Escales des Lettres : un printemps permanent !

Ils invitent chaque année plus de 50 auteurs français ou étrangers dans la région Hauts-de-France. Leur programme d’activités est d'une grande richesse : résidences littéraires internationales ; cafés littéraires mensuels ; résidences littéraires itinérantes d'écrivains ; fêtes du livre et festivals ; ateliers d'écriture ; programmes d'échanges littéraires en milieu pénitentiaire, en milieu scolaire, en milieu défavorisé… Le Centre littéraire Escales des lettres touche un public toujours plus large, et  diffuse la littérature dans des lieux connus et improbables, dans des milieux urbains comme ruraux, pour que chacun ait la possibilité d'être touché par ce que l'humanité a de plus précieux, les textes, les mots, les livres, lieux de partage et de réunion. 

Ludovic Paszkowiak, vous êtes Directeur et Responsable de la programmation du Centre Littéraire Escales des Lettres. Pouvez-vous évoquer Escales des lettres ? Quand a été créée cette association, et pourquoi ?
L’origine du Centre littéraire Escales des lettres remonte à l’automne 1994. Cette année-là, un atelier d’écriture poétique est organisé à l’Université d’Artois à Arras. Cet atelier hebdomadaire est animé par l’écrivain et poète belge Francis Dannemark et compte parmi ses participants Ludovic Paszkowiak et Schéhérazade Madjidi (ces 3 personnes, rejointes plus tard par Didier Lesaffre, deviendront les fondateurs d’Escales des lettres). A l’issue de l’année universitaire, pour célébrer la fin de cet atelier, une grande soirée poétique est organisée au théâtre d’Arras en mars 1995 avec notamment la participation des poètes William Cliff, Jean-Claude Pirotte, Lambert Schlechter ou encore Guy Goffette. L’aventure du Centre littéraire était lancée avec pour objectif de construire une programmation annuelle de rencontres littéraires et poétiques dans le Nord/Pas-de-Calais et en Belgique.

Lecture de Lambert Schlechter à la Comédie de Béthune. Enregistré le 1er octobre 2011, lors de la Fête internationale du Livre de Béthune, un évènement organisé par le centre littéraire Escales des lettres pour Béthune 2011 ART+TOI, capitale régionale de la culture. Plus d'info sur le site http://www.escalesdeslettres.com

Quelles sont les actions que vous menez ?
Un programme de rencontres littéraires et poétiques avec la participation d’autrices et d’auteurs sous la forme de Cafés littéraires mensuels dans plusieurs villes des Hauts-de-France, en librairies, en bibliothèques ou dans des cafés (environ une trentaine de rendez-vous chaque année).
Un programme annuel de rencontres avec des auteurs en milieu scolaire (Écoles, Collèges, Lycées, Universités) et en milieu pénitentiaire (Maisons d’arrêt, Centre de détentions) sur l’ensemble du territoire des Hauts-de-France.
Des programmes d’ateliers d’écriture, par exemple en milieu rural pour de nombreux habitants de communes de la région de Béthune, ou encore pour des étudiants de l’Université de Lille (atelier d’écriture poétique).
La participation aux Périphéries du Marché de la Poésie de Paris avec l’organisation d’une Périphérie à la Chouette librairie de Lille au mois de juin.
Deux Résidences littéraires itinérantes avec des auteurs dans les Hauts-de-France, l’une au printemps et l’autre à l’automne.
Un service de prise en charge administrative proposé aux auteurs afin de les décharger des différentes démarches relatives à leurs prestations.
L’organisation, en partenariat avec l’association c/i/r/c/é, du Marché de la Poésie de Lille en fin d’année.

Pourquoi une association, qu’est-ce que l’entité associative apporte ?
La forme associative apporte une certaine souplesse, une liberté de programmation et une capacité de réaction indispensable à notre secteur d’activités. Cela a aussi permis à Escales des lettres de se former et de se développer autour d’un noyau de personnes très unies : l’équipe est composée notamment de Ludovic Paszkowiak (Directeur) et Schéhérazade Madjidi (Responsable de l’action culturelle) et le Conseil d’administration (comptant plusieurs poètes) composé de Ludovic Degroote (Président), Jean-Claude Dubois (Vice-Président), Didier Lesaffre (Président d’honneur), Marie Ginet, Paolina Miceli, Dominique Quélen, Olivier de Solminihac, Saïd Serbouti, Patrice Robin, Danièle Rolland.
Vous rayonnez dans les Hauts de France. Y a-t-il de nombreuses manifestations littéraires  dans cette région ?
En effet, Escales des lettres n’est pas le seul acteur littéraire dans la région, très riche dans ce domaine. En termes de manifestations, impossible de tout citer, on peut noter l’excellent travail d’autres structures comme par exemple la Maison de la Poésie de Beuvry, l’association des éditeurs des Hauts-de-France ou encore la Villa Marguerite Yourcenar, le Prix des Découvreurs et l’AR2L... Ces structures proposent régulièrement des rendez-vous aux différents publics.

https://www.escalesdeslettres.com/copie-de-caf%C3%A9s-litt%C3%A9raires-1

Vous avez organisé le premier Marché de la poésie de Lille. Pourquoi, et comment cela s’est-il déroulé ?

Escales des lettres propose des rendez-vous littéraires à Lille depuis plus de 25 ans. Ces dernières années nous y avons conçu et organisé « Lille Poésie Festival ». Comme son nom l’indique, un festival de poésie, sur plusieurs jours dans la ville en fin d’année (novembre-décembre), avec notamment la réalisation des Midis-poésie au Palais des Beaux Arts, initiés par le poète Ludovic Degroote. C’est dans ce cadre que nous sommes devenus partenaire de l’association c/i/r/c/é. En 2023 celle-ci fêtait les 40 ans du Marché de la Poésie de Paris et souhaitait mettre en place un Marché de la Poésie en région. Nous avons naturellement porté cette organisation ensemble.

Cette première édition a rencontré une formidable réussite. Quelques points de bilan :

Une fréquentation exceptionnelle du public pour cette première édition qui a marqué l’ensemble des participants (plus de 5.000 visiteurs durant le week-end) pour venir à la rencontre des éditeurs, des poètes et pour assister aux rencontres, ateliers et animations.

Au-delà de l’aspect chiffré de la fréquentation, notons la grande mixité générationnelle, sociale et culturelle des publics : des profils très variés, avec une réelle satisfaction concernant la présence d’un public jeune ainsi que l’origine géographique des visiteurs, de Lille et sa Métropole, de la Région Hauts-de-France, de la Belgique et de la région parisienne.

La proposition qualitative de ce 1er Marché de la Poésie de Lille - de l’exigence apportée sur le choix des éditeurs présents à la haute tenue des rencontres et animations proposées - a été unanimement saluée.

Notons également l’engouement et l’investissement des éditeurs pour la réussite de cette première édition, leur satisfaction aussi au regard de leurs très bons résultats de ventes qui ont largement dépassé leurs prévisionnels (de très nombreux visiteurs ayant acheté des livres pour eux et d’autres livres pour offrir de la poésie à Noël).

L’ambiance qui régnait lors de la manifestation - faite d’intérêt et de curiosité pour le livre, de plaisir et de convivialité - a prouvé la gourmandise des lecteurs et des visiteurs pour la poésie et les rencontres poétiques.

Par sa volonté d’associer à l’événement de nombreux acteurs poétiques, littéraires et culturels de la région, qui ont enrichit de leur enthousiasme cette première édition, Escales des lettres a réussi le pari de l’ouverture et du collectif.

Comment vit votre association, et est-ce facile, en ce moment ?
Notre structure est soutenue par des partenaires investis et impliqués : le Ministère de la Culture (Drac Hauts-de-France), le Ministère de la Justice (Disp Hauts-de-France), la Région Hauts-de-France, les Département du Nord et du Pas-de-Calais, la Ville de Lille, l’agglomération Béthune-Bruay… Le premier Marché de la Poésie de Lille a aussi reçu le soutien de la Fondation Michalski. Mais l’équilibre financier d’Escales des lettres reste très fragile. Le Marché de la Poésie de Lille par exemple est une opération déficitaire à ce stade pour notre structure.
Quelle est votre programmation pour ce Printemps des poètes ?
Nous n’avons pas systématiquement une programmation dédiée à la poésie aux dates précises du Printemps des poètes même si cela est arrivé à de très nombreuses reprises. Cette année, nous avons consacré le mois de janvier à des rencontres avec la poète syrienne Maram al-Masri, le mois de février à des rencontres avec l’auteur et poète Jean-Marc Flahaut et nous proposerons au mois d’avril une Résidence littéraire itinérante à travers les Hauts-de-France avec le poète Dominique Sampiero.
Est-ce que le Printemps des poètes offre une visibilité à la poésie et à vos programmations ?
Le Printemps des poètes est un temps précieux et foisonnant dans l’année qui met à l’honneur les poètes, les éditeurs de poésie, les revues et d’autres acteurs par le biais de rencontres innombrables. A chaque fois que nous invitons une ou un poète dans ce cadre nous sommes très heureux de faire - humblement - partie de cette vaste dynamique.  
Des projets ?
Poursuivre, poursuivre et poursuivre ! Beaucoup de travail a été accompli mais il reste encore à faire pour les littératures et les poésies dans les domaines de la transmission et de la médiation auprès de publics très différents pour faire circuler et découvrir des textes, pour favoriser la rencontre et l’échange entre auteurs, poètes, éditeurs et lecteurs. Cette mission nous occupera tout au long de l’année, jusqu’à la réalisation du 2ème Marché de la Poésie de Lille programmé en décembre 2024.

Ludovic Paszkowiak, Directeur et Responsable de la programmation du Centre Littéraire Escales des Lettres.




Paul Vidal, Mélodie des Villes et des temps, petit recueil

 

1) Ile méridionale

La grève défie le temps pendant que les poches de fruits sont retournées par le vent de
l’Orient.

Au port les bateaux s’enivrent d’un départ pour des côtes lointaines ou chavirent les sens.

Quelle est brève la vie pour contempler l’étang, affronter l’orage tapis sous un porche la nuit
me grisant ainsi du fumet des citrons et des palmiers et rêvant de gréements.

Au bord des canaux, je me délivre du regard lourd de mes fautes anciennes, je respire de
nouvelles essences.

 

Courant au milieu des avirons, les jouteurs s’arrachent au son des trompettes.

On attend une Antigone qui enflammera le théâtre qui surplombe les flots.

Garçons preux en pompons, ces acteurs aux airs bravaches rêvent chansons et conquêtes.

J'entends cette Babylone qui rit avec fracas de ces régates ou on dénombre tant de
matelots.

 

Sur la place du marché des négociants prennent le pouls de la ville en devisant autour d’un
café.

Les mouettes dansent une sarabande qui entraîne un ballet d’ombres sur les allées de
tombes blanches soigneusement rangées l'âme du poète s'est envolée.

L’Azur embrasse les orchidées, les accents se traînent d’un ton si doux et tranquille comme
un instrument qui marque le jour étoilé.

Des vaguelettes passent avec l’élégance d’une atalante, les sirènes divinisées sortent de la
pénombre pour une nature que Valery a célébré de manière si féconde de toutes ses
branches, onguents raffinés qui enflamment la vue des êtres abandonnés.

 

Les notes de guitare sonnent encore, ci git l’homme à la pipe qui à travers les âges versifia
un idéal.

À quelques encablures du troubadour est allongé sous la terre un héros qui a connu l'enfer.

Il escamote le brouillard des hommes qui emprisonne les corps, le Py dernier forum ou
s'agrippent les trouvères avec le rivage empli de magnolias comme seul égal.

Immortel malgré ses blessures, sa bravoure força le respect de ses pairs, autour de Thau il
parcouru encore d'innombrables hivers.

 

2) Aliénor des Merveilles

L'espace éphémère d'un soupir, je rebrousse le temps
le siècle oublié du fin amour me saisi comme une chanson par le bras
Une fleur occitane chantée par chaque troubadour, grave son nom dans l'Histoire avec fracas
Jeune héritière d'un empire, héroïne à la source de tant de romans

Loin si loin des rires et de la chaleur des couleurs poitevines
Aliénor la magnifique flanquée d'un bien triste sire embarque pour l'Orient lointain
Météore agnostique et enjouée promise à un moine copiste, elle chevauche son destin
Rêvant d'amour à bord d'un navire, la duchesse se meurt sur la route de Palestine

Soudain la rose d'Occident s'arrache aux rancunes d'une union délétère
Gagnant les cours enjouées d'Aquitaine, on crée avec frénésie sous la férule de la fougueuse mécène
Cependant les vautours l’assiègent par dizaines, de diplomaties en conciliabules, elle est peinte en Hélène
Un Angevin ambitieux et fringuant, vint lui proposer de partager sa bonne fortune, par-delà la mer

Noble dame tenant fièrement les rênes de ses fiefs, nonobstant la tyrannie royale et patriarcale
Affrontant sans faillir, les querelles de ses rejetons princiers, cœur de lion et sans terres
Tristes enfants à chérir, guerroyant sans pitié, uniquement freinés par l'ardeur et la passion d'une mère
Loin des vignobles de l'âme, Robin et Petit-Jean égrainent leurs griefs, passent les ans sans poésie, dans un dédale

Enfin l'écume des tempêtes de ce monde vint à s'apaiser, l’infatigable combattante sent que le soir de sa vie arrive
Gagnant la quiétude de sa chère abbaye ou dormait déjà les siens, elle pensait à Lancelot, penchée sur son écritoire
Trompant la solitude en narrant sa vie de merveilles, alors que résonnait dans le lointain les sanglots de la Loire
Jetant son enclume, la comète de Gironde tint à s'envoler, incontrôlable et trépidante ses victoires furent décisives

 3) Magnifique chevauchée

Du haut des remparts d'Alésia Vercingétorix contemplait les corbeaux tournoyant dans le ciel

Il y'a longtemps déjà le fils de Celtillus courrait et riait dans les champs lumineux du pays arverne

Pas un printemps ne passa sans que ne s'affermisse son respect d'Uranus, il arpentait les forêts,
s'instruisait en devisant avec les dieux convaincus que sa patrie n'aurait pas un rôle subalterne

Loin des assauts de César, la guérilla des gaulois atteignait son paroxysme, ils marchaient tel un
troupeau, beuglant leur fiel

 

Gobannito l'intriguant avait conduit à la perte de son frère.

Son neveu brave guerrier fier de son sang et de sa lignée avait tracé son chemin

La chanson des tempétueux et graves sorciers avait marqué les temps, les troubles dans la cité
conduisaient les cavaliers au son du déclin
Le drapeau des insolents trouvait son agonie dans la découverte d'une nouvelle bannière

 

Rome était en lien avec de nombreux peuples de la Gaule depuis toujours

Vercingétorix s'imposa aux siens et fit le choix des armes pour que son intrépide pays trouve la
liberté

Tel un phénix il culbuta les romains à Gergovie suscitant émoi et alarmes, le recours aux oraisons
des druides avait guéri des brouilles et des malhonnêtetés
Les hommes s'armaient avec entrain, les valeureux peuples marchaient derrière leur icône dans une
nuit emplie de vautours

  

Le calvaire d'un siège infini s'acheva par une réddition pleine de gloire

Pour sauvegarder ses tribus des misères et de la faim il se sacrifia aux tribuns
Harassé par la vue de tant de disparus et de cimetières, il se livra à ses assassins en simple patricien
Un sévère sortilège l'avait vieilli, il trépassa un soir, ultime humiliation de celui qui avait les rênes

 du pouvoir

 

4)  Un jour viendra l’été

Les combats font rage sur les plateaux enneigés comme dans les plaines arides.

L’ennemi invisible est tapi dans chaque recoin, distribuant l’infortune.

Les rats pour seul compagnonnage, murs et barreaux souillés de l’opium des haines sordides.

Pari pénible que de jouer sa vie un opaque matin, priant pour revoir la lune.

L’aube fracassante vint réchauffer ces soutiers du crépuscule.
Arme au poing ils déferlent dans les villes et les villages désertés par l’oppresseur.
Le charme remplace le chagrin, les héros défilent avec des yeux qui pétillent, les visages
bouleversés, car enfin c’est l’heure.
Les Robes éclatantes de lin bleuté, ont submergé un pays encore incrédule.

Âmes tourmentées continuellement par un engagement sans failles.
Hommes de l’ombre venus des entrailles de l’Hexagone.
Femmes héroïsées se sacrifiant le cœur battant sous la mitraille.
Capharnaüm soutenu par Londres, fil tenu d’une maille qui s’étend dans le Rhône.

Combattants armés de leur seule foi en des lendemains meilleurs.
Artisans, employés et militaires se muent en missionnaires de la liberté.
Haletants, traqués seul l’honneur est leur loi, ils ont faim de grandeur.
Militants dévoués et sincères, ils remuent ciel et terre dans une intense fraternité.

   

5) Respiration Pastorale

Des nuages de sable, sertis de rouge s'égrènent sous nos pas.
Le soleil réchauffe les doigts dans un écrin de verdure sans âge.
Les ramages insaisissables comme sortis de gouges accompagnant le pouls de nos voix.
Pareil à une gaufre qui laisse coi, suivant un chemin à petite allure, croisant de paisibles pâturages.

Sur des terrains hyppiques les juments soigneusement pansées se frottent au mouvement des
Alysées.
Quelques arpents de neige défient encore ces vallées silencieuses.
Azur vaccin que cette promenande bucolique, le temps silencieusement arrêté, comme une note
parcourant l'été.
Comme un auvent qui protège la vie, de la boite de Pandore, les bosquets d' azalées
miséricordieuses.

Au loin les sonates résonnent tour à tour graves puis légères.
Les villages déploient artifices et lumières.
Soudain un tocsin bourdonne sans détours tel un vautour, il est temps de trouver un havre ou
fermer les paupières.
Des mages tournoient emplis d'une malice qui libère.

Enfants et adultes farandolent dans les rues.
Les esprits et les corps s'enjolent sans fin.
Les chants émergent des tumultes et des cabrioles, jusque dans les charrues.
La nuit plante son décor ou s'égayent les lucioles, en haut des s

Présentation de l’auteur




Marc-Henri Arfeux, Initiation d’amande

Seule est la maison seule
Environnée de neige
Et de distance épanouie,
Hurlant le blanc de son silence ;
Et seule offerte illimitée comme un désert 
Est l’étendue des vents premiers.
La nuit implore la nuit,
Le temps s’est entièrement vidé de ses viscères
Que le haut gel a résorbés.
Tu es dans la maison natale des nombres purs
Assis parmi le cercle en un,
Devant les fins esprits du feu 
Ouvrant au centre 
Un jardin spiralé.

Puis les paupières ébènes
Inversement,
Te conduisant 
Au lent couloir d’abolition.
Les voix se lèvent
Ainsi que des lueurs
Aussitôt résorbées,
Frôlant tes joues
Tandis que tu respires 
Dans l’abandon,
Laissant répandre tes lambeaux 
Parmi les ombres oublieuses ;
Et seuls frôlant la nuit
Les rameaux chuchotés,
Comme un brouillard marchant à pas de léopard.

Puis les appels froissés,
Le chant des talismans
Faisant trembler le vide entier
Qui te remplit,
Comme si tu n’étais rien qu’une simple flamme
Sur l’eau nocturne de l’absence,
Et les ténèbres autour de toi s’étendent à l’unisson,
Prenant ta forme écartelée.
Il n’est d’espoir au pli du rien
Que ce noyau d’exil,
Tel un visage demeurant clos.

Alors, en cercles de furies,
Les songes et les clameurs,
Les talons rouges battant le marbre du néant,
Et les lanières de lune ensorcelant tes souterrains.
Tu es renard, hibou, écorces amères,
Imploration d’étoiles trouées dans le grand gel,
Bourrasques de l’immense 
Annulant ton image.
Le thé bouillant du fer prend maintenant ta place.

Il te faudra franchir par abstention,
Livrer bataille sans un mouvement,
Offrir la poudre d’os de ta douleur
À la dureté du labyrinthe 
Murant l’amande
Où tu persistes
En un pétale.

Voici l’esprit de l’aigle.
Il boit en toi la cendre
Et les éclats coupants,
Le gravier funéraire de tes membres épars
Et les anneaux d’épines
Entrelacés d’organes ;
Il brûle
En un grand cri qui se propage
Ton lièvre de blessures,
Rendant leurs seuils
Aux larmes dénouées.

Voici la mousse,
L’humus humidifié de ses constellations,
La fine enfance de l’herbe nue,
Et les cavernes des racines ensemençant 
Les souvenirs d’outre-nuage,
Et les masques d’ancêtres 
Soufflant l’ardeur dans les forêts du bronze,

Voici la nuit,
La haute nuit de la lumière
En sa vie ramifiée,
L’encens des résonances
Touchant les tempes,
Et le feuillage multiplié des doigts
Recomposant ta tête ainsi qu’un vase
Où sont versées les huiles de tes reflets 
Transfigurés
Et réunis
En une seule aube.

Elle a, tandis que tu éclos,
L’apesanteur des gouttes
À la surface d’une obsidienne.
Devant toi sont les lampes,
Aussi légères que les fontaines ressuscitées
De ton cœur jaillissant.

Présentation de l’auteur




Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel,

Peut-être s’avère-t-il nécessaire, pour comprendre toute la quête poétique, toute la démarche d’écriture dans laquelle s’est lancée Adeline Miermont-Giustinati, à travers le partage de ce recueil, entre confidence, poème, essai et récit, de revenir à l’origine des mots, à leur étymologie, tout particulièrement celle du verbe de grec ancien qui donne son titre à l’ouvrage fondateur et dont elle rappelle la définition antique dans un glossaire des thèmes-clés de son œuvre précieusement glissé après une postface révélatrice ? « SUMBALLEIN : transcription française du grec ancien Σύμβα λλειν que l’on peut traduire par « jeter ensemble », « mettre ensemble », « assembler », « réunir ». Dans l’Antiquité, deux personnes qui passaient un contrat cassaient un morceau de poterie. Chacun gardait un bout. Quand les contractants se revoyaient, ils lançaient leurs fragments de tessère respectifs (les sumbola) afin de se reconnaître. Terme à l’origine du mot symbole. »

Tessons rassemblés, fragments réunis, les « symboles » de son écriture donnent de la chair aux mots et tracent le parcours d’une vie dont la genèse des textes qui semblent s’écrire sous les yeux du lecteur, comme sous la dictée de son auteur, insuffle la vie, donne forme à l’être, prépare le surgissement de l’existence prise, là encore, en son sens initial d’ek-sistence, sortie de soi, naissance d’un monde singulier qui procède d’une nuit matricielle, celle-là même dont Pascal Quignard fait le récit de la présence mystérieuse dans La Nuit sexuelle et l’analyse de l’absence de son image secrète dont procède pourtant le nouveau-né dans Sur l’Image qui manque à nos jours : « Une image manque à la source. Personne d’entre nous n’a pu assister à la scène sexuelle dont il résulte. L’enfant qui en provient l’imagine sans finir. C’est ce que les psychanalystes appellent Urszene. »

Témoignage de ré-écriture au féminin de ce cheminement d’existence, à travers la figure de la mère à la genèse, à la fois génératrice et génitrice, l’emploi sans doute non innocent d’une formule qui fait là encore écho à la conception de chacun dans sa traversée de sa vie, selon l’écrivain Pascal Quignard, comme un « dernier royaume » de son vivant, autrement dit depuis la naissance jusqu’à la mort, monde souverain mais voué à disparaître et dont les femmes, seules, les mères, plus particulièrement, ont le pouvoir d’être à la source, au commencement de la nuit d’amour fondatrice des deux fragments/amants à l’union/unisson à cette relation première mère-embryon-bébé-à-naître-nourrisson que l’auteur qualifie, quant à elle, de « premier royaume » : « le premier royaume est un désert / un silence liquide / le premier royaume est une nuit / le départ de la vie est un intermède / le premier royaume n’est pas encore l’ex-istence / il est l’in-istence / le premier royaume est un prélude / une préface / un préambule »

Adeline Miermont-Giustinati, Sumballein suivi de le tunnel, éditions Phloème, 2021, 15 €.

Prélude ludique, variation du désir en exploration d’une forêt primitive que le corps féminin personnifie avec toute la force des mythes : « je suis une forêt / je suis un monde secret et opaque / je suis le monde d’avant l’humanité / je suis la vie errante / réfugiée dans une nuit / sous une ramure / île dans une île dans une île / une et île font dans » : ce corps devient alors matrice dont la formule inaugurale du recueil en fait la matière béante du passage, des passages, de tension érotique en naissance sublime : « je deviens mon entaille » ; mais c’est d’une écriture au scalpel, sans fioriture, au corps à corps justement, dans son intensité physique comme épousant une poussée de la physis antique, la nature première dont l’auteur garde tant l’absolu mythologique de la parole oraculaire que le détail dérisoire de la contingence charnelle, que se distinguent les éclats, les poèmes divers, les différentes transformations d’un texte en métamorphose, signe d’un voyage primordial où selon ce témoignage éblouissant : « l’horizon est dedans »…

Présentation de l’auteur




Joseph-Antoine D’Ornano, Instantanés sereins

Un univers à part, un peu hors du temps. Des tranches de vie saisies par un poète qui est aussi artiste-peintre. Les Instantanés sereins de Joseph-Antoine D’Ornano (né en 1948) ont une forme de douceur doublée de la conscience aiguë du temps qui passe. Voilà, en tout cas, une voix originale dans le paysage poétique actuel.

On peut faire des poèmes avec peu de choses. Les auteurs chinois ou japonais nous ont beaucoup appris là-dessus. Joseph-Antoine D’Ornano n’écrit pas des haïkus mais capte à sa manière des instants de vie, souvent dans leur banalité la plus extrême.

Dans ses poèmes il y a des « lilas aux fenêtres », des « limonades roses », une rue discrète, un banc de pierre, un lit défait, un parapluie qui se retourne, « des petites fleurs qui jouent les coquettes », un « pré charmant », des fontaines… Voilà qui nous éloigne du tohu-bohu ambiant. Avec le sentiment, néanmoins, de se retrouver au cœur d’un monde un peu révolu.

Les aquarelles, encres et autres pastels de l’auteur qui accompagnent les poèmes sont au diapason. Le gris, le brun ou l’ocre, tonalités dominantes des tableaux, sont là pour nous signifier que le temps a passé (si c’était de la photographie, on parlerait de sépia) et que les couleurs éclatantes de la vie ont un peu fané. On découvre ici des paysages ou des visages sur lesquels le temps a fait son œuvre.

 Joseph-Antoine D’Ornano, Instantanés sereins, L’inventaire, 2023, 60 pages, 12 euros.

Car c’est une forme de retour sur des souvenirs enfouis qui imprègne ce recueil. Les personnages évoqués sont parfois des figures évanescentes et quand elles ne le sont pas, ce sont des hommes ou des femmes vivant avec le « dos cassé ». De celui-ci, le poète dit qu’il « ne sort presque plus », de celle-là que « parfois, elle quitte son fauteuil ». Les maisons sont habitées de souvenirs ou de regrets. Mais ce n’est jamais dit avec lourdeur. Non, plutôt avec une forme de douceur, dans une série de poèmes d’une étonnante clarté (sans recours aux images ou au procédés poétiques classiques). Il y a dans tout cela, au bout du compte, une forme discrète de nostalgie dans l’évocation, par exemple, de « l’amour d’une seule saison » ou de « la tristesse de ces instants disparus ».

Joseph-Antoine D’Ornano ne se paie jamais de mots. Ses Inventaires sereins font la part belle aux gens âgés et aux enfants. L’atmosphère y est légère en dépit de ce temps qui file entre les doigts. On peut découvrir, au détour d’une page,  des « gens heureux » et parfois « Sous la voûte étoilée du ciel/Le village en fête/Au son de l’accordéon ».

Présentation de l’auteur




Claude Favre, Thermos fêlé

 Un thermos est une bouteille isotherme dont la fonction la plus répandue est de conserver la chaleur d'un liquide (café, thé). Dès lors, le titre du dernier livre de Claude Favre, Thermos fêlé, nous fait songer à une déperdition, une porosité, aussi à un fonctionnement défectueux : quelque chose à réparer en même temps que difficilement réparable. La citation de Lorca en exergue, Est-ce qu'un homme peut jamais cesser de l'être ?, est précédée d'une dédicace :

À ceux qui, sans nom, sans toit, sans paix, sans soins,sous les coups de la douleur,  du froid, de la faim, du mépris, des oublis, de la haine, du feu, la lâcheté des pierres, des bombes, des oublis, des silences et des cris, des oublis, à ceux qui regardent le monde, entendent les cris du monde et la peur, la peur, l'intolérance, l'obus des oublis recueillent violence sans nom se recroquevillent, et meurent

 

Claude Favre, Thermos fêlé, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 66 pages, 15 €.

On voit d'emblée de qui il s'agit et le mot oubli quatre fois répété annonce que le livre s'emploiera à le conjurer. Il prend la forme d'une sorte de journal, chaque page datée, du lundi 29 décembre jusqu'au jeudi 19 mars (avec des jours absents après le 21 janvier). Journal qui peut-être à la fois intime, je lis « Moujik moujik » de Sophie G. Lucas (l'auteur de cet article le recommande également), et de compte-rendu d'actualités, comme il est convenu de les nommer. Tout cela est entremêlé ; or, on ne saurait réduire le livre à cet entrelacs, il faut en dire d'une part l'empathie et la colère sourde qui tissent ces pages, d'autre part le formidable travail de la langue qui par son architecture en hoquets incarne les brisures des êtres pris dans les situations qu'elle évoque qui sont aussi celles de l'auteure. Claude Favre est une habituée des lectures-performances. Elle a notamment travaillé avec le musicien Dominique Pifarély. Pour qui connaît le violoniste — je pense à sa participation au quintette de Louis Sclavis ou encore avec le groupe Next du saxophoniste François Corneloup — qui sait, donc, l'importance de ce jazzman sur la scène française contemporaine, saura du même coup que l'écriture de Claude Favre est faite de ces métissages, ces ruptures, ces lignes mélodiques interrompues, distordues, reprises et développées.

 

mercredi 18 février, andiamo, quelques années déjà autres
vie à l'os, gaie tout de même souvent, pour liberté choisie
dans la colère heurtée, colère dans ma besace, jusqu'où
L'Insee évalue à 112 000 le nombre de, personnes sans
domicile dont 31 000 enfants, ce qui dit plus dans la douleur
augmentation de 44 % entre 2001 et 2012
au même moment des migrants touchent terre
c'est le mot, dont une cinquantaine d'enfants
certains même naissent dans la traversée
de Syrie, répartis en Toscane, Sicile, sans famille, sans
espoir, que faire de l'amour, l'urgence

 

Que faire de l'amour ? C'est cet amour pour l'autre et son impuissance à changer les choses qui irrigue les vers de Claude Favre, qu'il s'agisse de la misère « ordinaire » de chez nous, 6 personnes / en quelques jours mortes en France / d'hypothermie, 6 retrouvées, pour combien, cette misère dont Claude Favre est très avertie, le mot ne dit pas ce que ressent un père avec son fils / dans un garage abandonné, ou ma mère à l'école, qui / voulait apprendre / désignée par un mot qui tue / indigente, ou la misère extrême plus lointaine géographiquement, mais si proche dans le cœur de Claude Favre, les Français déprimés / compulsifs, quand à Port-au-Prince chaque geste, altier est de la vie aller chercher l'eau. Que faire de l'amour ? Comment éradique la haine de l'autre ? Ces mots écrits après l'attentat contre Charlie Hebdo :

 

dimanche 11 janvier, éloignée je suis des vôtres
conjurer le chagrin conjurer le chagrin
marcher, marcher avec des morts travers avancer
avec sa petite mal langue à soi qui aux autres, doit
marcher, à Paris, cette puissance du non
ce n'est pas vivre que perdre sa part d'humanité
mort aux arabes écrit en breton, mort aux juifs
dans tant de bouches ici et encore, ici et encore
qu'est-ce qu'un slogan, ce mot gaëlique
qui signifie cri de guerre
et qu'en penserait Abdelwahab Meddeb ?

 

 J'ai eu la chance d'assister à un débat œcuménique auquel participait le poète et essayiste, spécialiste du soufisme. Il a toujours dénoncé l'intégrisme et appelé à une réforme de l'Islam.

 Ce livre est un plaidoyer, formule que l'on a coutume d'employer, contre l'injustice, l'intolérance, avec cette dénonciation de notre indifférence et de nos petits soucis dérisoires :

 

[…] la haine contre la présence, l'irresponsabilité dit-on, françaises
on brûle des effigies du président de la France au Pakistan
et c'est Sarkozy, c'est dire notre différente temporalité
à Grozny éclatent des manifestations obligées téléguidées
au Niger il y a 45 églises brûlées, et dedans, des morts
à Ploucville on espère il n'y aura pas de vent

 

Tribut également rendu à celles et ceux qui comptent, qui se dressent :

 

les poètes, les hommes pour qui dire c'est / faire c'est dire n'est-ce, Nasreen, Rushdie, Djaout et cætera, soulever traces, des autres quand le mot blasphème est / un mot en langues, terrain commun de la haine l'assignation / perdre les siennes, tracer plus haut, sans peur vouloir, danser

 

J'ai dit l'écriture particulière de Claude Favre, les extraits que j'ai donnés montrent un aperçu de cette langue, tendue, vibrante d'une auteure qu'il faut suivre. Pour conclure à propos de ce beau livre, accompagné de peintures de Jean Dalemans, je citerai ce long vers, isolé sur une page :

 

un peu comme un thermos fêlé — impeccable intérieurement, mais dedans rien que du verre brisé

 

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