les gaz
et quoi encore la liste est longue

Et plus loin :

Et si nous entendions enfin
dans le cœur de chaque homme croisé en chemin
sa crucifixion à venir

Pourtant, il ne cède pas à la noirceur, au désespoir :

Accepter de croire aux illusions du visible
dans l'altérité déjà en ruine.

C'est ce difficile équilibre entre les empêchements reconnus et l'obstination à poursuivre qui constitue le poème :

Car écrire c'est rester assis ici dans le lieu étrange
d'une rencontre dont nous ne décidons rien
à part notre juste présence.

Il faut viser l'humilité, s'y tenir et s'en réjouir :

J'invente une vie dans le silence des jours
une vie minuscule, à peine audible
une vie inutile et radieuse

 




Revue OuPoLi — Entretien avec Miguel Ángel Real

La revue OUPOLI, Ouvroir de Poésie Libre, est une revue numérique fondée par Jean-Jacques « Yann » Brouard, Miguel Ángel Real,  Arnaud Rivière Kéraval et Rémy Leboissetier. Neuve et vive, elle propose de nombreuses rubriques, des appels à textes, et un panorama riche et diversifié sur la littérature contemporaine. Miguel Ángel Real a accepté d'évoquer cette belle aventure pour Recours au poème

Quelles raisons vous ont menées à créer le site OuPoLi ?
Le site est né de ma complicité littéraire avec Jean-Jacques Brouard. Nous sommes tous les deux passionnés de littérature et plus spécialement de poésie, et nous avions envie de créer un endroit dans lequel pourraient s’exprimer des personnes qui partageraient notre vision des choses. Depuis, le comité de lecture s’est étoffé avec d’autres écrivains comme Arnaud Rivière Kéraval, et Rémy Leboissetier.
Comment le définiriez-vous ? Est-ce une revue de poésie en ligne ?
Notre appel à textes est ouvert en permanence. Nous publions en général un/e auteur/e par semaine. Une fois par mois, nous publions également un/e poète hispanophone traduit en français. Les personnes qui nous contactent sont des écrivain/es confirmé/es ou pas : les textes sont étudiés par l’équipe dans un esprit ouvert car nous apprécions les prises de risque et les recherches en tout genre. Il s'agit d'une publication vivante, avec différentes rubriques pour recevoir aussi de la poésie expérimentale, des créations de mots (“Mots perdus/mots forgés”), de la prose poétique, des essais ou des variations sur des thèmes que l'on propose de temps à autre. Nous avons même créé les « Chronèmes », mélange de chronique littéraire et de création poétique, que nous vous invitons à découvrir.
Quelle est sa ligne éditoriale ?
Clin d'oeil à l'oulipo, OuPoLi se veut un Ouvroir de Poésie Libre. Le site se veut exigeant, loin des conventions et de la poésie mille fois lue. La ligne éditoriale est présentée ainsi :  
Ni fleurs ni papillons
La poésie engage l’être
La poésie engage à être
La poésie engage à dire
A partir à l’aventure
A être en quête des possibles du langage
A s’arracher au confort des discours convenus
A sortir des sentiers battus et rebattus
Notre plan de travail est complet jusqu’en septembre, mais les personnes intéressées peuvent envoyer leurs propositions à textOuPoLi@gmail.com : trois textes, trois poèmes, trois pages.
Que pensez-vous de la place des revues de poésie dans le paysage littéraire français, et plus généralement de la place de la poésie ?  Les revues de poésie sont-elles un moyen efficace de diffuser de la poésie ?
De manière générale, il existe de très belles publications autour de la poésie en France. Le but de nous tous est de montrer qu’il s’agit d’un mode d’expression passionnant et surtout très vivant. La qualité des différentes revues « papier » ainsi que les réseaux sociaux montrent bien qu’il existe un large public autour de la poésie, largement méprisée par les médias conventionnels : il suffit de voir que la soi disant « rentrée littéraire » est en réalité un déferlement de romans plus ou moins réussis. Il faut donc que les revues poétiques continuent à  revendiquer un moyen d’expression qui est pour moi la quintessence du langage. Continuer à partager notre passion pour la poésie, qui est de mon point de vue plus nécessaire que jamais, doit rester le but de nos différentes publications.

 

Présentation de l’auteur