Richard Rognet, Dans un nid de flammes
Rognet emprunte son titre à un vers de Rimbaud dans son poème Nuit de l'Enfer : Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. D'ailleurs, il le signale dans une note en fin de livre et précise : Ainsi, je me rapproche de Rimbaud, comme j'ose penser qu'il le fait pour moi, me signalant où je puis le retrouver, le rejoindre, au sein d'embrassades drues, de frôlements émus, au point que ce qui est à l'un est aussi intemporellement à l'autre.
Il s'agit en effet de frôlements, plus que de références directes, une parenté que ressent peut-être plus l'auteur que ne le fera le lecteur. Formellement d'abord : point de poème en prose comme pour Une saison en Enfer, mais des poèmes rimés (quelques exceptions à l'intérieur de certaines strophes), tous construits sur le même modèle : sept quatrains pentasyllabiques.
Une horrible crasse
couvre les maisons,
je sais les grimaces
qui donnent raisonaux mensonges flous
qui dressent des piques
sous nos chants épiques
immensément fous,je vais de guingois,
frileux, maladroit,
j'ai l'allure sotte
d'un jour lourd de flotte,pourquoi contempler
ma misère nue ?
Vaut-elle une nue
jalouse des blés ?Je ne comprends rien
au couloir sonore
où s'abat l'aurore
sur mes va-et-vient,regarde ! me dis-je,
ton chemin vaincu,
a-t-il jamais su
où pousse une tige ?où le vent se colle
à la boue des routes ?
suivant ta déroute
entre les deux pôles.
Et c'est là le deuxième différence : on est loin des fulgurances hallucinées de Rimbaud., aussi du style impeccable de ses poèmes en vers : je vais de guingois, / frileux, maladroit, / j'ai l'allure sotte / d'un jour lourd de flotte ne résiste pas à la comparaison avec : Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache / Noire et froide où vers le crépuscule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche / Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Certes, de légers clins d’œil renvoient à l'homme aux semelles de vent mais sans éclat : il me précéda / partout dans le monde, / ô ma triste ronde, / mes pieds dans le plat ! // dans ses yeux trop bleus / aucune voyelle / ne comprit le feu / qui rampait sous elle. Mais il ne suffit pas d'écrire Mon Rimbe, mon beau, ni pissotière, odeurs, faisant sans doute référence à ces vers On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, / Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été / Surtout, vaincu, stupide, il était entêté / À se renfermer dans la fraîcheur des latrines, extraits du poème Les poètes de sept ans pour égaler la façon incisive et ciselée du garnement sublime, comme le surnommait Mallarmé. Rimbaud écrit dans son poème en prose Vagabonds, extrait des Illuminations : Pitoyable frère ! Que d'atroces veillées je lui dus ! […] J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule. Ce qui donne chez Richard Rognet : Feu, vagabond, frère, / à quoi rêves-tu ? / moi, ce que j'espère / ne sera pas tu, // le lieu, la formule / d'un fils du soleil, / voilà mon éveil / lorsque tout bascule
Richard Rognet débute son poème, page 59, par : Je cours à tes trousses / car tu n'es pas mort
Gageons qu'il peut courir longtemps...
Richard Rognet, Dans un nid de flammes, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 150 pages, 18 €.